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Le pouvoir royal et l’architecture

Strasbourg : palais des Rohan -  vue de la cathédrale

Strasbourg : palais des Rohan - vue de la cathédrale
Photo Rama - Voir géolocalisation - Voir base Mérimée

La longueur des travaux (le chantier court de 1731 à 1742) comme l’ampleur des moyens humains et matériels mobilisés sont à la mesure des ambitions du cardinal.

Les travaux sont dirigés sur place par l’architecte Joseph Massol (qui prend en charge le projet à la mort de Robert de Cotte en 1735), assisté de l’appareilleur de pierre Joseph Gallay d’origine suisse. Le prince fait appel à des artistes connus comme Robert le Lorrain, sculpteur du Roi et artiste attitré de la maison de Soubise, les sculpteurs Laurent Leprince et Jean-Auguste Nahl, berlinois d’origine mais formés à Paris et à Rome. Sculpteurs, ébénistes et peintres ne manquent pas d’introduire les derniers préceptes en vogue à Paris.

On construit au bord de l’Ill un embarcadère en bois qui permet l’abordage et le déchargement des bateaux transportant les matériaux de construction. Les pierres de taille, en grès essentiellement, sont convoyées depuis Wasselonne et depuis Soultz-sous-Forêts par la Bruche et son canal. Les énormes quantités de bois nécessaires aux fondations, à la charpente et à la menuiserie proviennent des forêts épiscopales, les ardoises et le plomb, indispensable pour les canalisations et à la finition des toitures, d’Allemagne.

Le cardinal ne se lance dans l’entreprise qu’après avoir obtenu par lettres-patentes du roi l’autorisation d’emprunter au grand chapitre 200 000 livres et de lever sur les habitants de l’évêché un impôt de 144 000 livres sur douze ans. Mais, à l’arrivée, le coût de l’ouvrage s’est envolé, au point d’atteindre probablement le million de livres. Le nom donné au bâtiment durant quelques temps, Le Louvre, est tout un symbole.

La vue nous permet d’apprécier le résultat final : il s’agit bien d’un hôtel particulier entre cour et jardin (la terrasse donnant sur l’Ill en tient lieu), mais agrandi aux dimensions d’un palais d’apparence monarchique. Il bénéficie, de plus, d’une situation exceptionnelle puisqu’il jouxte en effet au sud-est les eaux nonchalantes de l’Ill et au nord-est la célèbre cathédrale.

Le palais s’articule autour d’un corps de logis central qui abrite les appartements princiers. À noter que le manque de place a contraint de Cotte à en désaxer les deux façades. De part et d’autre du corps central, encadré de deux ailes en retour d’équerre, sont disposés les communs. Ils abritent les écuries et les remises à carrosse à droite, les garde-meubles et la lingerie à gauche et donnent sur de petites cours. La vaste cour d’honneur est précédée d’un portail en hémicycle encadré de deux pavillons ; celui de gauche abrite les cuisines, son homologue de droite, les bureaux de la justice épiscopale, l’officialité.

En déployant magnificence et majesté, le prince-évêque cherche visiblement à impressionner et à séduire les élites aristocratiques de la province pour les rallier à la monarchie catholique. Il entend traduire dans la pierre la vocation à la fois ecclésiastique et politique de la fonction de prince-évêque, signifier la puissance du royaume de France et le rayonnement artistique français, marquer avec éclat le retour du culte catholique dans une ville où il a été réduit à la clandestinité depuis cent-cinquante ans. Le cardinal fait ici subtilement œuvre de propagandiste. D’ailleurs avant même d’être achevé, le palais sert de modèle aux architectes et maîtres-maçons locaux pour la construction ou la remise au goût du jour des hôtels aristocratiques et des demeures bourgeoises de la ville, surtout en matière de décoration intérieure et extérieure. Il est à l’origine de ce que l'on appelle le courant rococo strasbourgeois.

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