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La bataille du Linge:
histoire et généralités

Page mise à jour le 28/10/2015

Vue sur la vallée de Munster et ses hauteurs nord depuis le flanc du Gaschneykopf. Le col du Wettstein. Le Rain des Chênes et la ligne des crêtes vus depuis le château du Petit-Hohnack. Vue sur le massif du Hohneck et la vallée de Munster depuis les hauteurs du  Glasborn et de la première ligne française.
Vue sur le champ de bataille du Lingekopf depuis Hohrod. Vue sur les Crêtes, le Wettstein  (à droite) et le Hoernelskopf (Hurlin) depuis le flanc ouest du Lingekopf. Vue sur le Hurlin et le Combekopf depuis la Courtine. Le Hurlin (Hoernelskopf) depuis la Courtine.
Vue depuis la crête dominant le Glasborn sur le Schratzmännele, la prairie de la  Courtine dont la pente douce mène au Barrenkopf. Vue depuis la crête dominant le Glasborn sur le Schratzmännele, la prairie de la  Courtine et le Barrenkopf. Vue depuis la crête dominant le Glasborn sur le Barrenkopf et le Kleinkopf. La première ligne française avec au fond le Schratzmännele et la Courtine vus depuis la seconde ligne français (Camp Morlière).
Depuis la seconde ligne française, vue sur le Schratzmännele, la Courtine et le Barrenkopf. La prairie de la Courtine et le Barrenkopf vus depuis le Glasborn. Le Schratzmännele, le Collet et le Lingekopf vus depuis le flanc du Combekopf. La prairie de la Courtine.

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INTRODUCTION


Peu de champs de bataille ont eu si peu vocation d'être ou de devenir un lieu d'affrontement que ce paisible « gazon du Leinge », entre les vallées d'Orbey et de Munster et bordé à l’est par une petite crête culminant à près de 1 000m et comprenant une série de petits sommets : Lingekopf, Schratzmännelé, Barrenkopf, Kleinkopf. Rien ne prédisposait ces hauteurs plutôt que d’autres à devenir un enfer pour plus de 50 000 soldats de l'été à l'automne 1915, dont 17 000 ne reviendront pas. Rien, sinon une brillante idée du généralissime Joffre, ainsi que son entêtement.


LE CHAMP DE BATAILLE


Pour les Français, installées au Wettstein et au Hurlin (Hörnelskopf, 1 000m), l’objectif à enlever est le massif du Lingekopf, qui barre complètement l'horizon. La crête se profile du nord au sud, d'abord en pente régulière jusqu'au sommet du Lingekopf (987), descend faiblement jusqu'au Collet du Linge où passe la route du Hohnack, remonte ensuite par une pente raide jusqu'au sommet du Schratzmännelé (1045), descend jusqu’à la Courtine (970m) et remonte en pente douce jusqu’à Barrenkopf (981m) pour se prolonger jusqu’au Kleinkopf (940) avant de plonger abruptement vers la vallée de Munster.

Les pentes de ce massif, très boisées, cachent de fait une pente ouest très abrupte et un terrain très rocheux et bouleversé formant des éboulis et des chaos où la marche est très pénible. Dominé au nord par le Rain des Chênes où les Allemands ont massé leur artillerie, il surplombe à l’ouest une vallée dénudée et marécageuse d’où partiront les assauts français. Dès le départ, les Chasseurs se trouvent dans une position extrêmement défavorable.

Lorsque les premiers duels d’artillerie auront déboisé le massif, celui-ci dévoilera aux attaquants ses chaos rocheux qui s'opposent à toute progression, mais aussi les formidables défenses mises en place par les Allemands, l’ensemble défiant les attaques des troupes les plus téméraires.


PRÉMISSES


Fin 1914, le front est à peu près figé dans le secteur de la Fecht : les Français occupent les crêtes du lac Blanc jusqu’au Hohneck, alors que la 51ème brigade de la Landwehr du général von Frech occupe l’entrée des vallées de Munster et Guebwiller. Début 1915, Joffre souhaite reprendre l’offensive sur la plaine : à cet effet il demande au général Louis Blazer (1857-1937), commandant la 47ème division des Chasseurs créée le 16 janvier, de s’emparer du Linge depuis les positions françaises de la ligne Reichackerkopf –Stosswihr – Hohrod - Hohrodberg – Barrenkopf. Mais les Allemands prennent les premiers l’offensive entre le 19 et le 24 février, obligeant les Français à abandonner le Reichackerkopf, Stosswihr, Hohrod, Hohrodberg et le Barrenkopf. Entre mars et juin 1915, ils fortifient leurs conquêtes de réseaux de tranchées bétonnées, de blockhaus et abris, de voies de communication avec l’arrière et de toute la logistique de guerre (eau, électricité, communications…) A l’arrière de cette citadelle, le Rain des Chênes est transformé en position d’artillerie. Sur les barbelés du Linge est accrochée une pancarte prophétique : « Das Grab der Jäger », « Le tombeau des Chasseurs »…

En avril, Joffre décide de la prise de Munster, avec préalablement celle des sommets dominant le cirque au fond duquel se blottit la ville, notamment le massif du Linge. Le tout nouveau commandant de la 47ème D.I., le général Gaston d’Armau de Pouydraguin (1862-1949) se montre à l’état-major extrêmement réticent à l’idée de Joffre, estimant inutile la prise des sommets, d’autant que le chaînon du Lingekopf n’ouvre aucun accès direct sur la plaine et ne commande ni col stratégique ni route importante.

Après un premier échec sur Munster en avril, la 47ème division parvient à la mi-juin, au bout d’une semaine de féroces combats, à progresser de 5km vers Munster en prenant Metzeral et Sondernach. Au prix de la perte de 6 800 hommes, la ville est à la portée des Français… De Pouydraguin s’apprête à donner l’estocade ultime…

Mais Joffre tient à son idée d’une offensive par les hauteurs. Faisant fi des réticences unanimes de ses subordonnés, oubliant le principe de Napoléon : « éviter le champ de bataille que l'ennemi a reconnu et fortifié », il ordonne la prise du Reichackerkopf coté sud et du Lingekopf coté nord. Dès le départ, l’opération est promise à l’échec : la conception tactique dite « manœuvre de débordement par les hauts », chère aux théoriciens du Haut Commandement des années 1914 ne peut réussir que si elle bénéficie de son atout majeur : un rapide effet de surprise. Or, les Allemands sont prêts, archi-prêts…


LA BATAILLE


L'attaque de cette formidable position est confiée à la 3ème brigade de chasseurs alpins de la 129ème division du général Nollet, brigade commandée par le colonel Brissaud-Desmaillet et composée des 14ème, 22ème, 30ème, 54ème et 70ème bataillons de Chasseurs Alpins, les fameux « Diables Bleus ». Ils sont soutenus 236 pièces d’artillerie, dont 98 lourdes. En face, 3 divisions Bavaroises de « Jäger » engagent successivement 7 brigades dont la VIème division d’infanterie bavaroise (Bayerische Infanterie-Division 6) du General der Kavallerie Otto Ritter von Schmidt (1856-1929).

Première attaque dans la nuit du 19 au 20 juin sur la Courtine depuis la ferme Combe. C’est un échec qui met la puce aux oreilles des Allemands. C’est est déjà fini de l’effet de surprise…

Deux fois repoussée, la seconde offensive du 20 juillet échoue elle aussi devant le Lingekopf et sur les pentes du Schratzmännelé. Même échec le surlendemain : décimés, les Chasseurs sont rejetés sur leurs bases de départ. Le 21, l’offensive voisine du Reichackerkopf est abandonnée, condamnant ainsi toute l’opération voulue par Joffre. Qu’importe : on continuer à se battre au Lingekopf…

Nouvelle attaque de grande ampleur le 26 : toute la crête du Lingekopf est enlevée jusqu’au Collet par les 14ème et 30ème bataillons qui repoussent plusieurs contre-offensives, alors que l’artillerie allemande se déchaine sur les arrières français du Hurlin et du Wettstein. Le 27 les Allemands pilonnent les positions que les Français ont prises la veille, causant de sévères pertes. Deux de leurs contre-attaques sont repoussées, mais ils parviennent à leur tour à repousser une offensive française sur le Schratzmännelé et le Barrenkopf. Les Jäger Mecklembourgeois parviennent même jusqu’au Collet avant d’être stoppés par le 14ème B.C.A.

Furieux, Joffre fait relancer l’offensive : le 29 un assaut français sur le Schratzmännelé depuis le collet du Linge est repoussé par les Jäger de la Garde et le lendemain le Lingekopf est écrasé par l’artillerie allemande. Le 1 août à 19h 30 Nollet déclenche une nouvelle offensive sur un large front devant s’emparer du Schratzmännelé, du Barrenkopf et des carrières. La progression française est bloquée au pied des sommets. Les attaques sont reprises les 2 et 3 au matin, en vain. L’artillerie française tente alors de réduire les blockhaus sommitaux du Schratzmännelé et du Barrenkopf.

Le 4 août, à partir de 10h30, l’artillerie allemande déclenche un ouragan de feu et d’acier sur les positions françaises, déversant 40 000 obus sur un front de 3km ! A 16h30 débute l’attaque allemande sur le front Collet du Linge-Lingekopf. Le sommet du Linge est pris, mais les Chasseurs parviennent à se cramponner au Collet. Les contre-attaques françaises échouent et le 30ème bataillon de Chasseurs est presque anéanti. Brissaud et Nollet demandent une pose, mais le chef de la VIIème armée, le général Louis Ernest de Maud’Huy (1857-1921) ordonne de tenir coûte que coûte et promet des renforts. Le lendemain, les Jäger prennent le bunker du Collet, mais en sont chassés par une contre-attaque des Chasseurs du 54ème B.C.A. qui parviennent au blockhaus sommital du Schratzmännelé, mais sans pouvoir l’arracher.

Le 6 août, la 129ème D.I. du général Nollet est relevée par la 47ème D.I. du général d’Armau de Pouydraguin. Entre le 7 et le 23 de nombreux assauts de part et d’autre s’achèvent tous sans succès. Le 22 août, après une préparation d’artillerie, les Chasseurs s’emparent des blockhaus du sommet du Schratzmännelé et le 23 de ceux du sommet du Barrenkopf : ils tiennent alors le Collet du Linge, la crête du versant ouest du Schratzmännelé et du Barrenkopf, alors que les Allemands tiennent le versant est. Entre eux, un terrain lunaire, bouleversé, dantesque. L’offensive est arrêtée. Et Munster, objectif convoité par le rabattement à travers les forêts boisées du Linge, n’est toujours pas libérée…

Le 31 août, après une formidable préparation d'artillerie avec utilisation d’obus asphyxiants et lacrymogènes ainsi que l’intervention de l’aviation, une puissante attaque allemande parvient à s’emparer du Collet du Linge et à le tenir malgré les contre-attaques françaises. Le 9, nouvelle offensive allemande sur le Schratzmännelé, avec gaz et lance-flammes. Les Français reculent, même s’ils parviennent à conserver le sommet. Mais le 12 octobre, une attaque allemande au lance-flammes et aux gaz s’empare de la première ligne française, entre le Collet du Linge et le sommet du Schratzmännelé. Le lendemain 13, à 3h du matin, une contre-attaque de 2 bataillons français échoue, suivie d’une ultime et vaine tentative allemande le 16 octobre.

Le front se fige alors puis s'éteint au collet du Linge. Pour le grand quartier général français, le Linge n’est plus qu’un «point de friction classé». Chacun s'organise défensivement. Jusqu’à la fin de la guerre ; seuls quelques coups de mains sporadiques et duels d’artillerie viendront troubler les sommets… L'erreur du Haut Commandement français aura coûté des milliers de vies ; 10 000 coté français, 7 000 coté allemand. Le silence se referme sur le « Tombeau des chasseurs ».

Commentaire des illustrations par Georges Brun.