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Huningue : Rhin et passerelle des Trois Pays
Avec l'aimable autorisation de l'agence Dietmar Feichtinger Architectes - Voir géolocalisation
Le Rhin immédiatement en aval de Bâle, la vue est prise en direction du sud. A droite, la rive gauche, française, sur le territoire de la commune de Huningue. A gauche, la rive droite, allemande au niveau de la commune de Weil-am-Rhein. A l’arrière-plan, après la passerelle, au niveau du bassin qui échancre la rive droite, la ville de Bâle en Suisse. C’est le coin des Trois frontières, le Dreiländereck.
Le Rhin n’a rien d’une frontière naturelle. Avant la conquête de l’Alsace par la France au XVIIe siècle, les territoires politiques sont complexes et fortement imbriqués. La genèse de la frontière à l’époque moderne a conduit à indurer cette coupure qui fait du fleuve une limite opérante. La langue, le système politique, le cadre juridique propre à chacun des trois Etats qui s’affirment peu à peu du XVIIe au XIXe siècle font que chaque territoire a connu une longue période où les dynamiques nationales ont conduit à construire des différences aujourd’hui nettement marquées. Les logiques d’organisation spatiale, de fonctionnement économique, de structuration de la société se sont opérées de manière différenciée. Si l’on excepte la période du Reichsland de 1871 à 1919, l’Alsace a ainsi pris, à l’échelle du territoire français, une fonction de région-frontière, à la fois cul-de-sac à la périphérie du territoire national et zone de front face à l’ennemi. Témoin, une citadelle Vauban, détruite en 1815 à la demande des Bâlois, sise à Huningue, au niveau de l’actuelle passerelle.
Dans la deuxième moitié du XXe siècle, la fin des tensions séculaires et la construction européenne ont amené à réévaluer la fonction de cette frontière. La circulation des personnes et des biens s’est peu à peu dégagée des contraintes et le franchissement de la frontière s’effectue depuis le début des années 1990 sans contrôle avec l’instauration successive du marché unique, de l’espace Schengen et de l’Euro, seul l’espace Schengen étant opérant avec la Suisse, depuis décembre 2008.
De région frontière, l’Alsace devient ainsi une région frontalière où la proximité du pays voisin est un atout, une ressource.
Le coût moindre du foncier et l’espace davantage disponible en Alsace constituent des opportunités pour les voisins allemands et surtout suisses, à la fois pour les stratégies résidentielles et pour l’installation d’établissements industriels consommateurs d’espace. C’est ainsi que l’activité portuaire du port de Huningue, qui est un des sites du port de Mulhouse, s’explique essentiellement par la proximité de Bâle, directement ou indirectement avec la présence en territoire français d’activités industrielles liées à la dynamique du canton suisse. La photographie en montre les fonctions de stockage et de chargement-déchargement, consommatrices d’espace.
Il y a, dans les premières années du XXI e siècle environ 30 000 Alsaciens qui travaillent en Allemagne (pour l’ensemble de la région) et 30 000 en Suisse (concentrés autour de Bâle). Les consommateurs jouent sur les différences de prix et de produits en s’approvisionnant dans deux, voire trois pays. C’est dire que les flux croisés entre les rives du Rhin sont importants, et les conditions de son franchissement difficiles : il n’existe qu’un seul pont entre Bâle et Ottmarsheim à la hauteur de Mulhouse, 30 km plus au nord, c’est le pont Palmrain, d’où est prise la photo, qui est ainsi soumis à un trafic très important.
Pour améliorer les relations entre les deux rives sans favoriser de nouveaux flux automobiles non souhaités, une passerelle, baptisée passerelle des Trois Pays, dédiée aux mobilités douces a été érigée en novembre 2006. Elle relie le centre de Huningue à la banlieue ouest de Weil-am-Rhein, à quelques dizaines de mètres de la frontière suisse. Un centre commercial s’y est développé, qui, profitant des différentiels frontaliers, attire de forts contingents de chalands français et suisses.
On observe donc à divers titres, que l’effacement administratif des frontières ne gomme pas les différentiels frontaliers. Ceux-ci constituent au contraire des éléments structurants, tantôt opportunité, tantôt contrainte, de sorte que s’amorce peu à peu une dynamique transfrontalière. Un eurodistrict, l’Eurodistrict trinational de Bâle, est chargé de coordonner et d’harmoniser les politiques d’aménagement des trois parties de l’agglomération. Son siège se situe dans un ancien poste-frontière sur le pont Palmrain, d’où est prise la photo.
Le Rhin, au cours rectifié et aux berges complètement artificielles, constitue une ouverture essentielle de la Suisse vers la mer. Il a, depuis da convention de Mannheim en 1868, un statut international à la navigation libre et sans péage du dernier pont de Bâle à la mer. Le port de Bâle (6,5 Mt de trafic en 2010, 85% en importation), débouché fluviomaritime de la suisse, est une zone stratégique pour l’avenir d’une cité-canton en manque d’espace. Sur la rive gauche, au plus proche du cœur de la ville, d’anciens bâtiments industriels sont actuellement convertis en espace de recherche de pointe par l’entreprise Novartis (on n’en voit que la cheminée à l’arrière-plan sur la droite). La zone portuaire située sur la rive droite, dont on voit bien plusieurs bâtiments, est une des rares opportunités foncière pour Bâle qui a plusieurs projets d’urbanisation dans ce secteur, ce qui nécessitera de déplacer des emprises portuaires, tout en conservant les plus indispensables comme un nouveau terminal de conteneurs en projet. Une extension des emprises portuaires est possible plus en amont, avec la difficulté de la traversée de Bâle (passage des ponts, risque dans une zone densément peuplée) ou … plus en aval.
Frontière au cœur d’un espace mû par une dynamique de coopération transfrontalière et axe structurant, le Rhin est ici un élément central de l’organisation du territoire, fonction qui existe bien moins plus au nord où les villes principales, Strasbourg y compris, sont installées en retrait du fleuve.