Par Georges Brun
Publié le 11 décembre 2015
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Après 5 mois de conflit et d’énormes pertes sur tous les fronts, ni les forces de l’Entente, ni celles de l’Alliance ne sont en mesure de l’emporter : tous les plans des états-majors se sont effondrés et, pour chacun, tout est à recommencer. L'impuissance du facteur opérationnel à résoudre à lui seul les problèmes posés par le conflit s'avère flagrante. Il devient urgent de trouver de nouvelles stratégies et de redonner la parole à la politique.
Les armées, surtout à l’ouest, se sont enterrées, changeant la face et les données du conflit : un nouveau type de guerre débute, la « guerre de position », dont la tranchée devient le symbole. Le premier souci des belligérants est désormais de « durer », et pour cela, de mettre en marche et d’intensifier administrations et industries de guerre pour permettre aux populations de vivre et aux armées de combattre.
Fabrication des obus dans l’usine d’automobiles Sigma
Photo Agence de presse Meurisse. Gallica. , 1915
Si l'Allemagne est parvenue à écarter l'invasion de son territoire et bénéficie de l'organisation moderne et puissante de son économie, elle se trouve dans l’obligation de se battre désormais sur deux fronts, ce qu’elle a tenté par tous les moyens d’éviter… L’échec de l’offensive contre la France engage l’OHL (Obere Heeresleistung) à réviser sa stratégie : l’armée russe, tout en continuant à se battre opiniâtrement, a révélé ses faiblesses structurelles et les lacunes de sont haut commandement : il devient urgent de l’éliminer avant qu’elle ne se redresse avec l’aide massive de ses alliés. Le haut commandement se fixe donc pour 1915 trois objectifs prioritaires :
•Economiquement :
- Réadapter l'organisation économique du pays afin de pallier les effets du blocus.
•Stratégiquement :
- Contenir les Français et les Anglais sur le front français ;
- Engager, en lien avec l’armée austro-hongroise, une offensive générale et définitive sur le front est afin de contraindre la Russie à la paix.
•Politiquement :
- entreprendre auprès de Saint-Pétersbourg de démarches afin de convaincre le tsar de négocier une paix séparée avec les empires centraux
- rechercher de nouveaux alliés pouvant entre dans le conflit, notamment la Bulgarie (Sofia entrera en guerre le 14 octobre) et la Roumanie qui reste sur une position attentiste.
Pour réaliser de tels objectifs, les Allemands disposent d’atouts non-négligeables : le potentiel économique est encore le plus puissant d’Europe, équivalent à celui de la France et de la Russie réunies ; leur armée reste de loin la plus puissante et la mieux organisée, et ils disposent avec le grand état-major (OHL) d'une véritable direction de la guerre.
Tel n’est pas le cas chez les trois « grands » de l'Entente : en dépit de l'engagement solennel de Londres (5 septembre 1914) de ne conclure aucune paix séparée avec l'Allemagne, les Alliés se montrent incapables de mettre sur pied une stratégie de guerre commune et durant l’année 1915 les divers états majors se contentent de prendre des décisions plus juxtaposées que coordonnées, chacun poursuivant ses propres objectifs :
Malgré le « Miracle de la Marne » la France se trouve gravement handicapée : elle vient de subir la plus terrible saignée de son histoire et ses départements les plus riches sont envahis par l'ennemi qui s’est emparé de 95 hauts-fourneaux (sur 123), 90% de son minerai de fer et 40% de son charbon. L’objectif premier du pays est de libérer le territoire national, mais aussi de soulager le front russe, ce qui est vital : si l’armée russe s’effondre, il est certain que la France ne saurait résister longtemps à une offensive allemande revigorée par l’apport de forces libérées du front Est. Les deux fronts, français et russes, sont en effet liés, et les offensives françaises de 1915 visent essentiellement à soulager le front russe, soumis touts au long de 1915 à une constante pression des empires centraux.
Ceci acquis, sur le plan tactique, les commandants en chef des armées alliées sur le front Ouest, le maréchal Joffre du côté français, et le Field Marshal French sont persuadés que la seule solution pour chasser les Allemands des territoires qu’ils occupent consiste à mener des actions offensives répétées visant essentiellement à user les forces combattantes et les réserves ennemies (attrition). Ils déclenchent ainsi tout au long de l’année une série d’attaques, à des échelles allant du local (Vosges, Argonne) au massif (Champagne), sur différents secteurs du front. Ils engagent des moyens humains et matériels d’une ampleur totalement inédite dans l’histoire militaire. Mais toutes les tentatives aboutissent à des échecs sanglants : jamais la « percée » n’aboutira. Le mot célèbre de Joffre « Je les grignote » cache une terrible réalité. Les offensives alliées ne parviennent, au mieux, qu’à de médiocres gains territoriaux (dans la Somme, à Ypres), mais au prix d’épouvantables hécatombes.
Dans la région d’Albert, près de Carnoy les sapeurs français aménagent un entonnoir de mine près de cadavres allemands.
Photo. Photographie de presse. Le Miroir, mai 1915. , 1915
Tranchée bouleversée après une attaque, quelque part sur le front ouest.
Photo. Agence photographique Rol. BNF, 1915
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• De leur côté, les Britanniques sont parvenus à maintenir leur domination sur les mers et à contenir la Hochseeflotte, ainsi qu’à imposer le blocus militaire à l’Allemagne. Sur terre, leur alliance avec le France les entraîne beaucoup plus loin qu'ils ne le pensaient et les contraint à réorganiser totalement leur armée : le ministre de la Guerre Kitchener fait appel au volontariat qui fait monter les effectifs globaux à 1,3 million d'hommes en 1915.
• Stratégiquement, les visées anglaises divergent de celles de la France. Forts de leur puissance coloniale, à l’instar du jeune ministre Winston Churchill, les Anglais ont des visées sur le pétrole du Moyen-Orient et prônent une stratégie indirecte par l’ouverture de nouveaux fronts, particulièrement au Proche-Orient (Egypte, Mésopotamie, Dardanelles).
• Politiquement, les forces de l’Entente parviennent après d’âpres négociations et malgré les réticences russes et serbes qui craignent une influence renforcée de Rome dans les Balkans, à faire basculer l’Italie dans leur camp : par le pacte de Londres signé le 26 avril 1915, l’Italie entre dans le conflit d’abord contre l’Autriche (4 mai) puis contre l’Allemagne (août).
• L’empire russe enfin, qui vient de subir de graves revers, continue sa lente désintégration. L’année 1915 va se révéler catastrophique pour l’empire et le tsar : l’offensive général des empires centraux entre mai et octobre rejette les troupes du tsar hors de Pologne et les acculer sur une ligne courant de Riga à la frontière roumaine, suscitant par ailleurs un accueil très favorable des population polonaises, juives ou ukrainiennes. L’armée russe subit une énorme saignée d’un million de morts et de 900 000 prisonniers. Nicolas II, qui à pris le commandement suprême de l’armée est totalement incapable de mesurer la portée politique et sociale des événements et refuse tout changement, alors que se tient la conférence de Zimmerwald en Suisse (début septembre), où la classe ouvrière russe, représentée par Lénine, Trotski et Georgi Rakovski réclame une paix « sans annexion ni contribution » et trouve une grande résonance dans la classe ouvrière russe.
Si en 1914 la guerre reste de type traditionnel dans son exécution avec les grands mouvements de troupe, voire encore des charges de cavalerie, elle inaugure cependant une ère nouvelle par l’ampleur des combats, l’utilisation systématique d’armes nouvelles (mitrailleuse, artillerie) et le nombre terrifiant des victimes.
Un nouveau pas est franchi en 1915 avec l’irruption de la guerre de position : cette guerre nouvelle bénéficie totalement de l'évolution technique suscitée par la révolution industrielle. L’innovation technique se met au service de la mort, et comme aucun des adversaires ne parvient -pour l’instant - à l’emporter techniquement sur son vis-à-vis, la guerre engendre une monstrueuse hydre tentaculaire, qui devient le symbole même de ce premier conflit mondial : la tranchée.
• Né à la fin de 1914 sur le front occidental, le système de la tranchée se développe d’abord sur le front occidental, sur 700km de longueur, entre Nieuport et la frontière suisse : il gagne par le suite tous les fronts : celui des Alpes, des Dardanelles, des Balkans, du Caucase en enfin celui de l’Est lorsque fin 1915 l’offensive germano-autrichienne, d’abord victorieuse, s’enlise. Constitué de plusieurs lignes de défense creusées dans la terre, reliées entre elles par des boyaux d’accès, ce système défensif bénéficie de toutes les attentions des états-majors, particulièrement chez les Allemands qui en font de véritables ouvrages d’art défensifs où l’usage du béton et de l’acier est omniprésent : tranchées bétonnées, bunkers, abris souterrains souvent très confortables, réseaux souvent infranchissables de barbelés, le tout aménagé en profondeur sur deux, trois, voire quatre lignes… en face, les armées françaises et anglaises, dont le credo reste encore en cette année 1915 l’offensive tentant à percer la ligne de front, les troupes aménagent au fur et à mesure des tranchées « provisoires » de terre, de bois, de sacs de sable qui résistent tant bien que mal aux obus.
Divers types de boyaux. Le boyau n’est pas une tranchée, mais uniquement un fossé de liaison entre les tranchées des diverses lignes. Le boyua n’est jamais rectiligne, afin d’amoindrir les effet des obus d’artillerie.
Schéma. Brun Georges. , 2015
Divers types de sapes de tranchées. Il ne faut pas confondre la sape de tranchée avec la galerie de mine, creusée en profondeur par les sapeurs du génie pour aller faire sauter la tranchée ennemie.
Schéma. Brun Georges. , 2015
Structure général d’une ligne de combats de la guerre de position durant la première guerre mondiale.
Croquis-dessin. Brun Georges., 2015
• Les conditions de vie dans ces tranchées sont épouvantables : la plupart du temps règne l’ennui, et lorsqu’arrive une offensive, c’est l’enfer : outre les bombardements d’artillerie souvent insupportables pour le mental, les soldats vivent entourés par la boue, le froid ou la chaleur torride, la vermine, les rats et l’odeur des cadavres en décomposition, sans compter la soif et la faim en première ligne (le ravitaillement étant souvent coupé) ou encore la terreur des gaz ou des mines dévastant des portions entières de tranchées.
Les poux et les rats pullulent dans les tranchées, obsédant, outre les combats, la vier des « Poilus », « Tommies » ou autres « Feldgrau »
Montage photo. Brun Georges, montage à partir de documents d’époque libres de droits., 2015
Les conditions de vie dans les tranchées, difficiles d’office, sont rendues encore plus insupportables par les intempéries, surtout la boue, le froid et le gel.
Montage photo. Brun Georges, montage à partir de documents d’époque libres de droits , 2015
• Entre les deux premières lignes, le no man’s land, infranchissable, est ravagé par les obus et battu par les feux des mitrailleuses. Lieu terrifiant, la mort y règne partout et survient n’importe quand, au moment d’une attaque, au cours d’une patrouille, d’une corvée, d’une relève ou d’un bombardement d’artillerie. C’est ici que pourrissent les cadavres désarticulés, c’est ici qu’agonisent en silence ou dans de glaçantes plaintes des milliers de blessés abandonnés.
Divers types de tranchées, montage photographique. Les tranchées sont omniprésentes, sur absolument tous les fronts, jusqu’en Afrique où sur des hauteurs à peine imaginables : Il y en à dans les Vosges à plus de 1 000 mètres d’altitude, mais aussi en Italie, dans les Dolomites, jusqu’à 3 000 mètres, où elles sont creusées dans les glaciers !
Montage photo. Brun Georges, montage à partir de documents d’époque libres de droits , 2015
Un cadavre accroché dans un réseau barbelé devant une tranchée après une attaque sur le front ouest, sans doute dans les Vosges.
Photo. Agence de presse Meurisse. BNF. , 2015
Au service de ce moloch, ce que science et techniques de l’époque peuvent fournir de mieux : les nations occidentales sont déjà capables de produire en masse des armements et les progrès techniques, qui ne cessent de se succéder durant 4 ans, concernent surtout le matériel et la puissance de destruction, plutôt que les moyens de s’en protéger.
• Et d’abord l’artillerie, maitresse absolue des champs de bataille :
Le canon de 75 français. Le fameux « 75 de campagne », très rapide, précis, efficace en terrain découvert, se montre cependant bien moins intéressant dans la guerre des tranchée, surclassé par les obusier et les mortiers (« Minenwerfers » ou « Crapuillots ») à tir courbe, capables de dévaster les tranchées les plus profondes.
Schéma. Brun Georges. , 2015
L’équivalent du 75 français, le canon allemand de 77 est plus lent et moins aisé à manipuler. Les Allemands préfèrent de loin, pour la guerre de position, utiliser leur redoutable artillerie de tranchées avec laquelle ils surclassent jusqu’en 1916les artilleries des forces de l’Entente.
Schéma Brun Georges. , 2015
Faite souvent de bric et de broc au début du conflit, elle s’adapte rapidement à cette guerre nouvelle et se spécialise : l’emblématique « 75 de campagne », si redoutable en rase campagne, abandonne rapidement sa suprématie au profit de l’artillerie lourde et super-lourde, capable de battre avec précision des milliers d’hectares de tranchées à 15 ou 20 kilomètres de distance, ou de l’artillerie de tranchées où les « Minenwerfers » de tous calibres rivalisent avec les « Crapouillots » ou autres « Trench Mortars » dans leur œuvre de mort.
Quelques pièces de l’artillerie française. Très disparate et vieillotte au départ, l’artillerie française va rapidement se moderniser pour faire face à la puissance de celle des Allemands. A la fin du conflit elle dispose de l’artillerie la plus moderne des belligérants, avec notamment des pièces d’artillerie lourde montée sur rails….
Montage. Brun Georges. , 2015
Au début du conflit, l’artillerie allemande surclasse nettement celle des Français ou des Anglais. Son artillerie de tranchée est particulièrement redoutable avec ses « Minenewerfer » de tous calibres à ainsi que ses pièces super-lourdes comme la « Pariser Kanone » ou la « Grosse Bertha », créations des célèbres usines Krupp…
Carte Brun Georges. , 2015
Mort invisible, expédiée de loin, anonyme, aveugle, terrifiante et omniprésente, qui en 5 ans de guerre, tue près de 75% de combattants (contre 20% dans les conflits du XIXè siècle !).
Parmi les obus, les deux plus redoutables sont l’obus à « Schrapnel » figuré ici, dispersant des dizaines de billes mortelles au-dessus des combattants, et l’obus explosif. Très utilisé lors de la guerre de mouvement, l’obus à schrapnel est bientôt délaissé au profit de l’obus explosif.
Schéma. Brun Georges. , 2015
Beaucoup plus dévastateur que l’obus à billes, l’obus explosif devient dès la guerre de position la munition la plus utilisée par les artilleurs, ravageant, dévastant « lunarisant » par milleirs tous les champs de bataille du monde…
Schéma. Brun Georges., 2015
En matière d’artillerie de tranchées, les Anglais possèdent une arme redoutable, légère, facile à manipuler, avec une cadence de tir inégalée : le célèbre « Stokes mortar », qui sera utilisée jusque dans les années 1960 dans diverses armées du monde.
Schéma. Brun Georges., 2015
• Encore balbutiante en 1914, l’aviation va jouer un rôle de plus en plus important au cours de la guerre. Son rôle premier est la reconnaissance aérienne qui permet l’ajustement du tir d’artillerie et la cartographie précise des lignes ennemies. Rapidement l’aviation se spécialise et apparaissent des aéronefs capables de mitrailler et de bombarder les positions adverses. D’abord rudimentaires (bombes et fléchettes d’acier lancées à la main), les bombardements deviennent bientôt précis et efficaces et ciblent, outre les objectifs purement militaires, des villes et des usines : le premier « bombardier lourd », le Zeppelin-Staaken VGO1 allemand, vole pour la première fois le 11 avril 1915 et les suivants se spécialisent dans les raids contre Londres, Paris ou d’autres villes… Enfin apparaît l’aviation de chasse : quatre mois après le premier combat aérien, le 5 octobre 1914, lors duquel un Voisin III abat un Aviatik B.II, est créée la première escadrille d’avions de chasse britanniques Vickers F.B.5, armés de mitrailleuses.
• La logistique prend une importance capitale pour cette guerre quasi industrielle : il s’agit d’alimenter le front en matériel de guerre, vivres et hommes, en permanence et le plus rapidement possible et d’évacuer blessés et morts vers l’arrière. Outre un réseau ferroviaire déjà particulièrement bien développé, les belligérants mettent en place des systèmes de ravitaillement efficaces : système Péchot-Decauville et son équivalent allemand ou anglais, camions de plus en plus puissants, téléphériques et télé-câbles en montagne, chevaux de bâts, mulets, et jusqu’à une compagnie de chiens de traineaux venus spécialement du Canada.
• Cette guerre voit aussi l’apparition d’une arme nouvelle, l’arme chimique. Malgré les résolutions de la conférence de La Haye (1899, 1907), toutes les grandes puissances s’emploient à développer l’arme chimique dès avant la guerre. Et contrairement à l’opinion généralement admise, ce sont les Français qui emploient les premiers l’arme chimique en utilisant sur le front d’Alsace en août 1914 un gaz lacrymogène, le xylylbromide, utilisé avant la guerre par la police parisienne. Les Allemands à leur tour utilisent ce gaz à Neuve-Chapelle en octobre et plus massivement à Bolimov le 31 janvier 1915 contre l’armée russe : toutes ces tentatives restent sans grand effet.
Types d’obus à gaz allemands. L’obus reste le meilleur support de diffusion des gaz. Les Allemands ont d’abord utilisée des bombonnes de gaz en utilisant la direction du vent, avant de privilégier l’usage de l’artillerie, bientôt imités par leurs adversaires.
Schéma. Brun Georges., 2015
Sur le front ouest, les Allemands utilisent pour la première fois massivement les gaz le 22 avril 1915 vers 18 heures entre Steenstrate et Poelkapelle : ils lâchent 150 tonnes de chlore à partir de 5 730 bonbonnes, que le vent pousse en direction des troupes françaises et canadiennes. 1 500 soldats Français dont de nombreux Algériens y trouvent la mort et des milliers d’autres sont gazés.
Photo. Auteur inconnu , 2015
• Le 22 avril 1915, les Allemands innovent : à Steenstraate et à Ypres ils utilisent massivement et pour la première fois un gaz asphyxiant mortel à base de chlore produit rejeté par les industries chimiques et disponible en grandes quantités. L’effet est immédiat et foudroyant. Les 150 tonnes de gaz en bonbonnes disséminées grâce au vent, outre qu’elles tuent 1 500 soldats et en blessent plus de 10 000, ont un impact psychologique terrifiant auprès des combattants : la guerre du gaz vient de commencer et tous les belligérants s’y engouffrent, déversant par tous les moyens (bonbonnes, obus, bombes, grenades) des gaz de plus en plus efficaces : phosgène, ypérite ou gaz moutarde, arsines, chloropicrine…
• Mais l’emploi des gaz est par trop délicat et ne fait pas l’objet d’un usage systématique : les belligérants ne parviennent en effet pas à contrôler les mouvement des vents, craignant que les nappes ne se retournent. Aussi, l’emploi des gaz ne permettra jamais de remporter plus qu’un succès local. Les effets psychologiques sur les soldats restent cependant extrêmement efficaces.
• L’année 1915 voit aussi le développement de la guerre sur mer. Si les Britanniques sont parvenus à garder leur maîtrise sur les Océans et ont étendu le blocus naval à la totalité des marchandises allemandes, les allemands ripostent en mettant en œuvre une arme nouvelle dont l’objectif est d’asphyxient les économies des alliés : la guerre sous-marine. Dès le début de 1915, le gouvernement allemand proclame « zone de guerre » les eaux territoriales britanniques.
• Contre les terribles ravages de l’artillerie, des balles de mitrailleuses ou de fusils, contre les effets des gaz, les belligérants tentent de trouver toutes sortes de parades. Ainsi, l’adoption systématique des casques et le développement des masques à gaz vont sauver des milliers de vies : le casque Adrian remplace le fameux képi dans l’armée française, mais seulement en en septembre 1915. Il en est de même pour le casque anglais Brodie, alors que le casque allemand ou Stahlhelm ne sera mis en service qu’au début de 1916.
• Il faut enfin souligner les remarquables progrès de la médecine et des services sanitaires durant la guerre, qui voit pêle-mêle l’utilisation systématique des désinfectants (Dakin) et des transfusions, l’organisation méthodique des services de premiers soins (Ambulances), le développement de la radiographie (« les petites Curie »), les progrès énormes de la chirurgie, les avancées de la psychiatrie.
« Il est absolument nécessaire d'en venir à une paix séparée avec la Russie », écrit le Kronprinz Frédéric-Guillaume le 6 février 1915 au grand-duc de Hesse, frère de la tsarine. Pour 1915, le plan allemand est clair : il s’agit de provoquer par de puissantes offensives l’effondrement de l’armée russe pour obtenir du tsar une paix séparée, puis de se retourner contre la France, qui, contrairement à 1870-1871, s’avère l’adversaire le plus coriace.
Il s’agit, par la négociation, par la contrainte ou simultanément par les deux, soit encore en encourageant les mouvements révolutionnaires ou sécessionnistes russes, de provoquer la sortie de la Russie du conflit mondial.
Dès le décembre 1914, Erich von Falkenhayn, chef de l'état-major général allemand, opère de larges transferts de troupes (14 divisions) en direction du front oriental, afin de constituer une masse de manœuvre devant rompre le front russe.
Puis, tout au long de l’année 1915, von Falkenhayn lance offensive sur offensive, afin de mettre à genoux l’ours russe, donnant satisfaction aux demandes pressantes de von Hindenburg, le « patron » du front de l’Est et de Conrad von Hötzendorf, chef de l'état-major général austro-hongrois.
L’artillerie russe tire contre les fortifications de Przemysl, hiver 1914-15 (GW)
Photo. Inconnu. The Great War, edited by H. W. Wilson and J. A. Hammerton (Amalgamated Press, London 1915. , 1915
En même temps que la bataille d’hiver de Mazurie, les Empires centraux décident au début de 1915 de réduire la pression russe dans les Carpates et en Galicie sur l’armée austro-hongroise. En effet, après avoir remporté la bataille de Lemberg (début septembre 1914), l’armée russe s’est avancée dans les Carpates, s’est emparée d’une grande partie de la Galicie et de la Bucovine avec ses champs de pétrole et a mis le siège en novembre devant la forteresse de Przemysl, y encerclant quelques 130 000 soldats austro-hongrois. La chute de la forteresse ouvrirait aux Russes les portes de la Hongrie. Plus au nord, trop occupés en Pologne et mis à mal lors des batailles de la Vistule (octobre 14) et de Lodz (novembre 14), les Allemands ne peuvent envisager une riposte immédiate. Ils attendent janvier pour réagir.
Pour l’offensive, Allemands et Austro-hongrois mettent sur pied une armée commune forte de 6 divisions d’infanterie et de 2 divisions de cavalerie. À l’est l’armée von Pflanzer a pour objectif de prendre la Galicie orientale et la Bucovine ; à l’ouest la 3e armée autrichienne doit briser le siège de Przemyśl, et au sud, L’armée Sud, allemande (1ère, 19ème, 48ème, 55ème D.I., 131ème brigade, 3ème division de la Garde) est chargée, depuis Moukatchevo (Munkacz) d’occuper la vallée du Stryj en passant par le col de Verecke et le mont Zwinin.
La position du régiment des Garde-Füssilier près de Chebrow sur le mont Zwinin (février ou mars 1915)
Carte Inconnu. Tiré de Graf v. d. Schulenburg-Wolfsburg : Geschichte des Garde-Füsilier-Regiments, Berlin 1926., 2015
L’offensive débute le 23 janvier 1915 et dans les 10 premiers jours s’empare des principaux cols des Carpates (Verecke, Lysa). Mais elle se heurte au mont Zwinin à une défense acharnée des Russes, et surtout à de terribles conditions climatiques et à d’énormes difficultés de ravitaillement. Malgré 6 attaques majeures, les 7, 9 et 11 février, 7, 10 et 20 mars 1915 et l’appui de l’artillerie lourde, les Allemands du général Richard von Conta sont mis en échec par les Russes.
De leur coté, les 2è et 3è armées n’arrivent elles non-plus a forcer les défenses russes. Du coup, il n’est plus question de desserrer l’étau autour de Przemysl, dont Les assiégés se rendent le 22 mars.
Mais après la chute de Przemysl, l’avance des Russes en Hongrie échoue elle aussi, principalement à cause des mauvaises conditions climatiques et des difficultés logistiques. Le front se stabilise alors. Finalement, les 9 et 10 avril 1915, les Allemands parviennent à prendre le mont Zwinin. La campagne dans les Carpates s’achève sans aucun avantage de part et d’autre.
Le bilan de cette campagne d’hiver dans les Carpates est effarant : plus de 2 millions d’hommes, dont 300 000 tués Russes, Austro-Hongrois ou Allemands, plus de 1,5 millions de blessés graves, plus de 300 000 prisonniers (dont les assiégés de Przemysl). Ainsi, à la mi-mars, la seconde armée austro-hongroise déplore la perte de 40 000 de ses 95 000 hommes, dont seuls 6 000 sont morts au combat. Les victimes par engelures, maladies, épidémies ou épuisement dépassent de loin celles dues aux blessures. Si l’armée russe est parvenue à contenir l’offensive, c’est au prix de plus de 1 200 000 tués, blessés ou prisonniers : une formidable saignée en ce début d’année 1915, qui l’affaiblit profondément avant qu’elle ne subisse la grande offensive de Gorlice-Tarnow et à laquelle elle ne pourra résister.
Avant la grande offensive d’hiver des lacs Mazures, les Allemands décident d’une offensive de diversion en direction de Varsovie. Le 31 janvier 1915, sous les ordres du général August von Mackensen 600 pièces d’artillerie bombardent les positions Russes avec 18 000 obus de gaz toxiques au bromure de xylyle avant que la IXè armée ne s’élance contre Bolimov (au sud-ouest de Varsovie). Mais le froid intense neutralise totalement les effets du gaz et l’offensive traîne, avant qu’une contre-attaque massive des Russes ne parvienne le 6 février à rejeter l’armée allemande sur ses positions de départ, mais au prix exorbitant de 40 000 tués et blessés (contra 20 000 pour les Allemands). Le lendemain, Hindenburg lance son offensive sur les lacs de Mazurie.
Le 7 Février 1915, les forces allemandes lancent une offensive de grande envergure contre les troupes Russes tenant toujours l'est de la Prusse. Après le renforcement de la 8è armée allemande par la 10è armée, 15 divisions prêtes au combat sont disponibles face aux 11 divisions russes. Dans un mouvement de tenaille autour d’Augustów, les troupes allemandes prennent les armées russes en tenaille afin de la encercler et de les détruire. Manquant cruellement de réserves et de lignes de défense solides les Russes sont défaits après deux semaines de combats, mais 7 des 11 divisions parviennent à éviter l’encerclement. 100 000 soldats sont cependant faits prisonniers.
[Pour Hindenburg et Ludendorff, c’est un échec certes partiel, dû essentiellement aux mauvaises conditions climatiques ayant empêché le déplacement rapide de l’artillerie lourde, car il permet aux Russes de former et de renforcer une nouvelle ligne de défense que plusieurs offensives allemandes autour de Grodno (Hrodna en Biélorussie) ne pourront percer début mars. Pour les Allemands du moins, la Prusse Orientale aura été libérée, ce qui donnera lieu à de grandes festivités.
Après avoir tiré les leçons des échecs des offensives de l’hiver, les deux états-majors allemand et autrichien planifient conjointement une offensive de rupture sur le point faible du front russe, la région de Gorlice-Tarnow. Erich von Falkenhayn déplace, geste hautement symbolique, son état-major de Mézières à Pless (Pszczyna en Silésie). Il est par ailleurs convaincu qu’une grande victoire commune et décisive des Allemands et des Autrichiens sur les Russes aurait un effet dissuasif sur la volonté italienne d’entrer en guerre du côté des forces de l’Entente.
L’empereur Guillaume II en compagnie du maréchal August von Mackensen (1849-1945) et du colonel Hans von Seeckt sur le front Est en avril 1915.
Carte Inconnu. Archives fédérales allemandes. , 1915
Mi avril, les plans sont définitivement arrêtés et approuvés. L’offensive fixe pour objectifs principaux les moyens ferroviaires utilisés par l'armée russe pour son ravitaillement, gares de triages, gares de croisement et voies ferrées.
La XIème armée allemande et la IVè armée austro-hongroise renforcées de troupes prélevées sur le front français, soit 350 000 soldats sous les ordres d’August von Mackensen se massent entre Gorlice et Tarnów, face à 220 000 Russes. De plus, l’artillerie lourde allemande aligne 334 pièces contre 4 seulement, et la légère 1 272 pièces contre 675.
Le 1er mai 1915, sur un front de 16 kilomètres, l’artillerie allemande se déchaine plusieurs heures durant, puis l’offensive de l’infanterie enfonce les lignes russes et avance de 4 kilomètres. Après trois jours de combats acharnés, le front russe est définitivement percé et l’armée russe est repoussée en quelques semaines à plus de 100 kilomètres : le 3 juin la ville de Przemysl est reprise et le 22 juin la place stratégique de Lemberg (Lviv en Ukraine) tombe.
Cette percée de Gorlice-Tarnow autorise pour l’OHL les plus beaux espoirs : la Pologne, la Galicie et les régions frontalières de la Baltique sont désormais à la portée des armées des Empires Centraux.
Les troupes russes font retraite depuis Przemysl reprises par les Austro-allemands. Russian troops retreating from Przemysl (NW) 1915
Carte Auteur inconnu, tiré de The Nations at War by Willis John Abbot (New York, 1917), 1915
Arrivée de Louis III de Bavière à Lemberg reprise par les Allemands. Juin 1915
Carte Postale. Kilophot, Wien , 1915
Après la percée de Gorlice-Tarnow, les Russes reculent sur tout le front, de la Baltique à la Galicie. Le 22 juillet, les armées des Empires Centraux franchissent la Vistule au sud de Varsovie, forcent les Russes à abandonner la forteresse d’Ivangorod et remontent vers le nord sur la capitale polonaise, désormais isolée. Les Russes évacuent Varsovie le 5 août et se replient un peu au nord de la ville, dans la forteresse de Novogeorgievsk, bien décidés à la défendre. Le fort est encerclé le 10 août par l’armée allemande de Hans von Beseler, 80 000 hommes et 18 obusiers lourds qui ont servi à Anvers. Après un bombardement de deux jours, la forteresse est attaquée. La garnison se rend à l’aube du 20 août, livrant aux Allemands 1 600 canons. La Pologne est perdue pour les Russes.
Entrée de la cavalerie allemande à Varsovie le 5 août 1915.
Carte Inconnu. Bundesarchiv, Bild 183-R42025 , 2015
5 jours plus tard, considérablement renforcée, l’armée allemande entre dans Brest-Litovsk et pénètre dans les marais du Pripet vers Pinsk. Plus au nord, l’armée de Hindenburg envahit les pays baltes : Kowno (Kaunas) tombe le 22 août 1915. Le 9 septembre, 4 divisions de cavalerie allemandes percent le front russe à Svientany et attaquent les arrières de la Xe armée et poussent des pointes jusqu’à la Bérézina et la région de Minsk. Vilnius tombe aux mains des Allemands le 19 septembre. Mais ils échouent devant Riga.
Cadavres de soldats dans une tranchée. Probablement près de Podhajce en Galicie.
Photo. Korps Hofmann. Österreichische Nationalbibliothek (ÖNB) , 1915
Les troupes austro-hongroises marchent sur les positions russes de Novo Georgievsk.
Photo Inconnu. The Great War: The Standard History of the All Europe Conflict edited by H. W. Wilson and J. A. Hammerton, London 1915), 1915
L'offensive allemande, trop rapide, manque rapidement d’hommes et de soutien d'artillerie. Elle est stoppée dans la région de Minsk par la seconde armée russe de Smirnov, qui, le 2 octobre, parvient à refermer la brèche. Le front se stabilise, mais l’armée russe a reculé de plus de 400 kilomètres !
En Galicie et en Ukraine enfin, les troupes austro-hongroises lancent en août 1915, une offensive de grande envergure dont l’objectif est la prise du triangle fortifié Russie Loutsk-Dubno-Rovno. Cette offensive est menée par les 2è et 7è armées austro-hongroises et l’armée allemande du Sud. Rapidement, les Russes sont rejetés sur la rivière Siret, puis les troupes des empires centraux s’emparent de Loutsk le 31 août et de Dubno le 8 septembre 1915. Elles échouent par contre devant Tarnopol.
L’avance des troupes ennemies provoque une telle consternation à Petrograd que Le 21 août 1915, le tsar Nicolas II limoge alors son chef d’état major, son oncle le Grand-Duc Nicolas Nikolaïevitch (1856-1929) et prend personnellement les affaires militaires en main : il ordonne immédiatement une contre-offensive sur le front ukrainien contre l’armée austro-hongroise. Entre le 6 et le 19 septembre, l’armée russe stoppe l’avance de autrichiens puis contre attaque dans la région de Tarnopol, reprend Dubno et rejette l’ennemi sur la Stryna, avant que le front ne se stabilise.
Les succès de l’offensive des Empires-Centraux en 1915 entraine l’entrée en guerre de la Bulgarie à leurs côtés le 14 octobre 1915, entrée motivée par le volonté du pays à se tailler une place dans les Balkans, essentiellement aux dépens de la Serbie.
La fin de l’année est cependant décevante pour les Empires Centraux : contrairement aux espoirs de l’Etat-Major et du chancelier allemand, le tsar reste indéracinablement fidèle à ses engagements aux côtés de l’Entente. Son aveuglement devant la situation intérieure de l'empire ne l’empêche nullement de continuer la guerre, et par trois fois (Juin, juillet eu août 1915), il refuse les propositions de paix allemandes. En décembre, Berlin se décide, « pour faire exploser la coalition de l'Entente », à jouer avec Lénine la carte de la révolution en Russie. Les échos de la conférence socialiste de Zimmerwald, en Suisse, qui réclame une paix « sans annexion ni contribution », ont en effet une grande résonance dans la classe ouvrière russe, représentée au congrès par Lénine, Trotski et Georgi Rakovski.
Les Russes en retraite font sauter un pont en Galicie.
Photo. Auteur inconnu. Liberty's Victorious Conflict: A Photographic History of the World War, (Woman's Weekly, Chicago, 1918) , 2015
Attaque austro-ongroise sur la ligne Cholm-Lublin.
Photo Auteur inconnu. The Great War: The Standard Histor gw_marnebridge y of the All Europe Conflict edited by H. W. Wilson and J. A. Hammerton, London 1915), 1915
Stratégiquement, malgré les désastres subis, l’armée russe est à la fin de l’année encore debout, donnant même à la fin de l’année, beaucoup de fil à retordre lors de « Bataille du nouvel an » (15 décembre 1915 – 15 janvier 1916) en Bessarabie. Tout le front, pratiquement en ligne droite de Riga à Czernowitz (Cernauti) est stabilisé et le conflit, un an après le front occidental, s’enlise dans la guerre de position.
Pour la Russie, le bilan de l’année 1915 est catastrophique : Pologne, Lituanie, Courlande, Lettonie et Biélorussie sont totalement ou partiellement occupées par les Allemands, et près de 6 millions de russes habitant ces région sont obligés de se réfugier en Russie. La pression russe sur la Galicie et la plaine hongroise est écartée… Les Allemands sont accueillis sans déplaisir par les populations des zones conquises, que ce soient les quatre millions de juifs polonais persécutés par le tsarisme ou les Ukrainiens, dont ils flattent les aspirations à l'indépendance.
Pour l’armée russe, la saignée est énorme : en 1915, son bilan est de 1 million de morts, 900 000 prisonnier et plus de 2 millions de blessés, soit près de la moitié des effectifs combattants avant le conflit. Ces. Le tsar et son état-major sont désormais obligés à envoyer face aux troupes austro-allemandes des soldats peu ou pas du tout instruits et formés, ce qui entraîne une baisse irrémédiable des capacités de combat de l'armée de campagne russe.
Conséquence indirecte : pour soulager la pression sur le front Est, les alliés de l’Entente sont obligés de lancer des opérations militaires extrêmement coûteuses en hommes : ainsi Joffre déclenche la bataille d’Artois et celle de Champagne en septembre, les Serbes interviennent dans les Balkans, mais les Italiens rechignent, mécontents des clauses du traité de Londres…
Grands vainqueurs sur le plan militaire, les Allemands n’ont cependant pas atteint leur objectif principal : obliger le tsar à signer une paix séparée. Il vont devoir continuer la guerre à l’est, mais jouer une nouvelle carte qui s’avérera extrêmement dangereuses : celle de la Révolution bolchévique de Lénine.
Sur le front ouest, l’année 1915 ne voit aucune initiative allemande, l’OHL consacrant ses principaux effort à son objectif principal : une victoire sur l’armé russe forçant le tsar à demander une paix séparée.
Les hauts commandements français et anglais sont par ailleurs toujours convaincus de l’efficacité de l’offensive à tout prix sur divers points du front, justifiant de plus la nécessité de telles offensives par le besoin de soulager le front russe. Aussi, en accord avec les généraux britanniques John French et douglas Haig, et tout auréolé de la victoire de la Marne dont il a réussi à s’accaparer les lauriers, Joffre lance tout au long de l’année de grandes offensives ou des attaques plus locales destinées à « saigner » l’ennemi, voire, si possible à percer le front. Ainsi l’année 1915 donne lieu à deux types d'opérations différents :
•Un peu partout, et notamment dans les Vosges, aux Éparges, en Argonne et dans les Flandres (où les Allemands inaugurent l'emploi des gaz en avril), se déroule une série de combats locaux d'infanterie, terriblement meurtriers mais stériles.
•En même temps, Joffre mène de grandes opérations, d'abord séparément en Champagne (février) et en Artois (mai), puis simultanément sur ces deux secteurs du front lors de la grande offensive du 25 septembre.
Le seul résultat tangible de ces actions sera de soulager le front russe en obligeant Falkenhayn à rameuter ses réserves sur le front occidental, où Haig, qui remplace French en décembre, dispose, grâce aux « volontaires » suscités par Kitchener, d'une trentaine de divisions britanniques.
Situation des armées allemande et française au 15 janvier 1915 sur le front est.
Carte Brun Georges. , 2015
Au lendemain de la Marne, l'armée du Kronprinz en retraite se positionne dans la partie nord de la forêt d'Argonne (60 km du nord au sud et environ 12km de large) : elle se rétablit sur la ligne Servan-Varennes et s'y organise défensivement. La configuration du terrain aidant, avec ses ravins, buttes, futaies ou bois de fourrés impénétrables, fait de ce secteur un front non stabilisé. Débute alors une longue bataille de sous-bois qui, par suite de la nature du terrain, revêt bientôt un caractère d'acharnement extrême, violent et insidieux. Peu à peu, par de petites attaques bien ciblées, les Allemands prennent l'ascendant. Les mois de décembre 1914 et janvier 1915 sont particulièrement meurtriers pour les Français et leurs alliés, les volontaires garibaldiens venus de l'Italie encore neutre.
Argonne, Vauquois en Argonne : tranchées française, place de l'église.
Carte postale Auteur inconnu. D’après une carte postale. , 1915
Argonne 1915: tranchées allemandes du ravin des Meurissons et Bolante.
Photo Auteur inconnu. D’après une carte postale, imprimerie Martinet, Ste Menehould. , 2015
Ainsi des combats titanesques ont lieu au Four-de-Paris (vallée de la Biesme), pris par les Allemands fin novembre 1914, dans la forêt de Bolante, au Ravin-des-Meurissons début 1915, au Bois-de-la-Gruerie ou encore à Fontaine-aux-Charmes, Fontaine-Madame, Fontaine-Marie-Thérèse, à Vauquois où la butte devient l’enjeu de combats meurtriers et qui sera finalement prise par les Français le 1er mars 1915.
A partir de janvier 1915, les adversaires se livrent à une terrible guerre des mines entre le Four de Paris et la vallée de l’Aire, creusant des kilomètres de galeries et faisant sauter une vingtaine de tonnes d’explosifs.
Le 18 avril les Français montent à l’assaut de la tranchée de Bagatelle au nord du Four-de-Paris : de féroces combats s’y prolongent jusqu’au 15 mai, faisant des milliers de morts des deux côtés.
Le 20 juin 1915, les Allemands lancent une offensive générale sur tout le secteur, décidés à mettre fin une fois pour toutes aux attaques sporadiques stériles. Ils utilisent massivement les gaz de combat, mais ne parviennent pas à s’emparer de la vallée de la Biesme, leur objectif. Seule la Fontaine-aux-Charmes tombe entre leurs mains. Nouvelle offensive allemande le 2 juillet, qui échoue. Le général Sarrail prépare alors une offensive prévue pour le 14 juillet. Mais la veille, les Allemands déclenchent une nouvelle attaque par le chemin de la Haute-Chevauchée afin de neutraliser la ligne de chemin de fer reliant Chalons à Verdun. Ils progressent rapidement sur le plateau de Bolante, mais les Français, malgré les gaz, parviennent à dégager dans la nuit le plateau. Le 14, le général Sarrail lance malgré-tout sa propre offensive, pensant les Allemands à bout. C’est un échec sanglant. Malgré ses appuis politiques, il est relèvé par Joffre le 22 juillet.
Après un nouvel échec allemand le 8 septembre, le front se stabilise enfin, mais les combats ne cessent par pour autant : les adversaires se livrent pratiquement jusqu’en octobre 1918 ; date de la grande offensive d’Argonne, à une incessante guerre d’escarmouches, de duels d’artillerie et de guerre de mines, particulièrement autour de la butte de Vauquois.
En Alsace et sur le front des Hautes Vosges, l’année 1915 sera « l’année terrible » : à l’automne et à l’entrée de l’hiver 1914-1915 ont lieu une série combats, peu importants mais meurtriers, localisés principalement sur les crêtes des Hautes Vosges et aux débouchés sur la plaine : pour l’état major français, il s’agit d’une part de « rectifier le front » (Sundgau) et d’autre part de s’assurer à partir des crêtes vosgiennes occupées, les débouchés des vallées de la Doller, de la Thur et de la Fecht (Munster) et d’en contrôler les sommets.
Le front et les batailles dans les Hautes-Vosges entre la fin de 1914 et le début de 1916.
Carte Brun Georges. , 2015
Fin 1914 les combats font rage pour la conquête du piémont au débouché de la vallée de la Thur : on se bat furieusement autour des villages d’Aspach, Uffholtz, Wattwiller, Steinbach. Les combats se portent alors sur les pentes et le sommet du Hartmannswillerkopf, qui durant toute l’année est l’objet d’une lutte titanesque et sans merci. Plus au nord, de furieux combats opposent français et Allemands pour la possession de la Tête des Faux, observatoire important.
Vallée de Munster le jour de la prise du Linge par les Français. De gauche à droite, Ampfersbach, Stosswihr, Munster et les pentes du Reichackerkopf descendant sur Stosswihr.
Photo. Inconnu. D’après l’Illustration, 3780,14-08-1915. Commons Wikimédia. , 2015
Le printemps voit une grande offensive française dans le fond de la vallée de Munster, dont la possession devient l’enjeu de nombreux combats à Metzeral, au Reichacker, à Soultzeren, au Linge… La bataille du Lingekopf, qui prolonge ces inutiles combats entre juillet et octobre devient le symbole de ces luttes absurdes et dévoreuses d’hommes.
La toute fin de l’année voit l’embrasement, tel un feu d’artifice final, du Hartmannswillerkopf, le « Moloch », qui, malgré le sacrifice de milliers d’hommes, n’apportera aucun changement significatif.
Désormais, hormis le lot quotidien et habituel des morts et des blessés, il n’y aura plus « rien de nouveau à l’est » jusqu’en novembre 1918.
Début 1915, afin de soulager l’armée russe qui vient de connaître une nouvelle et terrible défaite aux lacs Mazures et afin de tenter une percée du front, Français et Anglais décident d’une grande offensive conjointe en Champagne… Qui venait d’ailleurs d’être l’objet d’une offensive française de l’armée Langle de Cary (20 décembre 1914 - 9 janvier 1915) entre Saint-Hilaire-le-Grand et Perthes-les-Hurlus, en direction de Somme-Py, notamment autour de la célèbre « Main de Massiges ».
La bataille de Champagne en février-mars 1915 et le maigres gains territoriaux français.
Carte Brun Georges., 2015
Après une préparation d'artillerie de plusieurs jours, l’offensive démarre le 16 février à 10 heures. 17 divisions d’infanterie et 3 divisions de cavalerie se lancent à l’assaut des positions allemandes à l’est de Reims, entre Souain et Massiges. Après quelques progrès, l’attaque est stoppée par les Allemands qui reçoivent rapidement des renforts et peuvent boucher les brèches, le front étant relativement étroit. Les combats se concentrent principalement autour du Bois-Sabot, du Bois-jaune-brûlé, des « tranchées Grises », du « Fortin », de la Butte de Mesnil, du « Bois-Oblique », de Beauséjour.
Tranchée française à Souain (Marne) : cheval de frise protégeant la tranchée.
Carte Agence Rol. BNF. Gallica. , 1915
Malgré de nouvelles offensives lancées les 3, 4, 7, puis quotidiennement à partir du 13 mars, les Français sont à chaque fois contrés par les Allemands, et ne parviennent pas à percer le front. Et cela malgré l’offensive lancée par les Anglais depuis le 10 mars sur Neuve-Chapelle, dans le nord. Le 17 mars, le généralissime décide de stopper l’offensive. Les gains sont minimes : les Français parviennent tout juste à se maintenir sur la crête géographique à l’est de Souain.
Le bilan humain est autrement terrifiant : il se solde côté français par la perte de 45 000 morts, blessés et prisonniers, alors que les Allemands n’en déplorent « que » 15 000.
En septembre 1914 lors de la bataille de la Marne, les troupes allemandes avaient essayé de tourner la position fortifiée de Verdun en l'attaquant depuis la plaine de Woëvre : malgré leur échec, ils parviennent à créer un saillant à Saint-Mihiel, bloquant ainsi la voie ferrée Verdun - Commercy.
Ce saillant, la haut commandement français est décidé à le réduire, en attaquant sur les deux flancs du saillant : la crête des Éparges au Nord, Flirey, Bois-Brûlé, Bois-le-Prêtre et Bois-de-Mort-Mare au sud.
Ces combats se déroulent principalement de février à avril 1915 dans des conditions extrêmement difficiles, sous la pluie, la neige, dans la boue. La bataille est l'une des premières à présenter de nombreuses caractéristiques classiques de la guerre de position : une durée de plusieurs semaines, le rôle primordial de l’artillerie, des séries d'attaques et contre-attaques avec de nombreuses pertes pour des gains territoriaux minimes, voire nuls.
Haute de 345 mètres, longue de 1 100 mètres et large d'environ 700 mètres, la crête des Eparges constitue un superbe observatoire sur toute la plaine de la Woëvre avec d’autres points avancés comme la crête des Combres, le Montgirmont ou la côte des Hures.
Prise par les Allemands le 21 septembre 1914, elle est formidablement défendue par un réseau dense de tranchées et de nombreux blockhaus, confiés à la 33ème division d'infanterie allemande. S’étendant d’est en ouest, elle comprend trois grands secteurs défensifs : le point A ou le « Doigt », le point C au milieu de la crête et le point X situé le plus à l'est, qui domine la plaine.
De novembre 1914 à janvier 1915, les troupes françaises s'approchent des lignes allemandes en s’emparant des villages des Éparges et de Saint-Rémy et en construisant des sapes à flanc de colline.
Un point inextricable de la montée des Eparges.
Auteur inconnu. Agence Meurisse. Bnf., Gallica. , 1915
La conquête de la crête, fixée au Le 17 février 1915, est confiée à la 12ème D.I. du général Paulinier. Parmi eux, le sous-lieutenant Maurice Genevoix. Repoussés dès le premier jour sur leurs lignes de départ, les assaillants repartent le 18, s’emparent du point A et s’y maintiennent. Le 20, nouvel assaut vers le point X ; l’assaut est repoussé. S’en suivent des combats acharnés sur la crête, « lunarisée » par les artilleries, décimant les Français qui malgré d’énormes pertes, résistent aux contre-attaques allemandes. A la fin du mois, les Français se maintiennent au point A : leur conquête est cependant peu exploitable : seule en effet la partie Est, redoutablement fortifiée donne une bonne vue sur la Woëvre.
À la fin des combats du mois du février, les Français se maintiennent dans la partie des défenses allemandes les plus proches des tranchées de départ, le point A ou le « Doigt ». L’offensive est relancée le 18 mars par le général Herr. Les Français parviennent à s’emparer du point C, mais restent à 100 mètres du point X. Le 27, nouvel assaut vers le point X, repoussé par les Allemands. Les pertes sont terribles des deux côtés.
Les combats reprennent avec intensité lors de l’offensive générale de la Woëvre en avril : au gré des offensives presque quotidiennes, le terrain gagné est abandonné puis repris au gré des attaques et contre-attaques plus violentes et sanglantes les unes que les autres. Le 9 avril, la ligne de crête est pilonnée par l'artillerie française, et le 106ème R.I. et le 25ème B.C.A. soutenus par le 132ème R.I. prennent définitivement le point C et la ligne de crête. Le 8ème R.I. attaque le point X, mais après des combats très violents les Allemands restent maîtres du point et du versant sud de la butte.
Aux Éparges, après un assaut. Tranchée de première ligne remplie de cadavres.
Photo. Auteur inconnu., 1915
Crète des Éparges : le grand cimetière dit « du bois » en 1915. Il a aujourd’hui totalement disparu, les dépouilles des soldats ayant été ré-inhumés dans de grande nécropoles.
Carte postale. Auteur inconnu. , 1915
Le 14 avril, le généralissime Joffre ordonne la fin des offensives auxquelles succède alors une guerre de mines : jusqu’en septembre 1917, les Français font sauter 32 charges et les allemands 46 pour la conquête ou la garde du point X, soit un bout de crête de 800 mètres seulement. Aucun des adversaires ne l’emporte.
Le bilan est tragique : Les Français déplorent la perte de 50 000 hommes, dont 10 000 tués ou disparus ; les pertes allemandes sont su même ordre. Parmi les tués « célèbres », on compte le peintre Eugène-Emmanuel Lemercier (6 avril), auteur de « Lettres d’un soldat », l’écrivain Louis Pergaud (8 avril), auteur de « La guerre des Boutons », le théologien jésuite Pierre Rousselot (25 avril), Robert Porchon 20 février), saint-cyrien et ami de Maurice Genevoix, lui-même grièvement blessé le 24 avril, le jour même où, sur le même champ de bataille, le grand témoin allemand Ernst Jünger (« Orages d’acier ») reçoit la première de ses nombreuses blessures.
Une offensive générale sur tout le saillant est lancée par l’armée Dubail le 5 avril 1915 dans des conditions climatiques déplorables, contrariant l’efficacité de l’artillerie et obligeant les soldats à se battre dans la boue, la pluie et le brouillard. Elle échoue mais est relancée le lendemain : les troupes piétinent devant Pareid, Maizeray, Régnieville, aux Éparges, à Apremont, au bois d’Ailly. Entre le 8 et le 10 avril, les Français enregistrent quelques succès au Eparges, au bois d’Ailly. Mais l’attaque générale sur une ligne Maizeray – Marchéville au nord et sur le sud du saillant échoue, faute de moyens suffisants. L’offensive est stoppée le 14 avril sans gains significatifs.
Tout comme aux Éparges, les Français lancent entre février et avril 1915 une série d’attaques qui échouent toutes. Les combats se déroulent particulièrement au bois d’Ailly, au Bois-Brûlé, au Bois-de-Mort-Mare et au Bois-le-Prêtre.
Au bois d’Ailly, les combats sont quasi quotidiens entre la fin de 1914 et l’été 1915. Début avril 1915, les Français parviennent à gagner un peu de terrain, qu’ils reperdent lors d’une contre-attaque allemande le 4 mai. Entre le 17 et le 20 mai, une offensive française regagne du terrain, mais une compagnie est prise au piège dans la célèbre « Tranchée de la soif » et doit se rendre. A l’été 1915, le secteur redevient plus calme, mais la guerre des mines prend le relais des vaines offensives.
Au Bois-Brûlé, les combats sont tout aussi furieux, notamment autour de la redoute construite par les Français pour contrôler la route d’Apremont, redoute enlevée par les Allemands fin décembre 1914 puis longtemps disputée. C’est au Bois-Brûlé que le 8 avril 1915, l’adjudant Péricard à crié le fameux « Debout les morts ! » lors d’une combat acharné pour la défense d’une tranchée…
Au Bois-le-Prêtre, de l'automne 1914 au printemps 1915, se succèdent 132 attaques au prix de pertes énormes, permettant cependant aux Français de progresser un peu. Le 4 juillet 1915, une contre-attaque allemande avec utilisation de lance-flammes reprend presque tout le terrain gagné, dont le lieu-dit la Croix-des-Carmes. Le front désormais ne bougera presque plus dans ce secteur. Les combats auront fait plus de 7 000 morts dans chaque camp.
Troupes françaises montant à l’assaut dans le secteur du Bois-le-Prêtre.
Carte Auteur inconnu. The Great War : The Standard Histor gw_marnebridge y of the All Europe Conflict edited by H. W. Wilson and J. A. Hammerton, London 1915), 1914
A Flirey et au Bois-de-Mort-Mare, les Allemands établissent une ligne de défense bien fortifiée dès l’automne 1914. En avril 1915, plusieurs assauts français du 63ème R.I. de Limoges entre le Bois-le-Prêtre et le Bois-de-Mort-Mare se soldent par des échecs sanglants. C’est le cas le 19 avril, lorsque les 250 hommes de la 5ème compagnie du 2ème bataillon du 63ème R.I., totalement épuisés, refusent de suivre leur capitaine et de quitter la tranchée. 5 hommes passent immédiatement en conseil de guerre, et le lendemain, 4 sont fusillés « pour l’exemple »…
Par la suite, le régiment tient solidement en juin la ligne de défense, au prix de pertes considérables. Puis les attaques en surface laissent place à la guerre des mines. Sur 1 kilomètre du front, 130 mines bouleversent les tranchées de février 1915 à avril 1917.
Pour Joffre, en plus des considérations générales (soulager le front russe, percer le front), la reprise en Artois des réseaux ferroviaires de la plaine de Douai constituerait un grave revers pour les Allemands. Le secteur étant tenu par les Britanniques, il en fait part à French, qui par ailleurs considère que la guerre de tranchées exerce une influence désastreuse sur le moral de ses troupes.
French est pressé, pour plusieurs raisons : l’armée britannique est en pleine réorganisation et prépare une offensive dans les Dardanelles ; il sait en outre que Joffre prépare une grande offensive pour l’automne en Artois et en Champagne. Voulant sans doute rester maître du jeu dans son secteur, il décide de lancer sa propre offensive, une attaque à grande échelle, après les épreuves subies durant l’hiver.
L’objectif de French est le prise du village de Neuve-Chapelle, un saillant dans la ligne de front britannique, ainsi que de la crête d’Aubers voisine qui domine la plaine de quelques mètres et serait un point d’observation important. A terme, il s’agit de menacer les défenses allemandes de Lille.
Neuve Chapelle : le « Christ des tranchées ». Entre les lignes portugaises et allemandes, se dressait le Christ des Tranchées. Sans cesse mitraillé, vénéré par les Portugais qui défendent les lieux, il est ramené en 1954 dans l’église du monastère de Batalha.
Photo Arnaldo Garcez, photographe officiel de l’armée portugaise. Commons Wikimédia., 1915
Sur ce front d’environ 20 kilomètres de long, l’armée de French positionne 6 divisions, face aux 2 divisions allemandes du VIIème corps du général Eberhard von Claer. L’attaque principale est prévue sur un front de 3 km de part et d’autre du village de Neuve Chapelle et confiée à des unités des 7ème et 8ème D.I. (Général Rawlinson) et du corps indien (Général Willcocks), soit 40 000 hommes soutenus par une artillerie d’environ 400 pièces et d’escadrilles d’observation du Royal Flying Corps.
Au matin du 10 mars 1915, un bombardement d’artillerie déverse durant 35 minutes des milliers d’obus sur la première ligne allemande, puis sur la seconde ligne durant 30 minutes. Plus de 216 000 obus sont tirés. C’est le bombardement d’artillerie le plus dense jamais réalisé entre 1914 et 1917 ! A 8h05, les forces anglaises sortent de leurs tranchées : elles progressent de 1 500 mètres et prennent le village. Mais elles sont rapidement bloquées après ce succès initial à cause de problèmes de communications et de manque de munitions. De plus, le prince Rupprecht de Bavière, patron de la VIème armée, envoie en renfort des troupes des IIème et XIXème corps bavarois.
Le 12, la progression britannique vers la crête d’Aubers est stoppée avec d’énormes pertes et les Anglais refluent sur Neuve-Chapelle qu’ils ont consolidée. Les combats cessent le 13 mars. Les Britanniques n’ont réussi qu’à progresser de 2km en profondeur sur 3km de large, au prix de pertes énormes : 11 200 tués et blessés, dont 4 200 Indiens. Les Allemands perdent autant d’hommes, dont 1 700 prisonniers.
Pour French, le résultat est décevant. S’il a réussi une percée initiale, il n’a pu l’exploiter. Il en attribue la cause au manque cruel de munitions d’artillerie, déclenchant ainsi en Angleterre la « crise des obus » qui aboutira à la formation du gouvernement Lloyd Georges.
La bataille de Neuve Chapelle constitue une innovation majeure pour la première guerre mondiale : pour la première fois un belligérant utilise la tactique du bombardement préliminaire concentré et du barrage roulant d’artillerie sur une cible selon un chronométrage préparé, abandonnant du même coup l’effet de surprise. De plus, des cartes précises marquant les objectifs sont établies, des avions sont chargés de la reconnaissance préalable du terrain et même du bombardement aérien ; le secret sur l’attaque est entretenu. Pratiquement jusqu’en 1918, toutes les offensives, des deux côtés du front, seront fondées sur les méthodes développées par la première armée britannique à Neuve-Chapelle.
Après avoir repoussé l'offensive de l'Entente en Champagne, les Allemands prennent l’initiative d’une offensive en avril 1915 à Ypres. C’est leur seconde tentative contre la ville belge après les combats de l’automne 1914. L’offensive est confiée aux IVème et VIème armées du Kaiser.
Le 20 avril, les Allemands commencent le bombardement. Leur offensive est déclenchée le 22 avril au nord d’Ypres, contre les troupes françaises et les troupes canadiennes fraichement arrivées. C’est la bataille de Gravenstafel. Les Canadiens de la 1ère D.I. reçoivent leur baptême du feu ; malgré le manque d’artillerie, la boue, un armement peu fiable, ils tiennent.
L’effort principal des Allemands porte sur la zone tenue par les Français, en l’occurrence la 78ème division territoriale et la 45ème division algérienne. Vers 17 heures, la IVème armée allemande lâche depuis ses tranchées le chlore, gaz toxique stocké dans 5 730 cylindres, que le vent pousse en direction des troupes françaises et canadiennes. C’est la panique sur le flanc nord du saillant, entre Steenstraate et Langemark : les combattants refluent jusqu’au canal sur lequel les Allemands parviennent à établir une tête de pont à Steenstraate et organisent rapidement le territoire conquis. Mais les grenadiers Belges, puis les Canadiens et les zouaves parviennent à contenir l’assaut. Le lendemain, avec l’aide des Anglais, Français et Belges bloquent l’offensive allemande qui ne parvient pas à progresser.
Ce qui reste du village belge de Lizerne après la bataille d’avril 1915…
Photo. Auteur inconnu. Tiré de « The Great World War : A History edited by Frank A. Mumby » (Gresham Publishing Company, five volumes 1915-1917) , 1915
Le 24, les Allemands attaquent, de nouveau en utilisant les gaz, la 1ème D.I. canadienne dans le secteur de Saint-Julien. Avec des moyens de fortune, les Canadiens parviennent à résister plus d’une semaine, empêchant une percée allemande. Epuisés, Ils sont relevés le 4 mai par des troupes britanniques, françaises et indiennes. Mais aucune contre-attaque ne parvient à faire reculer l’attaque allemande. Le 6 mai, French limoge le général Horace Smith-Dorrien, commandant de la IIème armée britannique.
Le 8 mai, les Allemands s’emparent de la crête de Frezenberg haute de quelques dizaines de mètres et parviennent à la conserver malgré de nombreuses contre-attaques des Alliés jusqu’au 13 mai. Enfin, le 24 mai, ils se lancent à l’assaut de la colline de Bellewaarde, au sud de Frezenberg, qu’ils tiennent une journée avant de revenir sur leurs positions. Le 25, la seconde bataille d’Ypres s’achève pour se transforme en guerre des mines qui va perdurer jusqu’en 1917.
Les Allemands n’ont finalement conquis que peu de terrain et n’ont pas atteint l’objectif fixé : Ypres reste au mains des Anglais. Par contre, les pertes sont énormes de part et d’autre : les Allemands déplorent 35 000 morts, blessés ou disparus. Ils sont 58 000 coté anglais, 10 000 coté français, 6 700 côté canadien, les belges ayant perdu 1 500 hommes.
Si plus de 10 000 soldats ont été gazés, l’emploi massif de cette arme n’aura pas permis aux Allemands d’atteindre leurs objectifs. L’effet psychologique d’une telle arme restera cependant profondément ancré dans la tête des combattants jusqu’à la fin et au-delà du conflit.
Le centre d’Ypres avant la guerre et après les combats de 1914-1915.
Montage photo. Georges Brun, montage photo d’après des photos d’époque., 2015
Zouaves français gazés lors de la 2è bataille d'Ypres en avril 1915.
Inconnu. Commons Wikimédia., 2015
Positions françaises près de Steenstraate sous bombardement d’artillerie en avril 1915.
Photo. Auteur inconnu, Collier's New Photographic History of the World's War (New York, 1918) , 2015
Fin mars, en vue de son offensive en Artois prévue pour début mai, Joffre demande à French la participation britannique. Ce dernier accepte immédiatement.
Pour Joffre et la 10ème armée, dont l’objectif principal est la crête de Vimy et le bassin minier de Lens, deux attaques complémentaires doivent s’emparer de hauteurs sur les flancs : l’éperon de Notre-Dame-de-Lorette au nord-ouest et les hauteurs dominant Arras à l’est. Dans sa préparation, Joffre ne tient pas compte de la nouveauté que constitue l’utilisation des gaz.
L’objectif des Britanniques, commandés par Douglas Haig, est la prise de la crête d’Aubers proche de Neuve-Chapelle et point d’observation idéal pour les Allemands. French prévoit un mouvement de tenailles à partir des Rouges-Bancs à Fromelles (8ème division anglaise) et à partir du sud (Division Indienne Meerut) sur le front entre Festubert et Richebourg-Saint-Vaast.
L’infanterie britannique de la 47ème division avançant dans une nappe de gaz lors de la bataille de Loos.
Photo. Soldat inconnu de la Rifle Brigade. Collection de l’Imperial War Museums , 2015
Le champ de bataille dévasté sur la route de Loos, 1915.
Auteur inconnu. Tiré de The Great World War : A History edited by Frank A. Mumby (Gresham Publishing Company, five volumes 1915-1917) , 2015
Pour l’offensive, French penche pour l’effet de surprise et donc un bombardement d’artillerie de courte durée (40 minutes) mais intense. Il fait de plus creuser deux tunnels de mines de 100 mètres avec chacun 1 tonne d’explosifs. En face, les Allemands du 7ème corps bavarois ont considérablement renforcé leurs défenses (réseau densifiés de barbelés, tranchées approfondies et parapets rehaussés, abris tous les 20 mètres, mitrailleuses derrière plaques d’acier)
Le bombardement français débute le 3 mai, mais à cause des conditions climatiques, Joffre reporte l’attaque principale en Artois du 7 au 9 mai : ainsi les deux attaques seront simultanées : les Allemands ne dégarniront pas leur front à Aubers.
Le 9, à 5 heures du matin, les Britanniques déclenchent leur bombardement : 400 pièces, 200 au nord et autant au sud, tentent de ravager les premières lignes allemandes et de hacher les réseaux de barbelés. Mais le bombardement reste peu efficace, et rapidement les munitions viennent à manquer !
À 5 heures 40, l’explosion des deux mines au nord donne le signal de l’attaque. Au sud, à peine sortis de leur tranchées et engagés dans un no man’s land d’à peine 100 mètres de large, les hommes sont fauchés par les mitrailleuses, les défenses allemandes n’ayant pratiquement pas souffert. Les barbelés s’avèrent infranchissables ; seuls quelques groupes parviennent à la première ligne allemande où ils sont immédiatement anéantis ou capturés. A 6 heures, l’assaut est annulé, piégeant des centaines d’hommes dans le no man’s land au moment ou l’artillerie allemande se déchaîne.
Des soldats allemands posent dans un cratère provoqué par l’explosion d’une mine britannique à Aubers.
Photo. Auteur inconnu. Photo Bundesarchiv. , 2015
Barbelés devant tranchées allemandes à Loos, 1915.
Photo. Auteur inconnu. Tiré de The Great World War : A History edited by Frank A. Mumby (Gresham Publishing Company, five volumes 1915-1917) , 2015
Au nord, la situation est identique ; quelques assaillants parviennent à s’emparer de trois portions de la première ligne allemande ainsi que de la ferme Delangre, en s’appuyant sur les deux cratères géants des mines, mais l’artillerie allemande empêche toute progression. Rapidement, la confusion est totale, au point que les officiers sur le terrain en viennent à empêcher Haig de relancer l’attaque en milieu de matinée. Mais ce dernier, informé du succès initial de l’offensive française, ordonne néanmoins la reprise de l’attaque au sud par les soldats d’élite de la 1ère brigade « Black Watch ». Après 20 minutes de bombardement, l’assaut reprend. Les quelques poignées de soldats qui atteignent la première ligne allemande sont rapidement mises hors de combat.
Au soir du 9, la situation est totalement chaotique, obligeant Haig à renoncer à un troisième assaut au crépuscule. Dans la nuit, 200 à 300 hommes parviennent difficilement à se replier et à rejoindre leurs lignes de départ. Au matin du 10, l’idée de reprendre l’offensive est abandonnée au regard des énormes pertes subies. Dans la journée, les Allemandes réoccupent totalement leurs positions. Côté britannique, on mettra deux jours à évacuer en seconde ligne tous les blessés.
Le bilan est effarant : au nord, sur les 5 500 engagés, près de 4 600 officiers et soldats sont tués ou disparus. Au sud, la brigade Dehra perd 900 hommes dont 37 officiers et la 1ère division 2 300 hommes dont 85 officiers, soit 60% de ses effectifs. Au final, les Britanniques comptent plus de 11 000 hommes hors de combat en un peu plus d’une journée, et sans aucun résultat ! Coté Allemand, on déplore la perte d’environ 3 000 hommes, tués, blessés ou disparus.
Les conséquences de ce désastre sont importantes : politiquement, elle accélère la crise britannique dite « des munitions » ; stratégiquement, French et Haig abandonnent toute idée d’offensive surprise au profit de bombardements d’artillerie longs et méthodiques avant toute nouvelle attaque. Ce type d’offensive s’imposera désormais jusqu’à la fin de 1917 : il n’en gagnera néanmoins pas en efficacité.
L’offensive en Artois prévue par Joffre débute le 3 mai par un bombardement méthodique et bien préparé des lignes allemandes, qui dure six jours et six nuits. Les mauvaises conditions météorologiques repoussent cependant l’offensive du 7 au 9 mai.
Le plan fixe l’attaque principale sur la crête de Vimy (cotes 119, 140, 132) qui domine toute la plaine de Douai, alors qu’une attaque sur le flanc nord vise la crête de Notre-Dame-de-Lorette, l’éperon nord de Souchez et la cote 119, et qu’une seconde au sud doit s’emparer des cotes 96 et 93 s'étendant jusqu'à la Scarpe. La préparation de l’offensive est très minutieuse, avec reconnaissances aériennes, étude précise du terrain, logistique très importante, réseau de communication doublé.
Le général Foch, chargé de superviser l’offensive, dispose de la Xème armée du général d’Urbal, composée des 33ème (Pétain), 21ème (Maistre), 9ème (Dubois), 10ème (Wirbel) et 20ème (Balfourier) C.A., soit 15 divisions d'infanterie, 3 de cavalerie, 1 000 canons et 125 mortiers de tranchées.
Vue du champ de bataille de Lorette durant la seconde bataille de l’Artois en mai 1915 (Ablain-Saint-Nazaire, Pas de Calais, dans le Nord de la France, non loin de Vimy).
Carte Inconnu. Bundesarchiv, Bild 183-S29824. , 1915
En face, les Allemands ne sont pas en reste : la défense est échelonnée sur trois lignes, avec redoutes fortifiées au sud (Ouvrages Blancs entre La Targette et le bois de Berthonval) et au nord (Carency, Bois 125), positions de la route de Béthune ou du chemin creux de Neuville-Saint-Vaast à Souchez.
Le 9 mai, à 10h00 du matin, le 33ème C.A. du général Pétain, attaque sur un front large de 6 km en face de Vimy : en moins de 3 heures, il progresse de 3 km et atteint la crête de Souchez et la cote 140 ; le 21ème C.A. progresse au nord vers Notre-Dame de Lorette et Souchez et le 20ème C.A. enlève la Targette et une partie de Neuville Saint-Vaast. Au sud cependant, les 15ème C.A. 20ème C.A. sont stoppés immédiatement par les Allemands. Mais l’offensive a avancé si rapidement que les réserves sont trop loin du front pour exploiter la percée et que l’artillerie ne peut plus protéger le front de l’attaque. Les Allemands se ressaisissent dès 13 heures et contre-attaquent, provoquant un repli général de l’attaque centrale sur le chemin creux Souchez – Neuville-Saint-Vaast.
L’artillerie britannique en action à Neuve-Chapelle, printemps 1915.
Carte Auteur inconnu. Tiré de The Great World War : A History edited by Frank A. Mumby (Gresham Publishing Company, five volumes 1915-1917) , 1915
Mitrailleurs français dans une tranchée à Neuville-Saint-Vaast, mai 1915.
Inconnu. Tiré de « The Great War: The Standard Histor gw_marnebridge y of the All Europe Conflict edited by H. W. Wilson and J. A. Hammerton, London 1915., 1915
Les Allemands étant parvenus à enrayer l’offensive, les combats se poursuivent avec acharnement durant une semaine sur la crête de Lorette, à Carency, Givenchy, Souchez, Ablain-Saint-Nazaire, Neuville-Saint-Vaast. La crête de Vimy reste solidement tenue par les Allemands qui, comprenant l’importance de l’offensive, amènent rapidement 9 divisions en renfort. Au bout de quelques jours, leur artillerie lourde surclasse celle des Français et ravage toute la zone des combats.
Entre le 22 et le 29 mai se succèdent attaques et contre-attaques avec de terribles pertes de chaque côté, mais le front ne varie guère. Une dernière grande offensive le 16 juin sur la crête de Vimy est rapidement stoppée par les Allemands. A partir du 25 juin, le front se stabilise et Joffre stoppe l’offensive le 30.
Au final, l’offensive française est un échec, sans résultat stratégique majeur : si les villages de Carency et d’Ablain-Saint-Nazaire ainsi que le plateau de Lorette ont été pris, la crête de Vimy, et donc le contrôle de la plaine minière, restent dans les mains allemandes.
Eclatement d'une grenade devant Notre-Dame-de-Lorette en Artois.
Photo. Inconnu. Agence Rol. Bnf, Gallica., 1915
Tranchée allemande après la prise de Notre-Dame-de-Lorette.
Photo. Inconnu. Agence Rol. Bnf, Gallica., 2015
Le coût humain de cette grande offensive, est tragique pour l’armée française : elle subit une saignée de 102 500 soldats : 16 800 tués (dont 609 officiers), 65 900 blessés (dont 1 600 officiers) et 19 800 disparus ou prisonniers. Les Allemands déplorent environ la moitié des pertes françaises.
Neuville-Saint-Vaast. Obus de 210 allemand non éclaté.
Carte postale. Inconnu. Photo express. Imprim. Baudinière, Nanterre., 1915
Alors que l’offensive française dans la zone Lorette – Vimy s’enlise après un succès initial, et seulement 6 jours après le désastre de la crête d’Aubers, le commandement britannique accepte de mener une offensive dans le secteur de Festubert et de relever ainsi une division française au sud du canal de la Bassée, division aussitôt envoyé sur le front de Vimy.
Le 13 mai débute la préparation d’artillerie : elle dure trois jours et déverse sur les lignes allemandes environ 100 000 obus tirés par plus de 400 bouches à feu. Mais elle est inefficace et ne parvient pas à détruire les lignes allemandes, d’autant que de nombreux obus sont défectueux.
Le 15 mai, la 2ème division britannique et une division indienne montent à l’assaut, à 22 heures 30 du soir, bientôt suivi par la 7ème division, contraignant le 57ème régiment allemand à un repli sur la seconde ligne et ouvrant une brèche de 3 kilomètres dans le front. Une contre-attaque allemande échoue, mais l’artillerie empêche toute progression britannique ainsi que la montée des renforts.
Mitrailleurs du Royal Munster Fusiliers faisant feu dans une tranchée de Festubert, 1915.
Photo. Lieutenant Sealey – King. , 1915
Le 18 mai, French engage les 2ème et 3ème brigades canadiennes des généraux Arthur Currie et Richard Turner, sous une pluie torrentielle et un violent tir de barrage de l’artillerie ennemie, et face à des troupes allemandes fraîches amenées en renfort. L’assaut échoue dans la plus grande confusion.
Une troisième série d’attaques canadiennes, entre le 20 et le 24, ne réussit qu’à la prise des ruines de Festubert, avant que French ne stoppe l’offensive devant la résistance allemande. Après 12 jours de combats, les Britanniques n’ont avancé que de 600 mètres sur un front de 5 km.
Le bilan est lourd : 16 000 tués, blessés et disparus coté britannique, dont 2 500 Canadiens, 5 000 côté allemand. De nombreux soldats ont péri dans d’effrayants corps-à-corps, tant la confusion à régné sur le champ de bataille (on s’est beaucoup battu de nuit). De nombreux autres sont morts noyés dans des trous d’obus des tranchées ou des fossés de drainage inondés par des pluies torrentielles.
L’échec de Festubert accélère en Grande-Bretagne la crise politique après que French se soit plaint dans les médias de la médiocrité de l’artillerie anglaise, spécialement des munitions : le gouvernement Asquith en sera sérieusement et durablement ébranlé.
En août, Joffre décide d’une offensive générale en Champagne et en Artois en lien avec les Britanniques. Le front principal est celui de Champagne, alors que l’offensive secondaire, en Artois, se développera sur 32 kilomètres de front tenus par la VIème armée allemande, entre La Bassée et Arras, et que les Anglais seront chargés du secteur de Loos-en-Gohelle. La gestion de l’attaque est confiée au général Foch.
L’offensive de Foch comprend deux axes : au nord, entre Vermelles et Grenay, en direction de Loos puis de Lens : ce sera le travail des Britanniques ; au sud, entre Souchez et Roclincourt, avec Vimy puis Lens comme objectifs, la Xème armée de Foch engagera 17 divisions d’infanterie et 2 de cavalerie afin d’exploiter la percée. Au centre, devant Lens, aucune offensive n’est prévue… L’assaut devant être massif et continu, les réserves sont acheminées au plus près du front. Très optimiste, Joffre rêve même d’une belle percée devant mener la cavalerie, en un magnifique élan, jusqu’à Mons, à 80 km au nord.
Après la prise de Carency par les troupes françaises du général de Maud’Huy. Chasseurs alpins tués à l’entrée du village. Mai 1915.
Photo. Auteur inconnu. The War Illustrated, June 1915., 1915
carency après la seconde bataille d’Artois, mai 1915.
Photo. Auteur inconnu. The War Illustrated, June 1915. , 1915
Le 25 septembre, au moment où les Britanniques sortent de leurs tranchées devant Loos, l’artillerie française, dont 380 pièces lourdes (268 000 obus), se déchaîne durant 4 heures sur les lignes allemandes entre Angres et Arras. A 12h 45, l’infanterie française sort de ses tranchées, sous une pluie battante. Mais l’offensive ne progresse réellement que sur la gauche de l’attaque. La poussée française se prolonge jusqu’au 28, mais de manière très inégale et très lentement. Au matin du 28 septembre, Souchez, la cote 140 de la crête de Vimy et Thélus sont aux mains des Français. Mais les Allemands réagissent par de violentes contre-attaques et stoppent la progression de la Xème armée.
Deux jours plus tard, l’échec patent de l’offensive en Champagne contraint Joffre à la stopper, condamnant du coup celle d’Artois. Une dernière tentative des troupes françaises contre la crête de Vimy échoue, faute de moyens suffisants. Les Français sont à bout. L’offensive est stoppée.
Tranchée allemande conquise dans l'assaut de Carency (Pas-de-Calais).
Carte Inconnu. Agence Rol. Bnf, Gallica., 1915
La Xème Armée a enlevé la ligne allemande sur une largeur de 9km et une profondeur de moins de 2km environ ; les abords immédiats de la crête de Vimy sont en sa possession. Mais les objectifs finaux de l’offensive, comme du côté anglais à Loos, sont loin d’être atteints. C’est un nouvel échec pour Joffre, qui se paye par la perte de 48 000 hommes, tués, blessés ou disparus. Les Allemands déplorent la perte de 30 000 des leurs.
Joffre tient absolument à percer le front. Il tient de plus à soulager l’armée russe battue en Pologne et en retraite sur tout le front ; il lui faut enfin calmer l’impatience grandissante des politiques et des militaires, pressés d’en finir au plus tôt avec ce conflit qui commence à durer.
Le généralissime choisit un secteur de 25 kilomètres en Champagne, à l’est de Reims, entre Aubérive et Ville-sur-Tourbe, un terrain relativement plat et dégagé permettant une attaque frontale après une bonne préparation d’artillerie, attaque destinée à contourner et envelopper les principaux points de résistance ennemis.
Joffre aligne la IVème armée française de Langle de Cary et la IIème du général Pétain, soit 8 C.A. et 2 corps de cavalerie. En face, Von Eimen aligne sa IIIème armée, soit 9 divisions, très nettement inférieure en nombre mais solidement retranchée et ravitaillée. L’armée française utilise pour la première fois le casque Adrian.
Deux fois reportée (8 et 15 septembre), l’offensive démarre par un bombardement massif d’artillerie qui débute le 22, et dure trois jours : 1 100 pièces de campagne et de tranchée s’acharnent sur la première ligne, avant que l’artillerie lourde n’entre en action contre les lignes de ravitaillement et les nœuds de communication.
Bataille de champagne 1915 : tranchée prise par les Français, sans doute à la Main de Massiges.
Photo. Inconnu. D’après l’Illustration, 3788/9-10-1915., 1915
Bataille de Champagne: panorama de Souchez pendant le bombardement des lignes allemandes avant l'offensive du 25 septembre. Pente est de l'éperon de Souchez.
Photo. Inconnu. D’après l’Illustration, 3788/9-10-1915., 1915
L’offensive débute le 25 et progresse assez rapidement, la première ligne allemande étant sérieusement bouleversée. Mais les points de résistance des Allemands ralentissent rapidement l’avance française de la IVème armée : ainsi à l'Epine de Védégrange, à la ferme des Wacques, à la ferme-cabaret de Navarin où Blaise Cendrars est grièvement blessé, ou encore au Bois-Sabot. Rapidement, la progression devient inégale et très mal coordonnée. Il en est de même pour la seconde armée qui se heurte aux fortifications intactes de la seconde ligne : le Bois-Jaune, la Butte de Mesnil. Les Français emportent la « Main de Massiges », mais ne dépassent pas la crête.
Carte de l’offensive française sur la Main de Massiges, 25-30 septembre 1915.
Carte Brun Georges. , 2015
Bataille de champagne, 25 septembre. Troupes de poursuite derrière la ligne d'assaut.
Photo. Inconnu. D’après l’Illustration, 3788_9-10-1915. , 1915
Déstabilisés, les Allemands songent un instant à la retraite. Mais von Einem reçoit rapidement des renforts et parvient au soir de la journée à empêcher la percée.
Le 26, les Français se heurtent aux défenses de contre-pente de la seconde ligne qu’ils parviennent péniblement à atteindre et tentent de réaligner le front. Le lendemain, la bataille se concentre autour des points de résistance comme Maison-de-Champagne, le Trou-Bricot ou l’arrière de la ferme de Navarin. Les renforts allemands arrivent en masse et parviennent à colmater les petites brèches dans leurs positions.
L’offensive est un échec. Malgré encore quelques succès locaux (Maison-de-Champagne), Pétain fait arrêter l’offensive le 1er octobre. Elle reprend le 6 octobre, mais est stoppée après la prise de la butte de Tahure : il y a beaucoup trop de pertes en hommes et une trop grande consommation de munitions (1 200 000 obus !).
Prisonniers blessés allemands qui se sont rendus après des jours de combats, à court de munitions. Septembre 1915, bataille de Champagne.
Photo. Inconnu. Bundesarchiv. , 1915
Tués français et allemands lors de l’offensive d’automne 1915 en Champagne.
Photo. Inconnu. Collier's Photographic History of the European War (New York, 1916)., 1915
Le prix de cet échec, malgré une progression moyenne du front de 4 kilomètres, est exorbitant : 27 851 tués, 98 305 blessés, 53 658 prisonniers et disparus du côté français ! Les Allemands perdent 72 000 hommes, dont 14 000 tués et 17 500 prisonniers.
Désormais, sur tout le front français un calme relatif va régner jusqu’à la fin de l’année. Anglais et Français ont en effet d’autres soucis : la situation dans les Balkans se dégrade rapidement et tourne au fiasco dans les Dardanelles, d’autant que la Bulgarie vient de rejoindre les Empires Centraux : il faut d’urgence des troupes pour former un corps expéditionnaire, destiné au nouveau théâtre d'opérations qui va s'ouvrir à Salonique.
Carte des combats en Italie entre 1915 et 1917 : bataille des plateaux et offensives 1 à 11 sur l’Isonzo.
Carte , 2015
Au mois d'avril, l'Entente reçoit un très sérieux renfort : bien que membre de la Triple Alliance, après de nombreuses hésitations et de dures négociations conclues le 26 avril à Londres avec le France et la Grande-Bretagne, l'Italie déclare le 23 mai 1915 la guerre à l'Autriche-Hongrie, obligée d'ouvrir un nouveau front à sa frontière des Alpes. Rome ne rompra avec l'Allemagne que le 27 août 1916.
Les principales conditions fixées par l’Italie, dûment enregistrées par l'Entente, sont le rattachement des terres irrédentes (le Trentin et l'Istrie restés sous la domination de l'Autriche-Hongrie en 1866) et du littoral dalmate. Mais l’Italie a aussi des visées sur l'Albanie, en Turquie et en Afrique du Nord.
Le nouveau front ouvert par l'Italie a pour théâtre d'opérations l'arc alpin allant du col du Stelvio (2 758m) à la mer Adriatique et traversant le Trentin, le Haut-Adige, les Alpes Carniques, les Alpes Juliennes et enfin l’Istrie. Le front principal se situe en Istrie, le long de la rivière Isonzo, et va rapidement se cristalliser autour de la ville de Gorizia-Görz et les plateaux environnants. Le reste du front s’établit à des altitudes invraisemblables, atteignant par endroit plus de 3 000 mètres, courant le long des vallées et des pentes abruptes, rendant les conditions de vie et les combats extrêmement dures, les tranchées étant creusées dans la roche ou les glaciers, l’artillerie devant souvent être hissée à la main à des positions inimaginables.
Le commandement de l’armée italienne, forte de 550 000 hommes en mai 1915 est confié au général Luigi Cadorna (1850-1928), qui dispose d’un pouvoir illimité et qui préconise des assauts frontaux, n’hésitant pas devant le sacrifice de milliers de vies de soldats. Sa réputation auprès des hommes de troupe, excellente au début, devient rapidement exécrable. Jusqu’en 1916, l’armée italienne est largement sous-équipée et nettement inférieure à l’armée austro-hongroise, deux fois moins nombreuse, mais qui dispose d’une nette supériorité en armes, particulièrement en artillerie. C’est la raison pour laquelle le front ne va pratiquement pas bouger jusqu’à l’automne de 1917.
Pièce de 149 hissée sur les pentes dominant Rovereto dans le Trentin par 600 italiens et mise en place à 2 000m d'altitude.
Photo. Auteur inconnu. D’après l’Illustration/3784_11-09-1915. Commons Wikimédia., 1915
Une grosse pièce italienne en action dans le plateau du Carso lors d’une des nombreuses offensives sur l’Isonzo.
Photo. Auteur inconnu. Agence Rol. Bnf, Gallica., 1915
Cadorna lance sa première offensive le 24 mai 1915 dans le Frioul : l’armée italienne progresse vers l’Isonzo et dans le Trentin, comptant sur l’effet de surprise. Mais les Autrichiens sont très bien renseignés, et après quelques succès initiaux, l’offensive est stoppée et les deux armées s’enterrent. La guerre de position commence, donnant en montagne un grand avantage aux défenseurs sur les assaillants. L’Autriche, engagée principalement sur le front est, se contente de défendre.
Entre Juin et décembre 1915, l’état-major italien va lancer pas moins de 4 grandes offensives sur l’Isonzo, en direction de Gorizia, dans le but de s’emparer de Trieste :
Carte de la région de l’Isonzo, principal champ de bataille entre les Italiens et les Austro-Honfgrois.
Photo. , 1915
•La première bataille de l’Isonzo (23 juin - 7 juillet 1915) vise la conquête de Gorizia. Comptant sur sa large supériorité numérique (2 contre 1), mais sous-équipée et sans aucune expérience, l’armée italienne parvient dans un premier temps à gagner du terrain, mais est incapable de progresser de plus de deux kilomètres et échoue devant les retranchements autrichien placés en hauteur. Après une dernière tentative le 5 juillet, Cadorna fait cesser l’offensive, qui coûte 16 000 hommes à l’Italie et 10 000 à l’Autriche.
•La seconde offensive débute le 18 juillet avec le même objectif : percer le front et atteindre Trieste. Les Autrichiens ont renforcé leurs positions avec seulement 2 division supplémentaires : cela s’avère suffisant : après une avancée initiale le 22 juillet, lors de laquelle 4 000 Autrichiens sont faits prisonniers, l’offensive est stoppée le 3 août : l’artillerie italienne n’a plus de munitions et le défenses ennemies sont quasi intactes.
•Les 24 et 25 août, Cadorna tente une diversion dans le Trentin, dont l’objectif est la prise du col Basson (1 500m) devant enfoncer les lignes autrichiennes sur le plateau de Luserna et ouvrir la route de Trente. L’offensive échoue après un succès initial.
•Troisième tentative su l’Isonzo entre le 18 octobre et le 4 novembre, inaugurée par un bombardement de trois jours : 1 200 pièces déversent sur les lignes autrichiennes plus d'un million d'obus, mais l’offensive s’enlise dans la pluie intense et la boue contre un défense de fer. 67 000 Italiens sont tués, blessés ou faits prisonniers, les Austro-Hongrois perdent 42 000 hommes.
•La quatrième offensive se déroule entre le 10 novembre et le 2 décembre 1915, sur un scénario identique, et se solde par une perte de 49 500 hommes pour les Italiens et 32 100 pour les Austro-Hongrois.
Ces quatre batailles de l’Isonzo coûtent en 1915 à l’Italie environ ¼ de ses forces armées, soit 60 000 morts et 150 000 blessés.
Paysage de bataille après un assaut des troupes italiennes en mais 1915 sur le plateau d’Asiago, dans les Alpes du Trentin.
Photo. Auteur inconnu. , 1915
Un corps d’Alpins austro-hongrois dans les montagnes du Trentin, région d’Asiago en 1915.
Photo. Officier autrichien inconnu. , 1915