Par Georges Brun
Publié le 21 décembre 2013
Le baptistère de Fréjus, un des premiers sanctuaires chrétiens de la France "mérovingienne". Fin du Vè siècle.
Photo Georges Brun, 2010
Il n’existe pas en France de grande église qui ait une voûte en pierres et qui soit en même temps plus vieille que l’an 1000. Les grandes invasions et l’effondrement de l’empire romain ont effacé les savoir-faire techniques dans lesquels les Romains étaient passés maîtres, et la lente reconquête de ces techniques architecturales de l’Europe se fera par tâtonnements et expérimentations…
Les moines en seront les principaux acteurs et les premières réalisations apparaissent aux VIè et VIIè siècles dans l’Italie des Ostrogoths (mausolée de Théodoric à Ravenne), la Gaule mérovingienne (Baptistères de Fréjus ou de Poitiers, crypte de Jouarre), l’Espagne wisigothe (San-Pedro-de-la-Nave, San-Juan-Bautista-de Baños, Santa-Maria-del-Naranco à Oviedo), avant que la renaissance carolingienne et son prolongement « ottonien » en Germanie ne donnent un premier essor à l’architecture monumentale, mais en utilisant systématiquement la couverture en charpente…
Hildesheim, église Saint-Michel. Un exemple achevé de l'architecture ottonienne, qui au Xè à précédé l'art roman.
Document Georges Brun, 2010
Puis, de la fin du Xè et jusqu’au milieu du XIè se développe l’architecture « lombarde » ou « préromane ». Le plan est le même celui que l’église romane. Mais il y a très peu d’ornementation intérieure. Par contre les églises lombardes ont un décor extérieur significatif : il consiste, sur les murs extérieurs de l'édifice, en pilastres plats de faible saillie réunis tout en haut par de petites arcatures : ce sont les « bandes lombardes ». Mais ces églises gardent leurs nefs couvertes avec une charpente en bois.
Les grandes églises lombardes en France sont Saint-Michel-de-Cuxa (Pyrénées-Orientales), Saint-Guilhem-le-Désert (Hérault), Aime (Savoie)… En Alsace, l’église de Marmoutier (quoique romane) offre sur sa façade occidentale un bel exemple de bandes lombardes.
Tous ces édifices restent cependant fragiles, victimes de terribles incendies qui les jettent à terre, spécialement durant les périodes troubles où Vikings, Hongrois et Sarrasins ne cessent leurs incursions dévastatrices en Europe occidentale de la Gaule à l’Italie… Le calme revenu à l’aube du XIè siècle, le grand problème des bâtisseurs est de concevoir des sanctuaires de grandes dimensions avec une nef de surface importante, voûtée de pierres, les plafonds en bois étant régulièrement la proie des flammes...
La première solution trouvée sera la solution romane. Grâce à la grande réforme de l’Eglise engagée par la papauté dès le milieu du XIè siècle, grâce au dynamisme des ordres monastiques, particulièrement des Bénédictins de Cluny, l’Europe entière va se couvrir de milliers d’édifices dans ce nouveau style selon l’expression du moine chroniqueur Raoul Glaber :
« Trois années n’étaient pas écoulées dans le millénaire que, à travers le monde entier, et plus particulièrement en Italie et en Gaule, on commença à reconstruire les églises, bien que pour la plus grande part celles qui existaient aient été bien construites et tout à fait convenables. Il semblait que chaque communauté chrétienne cherchait à surpasser les autres par la splendeur de ses constructions. C’était comme si le monde entier se libérait, rejetant le poids du passé et se revêtait d’un blanc manteau d’églises. Presque toutes les églises épiscopales et celles de monastères dédiées aux divers saints, mais aussi les petits oratoires des villages étaient rebâtis mieux qu’avant par les fidèles. »
Raoul Glaber (985-1050 ?) : « Vita Sancti Guillelmi Abbatis Divionensis » (vie de l’abbé Guillaume de Volpiano)
Eglise abbatiale de Marmoutier (Bas-Rhin) : décor de bandes lombardes sur la face sud du massif occidental.
Document Georges Brun, 2010
Il existe différents types de voûtes romanes, ainsi que d’arcs, qui en général épousent les formes des voûtes :
On appelle arc en plein cintre un arc en demi-circonférence. On appelle voûte en berceau (ou berceau), ou voûte en plein cintre une voûte qui a la forme d’une demi circonférence. Dans les églises romanes, les pierres utilisées à la construction du berceau sont des moellons bruts bien posés ensemble et pris dans un lit épais de mortier (50cm). Les voûtes en plein cintre forment les parties droites des églises.
La voûte romane en berceau plein cintre de la nef exerce une poussée sur toute la longueur du mur.
Document Georges Brun, 2010
La voûte en berceau brisé est la seule voûte romane dont la forme n’existait pas à l’époque romaine. Apparu au début du XIIè siècle (notamment dans l’architecture cistercienne), le berceau brisé introduit la forme de l’arc brisé dans le voûtement des églises romanes. Il exerce des poussées plus faibles que le berceau plein-cintre et donne plus de hauteur à la nef (la pression sur les murs est moins forte). Cette voûte donne plus de hauteur à la nef et rend l'éclairage plus efficace, les fenêtres étant un peu plus grandes.
La voûte d’arêtes est formée par l’intersection à angle droit de deux voûtes en berceau (plein cintre ou brisé) de même diamètre. Les poussées sont dirigées vers les piliers et pèsent donc moins sur les murs. On trouve la voûte d’arêtes sur les travées carrées des bas cotés et dans les cryptes.
La voûte en cul de four a la forme d’un quart de sphère. On la trouve dans les absides et les absidioles du chevet. Dans l'abside principale du choeur venait se placer le clergé pour les offices, l'autel étant placé entre le chœur et les fidèles. Symboliquement, cette voûte du choeur représentait le monde céleste ; c'est pourquoi elle était très souvent magnifiquement décorée de fresques ou, spécialement dans le monde byzantin, de mosaïques, représentant en général le christ en Majesté, le Christ "Pantocrator" (art byzantin) ou le Christ du Jugement Dernier.
La voûte en forme de coupole est une voûte de forme hémisphérique : on la trouve la plupart du temps au-dessus de la croisée du transept. La difficulté rencontrée par les constructeurs de coupoles est celle du passage du plan circulaire de la coupole au plan carré sur lequel elle doit reposer. Les constructeurs utilisent deux procédés: le trompes ou les pendentifs : la trompe est un support constitué d'un arc diagonal et d'une petite voûte par encorbellement soutenant l'arc; les pendentifs sont quatre triangles sphériques concaves qui permettent le passage du plan carré au plan circulaire. La coupole sur trompes est la plus fréquemment utilisée, celle sur pendentifs étant plus rare et surtout utilisée dans le sud. Dans certaines régions, notamment dans le sud-ouest de la France, toute l’église est voûtée de files de coupoles (Notre-Dame du Puy, Saint Front de Périgueux, église de Solignac, cathédrale de Cahors...)
La plupart du temps, la voûte en berceau plein cintre et brisée est elle-même soutenue à intervalles réguliers par des arcs de pierre épousant parfaitement sa forme et prenant appui sur les colonnes et leurs chapiteaux.
On appelle ces arcs « appareillés », car construits avec des pierres soigneusement taillées, afin que les faces des pierres s’appliquent exactement l’une sur l’autre. Chaque pierre taillée se nomme claveau. La pierre centrale s’appelle « clef de voûte ».
Les premiers à construire systématiquement des voûtes en pierre sur de vastes nefs sont les moines Bénédictins de Cluny, suivis par les Cisterciens de Cîteaux, au XIè siècle. Tout ce siècle est celui des expériences, car dès le début, les premières voûtes, trop lourdes, jettent par terre murs et piliers sur lesquels elles reposent. A cette poussée de la voûte, il faut donc répondre par une contre-poussée, un contrebutement qui va équilibrer la poussée initiale. Cela se réalise en plusieurs étapes :
Architecture romane : le système de poussées, de contre poussées et de contrebutement.
Document Georges Brun, 2010
Structure générale d’une église romane de type basilical. Ici, saint Etienne de Nevers.
Document Georges Brun, 2010
Le système d’équilibre architectural : la solution romane et la solution gothique.
Document Georges Brun, 2010
Le système d’équilibre architectural : divers types de voûtes romanes et de systèmes de contrebutement.
Document Georges Brun, 2010
Architecture romane : élévation de trois travées à trois étages : grandes arcades, tribunes, fenêtres hautes.
Document Georges Brun, 2010
Ainsi, les masses des diverses parties de la bâtisse romane sont complémentaires pour l’EQUILIBRE de la construction.
Coupe d’une église romane de plan basilical : ici une église à tribunes, saint Etienne de Nevers.
Document Georges Brun, 2010
Structure générale d’une église romane de type basilical. Ici, Saint-Etienne de Nevers, autre vue.
Document Georges Brun, 2010
Architecture romane : la voûte d’arêtes romane des bas-côtés exerce une poussée sur les supports des angles de la travée. Cette voûte est rarement utilisée sur le vaisseau central.
Document Georges Brun, 2010
La dépendance des supports aux voûtes est de règle absolue. Avec l’évolution de l’architecture, les piliers deviennent cruciformes, car ils reçoivent les divers arcs doubleaux.
La coupole est, à l’époque romane, le mode de couvrement idéal de la croisée du transept : d’une part parce qu’elle permet aisément de voûter de grands espaces carrés, et d’autre part parce que les autres voûtes peuvent en cet endroit l’épauler sur ses quatre côtés. La seule difficulté de mise en œuvre tient au passage de la base circulaire de la coupole à la base carrée (plus rarement rectangulaire) de la croisée ou de la travée. Deux systèmes différents permettent ce raccordement :
Le poids de la coupole agit surtout sur les quatre robustes piliers auxquels s’accrochent pendentifs et trompes.
La file de coupoles servant à couvrir l’ensemble de l’édifice est particulièrement prisée en Périgord (Saint-Front et Saint-Etienne de Périgueux, Sainte-Marie de Souillac, Saint-Etienne de Cahors, Cherval), en Angoumois (Cathédrale d’Angoulême, église de Fléac, église de La Couronne), en Limousin (Saint-Pierre de Solignac), en Poitou (Saint-Nicolas de Maillezais) ou en Saintonge (abbaye-aux-Dames de Saintes, Saint-Romain-de-Benet)…
Le chapiteau roman est si différent des autres chapiteaux, antiques ou gothique qu’il peut aussi aider à reconnaître qu’une église est romane. Situé à portée de regard, il est un élément didactique pour le fidèle. Il peut être de diverses formes :
La façade d’une église, simple section de la nef au départ, prend rapidement une signification religieuse et symbolique de premier plan, puisqu’elle est le passage obligé entre l’espace profane et l’espace sacré, d’autant que l’église est souvent « orientée », c’est-à-dire que son chevet, l’espace le plus sacré du bâtiment (Naos ou sanctuaire), est orienté vers l’est, vers l’Orient, lieu ou se lève le soleil de la Résurrection, mais aussi direction de Jérusalem, désormais « Nouvelle Jérusalem » pour le chrétien.
Architecturalement, la façade, généralement située à l’ouest, est percé d’un (ou de trois) portail permettant au fidèle d’accéder à la nef. Elle est aussi la partie la plus visible de l’édifice et doit donc délivrer immédiatement un ou plusieurs message sous forme de décor sculpté, message destiné à des fidèles ne sachant pas lire, message éminemment didactique.
D'un point de vue architectural, l’élément la plus important de la façade est le portail comprenant plusieurs éléments :
Au début du XIe siècle, les murs des façades sont encore peu ornés. On note la présence de petits panneaux sculptés, historiés ou non, discrètement insérés dans l'appareil. Peu à peu cependant apparaît un décor plus structuré et concentré sur certaines parties comme le linteau ou les encadrements de fenêtres : ainsi le fameux linteau de Saint-Génis des Fontaines dans le Roussillon.
Puis, au XIIè, la sculpture se détache peu à peu de son support et envahit les diverses parties du portail : tympan, linteau, trumeau, piédroits, voussures, intérieur du porche... et l’iconographie se précise autour de quelques grand thèmes comme l'Apocalypse, le Jugement dernier, l'Ascension du Christ. Dans certaines régions le décor se développe sur toute la façade, comme dans le Poitou (Notre-Dame la Grande de Poitiers, cathédrale d’Angoulême …) Par contre, dans le Saint-Empire et le monde rhénan, la place laissée à la sculpture est extrêmement réduite car les bâtisseurs préfèrent soigner le parement…
Le mode de représentation utilisé est très abstrait. Les figures sont stylisées, les drapés irréalistes, marquant ainsi la délimitation entre monde naturel et surnaturel. L'organisation spatiale est subordonnée à l'importance hiérarchique des personnages. Le point de vue adopté n'est pas celui du spectateur mais celui de l'objet central, le Christ.
Parmi les plus beaux portail du monde roman se trouvent ceux de la Basilique de Saint-Trophime d’Arles, de Saint-Gilles du Gard, de l’abbatiale Saint-Pierre de Beaulieu en Dordogne, Saint-Lazare d’Autun, Sainte-Madeleine de Vézelay (tympans du narthex), de Saint-Pierre de Moissac, le portique de la Gloire de Saint-Jacques de Compostelle...
Exemple de restitution du tympan roman de Santa-Maria de Covet en Catalogne, réalisé vers 1150.
Document Georges Brun, 2010
C’est la voûte qui créé l’Église romane et qui l’explique. C’est la voûte de pierres qui a tout entraîné : la manière de construire et les formes qui en résultent, la manière de contrebuter, la manière d’éclairer.
C’EST A LA VOÛTE QU’ON RECONNAIT L’ÉGLISE ROMANE.
Ainsi :