Retour à Les Temps modernes
Page mise à jour le 24/06/2011
La Réforme accroît la diversité religieuse de l’Alsace puisqu’aux catholiques romains et aux juifs s’additionnent désormais des protestants, luthériens en grande majorité, mais aussi réformés et anabaptistes. Avec l’installation du Royaume de France dans la province, on assiste à un retour en force du catholicisme, l’Alsace entrant alors dans le champ de la Contre-Réforme catholique. La monarchie entreprend de restaurer matériellement les positions de l’Église par la reconstitution du temporel des abbayes et des cures. La cathédrale de Strasbourg est restituée au culte catholique. Une politique restrictive est appliquée à l’égard des protestants : le simultaneum prescrit le partage des églises en deux parties, le chœur passant aux catholiques dès qu’ils sont au nombre de sept familles, la nef demeurant aux protestants.
L’alternative ordonne que chaque charge soit remplie alternativement par un protestant et par un catholique. Un effort considérable de conversions est entrepris par les capucins et les jésuites, qui prennent le contrôle de l’enseignement (cinq collèges royaux, transfert de l’Université catholique de Molsheim à Strasbourg). Les protestants se retrouvent sur la défensive mais, fortifiés par la présence de l’ennemi, repliés sur leurs traditions, animés par des dynasties de pasteurs exemplaires, ils résistent en prenant appui sur un réseau d’écoles et de gymnases, sur l’Université luthérienne de Strasbourg et sur certains seigneurs protestants comme les comtes de Nassau–Sarrewerden, de Hanau-Lichtenberg et des Deux-Ponts. Il est vrai que l’Alsace demeure à l’écart de l’acte de révocation de l’Édit de Nantes, puisque son statut confessionnel est régi par le traité de Westphalie.
Quant au nombre et à la qualité des constructions de nature religieuse, ils sont en étroit rapport non seulement avec le poids démographique de chaque confession mais aussi avec sa richesse et plus encore son statut et ses conceptions spirituelles. La richesse et la puissance de l’Église romaine, soutenue par le bras séculier, rendent compte du nombre, de l’ampleur et la beauté des églises, des abbayes, mais aussi des maisons canoniales ou curiales, des presbytères qui sont parfois de véritables petits châteaux ruraux. Le nombre de mises en chantier s’accroît régulièrement entre 1725 et 1770. Les styles adoptés sont multiples. Traversant tout le siècle, la tentation du baroque est forte (Ebersmunster, Altorf), comme le sont les réminiscences médiévales (abbatiale d’Andlau).
D’autres tendances coexistent : les églises proches de l’art militaire, comme Saint-Louis de Neuf-Brisach, et celles conformes au goût Régence. L’influence du néo-classicisme transparaît en fin de siècle avec la construction de Notre-Dame de Guebwiller et de Saint-Étienne à Rosheim. Mais l’église–type édifiée au XVIIIe siècle en Alsace comprend une façade dotée d’un porche et surmontée du clocher, une nef unique ayant l’aspect d’une salle rectangulaire percée de grande fenêtres et un chœur en retrait polygonal ou en hémicycle, le tout sans grande valeur artistique. C’est ce qu’on appelle le style grange. Les monuments protestants sont moins nombreux et moins démonstratifs.
À partir de la Réforme, les protestants se contentent le plus souvent d’investir des églises catholiques et d’y imposer des transformations conformes à leurs conceptions spirituelles, comme la suppression du culte des images pieuses, des statues de saints et de saintes. Toutefois, le culte luthérien, moins sévère que le culte calviniste, conserve parfois le décorum des anciennes églises catholiques. On les adapte par ailleurs au nouveau culte par la réorganisation de l’espace intérieur. Le chœur est délaissé au profit de la nef, utilisée dans le sens transversal et dans laquelle des tribunes sont disposées autour de la chaire et de l’autel. Le besoin de nouvelles constructions ne se fait sentir qu’avec l’essor démographique du XVIIIe siècle. Parmi les édifices cultuels nouveaux, quelques-uns adoptent le plan plus fonctionnel du quadrilatère oblong sans abside : la chaire et l’autel s’élèvent contre le petit côté face à l’entrée, les tribunes garnissant les trois autres murs de la salle. C’est le parti utilisé par Joachim-Friedrich Stengel, directeur des bâtiments du prince de Nassau-Sarrebruck, dans les églises et le temple qu’il construit en Alsace bossue, entre 1750 et 1769.
De 1815 à 1870, l’essor économique et l’accroissement démographique suscitent une remarquable vague de constructions d’églises : plusieurs dizaines du côté protestant et près de 300 du côté catholique, soit un effort gigantesque dont plus de la moitié est financée par les dons des fidèles. Au plan artistique, l’évolution est analogue aux constructions civiles : style monumental du néo-classique jusque vers 1840, puis néogothique romantique. Les deux plus belles réalisations sont les deux Saint-Étienne, catholique et protestante, de Mulhouse. Les relations confessionnelles demeurent souvent conflictuelles à cause du simultaneum qui entretient surtout à partir des années 1840 querelles et agitation. Les tensions sont aussi nourries par le problème des mariages mixtes, du prosélytisme et des processions.
Après la Grande peste, dont les juifs sont rendus responsables, la plupart des villes d’Alsace leur interdisent la résidence dans leurs murs. Le judaïsme alsacien devient donc un judaïsme rural. Les juifs, formant des communautés de faible importance, n’ont pas le droit de construire d’édifices cultuels et la synagogue n’est donc en général qu’une pièce assez vaste dans une maison particulière. Lorsqu’elles existent, leur architecture se cantonne dans une semi-clandestinité prudente en évacuant délibérément tous signes distinctifs. Ainsi certaines d’entre elles adoptent une structure à pan de bois calquée sur l’architecture vernaculaire.
La Révolution française, en conférant aux juifs la citoyenneté française, amorce une évolution. Ils peuvent à nouveau s’installer dans les villes. Les nouvelles communautés urbaines profitent de leurs droits pour édifier en premier lieu des synagogues, qui vont progressivement devenir plus voyantes pour tenir leur rang à côté des églises et des temples. Orientées vers Jérusalem comme les églises chrétiennes, les synagogues s’en différencient toutefois par l’absence de clocher et de chevet. La présence de l’aron se devine extérieurement à l’oculus central qui le surmonte invariablement. Tout à la fois lieu de prière, de réunion et d’enseignement, l’espace synagogal se résume à un plan élémentaire proche du carré. Pour le reste, le style des synagogues ne déroge pas aux formes d’expression de l’époque.
Commentaire des illustrations par Jean Klein.