Retour à Les combats en Alsace
Page mise à jour le 17/11/2015
INTRODUCTION
« Tout le secteur environnant Steinbach est maintenant (18 janvier 1915) hideux. La ville est déserte et complètement en ruines. Les champs et les vignobles alentour sont parsemés de cratères creusés par les obus. Dans les vergers, les arbres sont couverts d'une épaisse couche de terre rougeâtre. Face aux tranchées, devant les enchevêtrements de barbelés, s'offrent d'horribles visions. Si quelque chose sur terre peut donner une bonne idée de l'Enfer, c'est assurément l'espace compris entre Steinbach et Uffholtz. Si cette guerre européenne n'est pas la dernière, c'est que nous, Européens, sommes tous devenus fous à lier » . (Lieutenant Maurice-Paul Ravel de la 23ème compagnie du 213ème R.I., combattant à Steinbach, tué le 13 février 1915 à l’Hilsenfirst)
Rien ne destinait Steinbach, ce discret petit village de paysans-vignerons blotti à l'entrée du vallon du Silberthal à devenir en quelques semaines un champ de ruines qui n’a rien à envier à tous ces villages que la folie meurtrière des hommes rayera de la carte une année plus tard dans le secteur de Verdun. Mais à la différence de Fleury, Vaux ou Douaumont, son destin s’effacera de la mémoire des hommes, et rapidement les ronces de l’oubli recouvriront ce terrifiant champ de bataille, ne laissant aujourd’hui entrevoir que de trop insignifiantes traces… Pourtant, plus que tout autre champ de bataille, cette terre fut rougie du sang des hommes.
LE CONTEXTE :
Au moment ou l’armée allemande entame sa retraite sur l’Aisne, la 55e Brigade de Landwehr du général Mathy (régiments L.I.R. 40 et L.I.R. 119), reprend Cernay et Uffholtz aux Français sans grandes difficultés (7 septembre), mais échoue à s’emparer de Vieux-Thann, défendue par les 171e et 213e R.I. Une nouvelle attaque contre Thann, lancée depuis le secteur de Steinbach entre le 11 et le 13 se heurte à la résistance de la 116ème Brigade. Le front se stabilise alors : les Français tiennent une ligne plus ou moins stabilisés courant depuis Roderen au Silberloch et passant par Leimbach, Vieux-Thann, puis grimpant dans la montagne pas les observatoires de l’Amselkopf, su Schelzenburg, du Wolfskopf, du Herrenfluh, du Hirtzenstein, du Molkenrain. Les Allemands tiennent une ligne Aspach-le-Bas - Aspach-le-Haut- Cernay – côte 425 – Steinbach – Uffholtz – Wattwiller, qui se prolonge dans la montage.
Fin octobre, Joffre décide de reprendre l'offensive dans le secteur du débouché de la vallée de la Thur, à la fois pour des motifs politiques (prendre des gages dans les provinces abandonnées au Reich en 1871) et pour les motifs stratégiques (sécuriser les communications entre Thann et Belfort par la route Thann-Rodern-Sentheim et préparer une future grande offensive sur la plaine, notamment le secteur minier et industriel de la région de Mulhouse…)
Si Thann devient rapidement capitale provisoire de l'Alsace française, l'offensive générale prévue pour la mi-novembre est plusieurs fois retardée et se traduit finalement par de petites actions sans envergure, souvent stériles mais fort couteuses en vies humaines, comme à Michelbach, Burnhaupt, Aspach et Ammertzwiller. Le 26 novembre, une nouvelle directive de Joffre ordonne de sécuriser les communications entre Thann et Belfort et interrompre par le canon la circulation sur la voie ferrée Colmar- Mulhouse. Le général Gabriel Henri Putz (1859-1925), commandant le 34ème Corps prépare une offensive dans la vallée de la Lauch et vers Cernay, ce qui, selon lui « ne paraissait pas, pour le moment, présenter de difficultés insurmontables ». Cernay, verrou du bassin potassique devait être prise par la 66ème D.I. du général Guerrier, baptisée l’Alsacienne, qui devait préalablement s’assurer sans coup férir des villages de Wattwiller, Uffholtz et Steinbach… Plus à l’ouest, la 57ème division du général Bernard devait prendre Aspach-le-Bas alors qu’un bataillon du 359ème régiment d'infanterie assurerait la liaison entre les deux attaques.
La fin du mois et le début de décembre sont consacrés par les troupes françaises des 133ème, 285ème et 213ème R.I. à l’aménagement d’avant-postes, de tranchées et d’abris dans la forêt à l’est de Thann, particulièrement entre l’Amselkopf et la Waldkapelle. En face, les Allemands des L.I.R. 119, L.I.R. 123, de la 55ème Landwehr Infanterie Brigade, du Landsturm du Bataillon Heidelberg et Pforzheim, aidés par 500 civils, en font de même.
Le 1 décembre 1914, en prélude à la grande offensive, et après une grosse préparation d’artillerie, trois compagnies du 213ème régiment d'infanterie occupent Aspach-le-Haut alors que les hauteurs de la cote 425 s’embrasent sous le feu des artilleries. De son côté, le général Guerrier peaufine son offensive sur Steinbach et la cote 425 : face aux 161ème et 69ème I.R. allemands de la brigade Mathy, il dispose d’éléments détachés des 213ème R.I (lieutenant-colonel Frantz), 5ème B.C.P. et 68ème B.C.A. Le 8 décembre, le 34ème Corps d'Armée devient le détachement d'Armée des Vosges et reste sous le commandement du général Putz. Sûr de son plan, ce dernier affirme : « L'occupation d'Aspach-le-Haut et des bois à l'est de Michelbach est un fait accompli depuis le 1er décembre, et elle va être complétée très prochainement par celle de la gare d'Aspach, qui coïncidera avec celle de l'éperon qui domine Cernay au sud-ouest de Steinbach … c'est par les crêtes descendant du massif de Guebwiller, qu'avec des chasseurs, je chercherai à m'emparer d'Uffholtz et à faire tomber Cernay …».
L’OFFENSIVE DU 13 DECEMBRE :
Le 12, les Allemands attaquent et s’emparent des hauteurs de la cote 425 ; le lendemain, à 12 heures, l'artillerie française (42ème batterie de 65 du 2ème R.A.M.) ouvre le feu sur l'éperon au sud-ouest de Steinbach, la cote 425 alors que la 27ème batterie de 75 du 37ème R.A. cible les renforts allemands envoyés d'Uffholtz vers Steinbach. A 13h30, l’attaque française est déclenchée : le détachement du commandant Colardelle (2 compagnies du 5ème B.C.P., 1 du 213ème R.I. et 1 du 68ème B.C.A.) attaque en direction de Steinbach, alors que les hommes du lieutenant-colonel Frantz (bataillons du 213ème R.I.) se portent vers la cote 425. Mais l’attaque se heurte à la résistance opiniâtre du L.I.R. 119 (3ème, 5èmeè, 6ème, 8ème compagnies et Radfahrkompagnie) à Steinbach et sur la cote 425, qui ne décrochent de leurs positions que vers 19 heures pour se replier sur Cernay, et Sandozwiller, malgré deux contre-attaques. A la fin de la journée, les troupes françaises contrôlent la cote 425, Steinbach et Uffholtz, ainsi que les hauteurs dans la montagne : Hirtzenstein, Herrenfluh, Amselkopf. Cernay est à portée de main. Les Allemands lancent alors dans la bataille la 31ème Infanterie Brigade (I.R. 29, I.R. 69) de von Horn et la 29ème Infanterie Brigade de l’Oberst von Strantz, qui, avec le 25ème Infanterie Régiment de von Lützow et le 161ème Infanterie Régiment de l’Oberst Wilcke vont jouer un rôle considérable dans les combats à venir autour de Steinbach.
Le lendemain, après une puissante préparation d'artillerie, la Brigade von Strantz contre-attaque sous une pluie diluvienne transformant le terrain en bourbier : à 16 heures, la 8ème compagnie du I.R.161 reprend Steinbach, y faisant des nombreux prisonniers et obligeant les hommes du commandant Colardelle à se retrancher sur le Schelzenburg. Immédiatement, les Allemands renforcent leurs positions, entourant le village de réseaux de fer barbelé, d'abatis, de tranchées et de barricades constituées de tonneaux. L’attaque allemande se stabilise dans la soirée à mi hauteur de la cote. Quant au I.R. 25, il se porte sur Wattwiller afin de consolider le dispositif au nord d’Uffholtz.
Dans la matinée du 15, le Generalleutnant Fuchs emploie des moyens considérables pour s'emparer de l'éperon 425, toujours sous une pluie incessante. L'I.R. 25 relève l'I.R.161 et vers 15 heures, les tirs de l’artillerie allemande suivis immédiatement d’une grande offensive obligent les Français de se retirer de la crête. Malgré le secours tardif de la 24ème compagnie du 334ème R.I., les chasseurs du 5ème B.C.P. (5ème compagnie du capitaine Délivre), doivent se replier en contrebas de la croupe vers le Hirnelstsein. L'Armee-Abteilung Gaede tient son premier grand succès : le chef d'état-major général des armées en campagne, von Falkenhayn transmet dans la soirée à Gaede les félicitations du Kaiser pour avoir défendu le sol allemand et les premières croix de fer de 1ère classe (Eisernes Kreuze 1.Klasse) sont distribuées à cette occasion.
Immédiatement, les Allemands renforcent leurs conquêtes : Steinbach est transformé en une position inexpugnable (barricades avec cuves de vignerons et tonneaux remplis de gravats, grillages et barbelés, caves fortifiées…) et la cote 425 couverte d’un réseau de tranchées, d’abris bétonnées, de nids de mitrailleuses.
Coté français, cet échec est rude et les pertes énormes : rien que le 5ème B.C.R. déplore plus de 400 pertes (Morts et blessés) en 3 jours de combats. La Déception est d’autant plus grande que dans la plaine, la 57ème D.I. piétine devant Aspach, Ammertzwiller et Burnhaupt. Aussi décision est prise en haut lieu de préparer une nouvelle offensive sur Steinbach et la cote 425.
Terriblement éprouvés par les combats et les conditions climatiques épouvantables, les combattants des deux camps profitent de quelques jours d’accalmie, tout en maintenant les harcèlements d’artillerie : on ramasse les morts, on soigne les blessés, et on renforce ses défenses : côté allemand on fortifie, côté français on ramène des troupes fraîches. Quant aux habitants de Steinbach, totalement sidérés, ils tentent de réparer les dégâts causés dans le village, aident au soin des blessés et à l’inhumation des morts, ne se doutant pas que l’Apocalypse vient à peine de débuter.
L’OFFENSIVE FRANÇAISE DE NOËL 1914 :
Le 24 décembre, l’offensive française se met en place : l'ordre n°138 de la 66ème division pour le 25 décembre prescrit la prise de Cernay. Le général Guerrier dispose des 2 000 hommes restant de la 213ème R.I. et engage 3 800 hommes supplémentaires de la 81ème brigade du colonel Mariano Goybet comprenant notamment le 152ème R.I. (le fameux « 15-2 ») du lieutenant-colonel Jacquemot, les 5ème et 15ème B.C.P. du commandant Duchet.
Le plan de l’offensive est le suivant :
• à gauche, le 15ème B.C.P. progressera vers Uffholtz ;
• à droite, le 5sup>ème bataillon du 213ème R.I (capitaine Larmes) attaquera la cote 425 en partant de la Waldkapelle ;
• au centre, six compagnies du 152ème ont pour mission de déboucher au nord de Steinbach par le Schelzenburg puis d'avancer vers la lisière sud-ouest d'Uffholtz, alors que deux autres (commandant Castella) doivent descendre par l'AmseIkopf et le Hirnelstein et déborder Steinbach par le sud.
• enfin, le 28ème B.C.A. est chargé d'appuyer et de couvrir sur la gauche, devant Wattwiller, le mouvement de la brigade ;
• au Thommannsplatz le 3èmebataillon du 15-2 sera laissé en réserve et une section du G.B.D. 66 (Groupe de brancardiers divisionnaire) arrive en renfort.
De leur côté, se doutant de quelque chose, les Allemands renforcent leurs positions par des éléments des Ulanen Regiment 15 et 11, du Lw. I.R. 40 (2 compagnies), du Lw. I.R. 25.
Dans la nuit du 24 au 25 décembre, les troupes françaises se mettent en place : arrivé à Thann depuis le Spitzemberg, le 15-2 se positionne immédiatement à l’Amselkopf, au Wolfskopf au Schelzenburg, au Hirnelstein. L’attaque générale est lancée le 25 à 16 heures après une préparation d’artillerie qui hélas s’avéra peu efficace :
• Le 213ème RI part à l'assaut de la Cote 425. Mais les 16ème et 17ème compagnies sont rapidement bloquées par des tirs d'enfilade provenant de la lisière sud-ouest de Steinbach et d’un puissant ouvrage situé au nord de 425, et sont obligées de se retrancher à la nuit tombante dans les anciennes tranchées creusées par le 5ème B.C.P.
• Au sud de Steinbach, les deux compagnies Castella débouchent du bois du Hirnelstein, mais sont immédiatement stoppées par de violents tirs de mitrailleuses en provenance de la côte 425 et du village. Il leur est impossible de progresser : à la nuit tombante, elles se retranchent sur leurs positions.
• au nord du village, débouchant de la lisière des bois depuis le Schelzenburg, les soldats sont immédiatement repérés et stoppés par des tirs de mitrailleuse partant du village de Steinbach et particulièrement du clocher de l’église ;
• plus au nord encore, le 15ème B.C.P. parvient aux portes d'Uffholtz et occupe la croupe nord de la chapelle Saint-Antoine. Il parviendra à tenir ses positions durant quatre jours.
• Enfin le 28ème B.C.A. se positionne sur le Molkenrain puis sur le Silberloch et installe un poste avancé sur le sommet du Hartmannswillerkopf. Il descend ensuite vers Wattwiller et se positionne devant le village, le long du Silberbachtal.
Au soir du 25, l’état-major français, conscient de son échec et de la très bonne organisation des défenses allemandes, décide cependant de poursuivre l’offensive et se résout à un siège en règle de positions adverses, notamment autour du village de Steinbach, qu’il faudra prendre maison par maison. Il était en effet évident que la cote 425, et donc Cernay, ne pourraient être pris sans que préalablement Steinbach ne tombât aux mains des Français.
L’ENFER DE STEINBACH : 27 DECEMBRE – 7 JANVIER.
Dans la nuit du 25 au 26, les Allemands envoient en renfort les 3ème et 4èmecompagnies du L.I.R.40 ainsi que des éléments du I.R. 161. L’offensive française repart le 26 après un bombardement d’artillerie presqu’ininterrompu durant la nuit. En vain : le L.I.R. 119 ne perd que peu de terrain sur 425 (la partie sud, perdue, sera reprise dans la nuit), obligeant même les hommes du 213ème R.I. à refluer, laissant 151 hommes sur le terrain lors de cette journée. Devant Steinbach, le 15-2 ne progresse pratiquement pas et est obligé de s’enterrer alors qu’un froid vif s’installe sur le champ de bataille. Entre Uffholtz et Wattwiller, les Allemands renforcent leur dispositif puis le I.R. 25 tentent une attaque à Wattwiller contre le 28ème B.C.A., tentative vite stoppée.
Le 27, nouvelle offensive française contre 425 et le village : lancées contre la cote, les 21ème et 22ème compagnies du 213ème sont bloquées par les réseaux de barbelés et les tirs nourris venant du village. Les attaques alternant avec les contre-attaques et les combats sont d’une violence inouïe. La nuit apportera quelque répit, mais les tirs de harcèlement ne s’arrêtent pas et le canon tonne.
Au village, les hommes de Castella parviennent péniblement aux premières maisons : débute alors une terrible bataille : chaque rue, chaque maison, chaque cave, chaque grenier fait l’objet de féroces combats et se solde par de lourdes pertes. Dans l’après-midi, les Allemands décident l’évacuation des habitants de Cernay, Steinbach et Uffholtz, qui va durer plusieurs jours. L’artillerie française, depuis le Schelzenburg, se met alors à détruire systématiquement les maisons du village, une par une, et en fait autant pour Uffholtz et Cernay… Pour cette seule journée, le 15-2 compte 22 tués et 49 blessés.
Le 28, le 152ème R.I. consolide ses positions devant Steinbach et investit les maisons aux périphéries nord et sud du village, alors que le 213ème RI échoue à nouveau contre la Cote 425 en subissant de terribles pertes. Entre 11h et 16h30 un duel d’artillerie réciproque ravage la ligne de front entre Steinbach et Uffholtz. Même scénario le lendemain : sous une pluie glaciale, le 15-2 gagne encore quelques maisons dans le village et le duel d’artillerie se poursuite, occasionnant de sévères pertes dans les 5ème et 8ème compagnies du L.I.R.119 sur le plateau d’Uffholtz. Sur la cote 425, les combats sont suspendus.
Le 30, du Wolfskopf, du Pastetenplatz et des les hauteurs de Leimbach l’artillerie française se déchaîne sur Steinbach et le plateau d’Uffholtz ; la 7ème compagnie du 15-2 avance jusque dans la Grand-rue où elle est bloquée ; on se bat maison par maison. Sur le plateau d'UffhoItz, le 68ème B.C.A. occupe les tranchées de la croupe Saint-Antoine et sur la cote 425, un assaut des 18ème et 23ème compagnies du 21ème R.I. échoue. Ce même jour, von Falkenhayn arrive à Wittelsheim où se trouve l’état major de la 29ème brigade d’infanterie pour se faire une idée de la situation.
Le 31, au prix d’effroyables combats, les « Diables Rouges » occupent un tiers du village après avoir pris une première barricade. Les Allemands évacuent les derniers civils et érigent une seconde ligne de défense au centre de la bourgade.
Le 1er janvier 1915, après une matinée plutôt calme, les batteries françaises de 65 et de 75 entrent en action à 14h30 entraînant immédiatement la réplique des 105 allemands : le 15-2 progresse péniblement d’à peine 50 mètres dans Steinbach, stoppé par un puissant ouvrage allemand. La progression continue lentement les deux jours suivants : les soldats rhénans de l'I.R.161 se défendent mètre par mètre ; sur le plateau d’Uffholtz, le 68ème B.C.A. doit repousser trois attaques allemandes contre ses lignes de la croupe Saint-Antoine. Le lendemain, un effort combiné des éléments des 213ème et 152ème R.I. parvient enfin à s’emparer du fameux ouvrage.
La situation des combattants est véritablement épouvantable : le froid et le gel, la peur et effroi, la boue jusqu'aux genoux, les cendres fumantes, les combats nocturnes, les odeurs acres de cadavres, entament les esprits les plus trempés. L’état-major français, qui pensait quelques jours auparavant fêter la nouvelle année sur les berges du Rhin, décide de porter l’estocade.
Le 3 janvier à 9 heures, une batterie de 155L déclenche un bombardement sur 425, bientôt suivie par les batteries de 75 et de 65 ; le marmitage durer plus de trois heures. L’attaque française débute à 13 heures : le bataillon Castella, épaulé par des éléments du 213ème R.I. avance vers l’église, alors que le bataillon Contet occupe le centre et le cimetière puis déborde par le nord vers le plateau d’Uffholtz sur lequel progresse le 15ème B.C.P. pour empêcher toute contre-attaque. Au même moment, 4 compagnies du 213ème R.I. montent à l'assaut de la cote 425 avec l’appui du 13ème B.C.A. Les combats, terribles, durent toute la journée, particulièrement au centre-nord du village. Les Allemands finissent par plier : à minuit, les Français sont maîtres du nord du village et de la cote 425.
Situation inacceptable pour les Allemands : dès 21 heures, l’artillerie lourde, positionnée entre Berrwiller et la forêt du Nonnenbruch prend les lignes françaises sous le feu de ses 105 et 150. Vers 1 heure du matin, l'I.R. 25 et quatre compagnies du I.R. 161 (les 5, 8 ,9 et 11) montent à l’assaut de la cote 425 et du village. Sur la cote, les soldats du 213ème R.I. sont rapidement débordés et évacuent leurs positions. A Steinbach, l’offensive allemande est contenue, mais une vingtaine d’hommes de l’I.R. 25 parviennent à s’emparer de l’église et sèment une certaine confusion dans le village : il faut l’intervention de la 8ème compagnie du 15-2 du capitaine de Roffignac, placée en réserve, pour rétablir la situation vers 3 heures du matin. Ainsi, les Français ont atteint leur objectif principal : la prise de Steinbach.
Mais le Allemands restent maîtres de la cote 425 où l'I.R.25 s'établit solidement, et renforcent leurs défenses autour de Cernay : la Brigade Dallmer remplace la Brigade Von Strantz. L'état-major de l'Armee-Abteilung Gaede réagit rapidement : si les Français avaient pris Steinbach, ils se retrouvaient bloqués, coincés dans un vallon encaissé et difficile à ravitailler : en menant une attaque par le haut, les Allemands pourraient aisément rendre la situation de l’armée française totalement intenable, d’autant plus que dans la montagne, les Français ne possèdent que de petits postes épars aussi, les regards de l’état-major du Kaiser se tournent vers le Hartmannswillerkopf.
LA FIN DES COMBATS :
Les 5 et 6 janvier, un déluge d'acier s'abat sur le petit village et ses alentours, pris dans une atmosphère d'apocalypse. Attaques et contre-attaques pour la crête 425 se succèdent sans faire bouger notablement les positions. Dans la nuit du 6 au 7 janvier, une tentative allemande contre Steinbach est repoussée : les Allemands laissent 60morts et blessés sur le terrain. Le lendemain, la 151ème Brigade française tente un assaut sur Cernay : à droite, le 359ème R.I. se lance contre Sandozwiller mais est aussitôt rejeté dans sa tranchée de départ et 20 hommes sont tués ; à gauche le 297ème R.I. s’élance contre les tranchées de 425, mais est décimé par les mitrailleuses et les tirs croisés de l'artillerie lourde allemande en position à Wattwiller et Cernay, malgré l’appui de 2 compagnies du 13ème B.C.A. Forcé de reculer, il laisse 436 hommes dans le no man's land, dont son chef de corps, le lieutenant-colonel Bonnelet. Cet échec amène le général Guerrier à suspendre les opérations dans le secteur Steinbach - 425. Engagée le 13 décembre, cette opération, typique de la guerre de mouvement à son départ, s’est peu à peu transformée en bataille longue interminable, où l’artillerie devient la reine du champ de bataille : la guerre de position et d’enlisement vient de faire irruption en Alsace, se soldant par une progression française de quelques centaines de mètres avec un énorme coût humain, manquant ses objectifs et préfigurant ce qu’allaient être les futures batailles des trois prochaines années : de terribles victoires à la Pyrrhus !
Les adversaires commencent à évaluer les pertes de ces terribles journées : Un rapport du service de santé précisa les pertes, à l'exception des disparus et prisonniers. Ainsi, pour la période du 25 décembre 1914 au 10 janvier 1915 on compta : 168 tués et 287 blessés pour les 152ème R.I. ; 105 et 208 pour le 213ème R.I. ; 73 et 202 pour le 359ème R.I. ; 32 et 59 pour le 13ème B.C.A. ; 20 et 62 pour le 15ème B.C.P. ; 8 et 20 pour le 28ème B.C.A. ; 5 et 32 pour le 68ème B.C.A. ; 4 et 6 pour le 56ème R.A. Soit un total de 415 tués et 876 blessés. Il faut y ajouter une centaine de disparus et entre 300 et 400 prisonniers…
Coté allemand, les pertes sont à peu près équivalentes : entre le 25 décembre 1914 et le 10 janvier 1915, les combats firent 4 parmi les 152e, 213e et 359e Régiments d'Infanterie les 28ème et 68ème B.C.A., le 15ème B.C.P. et le 56ème R.A., sans compter les disparus et les prisonniers... Au 161ème Infanterie Régiment, 660 hommes sont mis hors de combat, dont plus de 250 tués ; hors de combat. Après son séjour alsacien, les effectifs du régiment von Lützow, l’I.R. 25 tombent de 3 000 à 600 hommes (au 26 mars 1915) !
EPILOGUE :
Après le 7 janvier, les lignes ne bougent pratiquement plus. Chaque camp s’organise pour durer ; les effectifs sont progressivement reconstitués et les troupes combattantes peu à peu remplacées par des troupes de réserve ou des troupes territoriales.
Le calme est cependant relatif : régulièrement, les artilleurs et les mitrailleurs s’en prennent aux lignes adverses au point que c’en devient presque un rituel… Ainsi le 16 janvier, en 3 heures, 250 obus de gros calibre tombent sur Steinbach.
Le 25 janvier, le 15-2 est cité à l'ordre de l'Armée: « A, sous les ordres du chef de Bataillon Jacquemot, fait preuve d'une vaillance et d'une endurance au dessus de tout éloge en conquérant le village de Steinbach après 8 jours de lutte héroïque , de jour comme de nuit, s'emparant une par une des maisons fortifiées, répétant les assauts au milieu des incendies, se maintenant sous un feu des plus violents dans les tranchées remplies d'eau glacée, infligeant à l'ennemi de lourdes pertes et lui enlevant une mitrailleuse et de nombreux prisonniers ». Le régiment des « Diables Rouges » sera relevé le 17 mars par le 357ème R.I., puis par le 334ème R.I., et le bataillon Dreyfus du 57ème R.I.T. Peu à peu, les bivouacs se transforment en camps très bien organisés (Chanove, Belgique, Pervenche, Alsacienne) avec leurs barbelés, blockhaus, abris-cavernes, tranchées profondes, boyaux onduleux ou grottes aménagées comme le Donnerloch ou certains carreaux de mine dans le Silberthal…
Durant toute l’année 1915, des deux côtés, les troupes alternent les combats sur l’Hartmannswillerkopf et le termes de repos (relatif) dans ses satellites : la cote 425, l'Hartfelsen, le Sudel ; ces rotations préservent l'initiative et le mouvement, tout en capitalisant l'indispensable connaissance des lignes, des positions et des pièges de chaque secteur. En général chaque compagnie passet six jours en ligne et six jours en réserve.
Sur la côte 425, outre les harcèlements d’artillerie et le « rituel »des mitraillages quotidiens, le quotidien est rendu particulièrement difficile en 1915 par la fonte des neiges, les orages d'été et les pluies d'automne qui transforment les tranchées en torrents de boue. « La vie de misère que la boue de 425 et l'eau de la Thur firent au régiment, je renonce à le dire. Ah ! Elles ont perdus leur mine hospitalière, les confortables, les coquettes tranchées du 229e. Les compagnies qui ne sont pas dans l'eau sont dans la boue. La pluie dissout l'argile ; filtré par le clayonnage, le parapet coule au fond du boyau. Les parois s'évasent et s'affaissent en lis gluants où l'on glisse, où l'on s'enlise. Jour et nuit, on vide les boyaux, on relève les effondrements : hélas ! sitôt rejetée au bord du fossé, la boue liquide retombe au fond, tant qu'on a pas trouvé dans le commerce assez de seaux et d'écopes pour la transvaser au loin, dans le bled. Les abris se changent en puits, et sans égard pour les tentures de mousseline, leurs parois s'éboulent. Que devenir ? » (adjudant Paul Guyot du 334ème R.I.).
De la mi-décembre 1915 à la mi-janvier 1916, le secteur cote 425 – Steinbach connaît un regain d’activité à cause de la bataille qui fait rage au sommet et sur les pentes du H.W.K. Les artilleurs allemands pilonnèrent les lignes arrière, mais l'attaque d'infanterie, attendue, n'arriva pas. L’orage passé, les semaines et les mois s'égrainent, rythmés par les tours de garde, les patrouilles, les ordres du jour, les ravitaillements et les travaux de consolidation. De temps en temps, des deux côtés, les combattants organisent des « coups de mains », comme ceux du sous-lieutenant Albert Préjean (1894-1979), la future vedette du cinéma d’entre-deux guerre, avec son groupe-franc du 245ème R.I. en octobre 1916 et février 1917 : « C'était des petites équipes de gars gonflés qui s'en allaient faire des coups de main dans les lignes ennemies. Aussi gonflé que l'on ait, les nerfs qui craquent et les cheveux qui se dressent sur la tête, ça existe croyez-moi ! Je préférais risquer ma peau à chaque coup de main que de moisir dans la tranchée. Et puis, dans les corps francs, là au moins on avait l'avantage d'avoir quelques jours de perm' quand nous avions réussi. Naturellement, entre toutes ces permissions, je trouvais le temps de me faire blesser une première fois, puis une seconde. Les balles entraient dans la peau et choisissaient toujours le gras des chairs. Je devais être béni des dieux de la guerre : superstition, je ne sais pas » (Albert Préjean, Mémoires de guerre.)
A partir de la mi 1916, et jusqu’à la fin du conflit, les secteur est essentiellement tenu par les territoriaux : 6ème B.T.C.A., commandé par Georges Desvallières (le peintre qui renouvela l'art religieux), les 2ème et 7ème B.T.C.A., le 84ème R.I.T, le 109ème R.I.
Après l'armistice, les habitants rescapés (de 900 âmes avant la guerre, la population passe à 360 en 1921 !) retrouvent leur village, un énorme champ de ruines. Ils s'installent dans le provisoire, des baraques en bois fournis par l'Etat. École et église sont installées dans le jardin de l'instituteur. Dans les décombres, la cloche qui servait à sonner le glas est retrouvée presque intacte. La reconstruction des maisons s’acheva en 1924 par l’édification d’une nouvelle mairie-école. La cote 425 est abandonnée au maquis et aux herbes sauvages.
« Peu de terres furent replantées en vignes ; la plus grande partie resta en friche, abritant en son sein des casemates, des abris, du fil de fer barbelé, des obus et aussi des cadavres. Sur cette terre de maléfice, vouée à l'improductivité, une végétation spontanée renaissait, s'étalait, envahissant tout le terroir. C'était des haies épineuses, de l'acacia, du cerisier sauvage... Le beau vignoble égayé jadis par le chant des vigneronnes, devint une belle chasse au lapin de garenne et au faisan... » (Frédéric Preiss, viticulteur à Steinbach).
Commentaire des illustrations par Georges Brun.