Retour à Les Temps modernes
Page mise à jour le 09/11/2017
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Grâce au retour de la paix, à la disparition des grandes épidémies, au recul des disettes, la population alsacienne fait plus que doubler entre 1697 et 1789. La population rurale, qui regroupe 80% des Alsaciens, suit le même mouvement. Le monde des campagnes apparaît donc comme un monde plein. À partir de 1740, en effet, une nette tendance à la surpopulation se fait jour, ce qui entraîne un morcellement accru des parcelles, une diminution de la superficie moyenne des propriétés, la multiplication des manouvriers et des petits métiers et le début d’une émigration vers l’Europe centrale.
Après un temps d’arrêt dû à la Révolution, la croissance reprend de plus belle dans la première moitié du XIXe siècle, favorisée par une meilleure alimentation et les premiers progrès médicaux. Même si elle enregistre un recul relatif (63% de ruraux en 1851), la population rurale continue de progresser en valeur absolue au point que de nombreux villages atteignent leur maximum historique de peuplement entre 1836 et 1846.
L’Alsace semble plus que jamais confrontée au surpeuplement rural et aux maux qui l’accompagnent : exiguïté des exploitations, rareté de la terre, médiocrité du revenu agricole, émigration vers les villes de la région et l’étranger. C’est dans ce contexte humain que s’inscrit l’évolution de la maison rurale. Les reconstructions consécutives aux désastres du XVIIe siècle ainsi que la forte pression démographique qui suit expliquent effectivement la multiplication des constructions entre 1680 et 1850.
On a tellement tendance à confondre la maison traditionnelle d’Alsace avec la maison à colombage ou à pan de bois qu’on imagine qu’elle constitue en Alsace le type de maison unique et universel. C’est une erreur. Ainsi, dans l’habitat de montagne et en Alsace bossue, de traditions lorraines, c’est la pierre qui l’emporte très largement. Partout ailleurs, il est vrai, le bois est le matériau dominant, mais pas de manière exclusive. On le retrouve dans la charpente, les planchers, les escaliers, mais aussi l’ossature des murs externes et internes.
La technique du pan de bois, qui n’a cessé de s’améliorer depuis le XVIe siècle avec l’utilisation des bois courts, offre l’avantage d’une plus grande rigidité et permet de faire grimper la maison en hauteur sur deux, trois, voire quatre niveaux. Plus spacieuse, la maison se révèle mieux agencée et plus belle. Et l’on peut affirmer, sans être démentis, que la grande majorité des belles demeures à colombage en Alsace datent du XVIIIe siècle, qui apparaît comme l’âge d’or de la maison traditionnelle à pan de bois.
Plus encore que dans le matériau de base, l’unité de l’habitat alsacien réside surtout dans le mode de vie qu’il véhicule. Se définissant comme essentiellement germanique, il se traduit par l’organisation de l’habitat suivant le schéma : cuisine-sas d’entrée, grande Stub, à la fois salle de séjour, salle de réception et salle à manger, chambre à coucher avec alcôve, petite Stub. La disposition du bâtiment joue également : il présente presque toujours son côté le moins large, le pignon, sur la rue, l’entrée le plus souvent sur le long pan, avec ou sans escalier selon la déclivité. Une cave est généralement bâtie côté rue et uniquement sous la salle de séjour, jamais sous la maison entière.
Le porche qui donne accès à la cour comprend deux portes : une porte cochère ou charretière et un portillon ou porte piétonne. Le porche est monumental dans le Kochersberg, en pays de Hanau et dans la plaine agricole, mais inconnu en Outre-Forêt, dans le Ried et le Sundgau. Enfin, le toit est à pente très forte à cause du climat et de la fragilité des matériaux de couverture (tuile plate à queue de castor et tuile plate à extrémité pointue pour le Sundgau).
L’articulation du bloc habitat avec les autres éléments constituant la ferme introduit lui aussi de la diversité. Dès le Moyen Âge, en effet, coexistent deux types de fermes : la maison-bloc regroupant toutes les fonctions sous un même toit et la ferme dissociée attribuant un bâtiment autonome à chaque fonction. L’habitat alsacien est un habitat groupé, sauf en montagne.
Le village se présente en général sous deux formes : le village–rue et le village–tas, celui-ci en constituant la forme primitive. Autour du village, l’ensemble des terres et des forêts forme le terroir, délimité par des bornes et jalonné de croix, de calvaires, ou de bancs reposoirs. Autre particularité fondamentale, les maisons sont toujours indépendantes les unes des autres et ne partagent jamais de mur mitoyen, comme cela est le cas en Lorraine. Chacune d'entre elles est une entité particulière, mais qui s’agence harmonieusement à l’ensemble du village.
La diversité des maisons rurales alsaciennes est liée à des facteurs très divers, comme le type d’économie locale, la situation géographique, le type d’exploitation (pastorale ou agricole) mais aussi le droit qui régit le sol.
Esquissons, pour terminer, une espèce de typologie forcément schématique et réductrice. Dans la Plaine agricole, le Kochersberg, l’Outre-Forêt, le colombage règne en maître, du rez-de-chaussée au toit. La ferme est disposée en U autour de la grande cour intérieure, close par un portail simple ou monumental à deux entrées.
Dans le vignoble et le pays de Hanau domine la maison mixte : cave et rez-de-chaussée sont en pierre de taille, et l’étage est à colombage. Cela répond à l’impérieuse nécessité de la cave à vin et du pressoir.
En montagne vosgienne et en Alsace Bossue, la maison est entièrement en pierre et l’ensemble de ses parties (habitation et ferme) se trouve sous un toit unique. Dans le Sundgau, la maison est la plupart du temps monobloc, s’étirant en longueur, et le colombage est plus archaïque.
Commentaire des illustrations par Jean Klein.