Retour à Alsaciens des Landes
Vers la fin du XIXe siècle se produit un renversement soudain qui se concrétise dans une architecture construite comme un objet. L'Art Nouveau s'approprie les technologies modernes, refuse le langage stylistique de l'éclectisme et prend la nature comme source d'inspiration. Ce goût nouveau s'étend rapidement et atteint d'autres domaines : les arts graphiques, les objets domestiques, la mode vestimentaire.
L'Art Nouveau, est un mouvement révolutionnaire qui va bousculer le classicisme correct, répétitif, lassant de l'architecture du milieu du siècle. La séduction de ce style enflammera toute l'Europe : Vienne, Bruxelles, Londres, Berlin, Paris, Nancy, Barcelone et… Strasbourg.
Un échantillonnage des constructions Art Nouveau, à Strasbourg nous prouve l'intérêt qu'avaient les architectes et les propriétaires pour ce mouvement aussi appelé Jugendstil, Style 1900, ou encore Modern style. Un regard sur ce mouvement, éclaire une étape importante dans l'étude de Strasbourg et de son image.
Les programmes architecturaux, et plus précisément les espaces intérieurs, dans les immeubles Art Nouveau restent pour la plupart fidèles aux traditions. Il existe néanmoins quelques exemples d'innovation spatiale et c'est sur les surfaces extérieures de quelque-unes de ces architectures que nous nous concentrerons. Ces surfaces extérieures sont les façades,qui dans la ville sont en relation directe avec la rue et les passants.
Cinq exemples brièvement décrits serviront de modèle type d'Art Nouveau à Strasbourg.
Le premier exemple est la villa Schutzenberger construite par Julius Berninger et Henri-Gustave Krafft au 76, Allée de la Robertsau (1897-1900) pour Louis Oscar Schutzenberger (des brasseries du même nom).
Le deuxième exemple est un immeuble de rapport construit aussi par Julius Berninger et Henri-Gustave Krafft, 1, Place Broglie (1899-1901) pour les frères Flach.
Ces deux exemples lient de façon très nette ces architectes à Hector Guimard et son style très personnel d'un Art Nouveau parisien. Les deux architectes avaient commencé leurs études à Stuttgart et les avaient poursuivies à Paris, à l'École des beaux-arts d'abord, puis dans l'atelier de Jean-Louis Pascal.
Le troisième exemple est aussi un immeuble de rapport construit par les architectes Heinrich Backes et François (Franz) Lutke, pour Georg Cromer, 56 allée de la Robertsau à Strasbourg.
Le quatrième exemple est la Villa Faist, 24 rue Twinger, construite en 1903 par Hienrich Backes et François (Franz) Lutke.
Heinrich Backes et Franz Lutke, au 56 allée de la Robertsau et au 24 rue Twinger racontent une toute histoire. Dans leurs architectures, les liens avec les éléments de la Renaissance allemande (angles aux formes chantournées de coquillage, la loggia du piano nobile et l'entrée du portique) sont évidents et révèlent des architectes formés dans le dévouement à l'historicisme tel qu'on peut le voir à Munich ou à Berlin.
Le cinquième exemple est l'œuvre de Waldemar Osterloff, 7 rue Édouard-Teutsch, 1903. C'est la seule réalisation strasbourgeoise (quelque peu rectiligne) de cet architecte formé à Fribourg.
L'Art nouveau (ou Modern Style, Art 1900 en Belgique et en France, Jugendstil en Allemagne et en Autriche) a diffusé un style qui prit beaucoup d'ampleur à la fin des années 1890 pour s'éteindre doucement dans les années 1910 pour les exemples les plus tardifs. Il charmait par ses lignes et, très vite, par ses courbes qui envahirent les arts décoratifs et l'architecture. Baroque dans son esprit et moderne par son approche technique, l'Art nouveau utilisait le fer et le verre, techniques qui allaient gagner estime et respectabilité quelques années plus tard, au début du XXe siècle.
On peut constater une présence simultanée de lignes courbes et de lignes droites dans les exemples Art nouveau à Strasbourg. Souvent on décrivait la ligne droite comme abstraite, terme qui allait se répandre tout au long du siècle. Les lignes baroques ou courbes étaient largement considérées comme issues de l'influence française et romantique. L'approche plus classique, plus droite, était souvent identifiée à la production de centres plutôt germaniques tels que Vienne, Berlin ou Munich.
La particularité de Strasbourg tient au fait que les courbes et les droites s'entremêlent ; dans cette ville carrefour géographique, politique et culturel, les architectes offrent en effet une palette de formations stylistiques différentes. Certains ont été formés à Paris, d'autres à Karlsruhe ou Berlin. Presque tous ceux formés à Paris étaient d'origine française, comme étaient Allemands ceux formés à Karlsruhe. Une variété existe bien, de ce fait, dans les façades Art Nouveau à Strasbourg.
À l'extrême fin du XIXe siècle et au tout début du XXe, l'Art Nouveau fait donc irruption à Strasbourg et dote la ville d'une cinquantaine d'immeubles de qualité.
C'est aussi aux Strasbourgeois Julius Berninger et Henri-Auguste Krafft que l'on doit le numéro 10 de la Rue Schiller construit en 1904 en brique et en pierre avec portail en fer forgé épanoui à la manière de Guimard.
Les Allemands Heinrich Backes et Franz Lütke dès le début du XXe siècle se lancent dans l'Art Nouveau et construisent:
L'Alsacien Aloys Walter construit au n°55 route du Polygone en 1902 un immeuble en pierre de taille dont l'oriel médian en brique est animé de céramique et couronné par un arc –en -ciel floral. Au n°98a route du Polygone on s'arrêtera devant la façade qui présente une disposition originale avec ses deux pylônes latéraux.
Dans le même quartier, au n°4 de la rue Jules Rathgeber, les balcons se regroupent deux par deux et le décor de céramique se concentre sous l'arcade sommitale. Au n°14 de la rue Charles Grad (1905) réapparaît le thème de l'oriel central.
Parmi les œuvres dignes d'intérêt, citons :
Auguste Brion, accède à la notoriété avec le n°22 de la rue Sleidan (1904). Le balcon soutenu par la prolifération végétale est un beau moment de l'Art nouveau à Strasbourg.
Ferdinand Kalweit se distingue au n°50 rue de Zurich (1901).
Samuel Handshut est l'auteur du n°14 rue du Général Gouraud (1902) et du n°87 Avenue des Vosges (1905).
Josef Vincenz Brejcha est remarqué au n°20 rue Jules Rathgeber (1902).
Nous devons à Rudolf Rimmelin le n°53 de l'avenue des Vosges (1904).
Franz Scheyder est connu pour sa fameuse maison égyptienne au n°10 rue du général Rapp (1905), les peintures sont de Adolf Zilly.
L'Art Nouveau finissant a encore produit une œuvre intéressante au n° 22 du quai Saint Nicolas (1906). Les architectes Müller et Mossler adoptent pour cet immeuble, aux réminiscences nancéennes, le motif de l'oriel central.