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Le château de l'Ortenbourg

Page mise à jour le 13/06/2016

Mur bouclier côté ouest Entrée de la porte de la basse-cour - vue extérieure Entrée de la porte de la basse-cour - vue intérieure Vue depuis la basse-cour sur la rampe d’accès au bastion d’entrée
Rampe, pont escamotable et bastion d’entrée Arrière du donjon vu depuis le logis seigneurial Arrière du donjon vu depuis la base du logis seigneurial Logis seigneurial - face interne sud
Logis seigneurial - salle seigneuriale : fenêtres gothiques Logis seigneurial - salle seigneuriale : fenêtres gothiques Meurtrière à niche Ramstein : vue depuis une meurtrière de la façade ouest

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Historique

Vers l’an Mil, un premier château est mentionné, possession d’un certain Werner d'Ortenberg, fondateur de l'abbaye de Honcourt, au pied de la montagne. En 1162, à l’extinction de la lignée des Ortenberg, la seigneurie passe aux comtes Zollern de Hohenberg-Haigerloch, dont une descendante épouse, au milieu du XIIIe siècle, Rodolphe de Habsbourg, qui reçoit le château en 1253. Bien implanté dans le sud de la Germanie, Rodolphe entend faire de l’Alsace un point d’appui et entreprend d'édifier une série de forteresses sur ses terres. Il décide de reconstruire l’Ortenbourg de fond en comble et d’en faire une forteresse redoutable et un lieu habitable. Les travaux démarrent en 1258. L’Ortenbourg devient un modèle de forteresse où l'on applique un principe défensif nouveau pour l'époque, la chemise haute : donjon et palas sont resserrés dans un mur d'enceinte très haut, possédant trois niveaux de planchers en dessous de la courtine. On ne néglige en rien le confort et le château est prévu pour recevoir une lignée de dynastes. Achevé en 1265, il est alors le plus beau château fort d'Alsace. Rodolphe y séjourne à plusieurs reprises. Devenu roi des Romains en 1273, il le délaisse et y nomme Otton d’Ochsenstein.

À sa mort en 1291, son fils Albert entre en conflit avec Adolphe de Nassau pour la possession du trône impérial. La guerre divise l’Alsace entre partisans des Habsbourg et partisans de Nassau. Otton d’Ochsenstein trahit Albert au profit d’Adolphe de Nassau, qui est couronné empereur en 1292. Pour plaire à son nouveau maître, il entreprend le siège de l’Ortenbourg en 1293. Au bout de six mois d’un siège inefficace, il fait construire une tour de siège, le Ramstein, sur laquelle est montée une redoutable arbalète à tour dont les carreaux ébranlent les murailles ouest du château. Après trois semaines, l’Ortenbourg capitule et le Val tombe aux mains du Nassau. Mais en 1298, celui-ci est tué à Göllheim et Albert de Habsbourg accède à l’empire, réintégrant l’Ortenbourg dans ses possessions.

À court d’argent, les Habsbourg vendent en 1314 le château au chevalier strasbourgeois Henri de Müllenheim avec droit de réméré. Les Müllenheim, qui restent maîtres du château durant deux siècles, en confient la garde à un Burgvogt. Mais comme l’entretien du château coûte très cher, l'Ortenbourg devient en 1440 le siège d’un ganerbinat. Il s'agit d'un système de copropriété regroupant des membres s'accordant mutuellement le droit d'ouverture de leurs forteresses qui se trouvent ainsi à la disposition de chacun. À l’Ortenbourg, ce sont une quarantaine de petits seigneurs et chevaliers pauvres qui tiennent le château. Deux d’entre eux, Hans von Wiger et Henri Mey de Lambsheim, vivent de brigandage et de rançonnage. En 1461, les principales villes d’Alsace décident la prise du château, mais sont devancées par l’évêque de Strasbourg, qui met à raison les brigands. Le brigandage reprend cependant peu après.

En 1469, Charles le Téméraire rachète aux Habsbourg leurs possessions alsaciennes et décide de reprendre le pays en main. Le Bailli du Téméraire, Pierre d’Hagenbach, décide la prise du château pour faire un exemple et mettre au pas la rétive noblesse alsacienne. Avec plus de 3 000 hommes, des canons et veuglaires, il pénètre dans le Val-de-Villé. L’Ortenbourg capitule sans combattre le 18 novembre 1470. Louis Zorn de Bulach reçoit l'investiture sur l’Ortenbourg au nom du Téméraire et la garnison, dix à douze hommes, est habillée aux couleurs de la Bourgogne. Mais le rêve du Téméraire s’achève devant les murs de Nancy le 5 janvier 1477.

Le château revient à nouveau aux Müllenheim mais le temps des châteaux-forteresses est révolu. Isolé dans la montagne, il s’enfonce dans la léthargie et les difficultés financières. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, il est vendu aux Bollwiller puis échoit aux Fugger. Début 1632, il devient possession suédoise. À cette époque, les Suédois rançonnent et pillent la vallée, ce qui entraîne une révolte et une guérilla paysanne dont l’Ortenbourg et le Ramstein deviennent des bases arrières. La répression est terrible : le 27 mai 1633, le rhingrave Jean-Philippe, au service de la Suède, envahit le Val, y massacre de nombreux habitants et ordonne d’abattre les places fortes de l’Ortenbourg, du Ramstein et du Bildstein. C’est une ruine que Louis XIV récupère en 1681. Il remet le domaine en fief à Conrad Zurlauben et à ses héritiers mâles sous réserve du droit de réméré. En 1710, la ruine et le comté passent au comte de Meuse, Henri-Louis de Choiseul. En 1791, l’Ortenbourg devient propriété privée : il est acquis en 1806 par le baron Mathieu de Faviers qui y fait exécuter d'importants travaux de restauration. Les Faviers conservent la ruine jusqu'au XXe siècle, puis elle est acquise par la commune de Scherwiller.

En 1966, la commune donne la ruine de l’Ortenbourg en bail pour trente ans à l'Opération Taupe (les futurs Chantiers d'Archéologie médiévale) dont l’objectif est de restaurer le plus beau monument féodal des Vosges. D'importants travaux de consolidation sont entrepris depuis 2003.

Architecture

Sommet des réalisations militaires dans l'Alsace médiévale (Charles-Laurent Salch), l’Ortenbourg est un château gothique d'une conception très pure. Sa silhouette se reconnaît aisément et ressemble à s'y méprendre à un vaisseau de pierre.

Plan

Comme au Landsberg ou au Bernstein, le plan de l’Ortenbourg diverge radicalement des époques précédentes et annonce un nouveau type de château : celui d’une forteresse, capable de résister au travail de destruction des machines de guerre.

Le château est positionné au bout d'une crête et est séparé de la pente naturelle par trois fossés successifs, dont le dernier présente une contrescarpe retaillée à la verticale dans le granit, qui a du servir de carrière. Sur trois côtés, le burg domine l’abrupt. Le quatrième côté, séparé de la montagne par le large fossé, présente un donjon pentagonal servant de bouclier à l’habitat enserré étroitement derrière lui entre deux murs qui sont à la fois façades et remparts.

Le donjon

Orienté du côté de l'attaque (nord), le donjon pentagonal est une magnifique tour en granit lisse de 32 mètres de haut qui sert de protection à l'habitat construit derrière lui. Telle une proue de navire, il présente son angle le plus aigu côté attaque, de sorte que les pierres et autres projectiles ripent sur ses murs sans les frapper de plein fouet.

Le donjon comporte cinq étages et l’épaisseur de ses murs atteint 3,50 m alors que les salles mesurent 4 x 4 m. Dans sa face arrière sont percées des fentes de tir sur tous ses étages, au cas où le haut château serait investi, et sa porte d’entrée est placée à 7 m au-dessus du niveau du sol, pour rendre son accès à partir du logis seigneurial encore plus difficile. Son sommet était complété de hourds, équipements en bois escamotables assurant une très bonne défense.

La chemise

La chemise est typique et permet une circulation extrêmement rapide des défenseurs sur le chemin de ronde en enveloppant le donjon. Après 1300, cette chemise est surélevée et transformée en mur-bouclier de 20 m de haut lui permettant de couvrir la moitié du donjon contre les projectiles et de le protéger d’un éventuel travail de sape. Ce mur présente également une formidable accumulation de postes de tir, car il est équipé de trois rangées d'archères à niches posées en quinconce. C'est l'un des premiers châteaux à posséder en Alsace ces meurtrières à niche (muraille évidée derrière la fente de tir pour faciliter le maniement de l'arc et de l'arbalète).

Le donjon n'interrompt pas ce formidable mur qui possède un chemin de ronde continu et qui, comme le donjon, est complété de hourds comme en témoignent les trous de boulins. Les remparts sud, qui datent du milieu XIIIe siècle, sont partout au même niveau, ce qui facilite les déplacements sur le chemin de ronde.

Le Palas

Derrière le Bergfried (donjon) et sous sa protection s'ouvre un logis de modestes dimensions, le Palas, lieu de résidence seigneuriale. Il abrite à l’étage, sur le front oriental, une grande salle ornée d’une rangée de baies gothiques sous laquelle se trouve la salle de garde, chauffée par une cheminée murale et éclairée par d'étroites fenêtres-meurtrières à niches et banquettes. L'une d'elles est équipée d'un urinoir.

Au sud, une imposante cheminée désigne l'emplacement des anciennes cuisines ; on y découvre aussi un évier. L'espace intérieur est délimité en deux étages dominés par le chemin de ronde. Sur la face ouest, une grande cheminée conserve ses colonnettes latérales.

Le palas est réaménagé vers 1425 par l’adjonction d’une tour de flanquement, à laquelle on accède par un pont mobile depuis une rampe d’accès.

Entre le palas et le donjon, un fossé sert en même temps de citerne et se trouve enveloppé par la haute chemise. En contournant le donjon, on retrouve les demi-arches qui supportent le plancher des deux niveaux défensifs.

Coincée entre le mur est du donjon et la chemise, une petite chapelle castrale est éclairée par l’une des deux fenêtres gothiques.

La basse-cour

La basse-cour, maçonnée au XIVe siècle, est accessible par une porte gothique surmontée d’une archère cruciforme. Elle occupe le côté le plus abrupt et abrite les communs et bâtiments annexes.

Depuis la basse-cour, on accède au château lui-même par une rampe, un chemin de défilement qui longe le mur bouclier et permet au défenseur de le bombarder du haut des hourds. La porte d'accès aux logis seigneurial est protégée par un bastion édifié en 1425. Le plancher même du bastion est amovible (pont-levis) et renforce la défense du passage.

Commentaire des illustrations par Marie-Georges Brun.