Par Georges Brun
Publié le 20 mai 2015
« Il est peut-être difficile de peindre à la génération actuelle, qui a été élevée dans les catastrophes, les écroulements et les crises, pour laquelle la guerre a été une possibilité permanente, attendue presque quotidiennement, l'optimisme, la confiance dans le monde qui nous animaient, nous, les jeunes, depuis le début de ce siècle. Quarante années de paix avaient fortifié l'organisme économique des pays, la technique avait accéléré le rythme de l'existence, les découvertes scientifiques avaient empli de fierté l'esprit de cette génération ; un essor commençait, qui se faisait presque également sentir dans tous les pays de notre Europe. Les villes devenaient plus belles et plus populeuses d'année en année, le Berlin de 1905 ne ressemblait plus à celui que j'avais connu en 1901, la Résidence était devenue une grande capitale cosmopolite, et le Berlin de 1910, à son tour, la dépassait de beaucoup.
Chaque fois que l'on revenait à Vienne, à Milan, à Paris, à Londres, à Amsterdam, on était étonné et comblé de joie. Les rues se faisaient plus larges, plus fastueuses, les bâtiments publics plus imposants, les magasins étaient plus luxueux et aménagés avec plus de goût. On sentait en toutes choses que la richesse s'accroissait et se répandait plus largement. Même nous, les écrivains, le remarquions à nos tirages qui, en ce seul espace de dix années, avaient triplé, quintuplé, décuplé. Partout s'ouvraient de nouveaux théâtres, de nouvelles bibliothèques, de nouveaux musées. Toutes sortes de commodités, comme les salles de bains et le téléphone, naguère le privilège de cercles très étroits, pénétraient dans les milieux petits-bourgeois et, depuis que le temps de travail avait été réduit, le prolétariat s'élevait pour prendre sa part au moins aux petites joies et commodités de l'existence. Partout on allait de l'avant. Quiconque risquait gagnait à coup sûr. Qui achetait une maison, un livre, un tableau, en voyait monter le prix ; plus une entreprise était audacieuse, et plus on était sûr qu'elle serait d'un bon rapport. Une merveilleuse insouciance avait ainsi gagné le monde, car enfin qu'est-ce qui aurait bien pu interrompre cette ascension, entraver cet essor qui tirait sans cesse de nouvelles forces de son propre élan ? Jamais l'Europe n'avait été plus puissante, plus riche, plus belle, jamais elle n'avait cru plus intimement à un avenir encore meilleur. Personne, à l'exception de quelques vieillards déjà décrépis, ne regrettait plus, comme autrefois, le "bon vieux temps".
Mais ce n'étaient pas seulement les villes qui changeaient ; les hommes eux-mêmes devenaient plus beaux et plus sains grâce au sport, à la nourriture meilleure, à la réduction de la durée du travail et à une relation plus intime avec la nature. On avait découvert que l'hiver, jadis saison morne, que les hommes passaient dans les auberges à jouer aux cartes d'un air chagrin ou à s'ennuyer dans des pièces surchauffées, pouvait dispenser un soleil filtré, un nectar pour les poumons, une volupté de la peau où affluait un sang léger. Et les montagnes, les lacs, la mer n'étaient plus si éloignés que par le passé. La bicyclette, l'automobile, les chemins de fer électriques avaient raccourci les distances et donné au monde un nouveau sentiment de l'espace. Le dimanche, des milliers et des dizaines de milliers de touristes en anoraks aux couleurs vives descendaient les pentes vertigineuses sur leurs skis et leurs luges, partout on construisait des palais des sports et des piscines. Et c'est justement à la piscine qu'on pouvait observer distinctement le changement survenu. Tandis qu'au temps de ma jeunesse un homme vraiment bien fait frappait parmi ces gros cous, ces panses volumineuses et ces poitrines creuses, maintenant des corps assouplis par la gymnastique, brunis par le soleil, durcis par le sport rivalisaient dans un joyeux concours à l'antique. Personne, sinon les plus pauvres, ne restait plus à la maison le dimanche, toute la jeunesse partait en excursion, grimpait et luttait, rompue à tout espèce d'exercice. (...) on était devenu curieux de savoir si le monde était partout aussi beau, et d'une beauté différente ; tandis que naguère seuls les privilégiés avaient vu les pays étrangers, des employés de banque et de petits industriels voyageaient en Italie, en France. Les voyages étaient devenus moins onéreux, plus commodes, et c'était par-dessus tout le nouveau courage, la nouvelle audace des hommes qui les rendait aussi plus hardis dans leurs pérégrinations, moins craintifs et économes dans leur manière de vivre - bien plus, on avait honte de se montrer craintif. Toute la génération décidait d'être plus juvénile... »
Stefan Zweig (1881-1942), Le Monde d'hier. Souvenirs d'un Européen (Die Welt von Gestern), 1944. Paris, Belfond 1982.
C’est dans la Vienne d'avant 1914 que Stefan Zweig a grandi et connu ses premiers succès d'écrivain, passionnément lu, écrit et voyagé, lié amitié avec Freud et Verhaeren, Rilke et Valéry. Un monde de stabilité où, malgré les tensions nationalistes, la liberté de l'esprit conservait toutes ses prérogatives.
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Au début du XXè siècle, l’Europe des grandes puissances (France, Allemagne, Angleterre), domine le monde entier dans tous les domaines : politique, scientifique et technique, culturel et surtout économique. N’ayant pas connu de conflit majeur depuis près de 30 ans (Guerre franco-allemande de 1870), elle a poursuivi sa transformation économique amorcée depuis le milieu du XIXè siècle et largement amorcé sa seconde révolution industrielle basée désormais sur des énergies nouvelles comme le pétrole et l’électricité.
Lucien Lefèvre (né en 1850?): l'électricité. Affiche, parue en 1897 dans "Les maîtres de l'affiche", publication mensuelle contenant la reproduction des plus belles affiches illustrées des grands artistes, français et étrangers, éditée par L'Imprimerie Chaix (1896-1900)
Photo. Document Commons Wikimedia. Domaine public., 2010
Forte de 400 millions d’habitants en 1900 (200 millions en 1800) sur le « Vieux continent », déjà fortement urbanisée, l’Europe a vu quelque 60 millions de ses habitants émigrer au quatre coins du monde, principalement en Amérique, et y établir sa domination, sa culture et ses modes de vie, y supplantant souvent les cultures locales ou les marquant fortement de son empreinte.
La puissance de l’Europe, ce sont ses énormes foyers industriels (Angleterre, Ruhr, nord de la France – Belgique) et ses capacités commerciales : les produits européens submergent le monde : cette situation privilégiée est le résultat de la révolution industrielle du XIXè siècle marquant le passage d’une économie de subsistance à celle de production, d’échange et de consommation de masse. Cette révolution industrielle est liée à l’essor du capitalisme basé sur les principes suivants :
• Propriété privée (individuelle ou collective de sociétés par actions) des moyens de production et d’échange…
• Libéralisme économique : « Laisser faire, laisser passer… ».
• Rôle décisif du marché ouvert à la concurrence selon la loi de l’offre et de la demande.
• Orientation de toutes les activités vers la recherche du profit maximum…
• Non-intervention de l’Etat dans la vie économique…
Certes, cette puissance industrielle n’est pas égale : elle est marquée par des crises (1873-1893), elle est inégalement répartie entre un espace anglo-germanique urbain et puissant et un espace sud-européen plus pauvre et plus rural; elle voit la domination écrasante des trusts et cartels sur les petites unités souvent encore artisanales, elle profite avant tout à une minorité d’industriels, de banquiers, de rentiers et d’actionnaires… mais le progrès profite à tous et dans tous les domaines : éducation, santé, communications, vie culturelle...
Photo aérienne des aciéries Krupp à Essen, dans la Ruhr, vers 1910. Au fond, le bâtiment abritant le siège de l'entreprise.
Photo. Document Commons Wikimedia. Domaine public., 2010
Ce développement et cette richesse font de l’Europe le coffre fort du monde : d’énormes masses de capitaux circulent en Europe et dans le monde entier. Cette puissance permet à l’Europe d’investir dans tous les pays du monde et ainsi de les contrôler…
Au service de cette puissance, l’Europe possède une énorme flotte marchande (Angleterre, Allemagne) : elle peut ainsi exporter ses produits finis et importer les matières premières dont son industrie a besoin (laine, coton, bois, métaux, caoutchouc).
A l’aube du XXè siècle, l’Europe marque le monde entier de sa puissance et de son empreinte culturelle et économique. Aucun pays n’y échappe : les pays qui ont su garder leur indépendance politique (Amérique du Sud, Japon, Empire ottoman) ou les autres, qui ont été tout simplement colonisés ou littéralement dépecés (Chine).
Le colonialisme est l’expression parfaite de l’impérialisme européen et de son expansion : né dans la première moitié du XIXè siècle, il sert aussi bien de déversoir à une population européenne pauvre qui va bientôt peupler les régions du monde dont le climat lui convient (Amérique du Nord, Afrique du Sud, Algérie…), que de fournisseur de matières premières et de marché absorbant produits finis et capitaux…
L'Europe colonise le monde : carte des principales colonies des puissances européennes.
Carte Georges Brun, 2015
Rapidement, le colonialisme devient le symbole de la volonté de puissance des états européens qui, désireux d’affirmer leur force et leur influence, entendent s’assurer un prestige mondial et assurer la sécurité de leurs ressortissants à l’heure où le nationalisme est en pleine expansion : après 1870, les courants d’opinion, de plus en plus puissants, se basent sur l’orgueil national pour développer une politique d’expansion souvent agressive (France après 1870, Empire allemand réunifié après 1880 …)
Ce colonialisme trouve sa justification dans les théories politiques fortement teintées de darwinisme transposé sur le plan social : en vertu de la supériorité de la race blanche justifiée par le progrès, conscients de leur rôle, les peuples supérieurs d’Europe désirent répandre la « Mission civilisatrice » (ainsi que la religion) de l’homme blanc par la création de routes, hôpitaux, écoles, églises, voies de communication... Ce qui n’empêche pas les industriels de l’Europe entière de s’octroyer et de se partager en concessions les meilleures terres, conquises au besoin par la force et exploitées de manière éhontée par une population indigène considérée comme inférieure.
Ainsi se constituent entre 1830 et 1900, les grands ensembles coloniaux européens : jusqu’en 1870, ce sont principalement l’Angleterre et la France qui sont les grandes nations colonisatrices, l’Allemagne étant alors préoccupée à réaliser son unité sous la férule de la Prusse… mais à partir de 1880, l’exploration devient systématique. La crise économique pousse les pays puissants au protectionnisme et à la recherche de « chasses gardées » pour les matières premières et l’exportation ; de plus, la colonisation est relancée par de nouveaux arrivants : Allemagne, Russie, Japon, Italie, Belgique : d’où le risque de conflits qui ne sont évités que par diverses conférences dont la plus importante, la conférence de Berlin en 1884 constitue un véritable dépeçage de l’Afrique.
En 1914, le monde entier est colonisé par l’Europe, soit directement, soit indirectement : seuls le Japon et les Etats-Unis, eux-mêmes ancienne colonie européenne, échappent non seulement à cette mainmise, mais l’imitent : alors que le Japon se taille un empire colonial en Chine et en Corée, les Etats-Unis, de manière indirecte, contrôlent l’Amérique du sud, une grande partie du Pacifique et s’implantent en Chine.
L’empire colonial anglais est de loin le plus vaste avec ses 33 millions de km² et ses 450 millions d’habitants, soit le quart de la population mondiale ! Les Anglais ont conscience que leur prospérité repose sur leur empire, dont ils tirent charbon, acier, coton, pétrole.
Colonies de peuplement blanc sont le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande et l’Afrique du Sud où les Anglais se heurtent aux Hollandais, déjà installés en Orange et au Transvaal : deux conflits très durs opposent Anglais et « Afrikaners » : les « guerres des Boers » (1880-1881 et 1899-1902) qui finissent par voir le triomphe de l’Angleterre et de son projet d’une Afrique anglaise « du Cap au Caire ».
Guyane et Honduras britannique en Amérique, Egypte, Soudan, Somalie, Ouganda, Kenya, Tanzanie, Zambie, Rhodésie, Nigeria, Ghana en Afrique, Inde, la « Perle de la couronne », sont des colonies d’exploitation auxquelles il faut ajouter Hong-Kong, des concessions en Chine et de multiples îles ou points de contrôle disséminés dans les divers océans du globe (Falklands, Gibraltar, Malte, Aden …)
Enfin, l’Angleterre tente de contrôler l’Afghanistan et lorgne sur le Moyen-Orient, riche en pétrole, où elle se heurte à la Russie et à l’empire ottoman.
Loin derrière l’Angleterre, l’empire colonial français s’étend sur 11 millions de km² et compte près de 50 millions d’individus. Les bases de l’empire sont posées sous Louis-Philippe et Napoléon III (Début de l’intervention en Algérie en juin 1830 et achèvement de la « pacification » en 1871), mais c’est avec la IIIème république, sous l’impulsion de Jules Ferry, que le colonialisme connaît sa véritable expansion, encouragée d’ailleurs par Bismarck qui pense détourner par ce moyen la France de l’esprit de revanche après la défaite de 1870 et l’annexion de l’Alsace-Lorraine.
Le grand domaine colonial français est l’Afrique : Algérie, Tunisie, Maroc dans le Maghreb ; Mauritanie, Mali, Niger, Haute-Volta (Burkina Faso), Tchad, Sénégal, Côte-d’Ivoire, Dahomey (Bénin) forment l’AOF (Afrique Equatoriale Française). L’AEF, Afrique Equatoriale Française comprend le Congo, le Gabon et la Centre-Afrique … Madagascar et la Somalie complètent les possessions françaises en Afrique.
En Extrême-Orient, les Français s’installent en Cochinchine (Vietnam du Sud), au Cambodge, puis, après la guerre du Tonkin (1884-1904) au Laos, au Tonkin (Vietnam nord) et en Annam (Vietnam centre), créant ainsi l’Union Indochinoise. La France possède en plus des comptoirs en Chine (Shanghaï, Pékin)…
Dans le reste du monde, la France possède des comptoirs en Amérique (Guyane, Antilles, Terre Neuve), en Inde (Chandernagor, Mahé, Karikal, Pondichéry, Yanaon), en Océanie (Polynésie, Nouvelle Calédonie, Nouvelles-Hébrides).
Arrivant plus tardivement, les autres puissances se lancent à leur tour vers 1880 dans la conquête et le partage du monde : Stanley explore le Congo (République Démocratique du Congo) pour le compte du roi des Belges Léopold II ; l’Espagne s’adjuge le Sahara et la Guinée espagnoles ; le Portugal étend son influence déjà séculaire sur l’Angola, le Mozambique, Goa, Macao ; les Pays-Bas s’implantent en Guyane, Indonésie, Nouvelle-Guinée ; l’Italie contrôle la Libye, la Somalie, l’Erythrée…
L’Allemagne de Bismarck, grande puissance économique européenne se sentant une vocation mondiale, mais toute jeune nation politique, tente de refaire son « retard » sur la France et l’Angleterre et s’adjuge, non sans âpres négociations, le Togo, le Cameroun, le Sud-Ouest-Africain. Elle ouvre des comptoirs en Chine (Tsing-Tao), mais reste insatisfaite de la maigreur de ses possessions.
La Russie pousse de plus en plus vers l’est (Mandchourie, Chine) : elle va s’y heurter au Japon (guerre de 1905).
Quant aux Etats-Unis, ils font de l’Amérique du Sud et des Philippines leur chasse gardée, où, tout en ne s’impliquant officiellement pas des affaires intérieures des pays sous influence, ils mènent avec efficacité leur politique du « Big stick ».
L’Europe de 1900 est l’héritière de deux grands phénomènes qui ont dominé l’histoire politique du XIXè et sont indispensables à la compréhension de l’histoire contemporaine : l’essor du libéralisme et la montée des nationalismes.
Après la Grande Révolution de 1789 qui bouleverse la France puis l’Europe, le mouvement libéral se maintient malgré le retour de régimes plus ou moins autoritaires entre 1815 à 1848 (« restauration » française) et progresse inéluctablement : il aboutit à l’aube du XXè au triomphe du système politique démocratique dans la plupart des grandes puissances. Ce libéralisme se caractérise par trois aspects fondamentaux :
• le principe de base de la liberté individuelle ;
• une constitution garantissant la séparation des trois pouvoirs ;
• la participation aux trois pouvoirs de représentants élus.
Grande bénéficiaire du libéralisme grâce au suffrage censitaire, la bourgeoisie doit se battre à la fois contre le retour à l’ancien régime qui lui ôterait une partie de son pouvoir, contre la poussée démocratique mettant en cause ses privilèges conférés par le système du suffrage censitaire et contre la montée du socialisme qui conteste sa toute puissance économique.
Alors que l’ancien régime se meurt peu à peu, démocratie et socialisme gagnent du terrain.
La démocratie ne cesse de progresser et triomphe dans les pays avancés (France, Etats-Unis, Angleterre) où elle atteint peu à peu ses principaux objectifs :
• Libertés publiques (Presse, syndicats, associations…)
• Egalité des citoyens ;
• Suffrage universel (duquel sont cependant exclues les femmes) ;
• Généralisation de l’instruction (Lois Ferry en France, 1880-1881).
• Pouvoir au peuple grâce au régime parlementaire (IIIè république en France) ou au régime présidentiel (Etats-Unis d’Amérique).
Mais la démocratie du XIXè reste inégalitaire (Le pouvoir réel reste aux mains des bourgeois et des nobles) et ne remet pas en cause le système économique capitaliste. Cette remise en question sera l’œuvre du socialisme.
Système qui fait prévaloir les intérêts de la société toute entière sur ceux des individus par une organisation rationnelle et concertée de la production ainsi qu’une répartition équitable de ses fruits, le socialisme tire son origine de la révolution industrielle (émergence du prolétariat) et naît à la fois dans la conscience ouvrière et dans les milieux intellectuels :
• Les ouvriers, par les luttes souvent victorieuses, obtiennent l’amélioration de leurs conditions de vie, le droit de se syndiquer, le droit de grève, la suppression du travail des enfants…
• Les intellectuels créent le socialisme comme méthode d’analyse et de réponse aux problèmes de la société.
Le socialisme « démocratique » naît en France (1815-1848) avec Charles Fourrier (1772-1837), Saint-Simon (1760-1825), Proudhon (1809-1865) et donne naissance à divers mouvements dont le socialisme démocratique et l’anarchisme…
L’autre grande branche du socialisme est le marxisme (Karl Marx, 1818-1883 ; Friedrich Engels, 1820-1895), « frère ennemi » du socialisme démocratique qui gagne tous les pays industrialisés (sauf les USA et l’Angleterre) grâce à son organisation très structurée et internationaliste (internationale ouvrière).
En 1900, la France est un pays riche. Après une période de grande expansion correspondant à la première révolution industrielle (1848-1873) et un période de dépression (1873-1895), le pays repart. Quatrième puissance mondiale, elle possède la première agriculture d’Europe qui emploie encore 45% de la population active et est en pleine mutation (mécanisation, engrais, communications) même si la majorité des paysans en reste à l’exploitation traditionnelle de type familial (Polyculture).
Son industrie, puissante, se base sur le développement de la métallurgie, de la houille, de l’automobile (second rang mondial), de l’aviation (premier rang), du textile ; le réseau ferré est bien développé (50 000km) et les usines bien concentrées autour des centres urbains, principalement dans le nord. La fortune de la France augmente de 150% entre 1870 et 1914. Bourgeois et paysans déposent leur argent en dépôt–épargne dans les banques qui l’investissent dans le monde entier : ainsi, 20% du total des investissements mondiaux sont français : entre 1900 et 1913, les investissements français à l’étranger, actions et emprunts d’État, atteignent 17,5 milliards ! Les capitaux du pays sont notamment investis en Russie, Turquie, Allemagne, dans les Balkans et aux Etats-Unis.
Les points faibles de l’industrie française sont le manque de techniques modernes, un patronat peu dynamique et craignant la concurrence, le peu d’esprit d’entreprise, un protectionnisme rigoureux. Par ailleurs, les investissements à l’étranger restent risqués, notamment à cause de la fragilité et de l’instabilité de certains pays comme la Turquie, les pays balkaniques ou la Russie… Enfin, la France fait face à un sérieux problème de démographie : 37,8 millions d’habitants en 1870, mais seulement 39,8 millions en 1914, soit le 5ème rang mondial, loin derrière le grand rival allemand, presque deux fois plus peuplé.
Grâce à la puissance de son économie, à la généralisation de l’instruction primaire et à l’impôt sur le revenu, toute la société française profite de l’enrichissement général, à des degrés divers. Le niveau de vie s’élève et devient l’un des plus hauts du monde, loin devant celui de l’Allemagne.
Paris, l'exposition universelle de 1900 : le palais de l'électricité et le Château d'eau. Cette exposition, qui attire plus de 50 millions de visiteurs, est véritablement le symbole de l'Europe de 1900 et des progrès accomplis par la révolution industrielle. L'Europe est alors en pleine euphorie.
Carte postale , 2015
C’est la France de la « Belle époque » (expression inventée après coup, dans les années 1920) marquée par une vie culturelle d’une grande richesse, une vie artistique et intellectuelle plus que brillante (impressionnisme, fauvisme, Art nouveau), l’explosion de technologies nouvelles (Electricité, aviation, cinéma …), les premiers pas de la société de consommation. Symbole de cette religion du progrès, l’exposition universelle de Paris en 1900 est la manifestation emblématique de l’époque, attirant plus de 50 millions de visiteurs…
Malgré l’égalité de principe, il reste de grands contrastes dans la société française :
• Le culte du travail et de l’épargne chevillé au corps, la grande bourgeoisie est le grand bénéficiaires du progrès et tient solidement les rênes du pays dont elle contrôle l’essentiel de la fortune : 2 000 familles se partagent 60% de la richesse française ! Cette bourgeoisie est à la direction politique du pays, accède aux grande écoles, possède le monopole des postes-clés de l’économie et de l’administration… C’est le « Tout Paris », fréquentant les Grands Boulevards, lançant la mode, s’adonnant au sport (Pierre de Coubertin) et se voulant à l’avant-garde du progrès.
• Petite et moyenne bourgeoisie imitent la grande : c’est la France des notables provinciaux, fonctionnaires, professions libérales, commerçants, petits propriétaires et rentiers.
• Le sort des ouvriers s’est nettement amélioré depuis les années 1850, grâce à l’action syndicale. Les ouvriers ont vu leur salaire augmenter de 60% entre 1870 et 1914. Mais les journées de travail restent longues (entre 10 et 12 heures) ; il n’y a ni sécurité de l’emploi ni congés payés. Enfin les salaires varient énormément selon la région et la profession. A partir de 1879, le mouvement ouvrier s’organise sur le plan politique avec la création en 1905 par Jean Jaurès (1859-1914) et Jules Guesde (1845-1922) de la SFIO (Section Française de l'Internationale Ouvrière) et sur le plan syndical avec la création de la CGT (Confédération Général du Travail) en 1895 qui obtient le régime des retraites et la journée de 10 heures (1910).
Quelques grandes figures de l'histoire politique française au tournant du XIXè siècle.
Montage Georges Brun, 2015
Depuis 1871 la France républicaine s’est dotée d’un régime parlementaire dont la constitution de 1875, celle de la IIIè République, est le reflet, avec un pouvoir législatif fort : le pouvoir est principalement détenu par le président du Conseil, le rôle du président de la République étant beaucoup plus effacé.
Jusqu’en 1899 gouvernent les républicains modérés, représentatifs de la bourgeoisie libérale et les classes moyennes ; avec Gambetta, Ferry (1880-1885), Grévy, ils réalisent une œuvre considérable : liberté de presse et d’association (syndicats), scolarité (laïcité, patriotisme), politique d’expansion coloniale, malgré l’opposition des radicaux, des conservateurs et des catholiques. Le régime connaît cependant une grave crise économique (1873 – 1893) et est secoué par de multiples scandales qui finissent par l’ébranler : celui des décorations (1887-1888), l’affaire Boulanger (1889), le scandale de Panama (1889-1893), l’affaire Dreyfus (1894-1906) et les attentats anarchistes.
Aux Modérés succèdent les Radicaux du Bloc des Gauches (1899-1911) avec Waldeck-Rousseau (1899-1902), Combes (1902-1906), Clemenceau (1906-1909) qui mènent un farouche combat anticlérical (1904-1905) mais se heurte à d’importants mouvements sociaux qui provoquent sa chute. Une coalition modérés-socialistes arrive au pouvoir en 1911 avec Poincaré, alors que s’exacerbent les tentions internationales et que se lève le spectre d’un inévitable conflit avec l’Allemagne.
Première place financière du monde en 1900, régnant sur le commerce mondial grâce à sa flotte et son empire colonial, L’Angleterre perd cependant son leadership économique face à la concurrence des USA et de l’Allemagne, qui lui disputent son hégémonie navale, ce qui explique en grande partie son rapprochement avec la France.
Vue de Londres en 1900. Le Royaume-Uni en 1900, quoique fortement concurrencé, reste encore la première grande puissance commerciale et financière du monde.
Photo. Document Commons Wikimedia. Domaine public, 2015
Le pays a du mal à trouver de nouveaux débouchés. Aussi est-il tenté de renoncer au libre échange pour un strict protectionnisme impérial. Mais l’opposition des libéraux, des syndicats et des industriels du coton font échouer ce projet des conservateurs.
Les questions et difficultés économiques entraînent des crises sociales : pour les ouvriers non qualifiés ne faisant pas partie de syndicats (Trade Union), le chômage et la baisse des salaires sont inévitables. Aussi naissent de nouveaux syndicats beaucoup plus révolutionnaires et radicaux qui provoquent de violentes grèves en 1909, 1911, 1912, ainsi qu’un mouvement socialiste proche de ces syndicats : ces deux mouvements donnent naissance en 1906 au « Labour party » ou parti travailliste.
La Grande Bretagne a un régime de démocratie sans violence. Cette monarchie parlementaire se donne comme premier ministre le leader du parti vainqueur aux élections. Sous le long règne de Victoria (1837-1901), deux partis alternent au pouvoir : les Tories (Conservateurs avec Disraeli, Gascoyne-Cecil) et les Wighs (Libéraux avec Gladstone). Jusqu’en 1906, les conservateurs Tories sont au pouvoir et pratiquent une politique de protectionnisme qui se révèle inefficace.
Quelques grandes figures de l'histoire politique anglaise au tournant du XIXè siècle.
Montage Georges Brun, 2015
A partir de 1906 les Wighs arrivent aux affaires avec notamment Lloyd George (1863-1945), Herbert Henry Asquith (1906-1915) et le jeune Winston Churchill (1874-1965). Ils mettent en route un programme de réformes sociales (journée de travail de 8 heures, système d’assurances), financières et militaires (réarmement de la Navy). Afin de trouver des financements, ils imposent en 1909 à la chambre des Lords l’impôt sur le revenu qu’ils obtiennent en 1911.
La question de l’indépendance de l’Irlande catholique (Home Rule), posée depuis le XVIè, reste très vivace. Malgré l’autonomie promise en 1912, l’Ulster (Irlande du Nord majoritairement protestante) en retarde l’application et la guerre civile menace.
Quelques grandes figures de la vie politique allemande entre 1880 et 1920.
Photo. Document Commons Wikimedia. Domaine public., 2015
Né le 18 janvier 1871 dans la Galerie des Glaces de Versailles, l’empire allemand connaît une ascension fulgurante, qui en fait en 1914 la première puissance militaire et la seconde puissance économique du monde.
Deux hommes que tout oppose dominent la scène politique allemande entre 1871 et 1914 : Le chancelier Bismarck, qui a forgé l’unité allemande « Durch Blut und Eisen » ("Par le fer et le sang") et l’empereur Guillaume II.
Le ranvoi de Bismarck par Guillaume II.Caricature parue dans le journal anglais le Punch, intitulée "Dropping the Pilot" de John Tenniel. Le renvoi de Bismarck marque un tournant fondamentale dans le politique impériale. Prime est désormais donnée à la "Weltpolitik", par laquelle l'Allemagne doit dominer le monde...
Caricature , 2015
Le régime politique instauré par Otto von Bismarck (1815-1898) est en un savant compromis :
• entre le sentiment nationaliste du peuple et le conservatisme des dirigeants ;
• entre la monarchie absolue et le libéralisme du Reichstag où dominent trois groupes : les « Junkers » conservateurs, les nationaux libéraux et les catholiques du Zentrum ;
• entre la tendance unitaire à domination prussienne du chancelier et les tendances libérales des autres états : la Prusse impose sa loi, mais chacun des 25 états est indépendants en ce qui concerne sa politique interne.
De fait, malgré le suffrage universel et la création du Reichstag, le régime est très autoritaire : le chancelier n’est responsable que devant l’Empereur et l’influence des Junkers (Noblesse foncière de Prusse et d’Allemagne orientale) est prépondérante, malgré la bourgeoisie libérale, industrielle et urbaine et malgré les socialistes, encore très peu influents, car le pays est socialement très avancé.
La grande affaire du chancelier est le renforcement de la jeune unité allemande et la place du Reich dans le concert des nations. Pour cela :
• Il établit un protectionnisme rigoureux, créé la Reichsbank et impose le mark comme monnaie unique à tout l’empire.
• Il s’attaque aux catholiques, trop indépendants et trop « romains » : c’est le « Kulturkampf » (1871-1887) qui voit notamment l’expulsion des Jésuites (1872). Finalement le chancelier va échouer, car il a besoin du Zentrum catholique au Reichstag pour gouverner. Or en 1874, le Zentrum gagne les élections…
• Il s’attaque aux socialistes, trop révolutionnaires à son goût : d’abord par la force, puis en faisant d’habiles réformes sociales (Assurances maladie et retraites, assurance accident), leur coupant ainsi l’herbe sous les pieds.
• Dans les territoires occupés, Pologne et Alsace-Lorraine, il pratique une politique de germanisation forcée.
• Vis-à-vis de la France, il mène une politique d’isolement en cherchant des alliances en Europe (Angleterre, Russie, Autriche-Hongrie) et en encourageant la politique coloniale de Paris… Il y parvient en 1887 (soutien à l’Italie dans l’affaire tunisienne, affaire Scnnaebelé), mais après son renvoi, Guillaume II changera radicalement de politique.
En 1888, Guillaume II (28 ans) monte sur le trône. L’opposition entre Bismarck qui soutient une Allemagne continentale, rurale dominée par les Junkers (Realpolitik) et Guillaume II qui penche pour une politique de puissance maritime, expansionniste, coloniale et industrielle (Weltpolitik) ne cesse de grandir. Bismarck est remercié en 1890 après la percée aux élections du Zentrum et des sociaux-démocrates.
Le Kaiser Guillaume II avec ses principaux généraux, peu avant le déclenchement de la guerre. L'Allemange de cette époque est véritablement dominée par la caste militaire prussienne contra laquelle les civils n'ont que peu de pouvoir.
Montage Georges Brun, 2015
L’obsession de Guillaume II, c’est la puissance de l’Allemagne dont il veut faire la première puissance mondiale. Il s’y consacre corps et âme.
Le développement économique de l’Allemagne devient prodigieux. Il se base sur :
• La production de charbon : elle est de 190 millions de tonnes en 1913 (contre 42 millions en France) ;
• une main d’œuvre active, nombreuse et disciplinée ;
• un essor considérable des ports (Hambourg, Kiel, Emden...) ;
• d’excellentes communications (Chemins de fer, routes, voies navigables) ;
• un système bancaire totalement refondu et réformé (Caisses d’épargne)
• le regroupement des entreprises en grandes concentrations : Krupp et Thyssen pour l’acier, AEG (Allgemeine Elektricitäts-Gesellschaft, 1887) pour l’électricité, Badische Anilin (Chimie)
En 1914, l’Allemagne, forte de 65 millions d’habitants (49 en 1890), est la seconde puissance du monde.
Politiquement, Guillaume II (Wilhelm II) gouverne seul, sous l’influence de l’aristocratie Junker militariste et des hommes d’affaires. Les partis politiques sont réduits à l’impuissance, mais les sociaux-démocrates sont de plus en plus nombreux et poussent aux réformes démocratiques.
La grande affaire du Kaiser, c’est la politique impérialiste, la « Weltpolitik » fortement teintée de pangermanisme. Elle tient en une phrase : l’Allemagne est faite pour dominer le monde.
• L’Allemagne veut se tailler un empire colonial. Cet empire est tardif, car France et Angleterre se sont partagé depuis bientôt 50 ans la grande part du gâteau. Le Reich s’implante tout de même en Afrique (Togo, Cameroun, Sud-Ouest Africain, Est-Africain), en Océanie (Marshall, Mariannes, Carolines, Nord de la Nouvelle Guinée) et en Chine (Tsing-Tao). Mais l’empire veut encore s’agrandir : à cette fin il lorgne vers la Turquie et signe de nombreux accords commerciaux avec l’empire ottoman moribond (Voie ferrée Berlin-Bagdad).
• Guillaume II poursuit inlassablement son rêve de « Weltpolitik ». Pour le Kaiser, la race allemande est faite pour dominer le monde. Dès 1891, il encourage la fondation de la « ligue Pangermaniste » ("Alldeutscher Verband") , véritable « lobby » de bientôt 20 000 membres militants, puis accélère en 1898 la course aux armements ainsi que la création d’une puissante « Kriegsmarine » : avec l’Amiral Tirpitz, il planifie la construction de 36 cuirassés et 38 croiseurs sur 16 ans. Aussi l’Angleterre s’inquiète et se rapproche de la France, elle-même avide de « revanche ».
• Au service de cette politique de domination, Guillaume II n’hésite pas à employer des méthodes d’intimidation, particulièrement vis-à-vis de la France : en avril 1905 à Tanger il provoque Paris en réclamant l’indépendance du Maroc ; surtout, en juillet 1911, il envoie à Agadir un croiseur pour protéger les intérêts allemands après une intervention militaire française au Maroc. Cette crise ravive les tensions entre les deux pays. Elle aboutit au traité d’Algésiras du 4 novembre 1911 qui laisse à la France les mains libres au Maroc, en échange d'une partie du Congo cédé à l'Allemagne.
• Enfin, dans la poudrière des Balkans, Guillaume II soutient à fond les intérêts de l’Autriche-Hongrie, jetant même de l’huile sur le feu, convaincu que seule une guerre européenne, naturellement gagnée par l’Allemagne, offrirait au Reich la place qui devait être la sienne : la première.
La guerre aura bel et bien lieu. Elle sera mondiale, terrifiante, désastreuse pour l’Europe et pour l’Allemagne, à court et à long terme, et enverra le Kaiser en exil.
Après la défaite de Sadowa (Königgrätz) contre la Prusse en 1866, l’immense empire d’Autriche-Hongrie se dote d’une double monarchie (1867) : l’empereur d’Autriche est en même temps le roi de Hongrie, mais chaque pays possède son propre régime constitutionnel, ses gouvernements respectifs responsables devant leurs chambres de Vienne et Budapest, ses langues officielles et ses administrations propres. Ils n’ont en commun que la politique étrangère et la guerre.
De fait, le régime tire sa force dans la cohésion de l’Eglise catholique, de l’armée et de la dynastie des Habsbourg. Cela cache très mal la grave crise qui secoue en profondeur tout le système.
Le problème le plus dramatique de l’empire est celui des minorités : elles sont nombreuses, non-germaniques et réclament leur autonomie, à l’exemple de la Hongrie qui a réussi à se défaire de la politique centralisatrice et germanique de l’empereur François-Joseph (1848-1916). Mais le régime ne fait rien pour les Tchèques anti-germains, les Polonais et surtout les Slaves du sud : Croates, Dalmates, Bosniaques, Slovènes… Le problème de ces minorités va, au début du XXè siècle, se cristalliser autour le la petite Serbie qui vient de gagner son indépendance face à l'empire ottoman.
L'empire austro-hongrois en 1911. En 1900, la "Double monarchie" , véritable "mosaïque" de peuples, mène une politique hégémonique dans les Balkans, agressive à la fois contre un empire ottoman en déliquescence, contre l'empire russe qui s'est donné mission de protéger les Slaves, et contre la Serbie, indépendante depuis peu et très agressive contre Vienne. Une véritable poudrière.
Carte. Carte Georges Brun., 2015
Indépendante après deux guerres menées contre l’empire Ottoman et suite au congrès de Berlin de 1878, la petite principauté serbe, turbulente jusqu'à l'agressivité, exerce sur les Slaves du sud de l’empire austro-hongrois une véritable fascination. Ils voient en elle le pivot d’un état "Yougoslave" qui fédérerait tous les Slaves de l’Europe méridionale. Pour parer à cette menace, l’Autriche mène une politique d’expansion balkanique contre la Serbie : en 1908, elle annexe la Bosnie-Herzégovine et créé l’axe ferroviaire Budapest - Belgrade - Thessalonique afin de mieux contrôler cette « Poudrière balkanique »…
Cette poudrière explosera en juillet 1914 et fera d’incommensurables dégâts.
Principales personnalités de la vie politique austro-hongroise entre 1890 et 1920.
Montage. Montage Georges Brun., 2015
L’indépendance à peine gagnée grâce à l’aide de Napoléon III (Solferino et Magenta), le jeune royaume italien, proclamé en 1861, doit faire face à de graves difficultés :
• Difficultés économiques : le pays est pauvre, les terres trop morcelées (Microfundia) ou trop étendues (Latifundia) et mal cultivées. L’industrie dépend de l’étranger car elle possède peu de ressources naturelles. L’Italie est obligée d’importer biens d’équipement et nourriture ; sa balance commerciale est toujours en déficit.
• Difficultés sociales : il y a une énorme inégalité entre le nord du pays qui se développe et s’urbanise (bourgeoisie d’affaires) et le sud (Mezzogiorno) qui reste routinier et rural, soumis à une aristocratie terrienne ou à des sociétés secrètes comme la Main Noire ou la Mafia… La population croît rapidement (26 millions en 1861, 32 en 1900) et le sud est surpeuplé avec son cortège de famines et jacqueries. Naît un fort courant d’émigration vers les USA (872 000 en 1912 !) La dure loi du libéralisme frappe surtout les pauvres qui se laissent influencer par le marxisme, l’anarchisme ou les programmes de la droite dure.
• La vie politique italienne est atone. La classe dirigeante est numériquement faible, mais contrôle tout. Le régime parlementaire ne comporte aucun parti vraiment structuré : ce sont surtout les rivalités de personnes qui dominent la vie politique. En fait, le roi gouverne sans opposition, le peuple est indifférent, alors que la papauté, qui se considère « Prisonnière au Vatican » depuis la perte des Etats Pontificaux en 1870, est franchement hostile au pouvoir.
• L’Italie continue à revendiquer des territoires autrichiens à population partiellement italienne, les « Terres irrédentes » : Tyrol du Sud, Trieste, Vénétie, Frioul, côte Dalmate.
Vers 1900, grâce à l’énergie hydroélectrique, le pays se modernise. Chemins de fer, sidérurgie, textile, constructions navales, constructions automobiles (FIAT), chimie (Montecatini) sont les industries de pointe du pays. Cependant, les progrès industriels restent assez faibles en comparaison de ceux des grands pays…
Socialement, c’est l’époque de l’apaisement avec les grandes réformes (assurances, repos hebdomadaire…) Mais le niveau de vie reste bas et la violence sociale est quasi endémique en Emilie-Romagne (1910-1914). Enfin, le problème du Sud, le « Mezzogiorno », reste entier.
La grande figure politique de cette époque est le ministre puis président du conseil Giolitti (Actif entre 1889 et 1914) qui démocratise le pays en imposant les assurances sociales, le droit de grève, le suffrage universel… Les nationalistes (Gabriele d’Annunzio, 1963-1938) et les socialistes (Benito Mussolini, 1883-1945) sont ses principaux opposants, mais les masses restent en dehors du jeu politique.
La bataille d'Adoua, 1896. Une humiliante défaite de l’Italie face aux Ethiopiens. Gravure d'époque.
Gravure. Document Commons Wikimedia. Domaine public, 2015
L’expansion coloniale est provoquée par la politique coloniale française et par le désir des dirigeants italiens de faire partie des grandes nations. L’Italie prend l’Erythrée (1885) puis la Somalie (1889). Mais le grave échec d’Adoua contre le roi Ménélik en 1895 fait renoncer l’Italie à la conquête de l’Ethiopie. En 1901 elle obtient une concession dans la ville chinoise de Tianjin et acquiert en 1911 les territoires africains de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque (Libye), ainsi que les îles de Cos et de Rhodes (Dodécanèse), conformément au Traité de Lausanne de 1911 après une courte guerre contre la Turquie.
L’empire Russe, le plus vaste du monde, est le résultat d’une lente conquête, depuis la principauté de Kiev au Xè, en direction du nord et de la Sibérie. À la fin du XIXe siècle, la taille de l'empire est d'environ 22 400 000km² soit presque le tiers des terres émergées du globe ; sa population compte environ 128 200 000 personnes, dont la majorité (93,4 millions) vit en Russie d'Europe.
Outre les territoires de la « Fédération de Russie » s’étendant de Moscou à Vladivostok, l’Empire comprend les pays de la Baltique, l’Ukraine, la Biélorussie, une partie de la Pologne, la Moldavie (ou Bessarabie), le Caucase, le Grand-Duché de Finlande et une partie importante de l'Asie Centrale (Ouzbékistan, Kirghizistan, Tadjikistan, Turkménistan, Kazakhstan), sans compter l'Alaska (vendu en 1867 aux Etats-Unis).
Le grand problème de l’Empire est celui de l’unification autour de la Russie d’une mosaïque de peuples extrêmement divers par la race, la religion, la langue, la culture : plus de 100 groupes ethniques différents vivent sur le territoire de l'Empire : les Russes orthodoxes représentent 45% de la population, mais vivent aussi dans l’empire les Ukrainiens, des Polonais (catholiques), des Caucasiens, des Baltes (protestants), des Turcs musulmans (Turkmènes, Kazakhs, Tadjiks, Ouzbeks, Tatars), des Mongols, des Juifs de la diaspora (4 millions), des Allemands, des Géorgiens, des Arméniens…
L’unité de cette mosaïque repose principalement sur deux piliers :
• Une seule loi, un seul maître : le « Tsar » (empereur) de toutes les Russies », autocrate et tout puissant.
• Une foi, une langue : les grands Tsars, Ivan le terrible (1547-1584), Pierre le Grand (1689-1725), Catherine II (1762-1796) Alexandre I (1801-1825), Nicolas I (1825-1855), Alexandre II (1855-1881), Alexandre III (1881-1894), Nicolas II (1894-1917) imposent l’orthodoxie et la russification brutale aux Polonais catholiques, aux Baltes et Finlandais luthériens, aux Ukrainiens, Caucasiens, musulmans du Turkestan, aux Juifs, régulièrement victimes de terribles pogroms.
Le pays est avant tout rural. Le poids des masses paysannes est énorme : 75% des paysans, les « Moujiks », forment la population de la Russie. Libres depuis 1861, ils possèdent cependant peu de terres (le Mir) et travaillent surtout sur les domaines des nobles et des bourgeois des villes, omnipotents. Aussi, famines, révoltes paysannes et exode rural sont courants en Russie. De plus, de nombreux paysans quittent leur terre de gré ou de force pour l’aventure du siècle : la colonisation de la Sibérie.
L’industrialisation de l’empire est tardive (1880) et pose des problèmes nouveaux. Grâce à l’afflux des capitaux, principalement français, le pays s’industrialise : la Russie dispose d’un immense potentiel minier ; elle se dote d’un énorme réseau ferré, passant de 53 000kms en 1900 à 65 000 en 1914 (Transsibérien 1891-1903, Transcaspien, Transaralien, Sud mandchourien…). De grandes entreprises se créent à Moscou, Kiev, Saint-Pétersbourg - Petrograd, en Pologne et dans l’Oural. Bakou, sur la Baltique, devient le premier centre pétrolier du monde.
Cette industrialisation s’accompagne de l’afflux d’une main d’œuvre nombreuse mais misérable dans les villes. La propagande révolutionnaire (Marxisme, anarchisme) trouve un terrain de prédilection dans ce prolétariat, d’autant que le pouvoir tsariste est incapable de prendre des mesures sociales et de faire les réformes qui s’imposent.
Alexandre III (1881-1894) tout comme Nicolas II (1894-1917) se montrent totalement incapables d’accompagner politiquement l’évolution économique et la transformation sociale du pays. Ils restent des monarques absolus, refusant toute réforme de fond. Aussi l’opposition se renforce dans toutes les couches de la société :
• Les bourgeois souhaitent le libéralisme comme en France ou en Angleterre, afin de jouer un rôle politique qui soit à la hauteur de leur place économique.
• Les socialistes révolutionnaires (Nihilistes) prônent la violence contre l’autocratie tsariste (Serge Netchaïev, 1847-1882). Ils sont très influents auprès des paysans et assassinent en 1861 le Tsar Alexandre II (1855-1881), le seul qui ait tenté des réformes de fond dans l’empire.
• Les anarchistes, proches des socialistes révolutionnaires (Mikhaïl Bakounine, 1814-1876 ; Pierre Kropotkine, 1847-1921) prônent la violence et sont à l’origine de nombreux attentats.
• Les marxistes sont influents dans la classe ouvrière, mais divisés en deux factions : les « Bolcheviks » avec Vladimir Illich Oulianov, dit Lénine (1870-1924) qui prêchent la révolution immédiate organisée par un parti unique, et les « Mencheviks » (Trotski, 1979-1940, qui se ralliera à Lénine en 1917, Kerensky) qui cherchent l’appui de la bourgeoisie pour une lente évolution du système.
Malgré toutes ces pressions, le pouvoir tsariste reste inflexible. Sa seule réponse est la répression qu’il mène avec sa redoutable police politique (l’Okhrana), l’armée, les grands propriétaires terriens, les capitalistes et souvent l’église orthodoxe. De très nombreux opposants sont exilés en Sibérie qu’ils contribuent malgré eux à coloniser. On évalue en 1900 le nombre des déportés à 200 000 en Sibérie, non comprises leurs familles !
En 1904 débute la guerre La guerre russo-japonaise. Les raisons de cette guerre sont le contrôle de la Corée et de la Mandchourie et de leurs énormes ressources minières, ainsi que le « transmandchourien », prolongation du Transsibérien dont le terminus est Vladivostok. De plus, les Russes sont les alliés des Chinois, ennemis du Japon à ce moment. Les Russes sont écrasés en 1905 sur terre et sur mer à Port-Arthur.
Le croiseur russe Varyag après la défaite de Tsushima. Août 1905.
Photo Document Commons Wikimedia. Domaine public, 2015
La défaite met le feu aux poudres et déclenche la « première révolution russe » marquée par le « dimanche rouge » de Saint-Pétersbourg (22 janvier 1905), de grandes grèves en février, mai et juin, la mutinerie du cuirassé Potemkine à Odessa. La révolution connaît son apogée lors des journées de grève générale du 20 au 30 octobre 1905 qui mettent en échec les tentatives de répression du tsar. L’agitation continue jusqu’en 1906.
Nicolas II est obligé de libéraliser le régime. Le 27 avril 1906, il octroie une « Loi fondamentale de l'État », véritable constitution qui transforme la Russie en une monarchie constitutionnelle, où l'autocratie cohabite avec un Parlement élu, la Douma. Il nomme Piotr Stolypine président du Conseil des ministres. Celui-ci se donne deux objectifs : rétablir l'ordre et mettre en œuvre un programme de réformes. Il réforme ainsi l'administration, la condition juridique des paysans, fait voter des lois agraires favorables aux paysans aisés, les Koulaks. Il créé les ministères de la Sécurité sociale, du Travail et de la Santé publique. Il élabore un programme de réformes visant à instaurer les fondements solides d'un état de droit et d'une monarchie constitutionnelle : abolition de l'exil administratif, réforme de la police et des assemblées provinciales. Mais il instaure une politique sécuritaire particulièrement autoritaire.
Stolypine est assassiné sous les yeux de la famille impériale le 1er septembre 1911 à l'opéra de Kiev par le révolutionnaire Bobrov. Sa mort marque la fin de la politique d'ouverture et le retour à la réaction. Nicolas II reprend la direction du pays avec une Douma qui lui est soumise, exile les opposants et tombe sous la coupe de la tzarine et du sinistre Raspoutine (1872-1916). Le régime finira dans le chaos et sera balayé par la révolution en mars 1918.
L’impérialisme russe repose sur la « Mission de la Sainte Russie », la force de l’armée et les grands axes de communication que sont les voies ferrées. Il s’exerce dans deux grandes directions : les Balkans afin de contrôler les Détroits (Dardanelles, mer de Marmara et Bosphore) et la Méditerranée d’une part, et l’Orient d’autre part.
En Orient, Nicolas II intensifie la conquête des terres à l’est de l’Oural : en 1896 les Russes contrôlent la Mandchourie, mais se heurtent aux Anglais en Afghanistan, aux autres puissances européennes en Chine et surtout au Japon qu’ils provoquent en Corée. La guerre russo-japonaise de 1904 voit la défaite de la Russie (Port Arthur, 1905) qui ébranle les fondements mêmes du régime.
Battus en Orient, les Russes se tournent vers les Balkans et la Perse. Mais ils se heurtent encore aux Anglais qui veulent rester maîtres de la Méditerranée (accord sur la Perse en 1907) et dans les Balkans aux Austro-hongrois, excédés par leur politique panslave. Ils échouent en 1908 dans la crise bosniaque qui voit l’Autriche annexer la Bosnie-Herzégovine, ce qui les pousse à chercher une occasion de revanche dans cette poudrière des Balkans. Ils l’obtiendront en juillet 1914.
Les Etats-Unis de 1914 sont le fruit d’une histoire relativement brève qui débute avec l’indépendance proclamée en 1776. L’épopée des pionniers du « Far West », la construction des lignes transcontinentales, la « ruée vers l’or » (1848…) et une immigration constante font vers 1850 des Etats-Unis un pays déjà riche.
Remise en cause par la terrible « guerre de Sécession » (1861-1865) cette prospérité reprend après que l’unité du pays ait été sauvée. A partir de 1870 une énorme masse d’immigrants déferle par vagues successives, formant le « Melting pot », le creuset américain. Jusqu’en 1900 l’assimilation se fait sans aucun problème, car les migrants arrivent principalement de l’Europe du Nord (Irlande, Angleterre, France, Allemagne…)
Mais après 1900 arrivent des immigrants pauvres (Italie du sud, Pologne, Asie) et l’assimilation ne se fait pas sans heurts ou problèmes (Ghettos des villes de la côte est). En 1914 cependant, la conquête est achevée, et la population se masse surtout à l’est des Appalaches.
Les ressorts de l’opulence américaine sont nombreuses, et tiennent autant des dons de la nature que du système capitaliste mis en place :
• Les richesses naturelles sont aussi abondantes que variées : houille, fer, pétrole, minéraux de toutes sortes…
• L’agriculture est riche et exportatrice : blé, maïs, coton, viande…
• Le réseau ferré compte à lui seul 1/3 du kilométrage mondial avec les lignes transcontinentales comme les North, South et Western Pacific ou l’Union Pacific…
• Les capitaux affluent en Amérique, provenant surtout de l’Europe…
• Le système économique mis en place est celui du libéralisme : l’Etat soutien une totale liberté d’entreprise, à laquelle s’ajoute le peu de poids de l’artisanat traditionnel…
• L’économie est concentrée en trust et holdings possédant le monopole dans un secteur de production, monopole qui entraîne le contrôle des prix…
• Le dynamisme personnel et le travail forcené des « self made man » comme Andrew Carnegie (Acier), Du-Pont-de-Nemours (chimie), John Rockefeller (Pétrole), Cornelius Vanderbild, Henry Ford (automobile), Pierpont Morgan…
• L’organisation scientifique de la production grâce au machinisme, à la standardisation, à la spécialisation, au travail à la chaîne (Taylorisme…)
• Une population abondante et motivée : le chiffre de la population américaine triple entre 1861 (32 millions d’habitants) et 1900 (100 millions), avec souvent une main d’œuvre peu exigeante mais motivée, formée d’immigrants pauvres…
En 1914, les USA sont la première puissance économique du monde, bien à l’abri derrière un tarif douanier protecteur. En 1913, ils produisent 60% du maïs dans le monde, 30% du coton, 43% de la houille, 41% de l’acier, 64% du pétrole…
Entre 1860 et 1914 la production augmente de 2 000% et le capital investi de 4 000%. En 1913, Morgan et Rockefeller contrôlent à eux deux 20% du capital américain avec 341 grandes entreprises et 22 milliards de dollars de capital !
La constitution de 1787 est modifiée par l’introduction du suffrage universel. Elle reste basée sur le fédéralisme et la séparation des pouvoirs. Le pays connaît un calme politique relatif avec l’alternance au pouvoir des « Républicains », groupant hommes d’affaires et industriels du nord-est et pratiquant une politique sociale (loi anti-trust de Roosevelt, 1901-1908 et Taft, 1908-1912) et les « Démocrates » avec Wilson (1913-1921) qui supprime les barrières douanières.
« Farmers » (fermiers) et syndicats (American Federation of World, 1905) mènent des combats pour les salaires et luttent contre le monopole des grandes entreprises. Le grand problème des USA reste celui des minorités pauvres enfermés dans les ghettos des grandes villes : Portoricains, Italiens, Irlandais et surtout les Noirs qui sont 10 millions et souffrent de la discrimination raciale animée par le Ku Klux Klan fondé en 1865. Les Indiens, quant à eux, totalement rejetés, sont « parqués » dans des réserves.
Traditionnellement, les Etats-Unis sont isolationnistes : leur politique est celle de « L’Amérique aux Américains » de la fameuse doctrine Monroe de 1823. Mais à la fin du XIXè siècle, la richesse économique du pays le pousse à l’expansion. Cette expansions est surtout financière, (« politique du Dollar »), mais les USA acquièrent quelques terres :
• En 1867, ils achètent l’Alaska aux Etats-Unis ;
• En 1898, la guerre victorieuse contre l’Espagne à propos de Cuba leur donne Guam et Porto Rico ainsi que les Philippines, alors que Cuba devient un protectorat américain.
• Vis-à-vis de l’Amérique du Sud, les Etats-Unis pratiquent la politique du dollar, et s’ils rencontrent quelque opposition, la politique du « Big Stick » (Gros bâton) : ainsi, ils s’installent à Panama (Canal, 1901) et tiennent en main toute l’Amérique du sud.
• Ils possèdent des concessions en Chine (Hong-Kong) et sont bien implantés dans l’océan Pacifique (Hawaï, Midway, Samoa), où ils se heurtent de plus en plus à une nouvelle puissance : le Japon.
En 1850, le Japon est peuplé de 27 millions d’habitants et est totalement fermé à l’Europe. Cet empire replié sur lui-même est un état féodal avec son empereur, le Mikado, et une aristocratie de 350 familles de grands seigneurs, les Daïmios qui disposent de la masse des paysans pauvres et des vassaux militaires, caste guerrière et oisive, les Samouraï.
• Le pouvoir réel appartient de fait au Shogun, maire du palais de l’empereur à Yedo (Tokyo) et premiers des Daïmios.
• La religion, le Shintoïsme, renforce l’immobilisme de la société, car basé sur le culte de l’obéissance et de la tradition.
• Les seuls éléments progressistes sont les intellectuels, les commerçants et certains Daïmios qui se lancent dans la petite industrie.
Les rues de Tokyo en 1905. Une capitale moderne.
Photo Document Commons Wikimedia. Domaine public, 2015
En 1853 le commodore Perry de l’US Navy obtient le droit de commercer avec le Japon après une menaçante démonstration de force navale. Les Européens foncent dans la brèche et s’installent en force : le Shogun perd son prestige, car la venue des Européens provoque la hausse des prix qui à son tour entraîne de graves troubles sociaux.
En 1866 le jeune Mikado Mutsu Hito (1852-1912) renverse le Shogun et brise les révoltes des Daïmios et des Samouraïs. Il ouvre une ère de pouvoir personnel. Il comprend surtout que le Japon perdra son indépendance s’il ne se développe pas comme l’Europe. Le Japon n’utilisera pas la force contre les grandes puissances, mais rivalisera avec elles sur leur propre terrain, jusqu’à les vaincre. Aussi l’empereur entreprend de vastes réformes :
• Suppression du régime féodal en 1871 ;
• Constitution calquée sur celle de la Prusse (1889) avec deux chambres, qui donne de fait le véritable pouvoir au Mikado ;
• Modernisation des finances, de l’administration et du système scolaire ;
• Mise en place du service militaire obligatoire ; création d’une armée de terre avec des spécialistes allemands et d’une marine de guerre avec des conseillers anglais.
L’effort principal de l’ère Meiji porte sur l’industrialisation du pays :
• Le Japon a passablement de handicaps : peu de charbon et de fer, peu de capitaux et de techniciens, pas de marché intérieur… De plus, il subit de plein fouet la concurrence étrangère.
• Mais il possède un atout exceptionnel : un main d’œuvre nombreuse, travailleuse, peu exigeante et docile (11 grèves en 1909, 22 en 1911 !)
• L’industrie se concentre en grands trusts, les « Zaibatsu », à caractère familial et féodal où dominent les anciens Daïmios (Mitsumi, Mitsubishi, Sumitomo, Yasuchi…)
• Le Japon fait appel à des capitaux étrangers, et rapidement s’équipe d’un très bon réseau ferré, d’industries textiles, de chantiers navals, d’aciéries et hauts fourneaux.
Malgré ces progrès, le pays reste très attaché à ses traditions (culte de la politesse, des jardins, des costumes, du thé…), à son Empereur divinisé, à ses chefs, très jaloux de son patriotisme et de son orgueil national.
Grande puissance, le pays poursuit une politique d’expansion liée à :
• une rapide croissance démographique : 40 millions en 1890 et 53 en 1914 ;
• un manque d’espace vital ;
• une pénurie de matière alimentaires et de matières premières ;
• un grand besoin de débouchés industriels ;
• une politique impérialiste menée par les clans de l’armée (Khoshu) et de la marine (Satsuma) impériales.
Cette politique d’expansion se réalise essentiellement par des moyens belliqueux :
• une guerre contre la Chine (1894-1895) rapporte au Japon Formose (Taiwan) et l’indépendance de la Corée du Nord qui devient protectorat japonais ;
• une guerre contre la Russie en 1904-1905 qui après la victoire navale de Tsushima et la victoire de Port Arthur donne au Japon Sakhaline, Port Arthur et le protectorat sur la Mandchourie ;
• en 1910 la Corée est annexée ;
• en Chine, le Japon obtient une dizaine de concessions et de ports…
Cette expansion japonaise fait peur à l’Europe et surtout aux Etats-Unis : dès 1905 on parle de « Péril jaune ».
Après la défaite de 1870, la France est isolée par le réseau d’alliances des Allemands : entente des trois empereurs (Autriche - Russie - Allemagne), puis Triple Alliance signée entre l’Allemagne, l’Autriche - Hongrie et l’Italie en 1882. L’Allemagne en outre entretient de bonnes relations avec la Grande Bretagne et appuie le Tsar dans l’affaire des Balkans.
Le congrès de Berlin. Tableau d'Anton von Werner (1881).
Peinture. Document Commons Wikimedia. Domaine public., 2015
En 1877 les Russes battent les Turcs et créent la Bulgarie, étendant leur influence sur les Balkans. Ce qui irrite à la fois les Anglais qui craignent pour le détroit de Suez et les Autrichiens, intéressés eux aussi par les Balkans.
Bismarck, alors arbitre de l’Europe, arrange l’affaire lors du congrès de Berlin en 1878 : Roumanie, Serbie et Monténégro deviennent indépendants ; la Bulgarie garde des liens avec la Turquie ; la Russie obtient la Bessarabie (Moldavie) ; l’Angleterre obtient Chypre et l’Autriche impose son protectorat à la Bosnie. C’est, en fait, un échec pour la Russie qui décide de changer sa politique extérieure.
Guillaume II, après avoir écarté Bismarck des affaires, rompt l’entente des trois empereurs et se détourne du tsar qui, ayant besoin de capitaux, se tourne vers la France : l’alliance franco-russe est signée en 1897. Puis la France se rapproche de l’Italie qui s’engage à rester neutre en cas de conflit.
L’affrontement des impérialismes se durcit : Russes contre Anglais en Asie (Afghanistan), Anglais contre Français en Afrique (Fachoda, 1898) qui finira par un rapprochement et par l’« Entente Cordiale » en 1904, Etats-Unis contre Japon…
L'entente cordiale: caricature de John Bernard Partridge parue dans l'hebdomadaire anglais Punch. On y voit John Bull donnant le bras à la France, sous les traits d'une prostituée en vêtement censé tricolore, sous le regard mi méprisant - mi menaçant du Kaiser, dont l'épée pointant sous le manteau suggère un recours potentiel à la force.
Caricature. Document Commons Wikimedia. Domaine public., 2015
L'entrée de Guillaume II à Tanger, le 31 mars 1905. Son discours provoque une granve crise internationale.
Photo. Document Commons Wikimedia. Domaine public., 2015
A partir de 1900, les relations entre Français et Allemands ne cessent de se dégrader car la France, avec Delcassé, ministres des Affaires étrangères, pratique une politique d’alliances tous azimuts. Deux crises marocaines, celle de Tanger en 1905 et celle d’Agadir en 1911 sont à deux doigts de mettre le feu aux poudres.
La crise bosniaque de 1908. Couverture du supplément du magazine "Le Petit Journal". La caricature met en scène l'empereur François-Joseph qui s'adjuge la Bosnie-Herzégovine et le "tsar" Ferdinand qui déclare la Bulgarie indépendante devant l'impuissance du sultan ottoman Abdul Hamid II.
Illustration. Document Commons Wikimedia. Domaine public., 2015
Dans les Balkans les crises se multiplient, mettant aux prises les impérialismes russes et autrichiens : annexion de la Bosnie Herzégovine par l’Autriche en 1908, deux guerres balkaniques en 1912 et 1913, menées par la Serbie, alliée de la Russie et ennemie jurée de l’Autriche. C’est des Balkans que viendra l’étincelle de la grande déflagration de 1914.
A la veille de la première guerre mondiale, l’Europe, par le jeu des alliances, est divisée en deux blocs rivaux : la Triple Alliance, groupant l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie, ce dernier pays s’en détachant cependant peu à peu, et la Triple Entente, groupant France, Grande Bretagne et Russie.
Le déclanchement de la première guerre mondiale va mettre en branle tout ce jeu d’alliances, conférant à la guerre son caractère d’abord européen, puis mondial.