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Saverne : élévation du kiosque chinois
Nicolas Alexandre Salins de Montfort, encre et lavis aquarellé sur papier. Strasbourg, Cabinet des Estampes - Voir géolocalisation
Le dernier prince-évèque de Strasbourg, Louis René Edouard de Rohan-Guéménée (1734-1803), fait appel à un jeune architecte strasbourgeois, Nicolas Alexandre Salins dit de Montfort (1753-1839), pour reconstruire la résidence épiscopale de Saverne gravement endommagée lors d’un incendie en 1779. Les travaux se déroulent de 1779 à 1790 mais sont perturbés par l’affaire du Collier et l’embastillement du prince cardinal (1785), par sa suspension puis par les évènements révolutionnaires et la nationalisation des biens du clergé.
Au XVIIIe siècle, les Européens manifestent un grand intérêt pour les arts d’Extrême-Orient, dont les signes sont la constitution de collections de porcelaines chinoises et l’aménagement de jardins anglo-chinois. La riche collection d’objets extrême-orientaux du prince Louis René de Rohan et sa commande d’une fabrique en forme de kiosque chinois s’inscrivent dans ce contexte.
À la moitié environ du long canal de quatre kilomètres alimenté par la Zorn (voir, plus haut, le plan de 1725) se trouvait un grand bassin circulaire de 260 mètres de diamètre appelé la Rondelle ou Le Grand Rond. Une île artificielle de 75 mètres de diamètre est créé au centre de la Rondelle pour accueillir le kiosque chinois dessiné par Nicolas Alexandre Salins et édifié entre 1783 et 1786. Le kiosque est l’aboutissement visuel de la perspective créé par le canal. Cette ruineuse bagatelle est détruite en 1794 en vue d’en réutiliser le plomb, le fer et le cuivre.
Le Cabinet des Estampes de Strasbourg conserve une élévation du kiosque dessinée par l’architecte. Le conservateur Étienne Martin le décrit ainsi : de plan ovale, il comportait un rez-de-jardin et trois étages allant en rétrécissant, le dernier formant une terrasse-belvédère. L’édifice était essentiellement mis en œuvre en bois et en métal. Un portique en forme de péristyle à trente-deux colonnes, couvert d’une terrasse habillée de cuivre, régnait sur tout le pourtour du jardin. Le même dispositif se répétait au premier étage avec un péristyle de vingt colonnes également couvert en terrasse mais précédé d’un petit toit retroussé à la chinoise en fer blanc peint. Ces deux niveaux de colonnades absorbaient visuellement les quatre petites ailes disposées symétriquement autour du noyau central du pavillon, constitué par le grand salon ovale à pans coupés. Ces ailes abritaient douze cabinets répartis sur trois niveaux (...). Un large parasol en coutil couronnait la construction au niveau du troisième étage. (...) Enfin, une girouette en drapeau surmonté du motif héraldique des Rohan culminait à 27 mètres de haut (Étienne Martin, Le goût chinois du cardinal Louis de Rohan, catalogue d’exposition, Wasselonne, 2008).
Le programme de décoration du kiosque est connu grâce à un document anonyme de sept pages conservé aux Archives Départementales du Bas-Rhin. La décoration et la polychromie extérieures du kiosque étaient d’inspiration chinoise : des colonnes rouges et bleues parsemées de caractères chinois peints en or et ombrés, des représentations de plantes et fleurs chinoises, des dauphins et des dragons, des clochettes dorées suspendues aux solives, etc... À l’inverse, la décoration intérieure du kiosque suit un style néo-classique. Le prince pouvait impressionner ses illustres hôtes en les emmenant en barque jusqu’au kiosque. Des kiosques chinois sont également construits au XVIIIe siècle dans les jardins de Lunéville, à Chantilly, à Potsdam, à Chanteloup ou à Kew.