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Page mise à jour le 24/06/2011
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Région vallonnée du sud de l’Alsace, le Sundgau est un véritable conservatoire des types et des techniques de la maison rurale. C’est en effet la seule région d’Alsace où existent encore de nombreuses maisons antérieures au XVIIIe siècle, et où l'habitat rural médiéval postérieur à 1450 est abondant (Rixheim, maison de 1472). Ainsi, le village de Lutter a été en grande partie construit entre 1540 et 1600, et ceux de Wolfersdorf et de Ballersdorf possèdent des maisons construites dans les années 1550.
Par rapport aux maisons des riches terres de la plaine, la maison sundgauvienne est archaïque et beaucoup moins élaborée. La ferme regroupe souvent sous un toit unique l'habitat principal et les dépendances (Eindachhüs), mais elle peut aussi être positionnée en retour d’angle (plan en L) sur cour fermée par une clôture ou une haie. Le poutrage est massif et sans recherche de symétrie ou d’esthétique, les pièces de bois utilisées étant épaisses et massives, mais pas obligatoirement droites. Les croupes des toits sont importantes et les auvents relativement grands. Le toit descend assez bas, couvrant souvent balcon, porte d’entrée et façade de la grange. On utilise beaucoup la poutre torse, et les crépis sont de couleur ocre ou grisâtre, rehaussés d’un liseré de couleur blanc, vert ou sang de bœuf.
La disposition intérieure est légèrement différente : la Klein Stub est disposée en prolongement de la Gross Stub, à la place de l’alcôve et le lit est un lit clos (Kachtebett). À côté de la cuisine, la souillarde permet d’accéder directement aux bâtiments agricoles. Certaines maisons sont encore dotées d’un four à pain extérieur. Pour le chauffage, on utilise le Chunscht, poêle à carreaux de faïence très massif comportant une banquette.
Du point de vue architectural, la maison du Sundgau propose une variété que l’on ne trouve nulle part ailleurs en Alsace. Il existe trois types principaux de pans de bois qui, quoique différents, sont reliés par toute une série de types intermédiaires : la maison à poteaux, la maison à bois longs et la maison à bois courts.
La maison à poteaux (Standerhüs, Pfoschtabaü)
Ce type de construction date des XVe et XVIe siècles, soit bien avant la guerre de Trente Ans. Il se trouve sur les habitations que l’on classe selon trois types :
Le principe de la maison à poteaux est de faire descendre toutes les charges verticalement, c'est-à-dire que le toit et les murs ne constituent qu'une seule et même ossature dont les éléments sont indissociables. La maison comporte en majeure partie des poteaux verticaux de grande longueur, supportant des pannes et des sablières sur lesquelles s'accrochent et s'appuient les chevrons du toit. La maison est donc partagée au minimum en deux nefs dans le sens longitudinal par une file de poteaux qui s'élèvent d'un seul jet du sol au faîtage où ils supportent une panne faîtière. Lorsque la maison est d'une grande largeur, le poteau central est dédoublé par des poteaux intermédiaires. Selon l'ampleur du bâtiment on se trouve donc en présence de deux ou quatre nefs qui partagent longitudinalement la maison ou la grange.
La façade de la maison est donc symétrique, entièrement commandée par le système constructif. La largeur moyenne de chacune des nefs est de 2,20m, déterminant en façade des panneaux de colombage de grandes dimensions (rectangles allongés). Pour contreventer ces constructions, deux décharges joignent directement poteaux et sablières basses. Sur le pignon, le nombre de décharges est très limité : elles s'appuient contre le poteau central, deux par deux symétriquement. Elles peuvent se répéter au niveau des combles avec la même disposition.
Le principe de la structure à poteaux continus dans l'habitation tombe en désuétude avant 1550. Par contre, il reste vivant plus longtemps dans les granges, car il permet l'occupation optimale du volume intérieur pour le stockage du fourrage et de la paille. On trouve encore des granges à poteaux dans le Sundgau au XIXe siècle.
La maison à bois longs
Le changement apparaît autour des années 1550 avec l’apparition de la ferme du toit au niveau des combles : les charges de la toiture sont reprises par une ferme à arbalétrier et entrait. Les anciens poteaux sont désormais interrompus au niveau du plancher des combles, que le bâtiment soit à un ou deux étages. On est en présence d'une ossature formée de poutres d'un seul tenant pour la hauteur des deux niveaux d'habitation, constituant un cube ou un parallélépipède sur lequel repose la charpente du toit.
Ce progrès évite la manipulation et le dressage des gigantesques poinçons, hauts parfois de douze mètres qui supportaient la poutre faîtière et permettent de construire avec des bois plus courts. De plus, l'emplacement des poteaux n'est plus déterminé par le système des nefs, le poids de la charpente du toit étant rejeté sur les murs latéraux.
Autre phénomène important : jusqu'au milieu du XVIe siècle, il n’existe pas vraiment de spécificité véritablement régionale. C'est autour de 1570 que commencent à se dessiner des caractères originaux. Ainsi en est-il de l’apparition du système de contreventement appelé arbre de vie. Les maisons à arbre de vie sont construites entre 1570 et 1600. C'est aussi à ce moment qu'apparaît la croix de saint André, à branches droites ou courbes. Très ajourés, ces registres évoquent les galeries et balustrades d'édifices culturels du gothique flamboyant ou tardif. Également à partir des années 1600, ces croix se compliquent par leur superposition à des losanges, à côtés droits ou incurvés, voire à des cercles, symbolisant probablement le mariage et l’union de l’homme et de la femme. Quant au disque radié, il est croisé soit d'une croix debout à branches égales, soit d'une croix de saint-André. Gravé ou sculpté dans des poutres, souvent associé au svastika, il relève d'un symbolisme solaire, récupéré par le christianisme qui, ne pouvant l'effacer, lui superpose la croix.
Ces compositions de pans de bois apparaissent et se multiplient au moment des procès de sorcellerie. Il y a là une référence évidente aux formes du gothique tardif, mais aussi une expression des mentalités perturbées et des terreurs de ces temps-là.
La maison à bois courts (Rähmbau)
Le principe de la maison à bois courts est l'autonomie de chaque niveau par rapport à celui sur lequel il repose ou qu'il supporte ainsi que la nette séparation entre la charpente des murs et celle du toit, qui repose sur les murs. Dans ce type de charpente sont mis en œuvre des principes d'assemblage, notamment celui de la ferme constituant la charpente indépendante du toit.
Au lendemain de la guerre de Trente Ans (1618-1648), l'ensemble de l'ossature est monté selon le principe des bois courts : les poteaux corniers qui, autrefois, prenaient la valeur de deux étages, sont convertis en poteaux discontinus, assemblés étage par étage au moyen de sablières. La charpente devient une superposition de trois niveaux (dans le cas de maisons à étages) autonomes l'un par rapport à l'autre.
Cette évolution du principe constructif débouche sur une architecture régulièrement rythmée par l'alternance des verticales et des obliques, dans laquelle la fenêtre se normalise. À dater de 1700 les fenêtres possèdent les mêmes dimensions, quelle que soit la nature du local qu'elles éclairent. Ce principe privilégie désormais la façade ordonnée selon les règles du style classique qui resteront valables jusqu'aux années 1890, date qui marque la fin de la construction en pan de bois dans le Sundgau.
La conversion des bois longs en bois courts présente comme effet secondaire la prolifération d'inscriptions se déroulant tout le long d'une ou de plusieurs sablières.
Les thèmes décoratifs maintiennent des éléments de tradition gothique, comme la croix de saint-André très découpée, le profil du linteau, des ouvertures en accolade… Le thème le plus significatif est celui de la colonne torsadée, présente dans les poteaux d'angle, les allèges de médaillons dans l'esprit des panneaux d'armoires, ou de potelets profilés s'inspirant de balustres d'escalier.
Les tendances ornementales s'estompent au XIXe siècle où le colombage, très serré et régulier, s'affirme avant tout comme un principe constructif, débarrassé de tout superflu.
Commentaire des illustrations par Marie-Georges BRUN.