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L'abbaye Sainte-Richarde d'Andlau

Page mise à jour le 06/06/2014

Andlau : l’église abbatiale Sainte-Richarde vue depuis le coteau du Wibelsberg. Abbatiale Sainte-Richarde d'Andlau : le chevet de l’église abbatiale. Abbatiale Sainte-Richarde d'Andlau : plan de l’église abbatiale Sainte-Richarde. Abbatiale Sainte-Richarde d'Andlau : le porche et sa frise.
Abbatiale Sainte-Richarde d'Andlau : la frise courant sur la façade ouest du porche. Abbatiale Sainte-Richarde d'Andlau : second panneau de gauche de la partie ouest de la frise du porche. Abbatiale Sainte-Richarde d'Andlau : partie ouest de la frise du porche au dessus du portail. Abbatiale Sainte Richarde d’Andlau : le portail, vue générale.
Abbatiale Sainte Richarde d’Andlau : le tympan et le linteau du portail. Abbatiale Sainte Richarde d’Andlau : la partie gauche du linteau. Abbatiale Sainte Richarde d’Andlau : la partie centrale du linteau. Abbatiale Sainte Richarde d’Andlau : la partie droite du linteau.
Abbatiale Sainte Richarde d’Andlau : Montants et pilastres du portail. Abbatiale Sainte Richarde d’Andlau : entrelacs de rinceaux. Abbatiale Sainte Richarde d’Andlau : Montants et pilastres du portail : deux donateurs en conversation regardant le tympan. Abbatiale Sainte Richarde d’Andlau : la crypte.

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HISTOIRE


L'origine d'Andlau est liée au nom de Sainte Richarde, épouse de l'empereur Charles le Gros (881-889), qui fait ériger l'abbaye vers 880. La fondation, destinée aux femmes reçoit le nom allégorique d'Eléon en souvenir du célèbre sanctuaire construit par l’impératrice Hélène (mère de Constantin) au IIIè siècle sur le mont des Oliviers à Jérusalem.


L'abbaye jouit d'un statut semblable à celle d'Ottmarsheim et de Sainte-Croix près de Colmar. Le pape Léon IX fait canoniser Richarde en 1049 et transférer ses restes dans la nouvelle église en construction. L’empereur Henri II fait passer l'abbaye sous statut d'immédiateté d'empire en 1004. Frédéric Barberousse donne l'abbaye en fief à l’abbesse Hadzigue (Hadewitz) en 1160. En 1211 l'empereur devient avoué de l'abbaye après l'extinction des Eguisheim-Dabo. En 1288 l'abbesse d'Andlau reçoit le titre de princesse avec droit de vote aux Diètes de l’Empire ; elle s'entoure d'une véritable cour, à l'instar des abbés de Murbach. Louis XIV maintiendra ce privilège, « vu l’importance qu’il y avait pour les gentilshommes catholiques de l’Alsace, de pouvoir mettre là leurs filles, sans faire de vœux, jusqu’à ce qu’elles trouvassent un parti pour se marier, ce qui est aux dits gentilshommes d’un grand secours et avantage, leurs maisons se trouvant par ce moyen considérablement déchargées »


Au XVè siècle, l’abbesse Sophie d’Andlau fait restaurer la façade et la tour. L'édifice est en partie reconstruit au XVIIIé : la nef et la tour sont réaménagées ; ainsi on y retrouve tous les styles. L’abbaye cesse ses activités à la révolution français, et de son faste féodal ne subsiste que l'imposante abbatiale et une partie des bâtiments conventuels.


Caractéristiques de l'époque romane sont la crypte, le porche et les sculptures.


LA CRYPTE


La crypte s'étend sous le choeur à chevet plat et la croisée du transept. Elle se compose de deux parties d'époques différentes :


• La crypte occidentale, de plan carré, comprend trois vaisseaux de trois travées chacun, d'égale hauteur et largeur, couverts d'arêtes, avec pilastres aux murs et quatre colonnes monolithes au centre. Les chapiteaux sont cubiques à gros tailloir chanfreiné et les bases, a demi enfouies dans le dallage portent deux boudins à large scotie. Dans le champ central s'ouvre une fenêtre et dans le bras des travées une niche. Un couloir aujourd’hui muré s'amorce dans la paroi occidentale ; l'entrée actuelle ne fut percée qu'au XIIIè (arc trilobé de la porte). La crypte occidentale remonte à la construction de l'abbaye par Mathilde vers 1050 (chapiteaux cubiques aplatis et à astragale).

• La crypte orientale est surmontée du choeur et communique avec la précédente par trois arcades sur piliers carrés. Da plan rectangulaire, elle est moins large et plus haute, voûtés d'arêtes qui retombent sur des colonnes au centre et sur des colonnes engagées coté murs, et des pilastres carrés dans les angles. Les chapiteaux sont légèrement coniques, les bases reposent sur des plinthes carrées. Dans le mur du chevet s'ouvrent trois fenêtres plein cintre. Un oculus ajoure les parois latérales. La salle orientale fut érigée entre 1080 et 1100 car on retrouve les mêmes colonnes à Saint-Pierre de Norroy-le-Veneur en Lorraine, datées de 1100.

La statue de l'ours de Sainte Richarde aurait remplacé d'après la tradition l'ours vivant enchaîné et nourri au Moyen Âge dans la cour de l'abbaye. Son exécution par un sculpteur roman semble douteuse. En fait, la crypte est dédiée à Notre-Dame-sous-Terre qui avait suscité un pèlerinage très vivace encore au siècle dernier.


LE PORCHE


Une massive construction rectangulaire précède l'édifice, aussi large que lui. Ce proche comprend deux étages à décor roman surmontés d'une tour à beffroi octogonal. La galerie date du début du XVIIIè.


Profond, le porche est entouré d'escaliers à vis à gros noyau menant aux tribunes couvrant les bas-côtés, et à la loge centrale ouvrant sur la nef. Une frise sculptée souligne la séparation des étages en façade, elle même décorée de simples plates bandes.


A l'intérieur, quatre arcades en plein cintre à double rouleau soutiennent la voûte d'arêtes. Aux coins, de petites colonnettes engagées suggèrent un voûtement primitif d'ogives.


LE PORTAIL


Le portail est une pièce maîtresse de la sculpture romane d'Alsace. Toutes les surfaces sont sculptées de bas-reliefs exécutés en cuvette et méplat, hormis le tympan, en ronde bosse. Ce portail a sans doute été construit après 1161, date à laquelle un incendie ravagea le monastère. Parmi les personnages sculptés sur les montants figurent Hugues, comte de Metz et de Dabo, avoué de l'abbaye en 1154, et son épouse Elisabeth : les sculptures destinées à perpétuer le souvenir des bienfaiteurs du monastère sont contemporaines de la reconstruction qui suivit l'incendie de 1161. La structure est celle d'un cadre rectangulaire flanqué de pieds-droits massifs surmontés d'un arc de décharge à la lunette (tympan) rempli d'un groupe en ronde bosse. Cette ordonnance archaïque rappelle les portes de Surbourg et d'Altenstadt (début XIè), mais le style est plus récent.

Toute la composition du portail converge vers le tympan, où est représenté le Christ trônant qui remet les clefs, symbole du Paradis Nouveau, à Pierre et le livre à Paul. Le groupe est encadré par deux scènes de chasse : un frondeur poursuit l'oiseau qui grappille sur un magnifique pied de vigne, alors qu’un archer chasse un oiseau sur un arbre auquel grimpe un enfant nu. Le sujet est nettement alsacien et très fréquent en Alsace : ainsi les tympans de Marlenheim et de Sigolsheim. La vigne, symbole de l'arbre de Vie, s'oppose à l'arbre dépérissant ; l'enfant nu, symbole de l'âme, grimpe à l'arbre Cosmique vers le ciel (Chanson du Graal) ; la chasse à l'oiseau peut symboliser l'âme chassée par le malin.

Le linteau répond au tympan en narrant l'histoire du paradis terrestre : l'histoire d'Adam et d'Eve se déroule sans discontinuer de la création à l'expulsion du paradis, ponctuée par le thème de l'arbre : arbre de vie à gauche, sous lequel est couché Adam, arbre de la Science du bien et du mal où s'enroule le serpent au centre, « Arbre sec » et sans fruit sous lequel est assis le premier couple après la faute. La présence de cette scène n'a rien d'insolite si l'on songe que le vestibule du sanctuaire était en général destiné aux pénitents.

Les montants de la porte sont ornés sur leur face antérieure d'un entrelacs de rinceaux de feuillages mêlés d'animaux qui s'achève sur l'architrave par de minces tiges fleuries ; deux massifs piliers carrés en faible saillie encadrent la porte, ornés chacun d'une superposition de 5 arcades abritant des couples en conversation se montrant le tympan, et dont certains sont identifiés par des noms gravés sur les archivoltes ou les bandes horizontales. Près du sol, de petites figures tiennent les extrémités des rinceaux ou supportent les arcades. C'est au grand portail de Modène qu'ont été empruntés le motif des rinceaux sur les montants, le motif des atlantes et aussi le type d'arcades abritant les figures ; le placement de ces arcs sur la face antérieure des piliers, les scènes à deux personnages et l’atlante placé sous cet échafaudage décoratif s’inspirent du portail de l'abbatiale de Nonantola.


LA FRISE HISTORIEE


Cette frise court tout au long du soubassement qui abrite le porche et étale ses bas reliefs sans discontinuer sur une longueur de 29,50 mètres et une hauteur de 60 cm.


Diverses scènes y sont représentées :


• combats et chasses, épopée du roi Théodoric de Ravenne délivrant Sintram de la gueule du dragon sous les yeux du chevalier Hiltebrand, représentations d'animaux et de monstres (scorpion, démon cynocéphale, chameau, lion couché à l'angle) sur la face nord ...

• combat (mythique ?) entre un ours et un homme, son compagnon trouvant refuge dans un arbre, scènes de chasse, de combats, néréides chevauchant des poissons, lions dévorants, démon punissant un vigneron fraudeur et chevauchant un banquier, préparatifs de festin sur la face ouest …

Les représentations d'animaux ne semblent pas avoir un caractère symbolique, mais évoquent plutôt les régions et contrées lointaines : lion, éléphant, chameau renvoient à l'Asie et à l'Afrique avec ce sous-entendu moral que ce monde lointain est empli d'embûches, de dangers, d'aventures violentes... A ce monde inconnu et hostile le sculpteur va opposer le havre de paix qu'est l'Église, préfiguration de la cité céleste.

On retrouve des sculptures de la même facture à Eichhoffen, Mutzig, Obernai et Issenheim, mais aussi hors d’Alsace : porta della Pescheria de la cathédrale de Modène, bas-reliefs de la tour de Saint-Restitut (Drôme) et surtout dans les ornementations des coffrets orientaux très en vogue à l’époque…


L'atelier d'Andlau est issu de celui d'Eschau et se situe entre 1130 et 1140. Il est influencé par les ateliers de Lombardie, notamment Modène et Nonantola, et par les miniatures de l’époque relatant les « gestes » nordiques.


Techniquement, en comparaison avec Eschau, on distingue pour la première fois à Andlau le désir de s'attaquer au haut relief, quoique le résultat soit très maladroit : le sens de la ronde bosse n'est pas encore bien ancré. Le Maître d'Andlau, pour malhabile qu'il soit, s'inspirant des prototypes lombards et des manuscrits a cependant su créer une oeuvre originale grâce à son imagination et à sa manière de conter, trait qui le distingue de ses confrères alsaciens de l'époque.

Commentaire des illustrations par Marie-Georges Brun.