Par Georges Brun
Publié le 21 décembre 2013
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Les abbayes et monastères sont le véritable fer de lance de cette renaissance de l’Eglise au XIè siècle et les foyers d’épanouissement de l’art roman. Lieux de regroupement des moines, les premiers monastères de l’Occident, aux VIè et VIIè siècles, ne sont que des enclos rassemblant de façon assez anarchique des cabanes autour d’un oratoire (du latin orare, « prier »). Lentement, ces communautés de moines s’organisent et se hiérarchisent.
À partir du VIIIè siècle, les abbayes, dirigées par un abbé (de l’araméen passé au grec ecclésiastique « abba », «père»), se développent selon la règle édictée par saint Benoît de Nursie (480-547), le père du monachisme occidental, fondateur du Mont-Cassin et de l’ordre bénédictin, règle qui sera réformée par Benoît d’Aniane (750-821). Les abbayes sont installées dans les campagnes, et accomplissent une œuvre économique de premier plan : le défrichement et la remise en valeur des terres, regroupant autour d’elle de nombreuses communautés laïques ; bientôt enrichies de nombreux dons par souverains et seigneurs, protégées par la papauté, ces abbayes sont jusqu’au Xllè siècle, les seuls centres de conservation du savoir, qui se réduit souvent à l’activité des copistes dans les scriptoria. Elles sont de même les centres de développement de l’architecture religieuse : les principales églises romanes - dont les églises de pèlerinage - sont des églises abbatiales.
Le site d’une abbaye est toujours admirablement choisi, avec de l’eau en abondance et le nom de la fondation répond en général à la beauté du site et aux aspirations de ceux qui l’ont choisi: Frontfroide (Source d'eau froide), Lavaudieu (Vallus dei ou Val de Dieu), Clairval... « Ora et labora » : Prier et travailler, tel est l’essentiel de l’emploi du temps des moines dont le lieu de vie nécessite une architecture compacte organisée autour de l’église et du cloître.
Plan de l’abbaye cistercienne de Noirlac dans le Cher (1150-1180). Fille de Cîteaux, elle est fondée en 1136 grâce à la donation d’Ebbe VI de Charenton, elle se nomme alors Maison-Dieu et ne prend le nom de Noirlac à cause de l’étang qui la bordait qu’en 1290.
Document Georges Brun, 2010
L’église abbatiale, monastique ou prieurale varie par ses dimensions et par son plan, suivant les ordres et suivant son importance.
Le cloître, dans les abbayes comme dans les collégiales (Eglise où les chanoines mènent la vie des réguliers), se trouve contre l’église, tantôt au nord, tantôt au sud, suivant l’état des lieux ; il y a même une dizaine de cloîtres placés à l’est ou à l’ouest de l’église. Le cloître est le centre de la vie des religieux, le lieu où ils méditent et se promènent. Des arcades font communiquer les galeries avec le préau ; au centre du cloître se trouve en général un puits et dans l’un des coins un lavabo pour les ablutions.
Dans les cloîtres bénédictins ou canoniaux, les chapiteaux des colonnes ou des piliers sont en général historiés et offrent de splendides décors : ainsi les cloîtres des cathédrales d’Arles, Aix-en-Provence, Le Puy, Elne, Saint-Lizier, Saint-Bertrand de Comminges ; ceux des abbayes de Montmajour, Saint-Paul de Mausole, Conques en Rouergue, Saint-Pierre de Moissac, Lavaudieu, Saint-Front de Périgueux…
Les cloîtres cisterciens, dont ceux de Fontenay, du Thoronet, Sénanque, Fontfroide sont quant à eux bien plus dépouillés : pas de chapiteaux historiés, un tel décor étant interdit par la Règle, du moins aux XIIè et XIIIè siècles, mais des chapiteaux simples aux motifs végétaux ou floraux.
A l’est, le bâtiment qui prolonge le transept de l’église, comprend au rez-de-chaussée la sacristie et l’« armarium » ou bibliothèque (Silvacane, Le Thoronet). A côté, la « salle capitulaire » communique avec le cloître par trois baies, jamais closes, celle du milieu formant entrée. C’est là que sont enterrés les abbés. Tous les matins, le supérieur de la communauté réunit les moines : il leur donne des avis spirituels et les ordres pour la journée. Le prieur distribue à chacun son travail pour la journée. Suivent le parloir, l’escalier menant au dortoir, le couloir conduisant au jardin et la salle de travail. A son extrémité, le noviciat qui souvent constitue un pavillon à part.
Tout l’étage du bâtiment des moines est occupé par le dortoir qui communique directement avec l’église par un escalier débouchant dans le transept et permettant l’accès pour les offices de nuit ; près de cet escalier se trouvent la chambre de l’abbé et le lit du sacristain.
Le dortoir est couvert soit de charpente, rythmée par des arcs diaphragmes (Santa-Creus ou Poblet en Espagne), soit d’un berceau (Le Thoronet), soit d’ogives retombant sur des colonnes médianes (Abbaye Notre-Dame du Val en Val d’Oise). Il est éclairé et aéré par des fenêtres basses.
Sur la galerie du cloître opposée à l’église se trouvent le chauffoir, le scriptorium, le réfectoire et la cuisine. Le réfectoire, bien éclairé de grandes fenêtres, est couvert d’une voûte ou d’une charpente en berceau puis, à partir de 1150 environ, d’une série de voûtes d’ogives retombant sur une file de colonnes (Royaumont, Saint-Martin-des-Champs de Paris, Noirlac…). Sur un des côtés est aménagée dans l’épaisseur des murs une chaire où un moine fait la lecture pendant le repas.
La cuisine s’appuie chez les Cisterciens directement au réfectoire ; ailleurs elle est souvent un bâtiment isolé. Elle comprend plusieurs foyers et des cheminées. A Fontevrault elle est de plan octogonal et compte huit absidioles abritant huit foyers.
Sur le dernier côté du cloître, et séparé de lui par une ruelle (« ruelle des convers ») ouvrant directement sur l’église, s’élève le bâtiment des convers (religieux non-moines, de rang inférieur, n'ayant pas voix au chapitre, mais faisant partie de la communauté et se consacrant surtout aux tâches les plus dures, comme l'exploitation des domaines agricoles), comprenant, au rez-de-chaussée, le cellier et le réfectoire voûtés en berceau ou d’arêtes, et à l’étage, le dortoir.
Souvent, dans quelques grandes abbayes, comme Cluny, Clairvaux, Cîteaux, un second cloître prolonge les bâtiments vers l’est : c’est le cloître des copistes qui travaillent à la copie et à l’enluminure des manuscrits ; ils sont installés dans des cellules sous la bibliothèque qui occupe alors une ou deux des faces de ce cloître. Du même côté se trouvent les bâtiments de l’infirmerie où vivent les malades et les vieillards dans des conditions moins dures que celles imposées par la règle...
Non loin se trouvent granges, étables et écuries, colombier, moulins, forge, et ateliers où travaillent les artisans (Fontenay, près de Montbard). Une enceinte enferme bâtiments, jardins et vergers. Une maison est réservée à l’abbé chez les Clunisiens ; pour les Cisterciens, une simple chambre près du dortoir des moines suffit. A la porte de l’abbaye enfin, l’hôtellerie accueille visiteurs et pèlerins.
C’est le 11 septembre 910 qu’est signé l’acte de donation par lequel Guillaume, comte d’Auvergne, de Velay, de Mâcon, de Bourges et Duc d’Aquitaine, cède à Rome sa « villa de Cluni et toutes possessions attenantes : villages et chapelles, serfs des deux sexes, vignes et champs, prés et forêts, eaux courantes et fariniers, terres cultivées et incultes », à charge pour Bernon, abbé de Baume et de Gigny en Jura et cosignataire, d’y fonder un monastère. Ainsi naît Cluny d’où sortiront les grandes réformes spirituelles et morales d’une société vouée à tous les courants d’un clergé davantage préoccupé d’affaires matérielles ou encore le regroupement dans le giron bénédictin et bientôt clunisien de monastères épars et jusqu’alors plus ou moins autonomes.
La position géographique de l’abbaye nouvelle contribue à son éclosion : située sur la ligne de partage du droit coutumier germanique et du droit écrit romain, de la langue d’oïl et de la langue d’oc, à proximité de la Saône, cette frontière naturelle qui séparait l’empire romain germanique de la Francie, de la via Agrippa qui reliait Lyon à Boulogne et à Trèves, traversée par une voie secondaire qui s’en détachait à Belleville sur Saône pour rejoindre la voie principale à Autun, la vallée de la Grosne, « carrefour clunisien », va connaître pendant plusieurs siècles les grandes migrations et les grands rassemblements de l’Europe de ces temps.
Plan de l'abbaye de Cluny II avant la construction de l'abbatiale Cluny III.
Document Georges Brun, 2010
Six grands abbés présideront aux destinées de l’abbaye Cluny. De l’humble monastère des origines à la grande abbaye-mère de l’apogée, chacun d’eux s’attachera et contribuera à la hisser et à la maintenir sur les plus hauts sommets de la foi, des lettres, des arts et des sciences :
Six papes auront été moines de Cluny :
Restitution de l'abbaye de Cluny III et des vestiges ayant échappé aux destructions du XIXè siècle.
Document Georges Brun, 2010
Coupe de la nef de l'abbatiale de Cluny III. Les Bénédictins ont par ailleurs fondé de nombreux monastères en Angleterre, Espagne, Italie...
Document Georges Brun, 2010
A la fin du XIè siècle, Cluny connaît donc un succès extraordinaire, règne sur 450 monastères, 10 000 moines et étend sa réforme à toute la chrétienté. Ses 1 500 prieurés, occupés chacun par quelques moines seulement, s’échelonnent le long des chemins de pèlerinage et des routes commerciales ; ils surveillent et font valoir les terres et les biens que possède l’abbaye, surtout en Bourgogne, en Ile-de-France, en Aquitaine, Angleterre en Espagne… L’abbaye mère, pourvue de propriétés immenses, veut consacrer son opulence à la gloire de Dieu, dans son église, la plus grande de la chrétienté, enrichie d’une magnifique décoration peinte et sculptée et d’un somptueux mobilier…
Mais si Cluny suit la règle de saint Benoît, l’ordre insiste sur l’office divin qui occupe presque toute la journée du religieux et donne la primauté à la liturgie : aussi jeûnes et privations ne paraissent pas essentiels ; de même, le travail intellectuel ne s’étend guère au delà des besoins de l’office. Surtout, le travail manuel est réduit ; les moines acceptent d’être entretenus matériellement par d’autres (les moines « convers »), et de fait leurs domaines sont organisés comme les seigneuries laïques. Comme rien n’est trop beau pour rendre gloire à Dieu, l’ordre accumule les richesses pour élever et entretenir des sanctuaires magnifiques. Ainsi Cluny III, consacrée en octobre 1096 par le pape Urbain II, est la plus grande église de la chrétienté et « le » chef d’œuvre de l’art roman.
Carte des principales fondations monastiques de Cluny en France et dans le Saint-Empire.
Document Georges Brun, 2010
Pierre-le-Vénérable (1122-1156), le dernier des « grands abbés » de Cluny succède à Pons de Melgueil (1109 – 1122), abbé déposé par le pape Calixte II, lui même moine de Cluny, après treize années d’un abbatiat qui dégénéra dans le tumulte et le faste.
A l’avènement de Pierre-le-Vénérable, la société est entrée dans une ère nouvelle, culturelle, politique, économique. De sérieuses difficultés apparaissent : l’économie domaniale autarcique est concurrencée par l’économie monétaire et l’abbaye s’endette ; l’école monastique est désormais sérieusement menacée par l’école cathédrale et ses écolâtres de renom ; de nouveaux ordres apparaissent, qui contestent au nom du retour aux origines de l’Evangile le luxe et la richesse de l’ordre : Cîteaux, sous l’impulsion de Bernard de Fontaines, abbé de Clairvaux, la Grande Chartreuse fondée par saint Bruno, Prémontré fondé par saint Norbert, Fontevrault fondé par Robert d’Arbrissel… Sans compter nombre de monastères clunisiens qui en Angleterre et en Germanie sont assez puissants pour se détacher de l’abbaye mère…
À partir du XIIè siècle, Cluny connaît des difficultés croissantes dues à des abbés médiocres. On lui reproche surtout sa trop grande richesse. A l’intérieur de l’ordre même, de plus en plus de moines désirent un retour aux sources du monachisme et rêvent de réformer la vie religieuse.
En mars 1098 Robert, un bénédictin, abbé de Molesmes, accompagné d’une vingtaine de ses compagnons désireux comme lui de revenir à la vie monastique primitive, fonde Cîteaux, dans un vallon sauvage, entre les forêts de Bourgogne et de Bresse. Ses successeurs, Albéric (1099-1109) et Etienne Harding, troisième abbé de Cîteaux (1109-1133) continuent son œuvre.
Sous l’abbatiat d’Etienne, l’ordre commence à essaimer et 4 abbayes-filles de Cîteaux sont créées : La Ferté sur Grosne en 1113, Pontigny, près de Langres en 1114, Clairvaux et Morimond près de Langres en 1115. L’ordre cistercien se caractérise par une organisation arborescente : Cîteaux est le tronc principal d’où partent les 4 branches que sont les abbayes-filles ; chaque monastère peut à son tour fonder des abbayes, ces dernières étant toujours rattachées à l’une des lignées primitives. C’est ainsi qu’en 1119, l’ordre compte déjà 12 monastères. Etienne rédige la « Charte de Charité » qu’il présente en 1119 au Pape Callixte II en vue de la reconnaissance de cette nouvelle branche de moines bénédictins : c’est à lui que les Cisterciens doivent leur statut définitif.
Mais c’est surtout l’arrivée de Bernard de Fontaines qui va donner à l’ordre sa véritable dimension. Bernard naît en 1090, fils d’un des seigneurs de Fontaines, à quelques kilomètres de Dijon. Après une solide éducation, attiré par la ferveur de ses moines, il rejoint le monastère de Cîteaux en 1112 accompagné de 30 compagnons dont 4 de ses frères et 2 de ses oncles maternels.
Doté d’une intelligence, d’un dynamisme et d’une sensibilité exceptionnels, il assure le véritable rayonnement à l’ordre : sa force de conviction et sa notoriété attirent de nombreuses vocations. A 25 ans, il est chargé de fonder l’abbaye de Clairvaux en 1115, troisième abbaye fille de Cîteaux. En 38 ans d’abbatiat, il contribue à la création de 68 abbayes filles de Clairvaux, dont la filiation comptera 165 établissements !
Pourfendeur de l’ordre de Cluny dans son « Apologie à Guillaume de Saint Thierry » en 1125, Bernard n’a de cesse de critiquer les écarts faits à la règle de saint Benoît (mets surabondants, coquetterie, habitudes et trains de vie princiers), le cadre de certains monastères, leur décoration, leurs peintures ou sculptures évoquant des messages bibliques, qui sont utiles au fidèle mais pas au moine.
Il donne aux Templiers les fondements de leur règle, qui concilie l’état monastique et militaire, tente de purifier le clergé séculier, rappelant au passage les devoirs des évêques, est l’acteur déterminant lors du schisme de 1130 en ralliant les rois, princes et évêques au Pape Innocent II, prêche la seconde croisade en 1146, et obtient l’indépendance de Cîteaux par rapport à Cluny.
A sa mort en 1153, il laisse derrière lui plus de 160 moines à Clairvaux ; l’ordre compte près de 350 abbayes et la moitié des moines français sont cisterciens ! A la fin du XIIè, l’ordre compte 530 établissements, et 700 à la fin du XIIIè.
L’ordre prône une architecture austère : sobriété et dépouillement sont l’expression de la morale et de la théologie cistercienne ; le luxe et le faste sont bannis et tout élément de décoration jugé superflu est supprimé (sculptures et peintures notamment). Seules des feuilles d’eau faisant référence à l’origine de l’ordre sont fréquemment représentées sur des chapiteaux. L’absence de clocher dans les églises des monastères traduit très bien ce refus de toute marque ostentatoire de puissance. Aussi les abbayes romanes cisterciennes sont elles parmi les plus belles des créations architecturales : Sénanque, le Thoronet, Flaran, Fontenay, Fontfroide, Pontigny…
Principale abbayes et fondations monastiques cisterciennes de la France du nord.
Document Georges Brun, 2010
Principale abbayes et fondations monastiques cisterciennes de la France du nord.
Document Georges Brun, 2010
A partir du XIIIè siècle, l’ordre connaît lui aussi des difficultés : il commence à s’enrichir et la discipline se relâche. D’autres ordres naissent, qui lui font une sérieuse concurrence par leur esprit de pauvreté et de dépouillement tout nouveau : les ordres mendiants Franciscains et Dominicains.
Sénanque (Vaucluse): nef de l'église abbatiale. Un pur chef d'oeuvre de l'architecture cistercienne.
Document Georges Brun, 2010
La renaissance religieuse initiée par la réforme grégorienne se traduit entre autre par la régénération du clergé. Elle est l’œuvre de Cluny, puis de saint Bernard et d’ordres nouveaux.
Dans les villes et les campagnes, de nombreuses églises paroissiales, généralement entre les mains des fondateurs ou de leur famille, châtelains ou riches laïcs, passent sous contrôle des abbayes, et plus particulièrement de Cluny, contre l’assurance d’une sépulture et de prières pour le donateur et les siens. Ce transfert des églises paroissiales aux monastères est achevé dans la deuxième moitié du XIIè siècle et là où il n’y a pas d’église, les moines en construisent. Tandis qu’en ville, églises et chapelles ne deviennent paroissiales qu’à la fin du XIIè et au XIIIè siècle, dans les campagnes, elles le sont dès le XIè siècle avec un desservant nommé par le père abbé.
Abbayes, monastères et prieurés connaissent à nouveau le succès dont ils avaient joui à l’époque mérovingienne. Considérable est le rôle du moine au Moyen-âge, du point de vue non seulement religieux, mais économique et artistique. Tous les ordres, les nouveaux et les anciens reconvertis par la réforme grégorienne, connaissent aux XIè et XIIè siècles une incroyable prospérité. Les novices affluent de tous côtés, assoiffés de pénitence. Des centaines d’abbayes et de prieurés s’élèvent dans les faubourgs des villes et dans les campagnes ; les vieilles abbayes bénédictines, restaurées, agrandies, remises au goût du jour, retrouvent leur rôle culturel passé. Dans la paix des cloîtres, les écoles et les ateliers se développent (Cluny, Marmoutier, Le Bec, Saint-Bertin, Saint-Amand, Prémontré). Copistes de manuscrits, miniaturistes, peintres, sculpteurs, orfèvres et architectes sont partout à l’œuvre…
La bonne administration des biens des abbayes et des évêchés rend toute leur richesse aux menses épiscopales et aux prébendes capitulaires. En Allemagne, l’empereur Henri II (1074-1024) va jusqu’à amputer les abbayes d’une partie de leur domaine pour reconstituer celui des évêchés, dévoré par les laïcs qui en étaient bénéficiaires.
Dans le monde séculier, la cathédrale, son cloître et les bâtiments qui dépendent de l’évêque et du chapitre redeviennent le centre religieux et culturel du diocèse. De nombreuses églises sont construites par les chapitres des chanoines; ces collégiales contribuent à la régénération des fidèles en milieu rural… A la fin du XIè et au XIIè siècle, les écoles épiscopales sont assez célèbres pour concurrencer celles des abbayes (Reims, Laon, Chartres, Paris) et attirent la jeunesse studieuse de France, d’Angleterre, d’Allemagne, de Souabe et d’Italie, avide de l’enseignement des Abélard, Fulbert, Yves et Thierry de Chartres, Gilbert de la Porée, Anselme de Laon…
Une grande ferveur religieuse règne partout. Elle s’exprime notamment par le culte des reliques qui se traduit d’abord par l’organisation des pèlerinages et bientôt par les croisades et qui pousse la foule des pèlerins sur les grandes routes jalonnées d’hospices, d’hôtelleries, de prieurés relevant soit de Cluny, soit des Templiers.
Ces routes mènent vers Jérusalem, Rome, Saint-Jacques-de-Compostelle, mais aussi Notre-Dame de Clermont, Notre-Dame du Puy, Notre-Dame de Chartres, Sainte-Madeleine de Vézelay, Saint-Gilles du Gard, Saint-Denis, Saint-Michel « au péril de la mer », Saint-Martin de Tours, Saint-Martial de Limoges, Sainte-Foy de Conques, Saint-Sernin de Toulouse…
Pour abriter les saintes reliques, objets d’un trafic souvent acharné, s’élèvent, grâce à la générosité des pèlerins, dans les faubourgs ou aux environs des grandes villes, dans les pays les plus arides et les plus reculés, ces magnifique églises « de pèlerinage » à déambulatoire, immenses vaisseaux recelant des trésors somptueux, sarcophages, châsses et reliquaires, vases sacrés ou étoffes précieuses, dont les trésors de Conques, de Saint-Sernin de Toulouse, de Saint-Denis, de la cathédrale de Sens ne donnent qu’un petit aperçu.
Conques (Aveyron) : l'église abbatiale Sainte-Foy, grand centre de pèlerinage et étape sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle au Moyen-âge.
Document Georges Brun, 2010
Vézelay (Yonne) : la nef romane de la basilique Sainte-Madeleine. Abritant les reliques de sainte Marie-Madeleine, la basilique attire au Moyen-âge des pèlerins de tout l'Occident. Sa nef et surtout les tympans de son porche sont des oeuvres majeures de l'art roman bourguignon.
Document Georges Brun, 2010
Pèlerinage sans doute le plus connu, celui de Saint-Jacques de Compostelle accueille des dizaines de milliers de pèlerins chaque année. Au point que dès 1149 il fait l’objet d’un « Guide des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle », rédigé par Aimeri Picaud de Parthenay-le-Vieux !
Favorisé par l’action convergente des autorités espagnoles qui veillent à la sécurité et à l’état des routes et des milieux ecclésiastiques essentiellement clunisiens, le « Camino santo » ou « Camino frances » comprend quatre principaux itinéraires recommandés, complétés par de nombreux chemins secondaires et sur lesquels se greffent des itinéraires venant du Saint-Empire, d’Europe du nord et d’Angleterre :
Ce pèlerinage de Saint Jacques génère échanges économiques, sociaux, intellectuels, littéraires, religieux, politiques et artistiques entre les deux pays. Mais aussi et surtout un réseau de constructions et d’édifices : églises « de pèlerinage » pour abriter les reliques, hôpitaux desservis par des associations charitables (l’Hôpital-Saint-Blaise) ou par les Hospitaliers ; refuges comme la Domerie d’Aubrac, abris et lieux de repos, prieurés organisés de place en place par les Clunisiens (Pons, Cayac, Bardenac, Morlaas en Béarn)…