- CRDP d'Alsace - Les dossiers -

Le patrimoine industriel
pour quoi faire ?

L’objectif de cet exposé est de sensibiliser mes collègues enseignants à l’énorme potentiel pédagogique que constitue le patrimoine industriel. Celui-ci s’inscrit dans le triptyque patrimoine scientifique, technique et industriel (ou industriel, technique et scientifique ?). Notons bien que le patrimoine industriel est forcément en même temps technique, il est parfois aussi scientifique : comment pourrait-on s’intéresser à l’histoire de l’extraordinaire plateforme industrielle de produits chimiques de Bouxwiller sans se piquer d’intérêt pour le chimie ? Il en va de même pour les couleurs du textile ; le chercheur explorant l’histoire des mines sera sensible à la géologie des gisements ; et la machine à vapeur, qui s’impose progressivement au courant du XIXe siècle comme génératrice de l’énergie de nos fabriques, ne constitue-t-elle pas une voie royale d’accès à la thermodynamique ?

DéfinitionRevenir au début du texte

Mine de potasse Rodolphe II

Mine de potasse Rodolphe II
Photo Rémi Stosskopf, s.d.

À la place d’une définition fade, j’opte pour une formule un peu provocatrice inspirée de Saint Exupéry (on n’hérite pas de la terre de ses ancêtres, on l’emprunte à ses enfants) : le patrimoine c’est ce que nous empruntons à nos enfants… Matière à méditation…

Or, que restera-t-il à nos enfants que nous pourrions emprunter, comme empreinte du phénomène qui a le plus marqué notre civilisation ? Un graphique, présenté ce 14 avril, montre l’évolution des destructions de sites industriels d’intérêt patrimonial, pour les dix dernières années, pour une aire d’observation couvrant la majeure partie de la région Alsace. Chaque site a fait l’objet d’une estimation, qui permette de le positionner dans une échelle de 1 à 3 unités (qu’on pourrait qualifier d’unités de patrimoine en quelque sorte). Le taux de destructions de 1994 à 1998 est de 2 à 4 unités ; il passe à 5 ou 6 unités pour 1999, 2000 et 2001, 7 en 2002 et 16 en 2003. Ce constat affligeant se passe de commentaires.

J’ai également tenté de chiffrer le nombre global d’unités de patrimoine pour les sites subsistants du même territoire géographique. Le calcul montre qu’au taux de démolition des cinq dernières années, il ne restera plus rien d’ici 30 ans ; au rythme de 2003, il suffira de 15 ans pour éradiquer totalement de l’horizon alsacien son patrimoine industriel (à l’exception de sites peu nombreux définitivement sauvegardés, comme la Commanderie à Rixheim ou la fonderie à Mulhouse).

Destruction de l'usine de la Dentsche à Mulhouse

Destruction de l'usine de la Dentsche à Mulhouse
Photo Relations publiques Mairie de Mulhouse, s.d.

Le champ de l’archéologie industrielle. Nous abordons en quelque sorte les présentations, sous la forme d’un jeu de piste, qui consiste (excellent exercice de travaux pratiques pour des élèves) à identifier sur le terrain tous les types d’objet qui viennent nous rappeler la pratique passée de l’industrie. Un champ plus vaste qu’il n’y paraît, car nous y trouvons (la liste a été présentée agrémentée de photographies dont nous rappellerons les légendes) :

Forge de Willer sur Thur

Forge de Willer sur Thur
Photo J.-P. Poletto, s.d.

... et la construction de villes toutes entières ; on donne l’exemple de Bischwiller, l’autre ville du textile, après Mulhouse et Sainte-Marie-aux-Mines.

Voilà donc, brute de décoffrage, la liste des objets qui retiennent l’attention du chercheur en archéologie industrielle. Une partie importante de ces objets (mais pas tous !) entrent dans la constitution de ce qu’on appelle patrimoine industriel.

Un patrimoine mépriséRevenir au début du texte

Je me livre régulièrement à de petites enquêtes auprès de mes étudiants (avant la sensibilisation par le cours), afin de préciser l’image que dégageait auprès du public (eux en jouent le rôle) le patrimoine industriel. Voici les réponses les plus fréquentes, en vrac :

Cité ouvrière de Mulhouse vers 1890

Cité ouvrière de Mulhouse vers 1890
Photo anonyme, s.d.

Avant d’aller plus loin, je désirerais en finir une fois pour toutes avec cet argument : si par miracle notre société devait réussir à conserver cinq siècles durant une manufacture, sera-telle encore trop récente dans l’histoire ?

À cette image se surimpose le dédain des Français pour la culture technique ou pour la matérialité du travail, une attitude qui justifierait une psychanalyse en profondeur.

Il n’est qu’à parcourir le catalogue des publications documentaires des CRDP ou CDDP dans le domaine du patrimoine : tout ou presque concerne des objets couvrant une période allant des origines au XVIIIe siècle.

Comment enfin se positionne notre région par rapport à l’image qu’elle entend cultiver ? Celle qu’on lui a imposé depuis le début du XXe siècle, empreinte d’une ruralité forte (les maisons à colombages, nids de cigognes, églises et châteaux), se retrouve plaquée sur l’Alsace moderne et appuyée sur une historicité quelquefois fallacieuse. Une telle image vient éclipser la véritable identité culturelle propre à cette région depuis les temps de l'ère industrielle (hors les zones rurales non industrialisées).

Pourquoi s’y intéresser ?Revenir au début du texte

Je détaillerai quelque peu ce point.

C’est, au-delà d’une éducation à la culture, une éducation à la citoyenneté ; préserver les sites est une préoccupation citoyenne, une responsabilisation, une prise de conscience à ne pas effacer l’identité d’un peuple.

C’est un cas d’école d’interdisciplinarité où Histoire et Géographie s’épaulent. Les sites de l’industrie sont des livres d’histoire, d’histoire architecturale, d’histoire sociale, et même aussi d’histoire des techniques. Dans le domaine de la géographie interviennent les facteurs de localisation, les mutations de l’espace, la formation du territoire, les questions d’environnement et même de risques technologiques. Rajoutez-y les arts (l’éducation à l’architecture, l’art et le design dans les produits), l’éducation civique et l’initiation à la technologie (pour laquelle ce patrimoine constitue une voie royale !).

Usine textile à Wesserling vers 1900

Usine textile à Wesserling vers 1900
Photo Imprimerie Alsacienne , s.d.

Elle trouve place à présent – plus que par le passé – dans les programmes. Par exemple en Quatrième, la révolution industrielle, en Troisième les mutations de l’économie, en Seconde la première moitié du 19e, en Première l’âge industriel de 1850 à 1939 ; en géographie (en Seconde et Première) l’appropriation et la gestion de l’espace par les sociétés (la maîtrise de l’eau, l’explosion urbaine…) ; s’y rajoutent les Itinéraires de découverte (en Cinquième et Quatrième la création et les techniques) et les Travaux personnels encadrés (Première et Terminale) ; ces derniers portent sur des thèmes comme hériter, innover(le patrimoine aux premières loges !), ou en série L mémoire/mémoires, en série ES les entreprises et leurs stratégies territoriales, en série S les risques naturels et technologiques et la génération d’énergie.

Comment faire ? Le mode d’emploiRevenir au début du texte

Organisez des enquêtes :

L’objet de vos enquêtes est à rechercher dans le patrimoine de proximité, peu de disciplines d’ailleurs autorisent à un tel point l’enquête sur les lieux de proximité.

ConclusionRevenir au début du texte

Armement Seegmuller à Strasbourg

Armement Seegmuller à Strasbourg
Photo A. Graser, s.d.

Posséder encore à côté de chez soi des éléments aussi significatifs de la vie de la société qui a été la nôtre est une chance immense. C’est à la fois un réel concentré pédagogique et un champ de travaux pratiques dans des disciplines croisées, et qui trouvent à présent leur place dans les programmes scolaires.

Ne laissons pas filer cette chance en assistant passifs, feignant l’indifférence, à la disparition uniformément accélérée de notre patrimoine. Car c’est la substance même de notre pédagogie qui s’en va...

Orientation bibliographiqueRevenir au début du texte

Généralités

Le patrimoine industriel, Textes et documents pour la classe, n°845, 2002.
BERGERON L. et DOREL-FERRE G., Le patrimoine industriel. Un nouveau territoire. Éd. Liris, Paris, 1996.
DAUMAS M., L’archéologie industrielle en France, Laffont, Paris, 1980.
SALAGNON G., Archéologie industrielle, BT2 292, PEMF, 1996, pp. 1-48.
FLUCK P. et FLUCK-STEINBACH L., L’Archéologie industrielle, BT, PEMF, 2004.

France

BELHOSTE J.F. et SMITH P. (coord.) Patrimoine industriel. Cinquante sites en France. Éd. du Patrimoine, Images du Patrimoine 167, 1997.
CARTIER Cl., L’héritage industriel, un patrimoine. CNDP / CRDP Franche-Comté, 2002, 195 p.
DE ROUX E., Patrimoine industriel. Éd. du Patrimoine et Ed. Scala, 2000, 271 p.
LAVAUD S. (dir.), Le fait industriel de 1850 à nos jours. Exemples empruntés au patrimoine aquitain. CRDP Aquitaine, Patrimoine ressources, Bordeaux, 2003.
MANIGAND-CHAPLAIN C., Les sources du patrimoine industriel. CILAC et Éd. du Patrimoine, Documents et méthodes 4, 1999.

Alsace

GAMBINO L. et DELANOUE Ph., Sur la piste du coton, La Nef des Sciences et Musées sans Frontières, Mulhouse, 2000-2003.
FLUCK P., Les belles fabriques, un patrimoine pour l’Alsace. Do Bentzinger éd., Colmar, 2002.
Saisons d’Alsace, mars 2004 (un dossier consacré au patrimoine industriel).
FLUCK P. et KLETHI J.R., La ville aux cent fabriques. Essai d’archéologie industrielle. Société d’Histoire du Val de Lièpvre, XXIIe Cahier, 2000, pp. 21-54.
(collectif), Le patrimoine des communes du Haut-Rhin. Éd. Le Flohic, 1998, 2 tomes.
(collectif), Le patrimoine des communes du Bas-Rhin. Éd. Le Flohic, 1998, 2 tomes.
(collectif) Deux siècles d’industrie textile dans le Florival, Musée du Florival, Guebwiller, 2001.
Guide de visite du parc de Wesserling, Wesserling, 2000.