Retour à Le XIXe siècle
Page mise à jour le 09/11/2017
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Le processus d’industrialisation s’amorce en Alsace au milieu du XVIIIe siècle dans deux secteurs. Tout d’abord, dans le travail du fer et la forge avec la réussite de Jean de Dietrich (1719-1795) qui devient, en l’espace de quelques décennies, le plus grand maître de forges d’Alsace. En 1789, l’ensemble des établissements de Dietrich, concentrés dans le secteur de Reichshoffen, occupe 1 500 ouvriers et fournit plus de la moitié du fer fondu, forgé ou laminé en Alsace. Il s’agit alors de l'une des plus grandes entreprises métallurgiques du Royaume.
Le véritable décollage industriel se produit à Mulhouse. Il a pour point de départ, en 1746, l’initiative inattendue de trois jeunes mulhousiens de fonder une manufacture d’impression sur tissu, c’est-à-dire un indiennage. Cette initiative fait boule de neige, au point que la ville abrite en 1789 vingt-six fabricants de coton dont deux dizaines d’imprimeurs qui emploient ensemble 4 000 personnes.
Très vite, le mouvement d’industrialisation se diffuse dans les environs de Mulhouse, dans les vallées vosgiennes et la plaine de Haute-Alsace. Des manufacturiers mulhousiens s’installent à Sainte-Marie-aux-Mines, qui devient un centre important du tissage du coton et de fabrique de siamoises et se lance dans le filage du coton à domicile dans une grande partie du massif vosgien. Le mouvement atteint Munster avec les Hartmann, et Colmar avec les Haussmann.
Au XIXe siècle, surtout entre 1816 et 1837, l’essor du textile s’accélère et fait entrer l’Alsace dans l’aventure industrielle. La première installation à combiner l’utilisation des machines et une division poussée du travail est, en 1803, la filature de coton de Wesserling. Son expansion est telle que, dès 1840, la filature alsacienne dispute à la Haute-Normandie la première place sur le marché national. La rapidité de la progression s’explique : l’indiennerie suscite en effet le développement du cycle complet de la transformation du coton allant de la filature et du tissage aux activités de finissage (blanchiment, teinture et apprêts). Les produits alsaciens s’imposent par ailleurs sur les marchés français au détriment des concurrents.
Le textile suscite partiellement la naissance d’une deuxième vague d’industries : les industries d’équipement. Les entrepreneurs alsaciens qui, au départ, se contentent de monter les machines textiles en faisant venir les pièces de Paris, finissent par les fabriquer eux-mêmes, c’est le cas de Nicolas Koechlin à Mulhouse et surtout de Nicolas Schlumberger à Guebwiller. Autre innovation porteuse, le chemin de fer. L’équipement précoce de l’Alsace en voies ferrées (la ligne Mulhouse–Thann est inaugurée dès 1839) offre aux industries d’équipement un véritable banc d’essai. Stehelin et André Koechlin dans le Haut-Rhin, de Dietrich et les Ateliers de Construction de Graffenstaden dans le Bas-Rhin se dotent d’ateliers de constructions mécaniques spécialisés dans la production de matériel ferroviaire, en particulier de locomotives (Koechlin et Graffenstaden réalisent en 1870 un tiers de la production de locomotives en France).
Le textile génère aussi une industrie chimique destinée, au départ, à fabriquer des colorants. Pendant une soixantaine d’années, Mulhouse et Thann deviennent deux capitales de la chimie rhénane grâce à la dynastie des Kestner.
À cette époque, l'Alsace doit en grande partie sa réussite industrielle en matière d’industrie à un patronat innovateur. En effet, celui-ci a su procurer à la plupart des branches d’industries une avance technique sur leurs concurrentes, dans la mesure où de nombreux industriels possèdent eux-mêmes une solide culture scientifique (la moitié d’entre eux a effectué un voyage de formation à Paris ou/et en Angleterre). Le patronat alsacien, constitué à 80% de protestants et de juifs, possède une mentalité et une culture spécifiques. Son adhésion au libéralisme et à l’idée de progrès n’exclut pas le maintien d’une foi religieuse. Il se distingue par l’ardeur au travail, l’austérité du train de vie et un souci philanthropique affirmé. La plupart des familles constituent de véritables pépinières d’entrepreneurs industriels sur plusieurs générations successives ; elles font preuve d’une grande solidarité à travers la multiplicité et la solidité des liens familiaux. À partir de 1820-1830, certains industriels multiplient les initiatives sociales dont les plus spectaculaires sont l’édification de cités ouvrières. Cette réussite industrielle concerne toutefois davantage le Haut-Rhin que le Bas-Rhin, où la grande entreprise demeure très ponctuelle et la petite entreprise très majoritaire.
L’annexion de la province par l’Empire allemand en 1871 entraîne de profondes mutations économiques. Elle coupe l’Alsace de son marché français et l’oblige à s’adapter à un marché allemand très différent. Pendant plusieurs décennies, la classe industrielle continue à perdre sa substance du fait de l’émigration de ses fils. Quant aux Alsaciens restés sur place, ils adoptent fréquemment une attitude réservée en refusant des concours financiers allemands ou créent des succursales en France. Certains secteurs déclinent, comme l’industrie du drap de Bischwiller, ou stagnent, comme le textile. D’autres, enfin, se concentrent (naissance de la SACM –Société Alsacienne de Constructions Mécaniques– en 1872, qui devient un géant européen pour les locomotives) ou se diversifient à l’exemple des industries d’équipement. L’urbanisation et l’élévation du niveau de vie favorisent les industries alimentaires comme celle de la bière. La production d’électricité prend un essor précoce comme source de lumière et comme force motrice pour les usines et les tramways mais les équipements sont réalisés par des constructeurs allemands ou suisses. En fin de siècle, l’Alsace s’ouvre aux nouvelles industries : l’automobile, l’extraction du pétrole qui connaît une véritable fièvre autour de Péchelbronn, et, à partir de 1904, celle de la potasse à Wittelsheim. Mais la production d’automobiles avec Bugatti et Mathis, l’exploitation de la potasse et la production d’électricité (construction du barrage de Kembs) connaissent leur envol surtout dans les années 1920.
Commentaire des illustrations par Jean Klein.