Retour à Les combats en Alsace
Page mise à jour le 04/12/2015
INTRODUCTION
« Je n’ai jamais vu pareil charnier et dans les années suivantes je ne verrais pas, même à Verdun, pareil entassement de cadavres en un terrain aussi chaotique sur un si petit espace ! ». Henri Martin, 1892-1983, Lieutenant-artilleur au 8ème R.A.P. : Le Vieil Armand 1915, Editions Payot, Paris, 1936.
LA MONTAGNE.
Le Hartmannswillerkopf (956 mètres d’altitude) forme un puissant contrefort granitique du massif du Grand Ballon. Sa silhouette massive et imposante s’avance sur la plaine de Haute-Alsace offrant un panorama grandiose de Colmar jusqu’à Bâle. Certains jours, la vue porte jusqu'au Mont Blanc… Paisible sommet culminant à 956m avant le guerre, il est couvert d’une épaisse forêt quasi vierge et sillonné de nombreux sentiers, principalement utilisés par les chasseurs.
Situé entre les vallées de la Thur au sud et celle de la Lauch au Nord, il est formé de deux arêtes descendant vers la plaine au nord-est et au sud-est, que les soldats surnommeront « cuisse droite » et « cuisse gauche », et sillonné de petits ravins creusés par des ruisseaux souvent temporaires : Gutenbach, Silberlochrunz, ravin du Silberbach (ou ravin du Faux-Sihl), ravin du Sihl …
A l’Est, il descend par une pente assez abrupte sur un piémont de collines où sommeillent de charmants villages viticoles (Steinbach, Uffholtz, Wattwiller, Bertschwiller, Berrwiller, Hartmannswiller et son château d’Ollwiller, Wuenheim), ou de petites ou moyennes villes industrieuses de la vallée de Saint-Amarin (Oderen, Saint-Amarin, Willer-sur-Thur, Thann, Vieux-Thann, Cernay) et de la Vallée de la Lauch (Guebwiller, Soultz); plus loin s’étend la plaine avec son bassin potassique, ses forêts sèches (Nonnenbruch) et sa grande métropole économique, Mulhouse.
Depuis le sommet, une pente douce mène plein ouest sur le col du Silberloch (906 mètres) puis remonte par une crête au Molkenrain (1125m.),et, par ce sommet, à la ligne des crêtes s’étendant au nord vers le Grand Ballon ou Ballon de Guebwiller, point culminant du chainon Alsacien des Vosges (1426m.)
Dans le massif enfin, l’histoire à laissé quelques traces médiévales qui, accrochées à leur éperons rocheux, reprendront hélas et malgré elles tragiquement du service : les châteaux du Herrenfluh et du Hirtzenstein au sud, le Hartfelsen et le Freundstein vers le nord. La montagne est enfin parsemée de nombreux rochers ou amas rocheux que la technologie déjà moderne de la guerre qui s’annonce aura tôt fait de transformer en bastions, bunkers et blockhaus quasi imprenables autour desquels se cristalliseront combats et tueries : Nieder-, Mittler- et Ober- Rehfelsen, Aussichtsfelsen ou rocher Panorama (ou erncore roche Hellé), roche Sermet, roche Kardinal, Bischofshut, roche Mégard, Jägerfelsen …
Personne n’imaginait, en août 1914, que cette montagne deviendrait un des plus terribles champs de bataille du front occidental, à l’instar de ceux de Verdun, de Champagne et de la Somme, au point que les hommes qui s’y sont battus l’ont surnommée « Le mangeur d’hommes, (« Menschenfresser »), le « Moloch », le « Mont de la mort », ou encore baptisé une de ses tranchées de "Himmelsleitergraben", "Tranchée de l'échelle du ciel".
Plus de 150 000 hommes de chaque armée s’y sont battus, particulièrement entre janvier 1915 et janvier 1916, dans d’épouvantables conditions, dans la neige, le froid polaire, la boue, le vent, sous le feu de centaines de canons, dans les gaz, les jets des lance-flammes, souvent au corps à corps.25 000 d’entre eux au moins (certains avancent le chiffre de 30 000) y laisseront leur vie, Chasseurs, Jäger, Pionniers, brancardiers, artilleurs, tireurs d’élite, Landmänner ou simples soldats de deuxième classe.
Aujourd’hui, le Hartmannswillerkopf est l'un des 4 monuments nationaux français de la Grande Guerre avec Douaumont dans la Meuse, Dormans dans la Marne et Notre-Dame de Lorette en Artois.
LE NOM
Les cartes, documents et plans français reprennent toujours la terminologie des cartes allemandes. La montagne est régulièrement appelée soit « Hartmannsweilerkopf », soit « l’Hartmannswillerkopf », soit « montagne d’Hartmannswiller », toujours avec la lettre « H » muette et en un seul mot.
Chez les soldats français apparaît rapidement le terme plus simple à prononcer : « l’Hartmann » ou l’abrégé HWK, alors que les Allemands utilisent « HK ». Les comptes rendus et communiqués français de l’époque (hiver 1914-1915) parlent toujours de « Hartmannswillerkopf » ou « Hartmann ».
Quant au terme français de « Vieil-Armand », ce ne sont pas les combattants qui l’ont inventé, et encore moins utilisé. Par contre, le général Serret parle, dans une lettre du 12 septembre 1915, de « Armand » : « Cette hauteur que j’ai baptisée Armand est vraiment le champ de désolation le plus complet qu’on puisse voir ». Joffre lui répondra, mais en utilisant le terme de Hartmannswillerkopf. Par contre le Président Poincaré parle du Vieil Armand, mais en évoquant toujours Serret : « ... cet Hartmannswillerkopf que le général Serret avait baptisé « le Vieil-Armand ».
Le terme « Vieil Armand » n’est en fait utilisé très régulièrement qu’après la guerre, à titre égal que les termes « Hartmannswillerkopf » et « Hartmann ».
Le terme Hartmannswillerkopf est d’origine germanique, comme la plupart de ceux de le la toponymie locale. Il associe trois mots : « Hartmann » qui signifie « Homme courageux », ou peut-être « Homme de la forêt », le terme « Hart » ou « Hard », « Harz » désignant une forêt ; « Willer » pour sa part, d’origine latine (Villa) désigne un village ; Kopf enfin fait référence à un récipient rond, puis au crâne (moyen-latin : cuppa ; français : coupe),et indique ici le sommet d’une montagne à forme ronde (allemand « Kuppe » ou « Koppe »). Sans aucun doute, la montagne a donc été nommée d’après le village « Hartmannswiller » situé à ses pieds.
AUTOMNE 1914 : L’ENGRENAGE
Au tout début de la Première Guerre mondiale, le plan français prévoyait une offensive par le sud de l’Alsace. Les troupes françaises obtiennent alors de rapides succès et parviennent même à conquérir Mulhouse par deux fois, les 8 et 19 août 1914. Mais après les défaites en Lorraine, les Français se replient vers les Vosges, se maintenant cependant sur une ligne de front stabilisée au travers du Sundgau. (Vallée de la Largue) et dans les vallées de la Doller et de la Thur. Le front, passant entre Cernay et Thann rejoint le Hartmannswillerkopf (HWK), mais la montagne elle-même n’est parcourue que par de rares patrouilles. Il n’y a pas alors de ligne de front bien établie dans le massif. En octobre, Joffre relance l’offensive sur le débouché de la Thur, voulant s’assurer le contrôle total des communications entre Thann et Belfort, et éventuellement s’emparer du bassin potassique et de la ville industrielle de Mulhouse et porter l’armée française sur le Rhin.
L’offensive française vise dans un premier temps le piémont avec la prise de Cernay par les hauteurs de Steinbach-Uffholtz-Wattwiller. Curieusement, le promontoire du HWK n’intéresse personne au début de l’offensive, à la mi-décembre 1914. L’attaque française sur le cote 425 et Steinbach surprend les Allemands dans un premier temps. La terrible bataille de Steinbach leur fait comprendre l’intérêt de la possession de l’Hartmannswillerkopf : il leur permettrait d’une part de « verrouiller » les positions françaises à Steinbach en les confinant dans un vallon sans aucun intérêt stratégique, et d’autre part de disposer d’un excellent observatoire à partir duquel on peut aisément surveiller tout le sud et le centre de l'Alsace ainsi que l'ensemble du Territoire de Belfort et les vallées vosgiennes en passant par Mulhouse. La véritable bataille du HWK va débuter.
Commentaire des illustrations par Georges Brun.