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Page mise à jour le 18/06/2012
En 1871, lors de l’annexion de l’Alsace-Lorraine au Reichsland, Sélestat est toujours propriétaire de la ruine et de la centaine d'hectares de forêts. Or l’entretien de la ruine embarrasse la ville, très cher et peu rentable. Aussi naît l’idée d’un cadeau à l'empereur Guillaume II, idée qui fait rapidement son chemin et qui, en ces temps de calme, n’offre que des avantages… D’autant que le néo-médiéval est fort prisé dans le Reich, que le Kaiser est épris de culture moyenâgeuse et qu’il vient en visite officielle en Alsace en 1899. C’est donc un Guillaume II ravi qui se voit offrir le 2 mai par le maire de Sélestat Constant Schlœsser la ruine avec quelques arpents de forêt…
Le Kaiser y voit une occasion de mettre en valeur la zone frontalière ouest du Reich : il est conscient que depuis 1871 une grande partie de la population alsacienne se montre pour le moins réservée, sinon clairement hostile à la nouvelle Allemagne. Aussi, le Haut-Koenigsbourg doit devenir le symbole de l’appartenance de l’Alsace à la Germanie. Mais un monument en ruines peut très difficilement représenter le Reich triomphant. Ce château doit devenir une démonstration de la position politique et culturelle dominante de l’Allemagne en Europe et surtout face à la France. Le château est donc destiné à devenir autant un objet politique qu’une espèce de musée du Moyen-âge germanique.
Le but du jeune architecte Bodo Ebhardt, 34 ans, est de reconstituer le château tel qu’il était à la veille de la Guerre de Trente ans. Mais, à bien des égard, étant donné le manque de sources fiables, il fallut improviser pour d’importantes parties du château… et Ebhardt se laissa quelque peu influencer par les goûts de l’empereur, pas toujours très compatibles avec la réalité historique…
Le 12 mai 1901 est posée la première pierre du chantier. Les travaux s’étendent sur près de sept années. L’empereur met à disposition les moyens nécessaires(2 500 000 Reichsmarks) et vient plusieurs fois sur le chantier. Ebhardt fait d’abord dégager les ruines du château, spécialement celles du noyau originel des Hohenstaufen : le donjon carré protégeant au sud le palas accolé. À cet ensemble est accrochée la forteresse des Thierstein : les ouvrages bastionnée est et ouest, dont le rôle était de parer aux progrès réalisés par l’artillerie. L’ensemble est entouré d’une enceinte extérieure, délimitant ainsi les lices, et le bastion est précédé d’un ouvrage avancé terminé et étoile et délimitant une réserve de gibier ou Tiergarten.
Le décor du château reprend quelques rares éléments originaux (reste d’armoiries, éléments de colonnes et de clefs de voûtes, encadrements de portes et fenêtres), mais crée surtout toute une iconographie rappelant les familles nobles ayant occupé le château, mais aussi Guillaume II et le second Reich ainsi que les histoires et légendes germaniques du Moyen Âge. Pour le décor peint on fait appel au peintre Léon Schnug (1878-1933) qui représente dans la salle des fêtes dans le style troubadour un tournoi et le siège de 1462… Dans les galeries intérieures sont représentés les neufs chevaliers, un des thèmes favoris de l’iconographie de la fin du Moyen Âge : Hector, César et Alexandre (Antiquité), Judas, Josué et David (Ancien Testament), Charlemagne, Arthur et Godefroi de Bouillon (Moyen Âge). Des collections de meubles et d’armes sont constituées, qui tentent de rappeler la vie des XVe aux XVIIe siècles : tables, coffres, chaises, armoires, fourneaux (Kacheloffe) pour le mobilier, hallebardes, arbalètes, arquebuses et divers types de canons…
L'inauguration du monument a lieu le 13 mai 1908 en présence de l’empereur, très fier de son château Hohenzollern, héritier de celui des Hohenstaufen et de celui des Habsbourg.
La reconstitution de Bodo Ebhardt est aujourd’hui admise comme plausible. Mais en son temps, la rénovation a été sujette à de nombreuses polémiques, alimentées par le climat de tension politique de plus en plus tendu. Les détracteurs notent que certains éléments furent imaginés par l'architecte car ils étaient complément détruits : de nombreux élémentssont considérés comme fantaisistes.Les caricaturistes s'en donnent à cœur joie comme Henri Zislin ou Jean-Jacques Waltz qui réalise plusieurs planches sur ce sujet (musé Hansi à Riquewihr).
Parmi les plus importantes critiques :
Malgré tout, et malgré quelques libertés prises par Bodo Ebhardt, le château reste très représentatif de l’architecture castrale de type germanique aux XVe-XVIe siècles.
Après la première guerre mondiale et le retour de l’Alsace à la France, le château et ses dépendances, ainsi que les ruines de l’Oedenbourg deviennent bien national. En février 1933 le site est classé aux Monuments historiques. La Caisse nationale des monuments historiques et des sites, se charge de l’entretien du château, de l’accueil des touristes et de l’animation. Une société d’économie mixte (SEM de la Maison d'Alsace) gère depuis 1991 toutes les activités commerciales du lieu. En 2007, la propriété du château est transférée par l’Etat au Conseil général du Bas-Rhin.
Chaque année, entre 500 et 600 000 visiteurs montent au château, ce qui en fait un des hauts-lieux du tourisme en Alsace et en France.
Commentaire des illustrations par Marie-Georges Brun.