Par Annick Couval
Publié le 13 juillet 2011
Comme le rappellent Pascal Delwit, Jean-Michel De Waele et Paul Magnette dans leur ouvrage, le Parlement européen n’échappe pas à l’histoire des assemblées nationales marquée par une histoire-bataille. Il a en effet dû lutter pour augmenter ses pouvoirs face à une autre institution incarnant la source de légitimité internationale : le Conseil des ministres.
Héritier de l'Assemblée commune créée en 1951 par le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), il n'a longtemps été qu'une sorte de chambre d'enregistrement, doté d'un simple rôle consultatif. Une institution marginale, tenue à l’écart du processus décisionnel se déroulant exclusivement entre la Commission et le Conseil, deux des trois organes composant l’exécutif des Communautés.
Dépourvu du pouvoir fondamental qu'est le consentement de l’impôt, autour duquel naissent et se développent les parlements, et ne disposant que d’une responsabilité gouvernementale incomplète, le Parlement a fait dire à Hervé de Charette, alors ministre des Affaires étrangères (1995-1997) qu'il n’avait de Parlement que le nom.
Retour à Institutions européennes
Il faut attendre le milieu des années 1970 pour que le Parlement renforce ses pouvoirs budgétaires et les années 1980 pour qu’il devienne l’un des pôles du triangle communautaire.
Augmenter ses pouvoirs devait permettre au Parlement de renforcer le caractère démocratique de la construction européenne.
L’extension de ses pouvoirs est l’aboutissement d’une longue lutte, comme le montre le document vidéo ci-contre. C’est en amendant les traités et en exploitant les textes fondateurs que le Parlement est parvenu à s’affirmer.
Il faut noter le rôle non négligeable du président du Parlement, élu pour un mandat renouvelable de deux ans et demi, dans la lutte pour l’augmentation des pouvoirs de l’Assemblée. Dans une interview disponible dans son intégralité sur le site de l'European Navigator, Paul Collowald, alors directeur de cabinet de Pierre Pflimlin et président du Parlement européen de 1984 à 1987, évoque sa contribution à la prise de conscience du pouvoir budgétaire du Parlement au moment de la signature du budget communautaire. Se référer en priorité au paragraphe relatif aux pouvoirs budgétaires pour connaître le contexte de la crise des années 1980.
À la différence des autres organisations internationales, le Parlement européen ne dépend pas exclusivement des contributions des États membres mais dispose, depuis 1970, de ressources propres.
La création de ces ressources propres sont à l’origine de son pouvoir budgétaire. Tant que les ressources de la Communauté provenaient des contributions des États membres, le Conseil était l’autorité budgétaire décisive. À partir de 1975 (traité de Luxembourg en 1970 complété d’un second instrument en 1975), certaines ressources échappant désormais aux États membres, les ressources propres aux Communautés devaient faire l’objet d’un contrôle démocratique parlementaire au niveau européen. Sur la répartition des ressources de l’UE voir le site touterleurope.fr.
Le partage de ce pouvoir budgétaire entre le Parlement et le Conseil a été d’autant plus difficile que, dans les années 1980, les ressources propres ont montré leur limite et que les budgets ont dû être alimentés par une part du PNB des États membres. À deux reprises, en 1980 et 1985, le Parlement a rejeté le budget, faisant ainsi pression sur le Conseil. Dans une interview prononcée à Bruxelles le 22 novembre 2002 et disponible sur le site de l'ENA, Norbert Schwaiger, anciennement chef d'un service de presse de l'Union, retrace l'évolution de ce partage du pouvoir budgétaire, entre le Conseil et le Parlement européen.
Les grandes étapes de la procédure du vote du budget sont représentées sur le schéma ci-dessous.
Pour les dépenses obligatoires, c’est le Conseil qui a le dernier mot.
Pour les dépenses dites non obligatoires le Parlement décide, en étroite collaboration avec le Conseil, et il peut modifier leur répartition et leur montant.
La procédure budgétaire
Schéma Parlement européen, s.d.
Coll. Parlement européen
Le Parlement européen a notamment le dernier mot pour l’adoption des crédits des fonds structurels. Les fonds structurels constituent le deuxième poste de dépenses de l’Union, après la politique agricole commune. Pour la période 2007-2013, l’enveloppe globale s’élève à un peu plus de 308 milliards d’euros et la France reçoit, des fonds structurels, un montant global d’environ 14,3 milliards d’euros.
Le pouvoir budgétaire a été un moyen utilisé par le Parlement pour lancer de nouvelles politiques (lutte contre l’apartheid, le programme ERASMUS, la politique régionale, l’aide à la démocratisation des PECO, le programme de paix en Irlande), faire pression sur la Commission et accroître son pouvoir législatif (rejet du budget).
Le principe démocratique veut que les parlements nationaux adoptent la règle législative et contrôlent l’exécutif. C’est ce que tente de faire la Parlement européen, difficilement au début, plus efficacement aujourd’hui.
À l’origine, le pouvoir législatif était l’apanage du Conseil, qui ne le partageait qu’avec la Commission, détentrice du monopole de l’initiative. L’Assemblée ne disposait que d’un pouvoir de contrôle et de délibération.
Le Parlement européen participe cependant de plus en plus à la procédure législative au titre de cinq procédures mises en place à des dates différentes. L'article de Rafaële Rivais, intitulé L'Assemblée de Strasbourg est devenue un lieu de pouvoir et paru dans Le Monde le 25 mai 2004 fait notamment état de l'étendue de ces pouvoirs. Il est consultable en ligne sur le site de l'ENA.
La plus ancienne des procédures législatives échues au Parlement et qui fut inscrite dans les traités de 1957 est la consultation.
Elle prévoit la consultation du Parlement sur les propositions de la Commission sans que son avis contraigne le Conseil, qui détient le pouvoir de décision. Le champ d’application de cette procédure a été élargi et concerne les questions les plus sensibles (fiscalité, politique industrielle, politique agricole). Pour d’autres questions, la consultation a progressivement été remplacée par de nouvelles procédures plus favorables au pouvoir du Parlement.
La procédure de concertation
Schéma CVCE, s.d.
Coll. CVCE
En 1975, la procédure de concertation a marqué une étape importante dans l’augmentation des pouvoirs législatifs du Parlement.
L’adoption de cette procédure est à mettre en relation avec l’augmentation des pouvoirs budgétaires du Parlement : pour empêcher les blocages, la concertation, dont le but est de rechercher un accord entre Parlement et Conseil, a lieu au sein d’une commission de concertation groupant des représentants des deux institutions. La Commission participe aux travaux de la commission de concertation.
La procédure de coopération
Schéma CVCE, s.d.
Coll. CVCE
En 1987, l’entrée en vigueur de la procédure de coopération prévue par l’Acte unique (1986) a conduit à une réévaluation sensible de l’influence du Parlement européen sur le travail législatif.
Cette procédure comporte deux lectures et fait varier les majorités (unanimité, double majorité) exigées au sein du Conseil en fonction de la position de l’Assemblée sur le texte concerné et de l’avis de la Commission sur d’éventuels amendements parlementaires. Cette procédure n’est aujourd’hui plus utilisée que pour des questions relatives à l’UEM (Union Économique et Monétaire).
La procédure de codecision
Schéma CVCE, s.d.
Coll. CVCE
Le traité de Maastricht a introduit une procédure nouvelle, la codécision, qui a renforcé le pouvoir législatif du Parlement européen.
Cette procédure associe le Parlement européen plus étroitement encore à l’élaboration de certaines normes, selon un schéma qui prévoyait au départ trois lectures. Définie par le traité de Maastricht, elle a été simplifiée par le traité d’Amsterdam (qui lui a donné son nom de manière officielle).
La Commission saisit en même temps d’une proposition le Parlement (qui se voit par ailleurs doté d’un droit d’initiative : il peut demander à la Commission d’élaborer des propositions) et le Conseil. En cas de désaccord entre ces deux institutions, un organe commun, le comité de conciliation, est institué afin de négocier un projet commun.
Si un accord est trouvé, l’adoption de l’acte est formalisée par la signature des présidents des deux institutions. Dans le cas contraire, ou si l’Assemblée rejette le projet commun, la procédure devient caduque. Le Parlement dispose alors d’un ultime recours, celui de voter le rejet du texte du Conseil. Les députés peuvent donc, pour la première fois, mettre en échec un projet de la Commission s’il leur semble inadéquat ou si le Conseil refuse de prendre en compte leurs amendements. Le Conseil est contraint de dialoguer directement avec le Parlement, ce à quoi il s’était toujours refusé en désignant la Commission comme l’interlocuteur de l’Assemblée dans la procédure législative.
Cette procédure a étendu les pouvoirs du Parlement dans les domaines suivants : la libre circulation des travailleurs, le droit d’établissement, les services, le marché intérieur, l’éducation, la santé, les consommateurs, les réseaux transeuropéens, l’environnement, la culture et la recherche, comme le montre l’article de Rafaële Rivais, L'Assemblée de Strasbourg est devenue un lieu de pouvoir, paru dans Le Monde le 25 mai 2004. Cet article est consultable en ligne sur le site de l'ENA.
C’est cette procédure qui a par exemple permis au Parlement de modifier le projet de directive Bolkestein en remplaçant le très contesté principe du pays d’origine par une clause de libre prestation des services.
La procédure de l'avis conforme
Schéma CVCE, s.d.
Coll. CVCE
Depuis l’Acte unique, le Parlement dispose aussi d’un droit d’avis conforme sur des textes relatifs aux accords internationaux et aux domaines restreints de la législation interne.
Il s’agit d’une véritable co-décision puisque les silences du Parlement ne valent pas approbation comme dans la procédure précédente. Le Parlement dispose d’un droit de veto. En raison de la nature particulière des textes concernés (traités d’adhésion, accords extérieurs), l’Assemblée ne peut les amender et la décision finale revient au seul Conseil.
Les députés ont veillé à ce que ces procédures, entrées en vigueur progressivement, soient utilisées. Le pouvoir co-décisionnaire du Parlement en matière de législation n’a cependant pas supplanté immédiatement et de manière décisive les autres procédures.
Olivier Costa a cherché à comptabiliser la mise en œuvre de ces procédures entre 1992 et 1999. La moitié d’entre elles relèvent de la consultation simple, moins d’un cinquième de la coopération, un quart de la codécision et le reste -moins d’un dixième- de l’avis conforme. On le voit, la parité entre les organes législatifs n’a pas été immédiatement atteinte. Pour autant, le traité de Lisbonne semble vouloir démocratiser ce droit, en donnant aux citoyens un droit d’initiative.
À titre d'information, se reporter à la chronique de Quentin Dickinson, Quand les citoyens pourront proposer des lois (France Inter, 3 avril 2010).
Le Parlement participe à la désignation du président de la Commission européenne. Selon le traité de Lisbonne, il doit approuver à la majorité absolue (et non plus simple) la nomination du président de la Commission sur proposition du Conseil européen. Ce dernier doit ainsi tenir compte du résultat des élections européennes et consulter le Parlement pour sa proposition. Il intervient aussi sur la composition de la Commission en interrogeant les candidats commissaires (désignés par les gouvernements) sur leurs compétences. Si les députés estiment que l’un de ces candidat ne convient pas au poste, ils peuvent aller jusqu’à le refuser, comme ce fut le cas en 2004, en mettant leur veto à la nomination de l'Italien Rocco Buttiglione au poste de commissaire à la justice et aux affaires intérieures de la Commission Barroso. Ce veto a entraîné la recomposition de l’ensemble de la Commission puisque le Parlement ne peut approuver la commission que dans son intégralité.
Le Parlement peut censurer la Commission par le vote d’une motion de censure (à la majorité des 2/3 des suffrages exprimés et majorité des membres du Parlement) qui contraint la Commission à démissionner. Aucune motion de censure n’a été, jusqu’à présent, adoptée par le Parlement européen, cette procédure étant considérée comme un choix ultime. En 1999, la Commission Santer risquant de faire l’objet d’une motion de censure qui allait aboutir en raison d’une fraude présumée, a préféré démissionner.
Des vidéos accessibles sur le site de l'ENA proposent deux analyses et points de vue différents sur cet épisode : celui de Jacques Santer, président de la Commission européenne de 1995 à 1999, et celui de Nicole Fontaine, députée au Parlement européen de 1984 à 2002 et présidente du Parlement de 1999 à 2002.
Ce pouvoir de censurer la Commission, même s’il n’a jamais abouti directement, a été davantage utilisé par le Parlement pour augmenter ses pouvoirs que pour constater et sanctionner les manquements de la Commission. Comme le montre le document ci-dessous, les motions de censure déposées depuis la fondation de la CEE étaient majoritairement relatives à la PAC (politique communautaire qui absorbe l’essentiel du budget) et comportaient, en filigrane, des revendications d’accroissement des pouvoirs parlementaires. Le pouvoir de contrôle a été détourné à des fins stratégiques. C’est un moyen utilisé par le Parlement pour faire pression sur les États membres.
Date | Objet | Réponse à la logique de la censure ? | Résultat du vote | |
---|---|---|---|---|
Avant l’élection du Parlement au SU | Nov. 1972 Juin 1976 Déc. 1976 Mars 1977 |
Politique Agricole Commune (PAC) | Non. Le Parlement cherche à augmenter ses pouvoirs consultatifs à l’égard de la PAC ; or, seuls les États sont à même de modifier les traités visés. |
- 2 retirées avant la mise au vote - 2 mises au vote : 15 et 18 voix pour |
Après l’élection du Parlement au SU | Février 1990 | PAC : La Commission cherche à augmenter ses pouvoirs au détriment de l’indépendance des Etats et des aspirations de leurs peuples | Non. Pure protestation où la responsabilité de la Commission n’est pas établie |
16 voix pour |
Juillet 1991 | PAC. Carence de la Commission et du Conseil qui n’ont pas reconnu l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie | 8 voix pour | ||
Décembre 1992 | Reproche à la Commission d’avoir dépassé le mandat que le Conseil lui avait attribué dans le cadre des négociations agricoles du GATT | Oui. | 96 pour | |
Février 1997 | Pointe sur les responsabilités de la Commission dans la maladie de la vache folle | Oui. | 118 pour | |
Janvier 1999 | Reproche le non octroi de la décharge budgétaire | 232 pour | ||
Avril 2004 | Reproche à la Commission sa gestion de l’affaire Eurostat | 88 pour |
D’après European Navigator et Pascal Delwit, Jean-Michel De Waele et Paul Magnette (dir). À quoi sert le Parlement européen ? Stratégies et pouvoirs d'une assemblée transnationale. Bruxelles : Éd. Complexe, 1999.
Il faut cependant noter que le Parlement a longtemps considéré la Commission comme son alliée dans les rapports de force interinstitutionnels et a adopté une attitude coopérative à l’égard de la Commission, en privilégiant les moyens d’influence non contraignants tels que les questions écrites et orales, les débats sur les rapports...
En effet, le Parlement surveille de près les activités de la Commission et peut constituer, à la demande d'un quart de ses membres, une commission temporaire d'enquête qui examine les éventuelles infractions ou cas de mauvaise administration dans l'application du droit de l'Union. À titre d'exemple, des commissions temporaires ont enquêté sur l'intervention européenne tardive dans le cadre de l'ESB, surtout connue sous le nom de maladie de la vache folle).
Les députés peuvent interroger la présidence du Conseil sur n’importe quel sujet. Cette dernière rencontre régulièrement les présidents des groupes politiques du Parlement européen et se présente aux sessions plénières pour exposer son programme et rendre compte des résultats.
Le Parlement élit pour cinq ans le médiateur chargé d’examiner les cas de mauvaise administration par les institutions communautaires dénoncées par les citoyens et des membres de la Cour des comptes depuis 1975.
Le Parlement européen reçoit des pétitions de tout citoyen sur un sujet relevant de l'UE et le concernant directement : plainte ou observation relative à l’application du droit communautaire, demande adressée au Parlement en vue de l’adoption d’une position sur un thème particulier… Un grand nombre de pétitions sont relatives à l’environnement, à la Sécurité sociale, à la reconnaissance des compétences.
Le Parlement est donc passé du rang d’institution secondaire à celui de partenaire. L’équilibre institutionnel n’en reste pas moins délicat. Les procédures de décision sont telles qu’il est pratiquement impossible à une institution d’atteindre son but sans le soutien des deux autres, d’où la nécessaire coopération entre les trois institutions.
Pour découvrir les coulisses du Parlement européen et suivre un eurodéputé lors d'une session plénière de l'institution, suivez le lien et cliquez sur la vidéo intitulée Suivez Alain Lamassoure dans les coulisses du Parlement européen.