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L'Église Ste-Trophime d'Eschau

Page mise à jour le 20/03/2014

Eglise Saint-Trophime : façade ouest et face sud de l'église. Eglise Saint-Trophime : plan d'après G. Dehio. Eglise Saint-Trophime : face sud. Eglise Saint-Trophime : le chevet et l'abside semi-circulaire.
Eglise Saint-Trophime : abside, nef et croisillon nord. Eglise Saint-Trophime : vue de l’église depuis le sommet du clocher moderne construit en hors-œuvre. Eglise Saint-Trophime : la nef charpentée et le chœur couvert d’une voûte en cul-de-four. Eglise Saint-Trophime : vue depuis le chœur sur la nef charpentée.
Eglise Saint-Trophime : vue sur la nef, le chœur et la croisée du transept avec ses deux arcs diaphragmes. Eglise Saint-Trophime : colonnes jumelées des vestiges du cloître transférés au musée de l’œuvre Notre-Dame de Strasbourg. Eglise Saint-Trophime : chapiteau double du cloître transféré au musée de l’œuvre Notre-Dame de Strasbourg. Il représente l’annonce aux bergers. Eglise Saint-Trophime : cuve baptismale (ensemble et détails) transférée au musée de l’œuvre Notre-Dame de Strasbourg.

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HISTOIRE


En 770 l'évêque Rémi de Strasbourg devient propriétaire de l’île d'Eschau. Il y fonde un monastère de moniales, y dépose le corps de sainte Sophie, don du pape, et nomme Adale, la donatrice, première abbesse. En 778 le monastère devient propriété héréditaire de l'évêché de Strasbourg. En 926 les Hongrois détruisent l'abbaye. En 991 l'évêque Widerold rétablit le monastère et lui donne la propriété et les dîmes de l'église de Rouffach. Les dotations augmentent au XIè et seules les filles nobles peuvent entrer au monastère. Vers 1130 le nouveau cloître et le baptistère sont érigés et décorés par les sculpteurs de Strasbourg qui travaillèrent au sarcophage de l'évêque Adeloch. En 1232 Berthold de Teck tente en vain à réformer le monastère, voulant combattre la vie désordonnée qui y est menée. En 1298 Conrad de Lichtenberg fait détruire le cloître pour supprimer un point d'appui au roi Adolphe de Nassau en guerre contre lui. En 1526, après la guerre des paysans, les chanoinesses se dispersent et l'abbaye est supprimée par Guillaume de Honstein. En 1615 l'abbaye est rattachée au chapitre de la cathédrale. En 1632 les troupes suédoises du général Horn pillent Eschau et y dispersent les reliques de Sainte-Sophie : ce qui en reste passera dans des mains privées lors de la Révolution. En 1944-1945 l'église est endommagée ; en 1955 les fragments subsistant du cloître sont déposés au musée de l’œuvre Notre-Dame de Strasbourg.


L'EXTERIEUR


Autour de la barre dominante du vaisseau réunissant sous le même toit nef et croisée, se trouvent les collatéraux bas, les bras saillants du transept et la grande abside. Chaque partie est de volume et de hauteur différentes, mais l'ensemble est cohérant et bien équilibré. Le seul décor extérieur se trouve à l'abside : il est constitué de 16 pilastres effilés s'élevant d'un socle à glacis et formant un décor d'arcatures aveugles avec chapiteaux simples et arcs formés de claveaux de grès alternativement rouges et gris.


L'INTERIEUR


Trois nefs inégales lambrissées avec vaisseau central bordé de chaque coté par six arcades sur piliers donnent sur la croisée de plan barlong, aussi haute que la nef et séparée d'elle par un arc diaphane. Au nord et au sud, deux arcades plus basses ouvrent sur les vastes croisillons débordants. Deux fenêtres éclairent la croisée de chaque coté : elles sont percées au dessus du toit des croisillons.

A l'est une abside nue, semi-circulaire et voûtée en cul-de-four. Au bout des collatéraux, sur la façade occidentale existaient deux réduits carrés. Le sol de la nef se trouvait à l'origine à 1,25m en dessous du niveau actuel. De chaque coté de la haute nef étaient percées 6 fenêtres romanes en plein cintre, dans l'axe des arcades (les actuelles sont plus récentes et beaucoup trop grandes). Le vaisseau central est deux fois plus large que les collatéraux.

Il se dégage de l'ensemble une conception particulière de l'espace et des volumes qu'on ne trouve ni à Altenstadt ni à Dompeter, mais par contre à la Mittelzell de la Reichenau ou dans la basilique de Hildesheim.


LE CLOITRE


Un cloître était adossé au flanc nord de l'église. Après les fouilles de 1866 et 1917 on a reconstitué une suite d'arcatures au musée de l'oeuvre Notre-Dame à Strasbourg. Mais il n'est pas sûr que ce montage corresponde à l'original, ni dans ses dimensions ni dans le nombre des arcatures. Les vestiges présentés ne donnent qu'un pâle aperçu de l'ensemble. Le cloître devait avoir 19 mètres sur 12, comportait entre 48 et 56 tailloirs et des colonnes simples alternant avec des colonnes jumelées.

Les fragments qui sont parvenus à peu près intacts appartiennent à trois cycles différents : vie du Christ, série allégorique et série décorative.

• Vie du Christ : les seules scènes conservées concernent l’enfance du Christ : Annonciation et Nativité, Annonce aux bergers, histoire des Mages, Présentation au Temple et Baptême du Christ. Les inscriptions gravées sur les sommier indiquent d'autres scènes, disparues : Résurrection de Lazare, Multiplication des pains, le pauvre Lazare, les Saintes femmes au tombeau, la Descente aux enfers...

• Cycle allégorique : David jouant de la harpe, David (ou Samson ?) terrassant le lion, croix tressée de serpents et de feuillages, Enée et Didon...

• Série décorative : deux boeufs, deux béliers, une cigogne portant une couleuvre, et le prétendu « Basilic ».

• La cuve baptismale : elle est du même atelier; elle comporte deux registres: en bas, Annonciation, Nativité, Annonce au bergers, Présentation, Baptême, entrée à Jérusalem... en haut, la Cène, l’arrestation du Christ, la Descente de la croix, les femmes au tombeau, la descente aux Enfers, la Pentecôte...

L'atelier qui exécuta ces sculptures oeuvra vers 1130. On lui doit aussi le sarcophage de l'évêque Adeloch et les chapiteaux du prieuré détruit de Saint-Marc (1 seul conservé à Colmar). Ces exécutants ne sont pas des artistes mais des artisans formés dans les arts mineurs du bois (décor végétal taillé et champlevé au cauchoir), de l'ivoire (plis et prunelles au trépan), de l'estampage (inscriptions avec lettres en relief). Il y a une indéniable habileté de composition et un harmonieux équilibre des surfaces en relief et de celles en creux.


DATATION ET ORIGINALITE


L'ordonnance intérieure d'Eschau n'est pas insolite : au XIè l'église à transept en bois et plafond à bois est assez courante dans le monde de la renaissance ottonienne : ainsi Saint Denis de Liège (1003), Saint-Adalbert d'Aix (1009), la basilique de Bouzemont dans les Vosges (1061), les églises d'Hastière (1030) et de Celles-lez-Dinant en Belgique (1040). Ces églises dériveraient d'un type basilical carolingien dont le meilleur exemple est celui de Steinbach dans l'Odenwald (827).

Kautzsch (« Der Romanische Kirchenbau im Elsass », Fribourg en Brisgau, 1944) situe la construction entre 1000 et 1050 grâce à l'étude du décor extérieur de l'abside dont on retrouve des parallèles aux absidioles de l'église de Rouffach (arcades sur pilastres élancés), au choeur de Schönenwerd en Suisse, et surtout aux tourelles d'escaliers de la cathédrale de Trèves érigées vers 1050. La nef serait contemporaine des premières basiliques ottoniennes à transept bas (Liège et Aix).

Commentaire des illustrations par Georges Brun.