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Page mise à jour le 24/06/2011
L’habitat en Alsace remonte aux époques préhistoriques, plus précisément au Néolithique lorsque, vers le 6e millénaire, s’installent dans le pays les premiers agriculteurs-éleveurs. Dès cette époque, l’homme utilise un matériau et des techniques qui vont se maintenir à travers les époques et les cultures successives avec une remarquable constance jusqu’à l’époque moderne : l’ossature en bois et le remplissage de torchis.
La majeure partie de l’habitat traditionnel connu en Alsace, à colombage dans la plaine, à pierre dans les régions montagneuses, mixte dans les pays de transition (Piémont, pays de Hanau) remonte pour l’essentiel aux XVIIIe et XIXe siècles. Il est vrai que la catastrophe qu’a été la guerre de Trente Ans (1618-1648) a causé de terribles destructions, sans cependant faire totalement disparaître le patrimoine bâti. Il faut donc remonter beaucoup plus loin dans l’histoire régionale pour rechercher les origines du système de construction en bois et en limon, système à la base de la maison traditionnelle à colombage.
Étroit passage entre l'Europe du nord et du sud, frontière fluviale entre l'est et l'ouest, l'Alsace a toujours été une terre d'invasions. Les époques de construction les plus significatives correspondent donc aux plus longues périodes paisibles de son histoire, régulièrement accompagnées d'un développement économique significatif.
La maison à poteaux danubienne
Les premières traces d’habitation fixe en Alsace remontent au moment de l’installation, à partir de 5 300 avant notre ère, de la première grande civilisation sédentaire, celle des Danubiens, venant d’Europe centrale. Ces tous premiers éleveurs-agriculteurs s’installent sur les zones lœssiques et habitent de petits villages faits de quelques maisons : ce sont des maisons à cinq rangées de poteaux plantés dans le sol et formant quatre nefs intérieures. Les murs sont en clayonnage recouvert de torchis et le toit en bâtière, constitué de paille, repose sur une poutre faitière soutenue par la rangée de poteaux centraux. Ces maisons, très grandes (longueur entre 10 et 20 mètres) abritent plusieurs familles. Elles sont bordées de fosses détritiques, ayant à l’origine servi de lieux d’extraction du lœss, puis transformées en dépotoirs pour les déchets alimentaires et les céramiques inutilisables. De nombreux sites ont été découverts en Alsace, particulièrement à Reichstett, Stutzheim, Rosheim, Mulhouse-est, Bruebach. Ces maisons à poteaux du Rubané danubien sont sans aucun doute les ancêtres de toutes les constructions à colombages de l’Europe occidentale.
Gérard Bailloud explique que tous [ces établissement humains] sans exception sont constitués par cinq rangées de poteaux parallèles, dessinant le plan de constructions de 6 à 8 mètres de largeur et de longueur variable : 10 à 40 mètres en Europe occidentale, parfois davantage en Europe centrale. Les trois rangées de poteaux internes servent manifestement de support à une toiture à double pente ; les rangées externes constituent les parois de l'habitation, qui étaient en majeure partie ou en totalité constituées par des clayonnages disposés entre les pieux et enduits d'argile crue ; celle-ci était extraite sur place de deux longues fosses qui s'alignent parallèlement aux deux parois, de part et d'autre de la maison, et qui ont servi ultérieurement de lieu de travail, de fosses à ordures ou à tout autre usage (Gérard Bailloud, La protohistoire de l'Europe, PUF, Nouvelle Clio, 1985).
Le vicus et la maison celtique
Une nouvelle étape est franchie avec l’arrivée dans la région de nouveaux envahisseurs, les Proto-celtes, puis les Celtes, eux-aussi agriculteurs sédentaires, qui s’installent en nombre dans la région à partir de 1 500 avant J.-C.
L'habitat se compose surtout de petits villages agricoles dispersés, les vici, établis sur les collines lœssiques et composés de maisons mono-familiales et de bâtiments à usage spécifiquement agricole ou artisanal. La maison est elle aussi à poteaux, ronde à l’origine puis rectangulaire, avec murs en torchis et toits de chaume, et elle comporte souvent un grenier. Le village ainsi formé est souvent entouré d’une palissade, et sur les hauteurs se trouvent des villages fortifiés qui sont aussi bien des centres agricoles, artisanaux, commerciaux et militaires. Ces villages et oppida celtiques sont déjà le résultat d'une longue histoire, et constituent pour ainsi dire le substrat de la géographie villageoise et urbaine alsacienne : les Romains ne feront la plupart du temps qu’occuper et transformer des vici et oppida occupée par les Celtes qu’ils ont soumis.
Ainsi apparaissent déjà quelques caractéristiques de l’habitat alsacien encore observables aujourd’hui : maison isolée, rectangulaire , à pans de bois et argile pour la plaine, de pierre ou de bois pour la montagne, toit pentu…
L’apport romain
L’apport romain se fait essentiellement sur deux plans : un extraordinaire développement des constructions en pierre, surtout monumentales, dans les villes (Argentorate), et l'institution des villae, grandes exploitations à l'écart des vici traditionnels, sur le principe de la centuriation : division parcellaire des terres, quadrillage du pays par un réseau de voies de communications, de relais, poste d’observation, introduction de nouvelles cultures (vigne, chanvre)...
La villa romaine ne se substitue pas à l’habitat celtique traditionnel, mais apporte des éléments nouveaux : distribution des bâtiments autour d'une cour intérieure, présence à l’intérieur de l’habitation d’une pièce servant de salle commune, de réunion et de travail, introduction progressive de la tuile...
Le Moyen Âge
C’est au bas Moyen Âge, avec le retour d’une nouvelle prospérité socioéconomique (XIII-XVe), que se mettent en place progressivement, à partir des traditions antiques, les techniques de constructions qui vont s’imposer dans l’habitat traditionnel jusqu’à la fin du XIXe siècle. Ces techniques sont au nombre de trois :
Traditionnellement on pensait que ces techniques se succédaient dans le temps et que la maison à bois courts était moderne, alors que la maison à poteau était archaïque. Les récentes recherches montrent qu’une classification de type chronologique n’a que peu de sens, même si la technique des poteaux est progressivement abandonnée dans les maisons d’habitation à partir du XVIIe siècle.
En ce qui concerne la distribution de l’habitat, on assiste à une structuration centre-périphérie, révélatrice du statut des différentes catégories paysannes, les plus riches se trouvant au centre du village.
Des constructions elles-mêmes, l’iconographie fournit quelques indices, mais les gravures anciennes n'ont pas pour but de reproduire les détails avec réalisme. Les quelques maisons encore debout s’étalent du XVe au XVIIe et présentent des caractéristiques communes : poutrage rudimentaire, importance du poutrage horizontal, pièces de bois massives, absence de préoccupation esthétique et de symétrie, parcimonie du bois, panneaux de remplissage plus larges que hauts. Les fenêtres sont petites et carrées, souvent sans allège. Le toit à bâtière est à deux versants et sans abattant. Il existe rarement une cave, mais une assise de moellons plats sur laquelle est disposée une sablière basse. Ce sont donc des maisons de petite taille, très basses, massives plus larges que hautes.
Par ailleurs, à la fin du Moyen Âge, la distinction entre la ville et la campagne est de plus en plus marquée : la ville (grande ou petite), entourée de remparts, devient désormais pôle économique, commercial, financier, artisanal, culturel, avec toutes les transformations sociales et culturelle que cela implique, l’émergence d’une bourgeoisie riche n’en étant pas la moindre. Aussi l’habitat urbain se traduit par l'abondance des signes extérieurs de richesse. L'importance sociale est rendue sensible non seulement par la taille de la maison et par sa position dans le village, mais aussi par la luxuriance de son ornementation. Francis Rapp souligne que dans les bourgades et les villages qui s'égrènent le long du vignoble à chaque tournant de rue, nous découvrons des oriels, des loggias, des fenêtres aux meneaux moulurés, des portes ornées de rinceaux et de conques. L'architecture alsacienne au XVIè siècle était avant tout au service des bourgeois et, plus généralement des notables.
Les XVII et XVIIIe siècles
Après la destructrice Guerre de Trente Ans, l’Alsace désormais française se repeuple et se reconstruit, avec de nombreux apports étrangers, notamment suisses. La fin du XVIIe et le XVIIIe constituent l’âge d’or de la maison alsacienne : on reprend les techniques de construction anciennes en les enrichissant d’apports nouveaux, parmi lesquels les éléments à valeur symbolique ne sont pas les moindres.
La maison se fait plus spacieuse, mieux agencée, plus belle. La méthode de construction qui s’impose est celle des bois courts offrant l’avantage d’une plus grande rigidité grâce aux assemblages indécrochables et permettant d’édifier la maison sur plusieurs niveaux, avec ou sans encorbellement.
La disposition du poutrage allie à la solidité le souci d'esthétique, de symétrie, d'élégance. Les lignes verticales l'emportent sur les horizontales, donnant aux habitations siècle des allures élancées, renforcées par les fenêtres désormais plus hautes que larges. En Kochersberg et pays de Hanau, la figure du Mànn central ou d'angle se répand largement, de même que les portails monumentaux en pierre de taille. Les garde-corps des balcons s'ornent de balustrades impressionnantes constituées de balustres tournés (Kochersberg) ou sculptés (Pays de Hanau). Outre les décors à signification symbolique intégrés au poutrage (Mànn, losanges, losanges barrés, croix de saint-André) et répartis de façon harmonieuse, des inscriptions plus longues et plus ornementales sont gravées sur le poteau cornier ou la sablière d'étage (Outre Forêt et Sundgau). Dans les villes et le vignoble les demeures sont d’une richesse décorative souvent exceptionnelle.
La grande majorité des belles demeures à colombage en Alsace datent du XVIIIe siècle, et les techniques de construction se prolongent fort avant dans le XIXe siècle, jusqu’après l’annexion allemande de 1870. Peu à peu, la brique va remplacer le colombage, et le crépi recouvrir le bois.
Commentaire des illustrations par Marie-Georges Brun.