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Page mise à jour le 06/09/2011
Au XVIIIe siècle Strasbourg, devenue ville libre royale, connaît un second âge d’or. Si l’annexion de 1681 fait perdre son indépendance à la cité, elle lui confère une nouvelle importance dans le cadre du royaume de France. En tant que siège de l’intendance, elle prend rang de capitale administrative de la nouvelle province d’Alsace, désormais unifiée. Point stratégique contrôlant un passage sur le Rhin, elle devient une forteresse dotée d’une importante garnison. Elle récupère aussi le siège archi-épiscopal, longtemps exilé à Saverne. Dans le sillage de l’annexion s’installent les autorités royales –qu’elles soient civiles ou militaires– et épiscopales, entourées les unes et les autres d’une importante clientèle de domestiques et d’artisans. En outre le roi, selon un processus comparable à Versailles, fait de Strasbourg un pôle d’attraction pour la noblesse alsacienne et les princes allemands possessionnés en Alsace, avec le concours actif des princes–évêques de Rohan.
L’installation à demeure d’un corps d’officiers supérieurs, de tout un peuple d’officiers royaux, princiers ou épiscopaux appartenant souvent à une noblesse titrée contribue, pour une bonne part, à rendre à la ville une prospérité qu’elle doit également à un siècle de paix continue. Le commerce, assis sur la fonction d’entrepôt et de transit de la place, connaît un développement intense ainsi que l’artisanat d’art (faïenciers, ébénistes, ferronniers, orfèvres). L’essor de la construction, publique et privée, est sans précédent. Plus de 40% des 3 600 maisons de la ville sont remaniées ou reconstruites au cours du siècle. Les princes, seigneurs, abbés et chanoines désirant tous avoir un pied à terre dans la cité, Strasbourg se couvre, surtout entre 1730 et 1760, de palais, d’hôtels aristocratiques dans un goût Régence. Après 1760, le relais est pris par les constructions bourgeoises en style Louis XV strasbourgeois. Cette fièvre de constructions se traduit aussi par l’édification de nombreuses casernes et autres établissements militaires. À l’inverse, les réalisations municipales se révèlent limitées.
Entre 1681 et 1789, la population de la cité fait plus que doubler, passant de 22 000 à près de 50 000 habitants. Cet accroissement est dû uniquement à une forte immigration en provenance des campagnes alsaciennes et des régions françaises et étrangères, en particulier l’Allemagne rhénane et la Suisse. Il entraîne une augmentation des densités, qui n’est pas sans poser de redoutables problèmes de logement dans un espace urbain qui, corseté dans ses murailles, est privé de ce fait de possibilités d’extension. L’espace bâti y étant rare et cher, l’on utilise la moindre parcelle ou l’on construit en hauteur. Les gens peu aisés ou pauvres subissent une véritable crise du logement. Un habitat serré et sans air, souvent en bois, l’existence de canaux aux eaux fétides favorisent tant les incendies que les épidémies. L’exiguïté des rues comme la multiplicité des étranglements et l’étroitesse des ponts gênent considérablement la circulation en général et le déplacement des troupes en particulier.
Aussi l’idée d’un remodelage du tissu urbain finit-elle par s’imposer peu à peu, d’autant plus que le concept même d’urbanisme est à la mode et que les militaires, formant un véritable groupe de pression, y sont favorables. Le plan d’urbanisme, élaboré par Jacques -François Blondel en 1765, vise à moderniser et à embellir Strasbourg par le percement d’un grand axe nord-ouest/sud-est, la création de nouvelles casernes et de places dont une place royale destinée à accueillir une statue en pied du roi. À travers cette place, le pouvoir central entend imposer à une ville éminemment germanique un nouveau cadre urbain de type français. L’on sait comment et pourquoi le projet finit par avorter, privant Strasbourg des perspectives qui caractérisent des villes comme Bordeaux, Nancy ou Nantes. Les beautés architecturales du XVIIIe siècle de la cité vont désormais demeurer discrètement nichées dans un tissu urbain hérité du Moyen Âge. Les promenades constituent le seul apport vraiment positif à l’urbanisme de Strasbourg. Il est vrai, aux dires de Goethe, que l’entassement de la population est tel que les habitants, devenus des amateurs passionnés de promenade à pied, fréquentent assidûment les espaces verts créés au XVIIIe et au début du XIXe siècle surtout à l’extérieur des murailles.
Le XIXe siècle, jusqu’en 1870, n’apporte que peu de modifications à la situation. La bonne tenue de Strasbourg aux sièges de 1814-1815 prouve la valeur du système de défense qui est maintenu, ce qui interdit toute extension du périmètre urbain. Les autorités municipales, désormais dominées par la bourgeoisie libérale, limitent leurs interventions à des secteurs spécifiques utilitaires en liaison avec la création d’un nouvel espace économique. La décadence du port et de la navigation traditionnelle semble en effet irrémédiable, alors que le chemin de fer apparaît comme la solution d’avenir. Les efforts portent sur l’équipement (nouveau théâtre, halle aux blés, nouveaux abattoirs, école militaire de Santé, etc.) et sur la circulation : aménagement des quais de l’Ill, rénovation des ponts et construction d’une gare inaugurée en 1852 avec l’ouverture de la ligne Paris-Strasbourg. Cette dernière sert de point d’ancrage à la création de nouveaux quartiers à l’ouest de la ville. Ils ne permettent toutefois pas de résoudre le problème récurrent de la surpopulation : la ville, qui a continué de se développer essentiellement grâce à l’immigration, atteint 85 000 habitants en 1870. À la veille de la guerre franco-allemande, l’urbanisme à Strasbourg est dans une impasse impossible à surmonter, tant que la cité demeure un espace clos de murailles.
Commentaire des illustrations par Jean Klein.