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Le peintre restaurateur

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Photographies réalisées dans l’atelier de Claude Bernhart, et présentant ses créations ainsi que des tableaux en cours de restauration. Nous vous proposons ci-dessous une interview de l'artisant, réalisée par Krystyna Maslowski.

Pouvez-vous nous retracer en quelques mots votre parcours ?

J’ai toujours été fasciné par les œuvres peintes, ça a commencé très tôt dans mon enfance et cela a toujours éveillé en moi des sensations agréables. Mon parcours s’est tracé petit à petit, d’abord je suis rentré dans un atelier de peintre-verrier, ensuite j’ai rencontré un restaurateur de peinture, j’ai commencé à travailler dans son atelier pendant plusieurs années et j’ai complètement laissé tomber le vitrail. J’ai ensuite commencé l’école des arts décoratifs et à 23 ans je me suis mis à mon compte en tant que peintre-restaurateur. Donc ma formation s’est déroulée de 13 à 23 ans.

Pourriez-vous nous parler de votre formation à l’école des arts décoratifs ?

J’ai passé deux fois le concours des arts déco et je ne l’ai jamais eu. Cela ne m’a absolument pas éloigné de ce que j’avais envie de faire car de toute manière, à l’époque on pouvait s’inscrire en tant qu’auditeur libre, j’ai donc suivi tous les cours, simplement je n’ai pas de diplômes. Je pense qu’effectivement un diplôme justifie d’un cursus, mais je pense qu’il y a énormément de gens, j’en suis un parmi tant d’autres, qui ont un cursus complètement différent. Et si on n’a pas avancé au niveau des diplômes, on a travaillé un savoir-faire ; moi j’ai développé mon savoir-faire, et c’est ce qui me fait vivre. Je rencontre énormément de gens qui sortent d’école, qui sortent leurs diplômes et qui me font bien comprendre que je ne suis qu’un petit barbouilleur. Je suis extrêmement étonné du dédain qu’ont des gens, parfois très diplômés, du regard qu’ils ont sur un parcours différent, qui n’est vraiment pas le leur. ça me frappe énormément. À un moment donné, j’en ai souffert. Quand j’étais plus jeune ça m’avait un peu troublé dans mes choix mais maintenant ça ne me concerne plus.

Quelle a été la motivation principale qui vous a conduite à cette activité ?

J’ai toujours été fasciné par la couleur, la matière. C’est vrai que j’ai bifurqué dans la restauration d’œuvres d’art, parce que je trouvais que le vitrail me limitait dans ce que je cherchais de créatif, par rapport à l’expression libre. Bon, vous direz la restauration également, il n’y a aucune créativité dans la restauration, mais l’aspect technique est beaucoup plus évolutif que dans le vitrail qui est quand même un art beaucoup plus statique. La restauration est quelque chose en permanente évolution et c’est cela qui m’attire, c’est surtout l’aspect cuisine qui me plait dans la restauration d’œuvres d’art.

En même temps, ma peinture personnelle a énormément évolué à partir du moment où j’ai fait de la restauration. J’ai découvert la peinture en restaurant, car cela m’a donné une manière de l’aborder qui est complètement différente. Quelqu’un qui ne fait que de la peinture n’a pas du tout le même regard qu’un restaurateur qui se pose des problèmes techniques et cherche à s’adapter à quelqu’un d’autre.

Est-ce que cela vous touche de vous dire que vous restaurez une œuvre qu’un homme a réalisé parfois plusieurs siècles auparavant ?

Ce qui me touche, c’est de voir comment certains hommes à un moment donné ont exprimé quelque chose, les problèmes techniques qu’ils ont rencontrés et qu’ils ont résolus avec les moyens dont ils disposaient. C’est vrai que l’on se sent privilégié quand on touche à des objets très anciens, on est la personne qui est la plus proche de l’objet, car il y a l’aspect visuel, mais le restaurateur bénéficie en plus de l’aspect tactile. C’est quelque chose de tout à fait particulier de toucher un objet qui n’est pas de vous et qu’il va falloir préserver, conserver pour le faire perdurer dans le temps. C’est-à-dire que l’on est chargé de prolonger sa vie.

Pourriez-vous nous parler de la gestuelle, du tour de main du restaurateur ?

La notion de geste, de savoir-faire, est très importante dans ce métier. Je peux avoir un outil magnifique, mais si je ne sais pas m’en servir, ça ne sert à rien. Un débutant qui nettoie un tableau fait des mouvements un peu désordonnés. C’est qu’il y a le rythme de travail à trouver qui n’est pas le même pour chaque objet. Par exemple, entre un tableau qui est dévernis et un tableau qui est vernis, la sensation est tout à fait différente, ce que le débutant ne ressent pas, il ne se rend pas compte de la différence. Il y a une expérience à acquérir et c’est ça un métier, c’est la différence entre quelqu’un qui sait à quel moment il faut s’arrêter et l’autre qui, même avec la meilleure volonté du monde, n’aura aucune limite de dosage parce qu’il ne saura pas quand s’arrêter.

Que diriez-vous à un jeune qui veut se lancer dans ce genre d’activité ?

Un jeune qui veut faire une école d’art, qui, par exemple, veut apprendre à peindre, moi je lui conseille d’aller plutôt faire une école de restauration, il apprendra mieux la peinture qu’en apprenant à peindre. C’est peut-être un peu contradictoire, mais maintenant les professeurs qui vont enseigner soi-disant la peinture n’ont plus du tout l’expérience qu’avaient les anciens. Il vaut donc mieux aller dans une école de restauration, où ils vont apprendre beaucoup de choses effectivement techniques, qui n’ont strictement peut-être rien à voir avec la création, mais ils auront un outil de travail pour faire ce qu’ils veulent après, et avec une totale liberté d’expression. Ce qu’ils n’auront pas du tout dans une école d’art traditionnelle, parce qu’on va leur inculquer plutôt un mode de pensée, un mode d’agir et pas du tout un mode de faire, c’est-à-dire un tour de main. Il y a une grande différence entre transmettre un savoir-faire manuel et conditionner une pensée. Maintenant les écoles d’art ont plutôt tendance à conditionner un mode de pensée qu’un mode de faire et ça n’a rien à voir, ce sont deux mondes à part.

Vous avez parlé de complémentarité entre la restauration et la création, pourriez-vous nous en dire plus ?

Pour moi, la restauration et la création sont liées, l’un ne va pas sans l’autre. La compréhension d’une œuvre du passé vous permet d’autant plus de vous distinguer par rapport à elle. On agit toujours en comparaison ou en opposition, peu importe, mais c’est toujours par rapport à quelque chose d’autre qu’on agit. Plus vous avez de connaissances, plus cela vous permet de vous dissocier. Il y a des milliers d’artistes, maintenant, quelle est la particularité que vous, vous pouvez avoir ? À partir de quoi vous pouvez vous distinguer en tant que créateur ? Et ça, c’est une particularité qu’on peut développer en ayant la facture de connaissance de ce qui existe déjà. Donc le fait de savoir, c’est bien, mais il y a aussi une neutralité à conserver en permanence en tant que créateur, et justement c’est ça qu’il faut défendre, c’est sa manière de penser qui peut être à l’opposé de tout ce qu’on peut attendre de vous, mais ça, il faut le préserver, même si votre travail n’est pas reconnu. Le créateur est souvent en décalage avec son époque, parfois en avance ou en recul, je crois que l’essentiel, c’est d’agir en totale honnêteté.

Vous-vous définiriez plutôt en tant que peintre ou restaurateur ?

Moi, je me sens peintre et je me sens aussi restaurateur. Pour moi une chose complète l’autre. D’ailleurs dans le temps, les restaurateurs étaient des artistes peintres, le métier de restaurateur n’existait pas, ce n’est que petit à petit que c’est devenu une discipline vraiment scientifique. Un restaurateur qui reconstitue un objet, si vraiment il n’a pas de capacité d’interprétation, aura du mal à retranscrire quelque chose ; s’il n’est que technicien, ça ne suffit pas. Pour reconstituer, il faut avoir une force de création dans l’esprit, évidemment de ce qui a déjà été fait. Car l’essentiel c’est la conservation, la restauration c’est la fibre optique pour redonner une unité à l’objet. Mais l’essentiel, c’est d’amener l’objet le plus loin possible dans le temps.

En complément, nous vous proposons de consulter les sites suivants :

  • L'Atelier des 3 Portes : découvrez le travail de Dominique Gressot, restaurateur de tableau spécialisé dans la conservation et la restauration des tableaux peints à l'huile sur toile.
    http://www.amagalerie.com/d.gressot/
  • Claire Meyer Seiller, bois peints et trompe-l'oeil restaure, crée et personnalise des plafonds en bois peint, des meubles, des trompe-l’œil et des panoramiques.
    http://www.amagalerie.com/meyer.seiller/
  • Les Arts : cette entreprise spécialisée en restauration de tableaux vous propose un descriptif du métier de restaurateur ainsi qu’une rubrique galerie présentant différentes œuvres restaurées.
    http://www.lesarts.net/
  • Atelier d'Hélène Vignal, restaurateur de tableau en peintures de chevalet sur toile ou sur bois, bois dorés encadrements et sculptures, copies d'œuvres à l'huile sur toile, bois ou verre.
    http://www.amagalerie.com/h.vignal/
  • Marguerite Szyc-Zielinski, spécialisée en restauration de tableaux anciens (de la Renaissance au XIXe siècle), vous présente diverses techniques de restauration allant du traitement du support à la couche picturale, et donne différents conseils de conservation.
    http://www.metiersdart-artisanat.com/

Mise à jour au 28/03/2011