Par Georges Brun
Publié le 11 décembre 2015
Retour à Les combats
Troupes indiennes de Gurkhas engagées pour la défense du canal de Suez.
Photo. Inconnu. Tiré de « Collier's Photographic History of the European War » (New York, 1916)., 1915
Depuis sont ouverture en 1869, le canal de Suez fait l’objet de toutes les attentions de l’Empire Britannique : il en devient en 1874 le principal actionnaire avant d’occuper tout le pays en 1879. Au début de la guerre, 5 000 soldats britanniques sont chargés de défendre le canal. Conscients de son intérêt stratégique de premier plan, les Britanniques y massent rapidement 70 000 hommes, dont 30 000 directement sur le canal (Anglais, Indiens, Australiens) et renforcent considérablement la défense du canal par tout un système de redoutes, postes fortifiés, tranchées et réseaux barbelés, ainsi que quelques navires de la flotte anglaise et française.
Les Ottomans mobilisent le VIIIème C.A. aux ordres de Djemal Pacha et du colonel bavarois colonel Kress von Kressenstein, soit 5 divisions avec des contingents de Bédouins du Sinaï, de Druzes, Kurdes, Mohadjirs, Circassiens de Syrie et des Arabes, soit environ 20 000 hommes, avec de l’artillerie de campagne et des obusiers lourds. Pour s’approcher du canal, cette force emprunte la route centrale du Sinaï, celle du nord, côtière, étant trop exposée au tir des navires, celle du sud étant trop difficile. Ils comptent sur la surprise, mais les Anglais sont parfaitement au courant de leurs déplacements…
Troupes turques rassemblées dans la vallée de Jezreel (Galilée) en vue de préparer l’attaque du canal de Suez.
Photo. Auteur inconnu. Library of Congress , 1915
Troupes soudanaises de l’empire britannique sur le Nil. 1915.
Photo. Inconnu. Tiré de « The Great World War: A History edited by Frank A. Mumby (Gresham Publishing Company). » , 1915
L’attaque se déroule entre le 30 janvier et le 4 février 1915 sur plusieurs points : à El-Kantara, El-Ferdan, Ismaïlia et Toussoum. Les Turcs parviennent à franchir le canal à Ismaïla et Toussoum, mais sont rapidement rejetés, notamment grâce à l’artillerie des navires Requin, d'Entrecasteaux et HMS Harding. Le 4, l’offensive s’arrête : les troupes turques battent en retraite et refluent dans le sud de la Palestine, laissant plus de 4 000 hommes sur le terrain.
Échaudés cependant, les Anglais fortifient les abords du canal de Suez, tout en dégarnissant en mars leur front de quelques 30 000 Australiens et Néo-Zélandais qui iront mourir entre avril et octobre sur les plages arides de Gallipoli. Mais ils seront en mesure de mettre en échec un nouveau raid turc entre le 4 et le 11 août 1915 à Ar-Romana, Katia et Bir-el-Aba.
Carte du front des Dardanelles montrant la tentative navale contre les forts turcs et les opérations sur la presqu’île de Gallipoli.
Carte. Brun Georges. , 2015
Le raid de Suez inquiète le premier lord de l’amirauté, Winston Churchill, convaincu par ailleurs de la nécessité d’ouvrir un nouveau front. Il faut par ailleurs soulager la Russie, menacée d’asphyxie, en débloquant les Détroits, gardés par les Turcs. Il ne voit enfin pas d’un mauvais œil les Anglais s’installer encore plus solidement dans cette région aux fortes odeurs de pétrole.
Le cuirassé HMS Lord Nelson ouvrant le feu sur les forts turcs lors de la bataille des Dardanelles, mars 1915.
Photo. Inconnu. Agence Rol. Bnf, Gallica. , 1915
Après avoir rallié Paris à ses vues, Churchill engage en février 1915 une action navale franco-britannique sur les Détroits visant à s’emparer des Dardanelles et de libérer Constantinople. A la tête d’une escadre franco-anglaise forte de 18 cuirassés, l’amiral Sackville Carden commence le bombardement des forts qui commandent l’entrée du détroit le 25 février alors que les démineurs se mettent au travail. Le 4 mars, impatient, Churchill ordonne d’accélérer les choses.
Le cuirassé Bouvet dans les Dardanelles. Le 18 mars il saute sur une mine et coule en quelques minutes. 648 marins périssent ; seul 75 seront sauvés.
Photo. Inconnu. Agence Rol. Bnf, Gallica. , 1915
Carden propose une action rapide pour le 17 mars, mais, malade, est remplacé par John de Robeck. Le 18 mars, l’escadre tente de forcer le passage, ayant appris que les forts turcs étaient pratiquement à bout de munitions. Mais tous les champs de mines n’ont pas été identifiés : à 15h15, le cuirassé français Bouvet saute sur une mine et coule. Quelques instants plus tard, c’est le tour des HMS Irresistible et Inflexible, ainsi que du HMS Ocean qui se porte à leur secours. Seul l’Inflexible parvient à échapper au naufrage ; un peu plus tard enfin, les cuirassé Suffren et Gaulois sont endommagés à leur tour. Aussi, Robeck ordonne la retraite : c’est un véritable fiasco, dont Churchill paiera les conséquences.
Cap Hellès : la fin du cargo Carthage, torpillé par le sous-marin allemand U 21 du lieutenant Otto Hersing le 4 juillet 1915.
Photo. Inconnu. D’après l’Illustration/3780, 14-08-1915. Commons Wikimédia. , 1915
Sérieusement touché par une mine le 18 mars 1915, le cuirassé français Gaulois parvient à s'échouer.
Photo. Inconnu. Agence Rol. Bnf, Gallica. , 1915
Les troupes anglaises de la division Lancashire débarquent aux Dardanelles, avril 1915.
Photo. Inconnu. Tiré de Collier's Photographic History of the European War (New York, 1916), 1915
Les Alliés cependant ne renoncent pas : ils décident d’une opération terrestre devant assurer le contrôle des côtes, neutraliser les batteries ottomanes et permettre aux dragueurs de mines de nettoyer le détroit en toute sécurité.
Pour ce faire, 78 000 hommes sont regroupés début avril sur l’île de Lemnos : le corps Britannique, les 30 000 soldats australiens et néozélandais d’Egypte regroupés au sein du corps d'armée australien et néo-zélandais ou ANZAC, et le Corps expéditionnaire français. L’ensemble est mis sous le commandement du général Ian Standish Monteith Hamilton (1853-1947). Les Turcs ont largement le temps de se préparer : sous les ordres du général allemand Liman von Sanders et du colonel Mustapha Kemal, ils déploient la 5ème armée, soit 5 divisions (60 000 hommes) et renforcent les défenses de Gallipoli, particulièrement dans les hauteurs, en insistant sur la souplesse des unités et qualité des voies de communications.
Débarquement des troupes franco-anglaises aux Dardanelles, avril 1915 (CPE)
Photo. Inconnu. Tiré de Collier's Photographic History of the European War (New York, 1916), 1915
Soldats britanniques dans les tranchées à Gallipoli.
Photo. Inconnu. Tiré de Collier's Photographic History of the European War (New York, 1916), 1915
Le 25 avril 1915, Anglais et Français débarquent au cap Helles, les ANZAC plus au nord au cap Ari, et les Français à Kum-Kale sur la côte asiatique. Attendus, ils sont rapidement bloqués sur les plages et il leur faut des jours et des semaines pour établir des têtes de pont et progresser un peu vers l’intérieur des terres. Malgré des renforts très importants et en dépit de 3 batailles acharnées devant Kritiya, les 6 mai, 28 juin et 12 juillet 1915, il est impossible de percer les lignes turques protégeant Constantinople. Les Anglais effectuent alors le 7 août un second débarquement dans la baie de Suvla, mais une contre-attaque turque les bloque le 10 août et le combats se poursuivent jusqu’au 23.
Sur mer, la lutte se poursuit : sur les 9 sous-marins alliés, 8 sont mis hors de combat, dont 4 français, et le sous-marin allemand U-21 coule les cuirassés HMS Triumph et Majestic.
Le 14 octobre, la Bulgarie entre en guerre aux côtés des Empire Centraux, bouleversant la donne stratégique dans les Balkans : il faut rapidement secourir la Serbie attaquée de toutes parts et maintenir un front dans les Balkans. Les Alliés se résolvent à évacuer la presqu’île de Gallipoli et à ouvrir un nouveau front à Salonique, en utilisant une grande partie des troupes évacuées des Dardanelles.
Les tranchées turques de Sedul Bahr [i.e. Seddülbahir] après leur prise par les Zouaves français.
Photo. Inconnu. Agence Rol. Bnf, Gallica. , 1915
Un canon anglais Mk I de 60 pouces de la 90è Royal Garrison Artillery en action au cap Hellès à Gallipoli (Juin 1915). Son fut porte l’inscription « Annie ».
Photo. Ernest Brooks. Imperial War Museums , 1915
Le 19 novembre 1915, lord Kitchener, ministre de la guerre anglais, ordonne l’évacuation. Elle débute le 14 décembre dans des conditions climatiques détestables, mais à la barbe des Turcs. Ces derniers se ruent sur les lignes le 7 janvier 1916, se heurtant à la résistance farouche des derniers combattants Anglais. Le 9, l’évacuation est achevée.
Le bilan de l’opération est catastrophique pour les Alliés et les Turcs : plus de 110 000 soldat y ont trouvé la mort ; ainsi environ ¼ des Néozélandais ayant débarqué ont été tués ! Ces chiffres n’incluent pas le nombre de morts tués par la dysenterie et la typhoïde qui frappent près du tiers des combattants. Pour les Alliés, l’échec est patent, et plus particulièrement pour le gouvernement Anglais et le lord de l’amirauté Churchill, obligé de démissionner le 15 novembre 1915. Il porte un coup terrible à tout le gouvernement et obligera le cabinet Asquith à démissionner en décembre 1916.
Débarquement dans la baie de Suvla. Août 1915.
Photo. Inconnu. Tiré de « The Nations at War » de Willis John Abbot (New York, 1917), 1915
Troupes britanniques débarquant dans la baie de Suvla. Août 1915.
Photo. Inconnu. Tiré de « The Nations at War » de Willis John Abbot (New York, 1917), 1915
Les défaites russes de 1915 confortent la Bulgarie, très courtisée par les Empires Centraux, dans son projet d’entrer dans le conflit à leurs côtés, d’autant qu’elle a des compte à régler avec la Serbie, sa rivale dans les Balkans et avec la Roumanie : elle désire s’approprier la Macédoine aux dépens de la première et la Dobroudja aux dépens de la seconde. Les 6 septembre 1915 Sofia signe un traité avec les puissances centrales qui lui promettent, en cas d’entrée en guerre, le sud de la vieille Serbie.
Début 1915, la situation n’a pas changé dans les Balkans : les offensives autrichiennes d'août et novembre 1914 ont été une humiliation pour Vienne et la petite Serbie à réussi à maintenir l’intégrité de son territoire. Mais le pays est exsangue après 3 années de guerre et son allié grec se dérobe, tenté par l’alliance avec l’Allemagne. Le pays se tient donc dans une attitude de défense passive.
L’artillerie bulgare en action contre les troupes serbes.
Photo. Inconnu. Agence Rol. Bnf, Gallica. , 1915
Pour les Empires Centraux, il est essentiel, après l’intervention des Alliés aux Dardanelles, d’ouvrir des voies d’approvisionnement militaire solides et permanentes avec la Turquie : il leur faut donc, outre l’alliance bulgare, régler au plus vite la question serbe.
L’offensive contre la Serbie est programmée en été. Elle est confiée au général allemand August von Mackensen : la IIIème armée austro-hongroise et la XIème armée allemande, massées sur la rive droite du Danube, frapperont par le nord, alors que les Ière et IIème armées bulgares avanceront, la première au nord-est afin d’encercler l’armée serbe, la seconde au sud afin d’empêcher une future et probable intervention des Alliés venant du sud et de couper aux Serbes la route de la Grèce. A la même époque, les Français décident de se désengager de Gallipoli et de débarquer à Salonique en vue de soutenir l’armée serbe, malgré le roi Constantin Ier de Grèce, beau-frère de Guillaume II, dont l’attitude équivoque va provoquer une véritable guerre civile entre ses partisans et ceux du premier ministre Venizélos, farouche partisans de l’entrée en guerre de la Grèce aux côtés des Alliés, et qui leur offre Salonique comme base de départ.
Le 5 octobre, les premières troupes françaises et britanniques débarquent dans la ville sous les ordres du général Maurice Sarrail. Il s’agit avant tout de protéger l’armée serbe contre l’offensive des Bulgares.
Le 6 octobre, les Austro-Allemands lancent l’offensive dans le nord, et le 9 entrent dans Belgrade. Ils poursuivent leur offensive plein-sud tout en se heurtant à la résistance opiniâtre des Serbes. Le 14, les Bulgares entrent en guerre : leur IIème armée se dirige entre en Macédoine et prend Uskub le 23 ; leur Ière armée se dirige vers le centre de la Serbie. Le même jour, Sarrail donne ordre à la 122ème D.I. du général Bailloud de se porter vers le nord au secours de l’armée serbe, que le général Putnik pense mener vers Skoplje et Veles. Mais l’armée bulgare s’empare de ces deux villes, contient les Français et oblige l’armée serbe à se replier vers l’ouest pour éviter l’encerclement.
Les Austro-Hongrois exécutent des civils serbes durant leur avancée dans le pays. Les serbes paieront un terrible tribu à la guerre : plus d’un million de morts dans les batailles, exécutés ou victimes d’une terrible épidémie de typhus.
Photo. Auteur inconnu., 1915
Montagnards albano-serbes lors de la grande retraite des troupes serbes vers les ports de l’adriatique. Automne-hiver 1915.
Photo. Inconnu. Agence Rol. Bnf, Gallica. , 1915
Débute alors pour l’armée serbe un véritable calvaire : une retraite par les montagnes dont les cols enneigés peuvent atteindre 2 500m vers l’Albanie, sous la pression conjuguées des armées allemandes, autrichiennes et bulgares. Au bout d’un mois, les Serbes parviennent sur les côtes de l’Adriatique où les nouveaux alliés Italiens et les Français les recueillent et parviennent à les évacuer de Durazzo (Dürres), Medua et Valona vers Corfou et vers la Tunisie. Par la suite, l’armée serbe se reconstituera à Salonique.
De leur côté, les Français et les Anglais, stoppés par les Bulgares et ne disposant par encore de forces suffisantes, décident de se replier vers Salonique : entre le 1er et le 12 décembre, ils effectuent une retraite stratégique sur la frontière grecque, que les Allemands interdisent aux Bulgares de franchir afin de ménager la Grèce.
Débarquement à Salonique de troupes coloniales, fin 1915.
Photo. Inconnu. Agence Meurisse. Bnf, Gallica., 1915
Les troupes française débarquent et s’installent à Salonique, fin 1915.
Photo. Inconnu. Agence Rol. Bnf, Gallica., 1915
Salonique est alors transformé en un immense camp retranché encerclé par les troupes de l’Alliance, l’armée grecque faisant tampon sur la frontière. Les Alliés se trouvent dans une situation précaire : régulièrement bombardé, le camp connaît des problèmes de ravitaillement ; de plus, les Anglais veulent se retirer de la « Birdcage » pour renforcer leurs troupes en Egypte et Mésopotamie alors que les Français sont divisés : Joffre voudrait se dégager, mais le Président su conseil Briand veut le maintien afin d’encourager la Roumanie de choisir le camp de l’Entente ; les Grecs sont toujours profondément divisés, et le moral des troupes est au plus bas. 1915 s’achève dans le doute.
Les troupes française de cavalerie et du génie débarquent à Salonique à la fin de l’année 1915.
Photo. Inconnu. Tiré de « The Nations at War » de Willis John Abbot (New York, 1917), 1915
La vallée du Vardar, passage stratégique de première importance entre Salonique and Nish. Les Bulgares devancent les Français pour son contrôle.
Photo. Inconnu. Tiré de « Collier's Photographic History of the European War » (New York, 1916), 1915
La guerre dans l’empire ottoman avec ses principaux fronts : Caucase, Mésopotamie, Gallipoli et Egypte-Palestine.
Carte Brun Georges. , 2015
L’année 1915 commence pour l’armée turque par le désastre de Sarikamis où la IIIème armée turque du Caucase perd plus des deux tiers de ses combattants, pour la plupart morts de froid. En février, le général Ioudénitch est nommé commandement de toutes les forces russes dans le Caucase.
Les débarquement des Alliés à Gallipoli soulage le front du Caucase et permet aux Russe d’avancer dans le Caucase : en mars, ils s’emparent d'Eleşkirt, d’Ağrı et de Doğubeyazıt et s’avancent vers Van et sa région.
Cherchant un bouc émissaire à cette série de désastres, le gouvernement d’Enver Pacha se retourne contre les Arméniens, rapidement accusés d’intelligence avec l’ennemi. Il est vrai que les Arméniens, oppressés depuis des siècles par les Ottomans, voient d’en très bon œil l’avancée des Russes en Turquie.
A Van, le gouverneur militaire ottoman Djevdet Bey, beau-frère d’Enver, ordonne des massacres d'Arméniens sous prétexte d'intelligence avec l'ennemi et de désertion. Puis, le 24 avril, le ministre de l’intérieur turc Talaat Pacha publie le décret du « Dimanche Rouge » mettant les quelques 1 750 000 Arméniens au ban de l’empire, point de départ de la déportation (loi Tehcir du 27 mai) et du génocide.
Troupes arméniennes assurant la défense de Van en 1915. Les Turcs s’en serviront de prétexte pour justifier le massacre des Arméniens, qui tourne rapidement au génocide.
Photo. Inconnu. Tiré de « Liberty's Victorious Conflict: A Photographic History of the World War », (Woman's Weekly, Chicago, 1918), 1915
Arméniens massacrés par les Turcs.
Photo. Inconnu. Tiré de « Ambassador Morgenthau's Story » de Henry Morgenthau. , 1915
Le 6 mai le général Ioudénitch lance son offensive sur Van et sa région ainsi qu’en Perse, afin de dissuader les Kurdes d’intervenir et de secourir les Arméniens qui, au nombre d’environ 50 000, tentent de résister aux Turcs sous les ordres d’Aram Manoukian. Les troupes de Djevdet vont en massacrer plus de 50 000. Le 12 mais, la ville d’Erciş. Le 21 mai, après avoir repoussé une contre-offensive turque à Malazgirt, les Russes entrent dans la ville abandonnée par Djevdet et continuent leur avance vers l’ouest. Un gouvernement provisoire arménien est créé, dont Manoukian prend la tête.
Les affrontements se poursuivent en juin et juillet, et Ioudénitch met en place une offensive en Anatolie, devant s’emparer de la ville de Mus au sud du lac de Van. Il concentre ses forces autour de la ville de Malazgirt (Manzikert). Mais les forces ottomanes anticipent : après 15 jours de combat (10-26 juillet) elles obligent les Russes à la retraite et reprennent Malazgirt ; elles poursuivent les Russes, mais dispersent leurs forces et se font contre-attaquer à Kara-Kilisse fin juillet. Considérée comme une victoire par les Russe, cette bataille ne leur permet cependant pas de conserver Van et sa région, qu’ils évacuent à partir du 3 août vers la Transcaucasie, entraînant dans leur sillage plus de 200 000 réfugiés. 40 000 d’entre eux seront massacrés par les Turcs et les Kurdes.
Pendaisons d’Arméniens par les Turcs à Constantinople en juin 1915.
Photo. Inconnu. Armenian Genocide Museum-Institute , 1915
En septembre Ioudénitch lance une nouvelle offensive sur Van et sa région : le 29 les Turcs évacuent à nouveau le ville. Le front se stabilise alors jusqu'à la fin de l'année et Ioudénitch exploite ce calme pour renforcer son armée : début 1916, il dispose de 200 000 hommes et 380 canons. En face, les Turcs, totalement absorbés par la bataille de Gallipoli, n’alignent que 120 000 hommes, 74 000 fusils et 180 canons. Cela ne les empêche pas de continuer à déporter et à massacrer les Arméniens. Le 15 septembre 1915 une nouvelle instruction de Talaat Pacha organise le massacre systématique de la population arménienne qui ne cessera qu’à l’automne 1916 : environ 1 300 000 Arméniens disparaîtront, assassinés ou mourant de soif et de faim dans le désert syrien.
Installés solidement depuis 1899 (protectorat) au Koweït, riche en pétrole, les Anglais voient dans l’entrée en guerre de l’empire ottoman une excellente occasion pour s’emparer de la Mésopotamie et de ses réserves pétrolifères. Invoquant la nécessité de protéger le pétrole koweïtien, les Britanniques décident d’intervenir en Mésopotamie : le plan est simple : débarquer en Basse-Mésopotamie sur le Chatt-el-Arab, puis progresser le long du Tigre et le l’Euphrate jusqu’à Bagdad et s’emparer de la ville.
Le 6 novembre 1914, les premiers éléments de la 6ème D.I. indienne « Poona », aux ordres du général John Nixon et de son subordonné Charles Townshend (1861-1924) débarquent à Fao, s’emparent de sa forteresse puis de la raffinerie d’Abadan. Toute la division ayant débarqué, les Britanniques s’avancent vers Bassorah qui est prise le 23 novembre. L ‘armée anglaise s’emploie alors à pacifier toute la région et s’avance jusqu’à El-Qurna, prise le 9 décembre 1914.
Ne disposant que de très peu de moyens pour ouvrir un nouveau front, le gouverneur Suleyman Askeri Bey tente de convaincre quelques cheiks arabes locaux de former une armée afin de chasser l’intrus. Il parvient à réunir une armée d’environ 3 800 hommes composés de Turcs et d’Arabes, et attaque les Anglais le 12 avril 1915. C’est un fiasco : les Ottomans perdent 1 000 soldats et se retirent. Le 20 avril Suleyman Askeri est remplacé par Noureddine Pacha.
Nixon décide aussitôt de profiter de la situation et envoie Townshend prendre Kut-el-Amarna. La ville tombe le 28 septembre après 8 jours de combats. Noureddine Pacha se retire alors sur Ctésiphon, dernier rempart avant Bagdad.
Cartes des opérations en Mésopotamie entre l’automne 1915 et la prise de Bagdad.
Carte. Brun Georges. , 2015
Pour Enver Pacha, la chute de Bagdad serait une catastrophe. Il fait appel au conseiller allemand Colmar von der Goltz, qui prend les choses en main et créé la VIème armée le 5 octobre 1915. Le 22 novembre débute la bataille de Ctésiphon. Après 5 jours de combats, les Britanniques sont repoussés : Townshend décide de se replier sur Kut et décide d’y attendre des renforts. Noureddine Pacha décide d’assiéger la ville. Il y parvient avec les conseils avisés de von der Goltz et après avoir repoussé la colonne de renfort.
carte des opérations dans le Sud-Est africain allemand et les contrées voisines.
Carte. Brun Georges. , 2015
En Afrique du Sud-Ouest, après quelques déboires, les troupes sud-africaines, soit 67 000 hommes pénètrent dans la colonie allemande en quatre colonnes ; deux remontent depuis le sud vers la capitale, deux autres débarquent à Walvis Bay et Swakopmund. Les 25 et 26 avril 1915 est livrée la bataille de Gibéon qui voit l’écrasante victoire du général sir Duncan Mackenzie contre l’armée allemande qui y perd toute son artillerie. Le 12 mai la capitale Windhoek tombe et le 9 juillet les Allemands capitulent à Khorab après une dernière défaite subie à Otavi le 1er juillet.
En Afrique de l’est, la situation est beaucoup plus compliquée pour les Alliés, face au redoutable Paul-Emil Lettow-Vorbeck : après sa victoire de Tanga, il renforce ses troupes ; début janvier 1915, les Anglais passent la frontière nord et occupent Jassin. Les 18 et 19 janvier se déroule la bataille de Jassin : encerclés, les Anglais se rendent. Mais la victoire à couté très cher aux Allemands qui déplorent 86 tués et 200 blessés. Lettow-Vorbeck décide d’éviter les affrontements directs pour recourir à une guerre de guérilla. Le 22 juin 1915 les Anglais lancent un raid sur Bukoba par le lac Victoria : ils détruisent les installation radios et pillent la ville avant de l’abandonner. Mais ils ne parviennent pas durant cette année 1915 à contrôler le pays, d’autant que Lettow-Vorbeck reçoit des renforts inespérés : le 11 juillet le SMS Königsberg est détruit dans la baie de Rufiji. Les survivants, 188 hommes aux ordres de Max Loof ainsi que l’artillerie récupérée du navire viennent le rejoindre.
Le croiseur Königsberg du commandant Max Loof sabordé dans la baie de Rufiji.
Photo. Walther Dobbertin. Bundesarchiv. , 1915
Au Cameroun, la ville de Garoua et N’Gaoundéré sont prises par les troupes franco-britanniques en juin alors que les Français progressent vers Yaoundé depuis le Congo. Interrompue par la saison des pluies, la campagne reprend en octobre après la conférence interalliée de Douala (26 août). En décembre, devant l’avance alliée, les Allemands parviennent à se replier sur le Rio Muni. Yaoundé tombe le 1er janvier 1916.
Le croiseur Königsberg du commandant Max Loof sabordé dans la baie de Rufiji.
Photo. Walther Dobbertin. Bundesarchiv. , 1915
Les troupes franco-anglaises saluent les couleurs à Garoua. 11 juin 1915.
Photo. Inconnu. Tiré de « The Great World War : A History » de Frank A. Mumby,Gresham Publishing Company., 1915
En Afrique du Nord, la situation se dégrade dès le début de 1915. Après leur échec de février sur le canal de Suez et l’entrée en guerre en mai de l’Italie, les Ottomans et les Allemands encouragent la rébellion des tribus senoussis en Tripolitaine, dans le Fezzan et au sud-ouest de la Libye, ainsi que des Berbères au Maroc. Fournis en armes légères livrées par les U-Boote, soutenue par le présence du capitaine ottoman Nouri Pacha, connaissant parfaitement le terrain, les Senoussis parviennent à expulser les Italiens de Libye et à repousser Anglais et Français jusqu’en Egypte et en Algérie. Au Maroc, les Zayans continuent leur résistance contre les Français et plus au sud, les tribus rebelles tiennent la région de l’Anti-Atlas. Enfin la fin de l’année est marquée au Niger par le début de la révolte des Touaregs et de quelques tribus haoussas.
Enfin d’autres révoltes sporadiques ont lieu en Afrique noire sub-saharienne, principalement contre la circonscription devant fournir des soldats à l’armée française : ainsi chez les Bambaras en février et mai, chez les Bobo et les Minianka du Mali en novembre suite à un décret du 9 octobre ordonnant la mobilisation du 50 000 hommes en AOF.
Après les batailles de Coronel et des Falkland, la flotte allemande de surface se barricade dans ses ports bien protégés. Pour autant, la Royal Navy se montre très prudente, ayant perdu trop de navires de ligne contre les U-Boote (3 croiseurs le 22 septembre 1914). Aussi, en surface, durant l’année 1915, il n’y a que peu d’affrontements : ce sont uniquement de petites unités qui se rencontrent ou effectuent des raids surprises et viennent bombarder les côtes ennemies.
Afin de contrer le blocus et d’intercepter le trafic britannique dans l’Atlantique, les Allemands décident de détruire les navires marchands approvisionnant les ports anglais et français. A cette fin, ils développent l’arme redoutable, discrète et bien moins onéreuse que les grands navires de ligne : le sous-marin. L’U-boot est en effet capable de franchir aisément les lignes britanniques afin de porter la guerre dans l'océan Atlantique où il est très difficilement repérable. Le 22 février 1915, Tirpitz, passant outre le problème moral du torpillage de navires civils, ordonne à ses sous-marins de torpiller tout navire ennemi sans préavis, et ce malgré les vives protestations des pays neutres, dont les Etats-Unis.
Dardanelles: le sous-marin anglais E-11 est salué par l'équipage d'un croiseur anglais à son retour de Constantinople, après avoir coulé des navires ennemis.
Photo. Inconnu. D’après l’Illustration/3777 du24-07-1915. Commons Wikimédia, 1915
L’U 35 coule un navire marchand anglais. Durant toute la guerre, ce sous-marin coulera 226 navires !
Photo. Inconnu. Bundesarchiv. , 1915
Ainsi les Allemands engagent la guerre sous-marine visant à asphyxier économiquement l’Angleterre et la France, et Tirpitz se donne 6 mois pour y parvenir. Rapidement, de nombreux navires marchands sont coulés. Le 7 mai 1915, au sud de l’Irlande, l’U-20 coule le paquebot britannique Lusitania : parmi les 1 195 victimes figurent 123 citoyens des Etats-Unis d’Amérique. Les relations germano-américaines se tendent et l’opinion américaine se prononce désormais en faveur de l’entrée des USA dans le conflit aux côtés de l’Entente. Aussi le gouvernement allemand décide le 27 août de restreindre très fortement la guerre sous-marine et de la suspendre contre les navires américains. Cette situation perdurera jusqu’en février 1917.
Le Lusitania, paquebot britannique coulé le 7 mai 1915.
Photo. Inconnu. Agence Rol. Bibliothèque nationale de France. , 1915
La mer du Nord, la Manche et l’Atlantique du nord-est sont donc le principal théâtre d’opérations où la guerre sous-marine fait rage. Anglais et Français cherchent des solutions pour lutter contre les sous-marins : la première sera le « Q-ship » : ayant l’aspect d’un cargo, mais armé de canons, ce type navire est trop petit pour être torpillé et oblige le sous-marin à faire surface pour le couler au canon : il dévoile alors son artillerie bien plus puissante que le submersible et le détruit avant qu’il n’ait le temps de plonger.
Le seul grand combat qui a lieu en surface dans cette zone est la bataille navale du Dogger-Bank : le 24 janvier 1915, un raid allemand de l’amiral Hipper contre les villes de la côte de l’Angleterre et intercepté presque par hasard par une escadre de l’amiral Beatty en plein milieu de la mer du Nord. Hipper s’enfuit, mais le croiseur-cuirassé SMS Blücher est envoyé par le fond.
Le SMS Blücher, croiseur lourd de la flotte allemande.
Photo. Agence Rol. Bibliothèque nationale de France, Gallica. , 1915
Naufrage du SMS Blücher, coulé par la marine anglaise le 25 janvier 1915 lors de la bataille du Doggerbank. Photo prise depuis le HMS Arethusa.
Photo. Inconnu. Imperial War Museum collections. , 1915
La Baltique devient aussi un important théâtre d’opérations, opposant principalement les marines impériales allemande et russe. Une première bataille se déroule le 2 juillet au large de l’île de Gotland : elle coûte aux Allemands deux croiseurs. Un mois plus tard, la marine allemande engage une opération d’envergure contre la flotte russe stationnée dans le golfe de Riga, entre le 8 et le 19 août. Son objectif est de permettre à l’armée allemande de prendre la ville. Elle finit par se retirer, ayant échoué à déminer le passage menant au port.
La guerre navale se porte aussi en Méditerranée, confiée à la garde de l'armée navale française de l’amiral Boué de Lapeyrère à partir des bases de Malte, Moudros et Corfou :
•Dans l’Adriatique, les submersibles allemands et autrichiens mènent la vie dure à la marine française qui y perd notamment le croiseur-cuirassé Léon Gambetta (27 avril) ;
•Le 3 février, deux unités françaises interviennent sur le canal de Suez où ils repoussent une attaque de la marine turque et contrarient sérieusement le raid terrestre ottoman sur le canal ;
•L’affaire des Dardanelles est autrement plus sérieuse : une action d’envergure, initiée par le lord de l’amirauté Winston Churchill, doit forcer le passage des Dardanelles et détruire les forts turcs qui commandent sa défense. Le 18 mars 1915 une flotte franco-anglais formée de 18 cuirassés et de nombreux croiseurs et destroyers s’engage dans le détroit, pour tomber sur un champ de mine : le cuirassé français Bouvet, les anglais HMS Irresistible et HMS Ocean sautent sur des mines et coulent, alors que le Suffren, le Gaulois et le HMS Inflexible sont gravement endommagés. L’opération est abandonné au profit d’un débarquement terrestre qui s’avèrera tout aussi désastreux.
•La Mer Noire enfin, interdite aux navires occidentaux, voit s’affronter les marines russe et ottomane : l’affrontement se traduit essentiellement par des raids contre des ports ou des convois de transport, comme le 5 août, où des unités de la marine russe coulent 4 cargos à Kefken.
Le cuirassé anglais HMS Albion aux Dardanelles.
Photo. Agence Rol. Bibliothèque nationale de France, Gallica. , 1915
La flotte russe en Mer Noire bombarde les ports bulgares de Varna et Bourgas. 1915.
Photo. Auteur inconnu. Tiré de l’Illustration 3791 du 30-10-1915. Commons Wikimédia. , 1915
1915 est une année de boue et de sang, une année d’enlisement. Aux massacres de la guerre de mouvement succède une nouvelle forme de guerre, celle de la tranchée. Le champ de bataille à disparu, remplacé par une nouveau paysage : celui du no man's land, du cratère d’obus, du fil de fer barbelé. Celui de l’artillerie qui, anonyme, frappe de loin et distribue la mort sans sépulture, qui pulvérise, qui enterre vivant, qui blesse, fait agoniser, mourir et pourrir dans le no man's land après une offensive presque toujours avortée.
Si dans la tranchée la mort n'est jamais naturelle, elle en devient normale. La guerre de tranchées, c'est la « guerre à tombeau ouvert ». Les idéaux de 1914 y trépassent rapidement : « La guerre contre la barbarie n'avait plus de sens à partir du moment où l'on avait compris que la guerre était la barbarie » (Jean-Yves Le Naour : 1915. L'enlisement, Perrin, 390p.)
La tranchée - et la guerre - deviennent aussi le symbole d’une fracture sociale qui lézarde insidieusement la société : ceux « qui sont au feu », les « Poilus » se fondent dans une nouvelle camaraderie, celle des « Frères d’armes » qui bientôt se constitue dans une nouvelle classe sociale qui les distingue fondamentalement des « embusqués » , étrange mot forgé par Georges Clemenceau et qui ne désigne pas ceux qui attendent l’ennemi en embuscade, mais les planqués (Ceux qui ont échappé à la mobilisation, ceux qui font la guerre dans les bureaux, ceux dont les relations leur obtiennent une affectation tranquille, les ouvriers spécialisés et même jusqu’aux artilleurs), alors que l'arrière, aveuglé par la propagande et par l'esprit de l'Union sacrée, ne comprend pas pourquoi une vaste offensive ne termine pas la guerre en quelques semaines.
Etre dans la tranchée, quand la mort ne rode pas, c’est aussi le froid, la pluie, l’inconfort, la vermine, les rats gavés de chair humaine, les poux enflés de sang de soldats. C’est la plupart du temps l’ennui, l'attente qui englue le temps. Mais en sortir est pire, et l'année 1915 est celle des offensives meurtrières : Notre-Dame-de-Lorette, les Eparges, la « Main de Massiges », le « saillant de Saint-Mihiel », la crête de Vimy, le Hartmannswillerkopf, Neuve-Chapelle avec toujours et systématiquement le même et mortel scénario : préparation d'artillerie ratée qui ne détruit pas les barbelés où viennent s'empêtrer, cibles faciles, les assaillants, ou bien insuffisante pour annihiler les nids de mitrailleuses, ou trop courte pour frapper la deuxième ligne ennemie, qui lance alors la contre-attaque.
Souain-Tahure : offensive de Champagne. Des corps de soldats tués sont rassemblés avant leur inhumation.
Photo. Inconnu., 1915
Au bout de l'année 1915, le bilan est effrayant : 112 000 hommes tombés en Artois pour 4 kilomètres de gagnés, 182 000 victimes en Champagne, pour un gain de 5 kilomètres, c'est-à-dire 36 poilus sacrifiés par mètre gagné ! Il n'est pas étonnant que la chair à canon se révolte : c’est en 1915 que les refus de combattre sont les plus importants : sur les 600 fusillés de l'armée française entre 1914 et 1918, 400 le sont avant la fin de 1915 ! Au point qu’il faut la protestation en tribune d'un député en décembre 1915, pour que l'on cesse les exécutions sommaires et les simulacres de cours martiales.
1915 est aussi l’année ou la science au service de la mort réalise un véritable bond en avant : véritable laboratoire, le front voit le développement la grenade, du lance-flammes, des sapes creusées sous les positions ennemies pour les miner et, bien sûr, des gaz. L’aviation aussi progresse, guidant l’artillerie, multipliant les combats aériens, effectuant, sur des objectifs militaires mais aussi civils, des bombardements qui n’ont plus rien de « psychologique ». Le « progrès », c'est enfin la bataille sur et sous l'eau, où bientôt excellent les U-Boote du Kaiser.
1915, c’est enfin l’année des erreurs stratégiques : celle de Falkenhayn, chef de l’OHL, qui refuse de transférer massivement des troupes de l'Ouest vers l'Est, afin que le "Drang nach Osten" prôné par Hindenburg et Ludendorff ait des moyens suffisants contre la Russie, qui parviendra à éviter un désastre annoncé. Il voit par contre juste à l’Ouest, en mettant systématiquement ses troupes, bien moins nombreuses, sur la défensive, cédant souvent ses premières lignes mais contre-attaquant quant l’adversaire est épuisé.
Les « Maîtres de guerre » : de gauche à droite : Hindenburg, Ludendorff, Joffre, French. Entre héros et criminels de guerre ?
Montage photo. Georges Brun., 1915
Celle de son adversaire surtout, Joffre, qui ne comprend toujours rien : et d’abord que la guerre est désormais industrielle, qu’il faut superviser la production de canons, d'obus et de fusils, accélérer la protection des combattants (il retarde de 4 mois la production et la distribution des casques Adrian, convaincu que la guerre sera terminée avant…) : en Artois et en Champagne, on manquera de canons capables d’allonger leur tir, ou simplement d’obus. Il continue malgré les échecs de 1914 de mener une guerre napoléonienne, arc-bouté sur ses trois principes : grignotage, usure, percée qu’il justifie par la nécessité de maintenir le « mordant » des troupes, qu'une stratégie défensive ramollirait et démoraliserait. Jusqu'au bout de la guerre, la "percée", rêve de Joffre, avec sa brèche qui permet de prendre à revers en quelques jours l'essentiel de l'armée adverse, demeure un leurre : la victoire finale viendra d'autres tactiques.
Il n’est hélas pas le seul responsable, car les politiques l’ont largement aidé, en lui abandonnant leur responsabilité stratégique, et en le maintenant en place, le promouvant même général en chef, le laissant allier un sens inné de la propagande et incurie stratégique. Le régime de la IIIème république n’est pas en reste, qui mène des marchandages cyniques avec l'Italie, dont l'entrée en guerre au côté des Alliés se solde par de rapides désastres, et à des erreurs énormes sur les visées de la Bulgarie, qui finit par choisir le camp de l'Allemagne et de la Turquie.
Si 1915 est une année désastreuse pour la France, c'est parce que les politiques n'assument pas leurs responsabilités et n'ont pas saisi que cette guerre était mondiale, et parce que Joffre n'assume pas ses erreurs et n'a pas compris que cette guerre était moderne.