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L'évacuation

Par Mireille Biret

Publié le 1er octobre 2010

Suite à l'exode massif des Alsaciens après la mobilisation générale du 1er septembre 1939, la présence des maintenus fut vitale dans les campagnes et les villes désertées.

Les conditions de l'évacuationRevenir au début du texte

Évacuation de l'Alsace-Moselle en septembre 1939

Évacuation de l'Alsace-Moselle en septembre 1939
Carte Matthieu Hilbert, 2005
Coll. L'Ami Hebdo

Conformément aux dispositions prévues, les communes situées la long de la frontière sont évacuées en deux vagues (une première en septembre 1939, puis une seconde en mai 1940).

Dès la mobilisation générale, le plan d’évacuation préparé par les autorités militaires et envoyé sous pli cacheté est dévoilé aux maires des communes donnant le signal de l’opération Exécutez Pas-de-Calais (nom de code de l’évacuation).

Les maires découvrent l’itinéraire à suivre, les feuilles de cantonnement pour chaque famille, le nom des membres des commissions de sauvegarde chargés de rester sur place et de veiller sur les biens des évacués.

Les 2 et 3 septembre, 374 000 Alsaciens quittent leur domicile pour les départements du Gers, des Landes et du Lot-et-Garonne pour les Haut-Rhinois, de la Dordogne, l’Indre et la Haute-Vienne pour les Bas-Rhinois.

Le départ

Le 1er septembre, par une belle journée d’automne, un temps splendide, les paysans de mon village travaillent aux champs, rentrent le regain, c’est-à-dire la deuxième coupe du foin. Pas un nuage à l’horizon… Tout à coup, le mot tombe : mobilisation générale ou plutôt en alsacien : Mobilmachung. C’est là que tout a changé !

On charge les 30 kg de bagages autorisés, puis les matelas et un peu de ravitaillement (du chocolat, des biscuits, des conserves). Vers la fin de l’après-midi, les paysans attèlent les chevaux aux charrettes. Tout le monde se rassemble sur la place du village, le coeur serré à l’idée d’abandonner le bétail, les chiens, les chats, …son chez-soi. Le signal du départ est alors donné !

Fernand Klethi, Mon enfance en Alsace annexée, fiches pédagogiques de l’AMAM

Ordre d'évacuation

Ordre d'évacuation
Proclamation du Général commandant la Ve armée, septembre 1939
© Archives de Strasbourg (505 FI 1026)

Les conditions d’évacuation sont difficiles. Le voyage dure plusieurs jours, souvent dans des wagons à marchandises ou à bestiaux, dans des conditions d’hygiène déplorables. Le service médical pour chaque convoi fait souvent défaut.

Pour beaucoup, il s’agit du premier grand voyage. L’angoisse de l’inconnu se mêle à la peur de ne jamais revenir. Les évacués sont autorisés à emporter avec eux un maximum de 30 kilos de bagages. Le reste est à laisser sur place.

Dans les campagnes, des milliers d’hectares de terres ne sont plus cultivés, le matériel est abandonné et les récoltes ne sont pas rentrées. Ce ne sont pas seulement leurs maisons que les évacués doivent laisser, mais aussi les bêtes. Dans le plan d’évacuation était prévu qu’un groupe de quatre à cinq hommes par village conduirait le bétail dans des centres de rassemblement, mais cette directive a été aléatoirement exécutée. Laisser le bétail dans les étables revenait à le condamner, aussi a-t-il souvent été lâché dans la nature, errant plusieurs jours voire plusieurs semaines avant d’être ramassé ou abattu.

L’offensive allemande de mai 1940 conduit à une nouvelle vague d’évacuation : 33 000 Alsaciens quittent la région.

Le voyage

Les charrettes partent en convoi les unes derrière les autres. Je voyage aux côtés de mon père sur notre charrette, tandis que le reste de la famille part à bicyclette, ma petite soeur Colette voyageant sur le porte-bagages de ma mère. On prend alors la direction de Benfeld. Arrivés à la hauteur de notre champ le plus éloigné du village, les chevaux veulent tourner pour s’y rendre, comme si tout était comme avant. Mais rien n’est plus comme avant. Mon père leur fait simplement regagner le convoi. Le soir, nous arrivons à Stotzheim, où nous sommes hébergés pour la nuit. Là, nos hôtes font de leur mieux pour nous recevoir. Le lendemain, le voyage reprend en direction du Val de Villé.

Après huit jours, embarquement en gare de Villé : c’est alors la même situation pour de nombreux Alsaciens et Mosellans qui ont été obligés de quitter leur foyer. Départ pour le sud-ouest : pour nous, le bout du monde. Je n’oublierai jamais l’inscription figurant sur les wagons que nous devons alors prendre : hommes 40, chevaux 8. Le voyage dure trois jours et trois nuits, entrecoupés de nombreux arrêts dans des gares ou en pleine nature. Durant les arrêts, différentes organisations s’occupent de nous comme par exemple la Croix-rouge, les Scouts, la Cimade. Ces gens pourvoient à nos besoins en nourriture et de santé. Quel réconfort physique, mais aussi moral ! Alors que la guerre a éclaté, que nous sommes loin de chez nous, nous avons grâce à eux tout ce qu’il nous faut.

Fernand Klethi, Mon enfance en Alsace annexée, fiches pédagogiques de l’AMAM

L'évacuation de la capitale alsacienneRevenir au début du texte

Avis à la population de Strasbourg

Avis à la population de Strasbourg
Proclamation des autorités civiles et militaires, 1939
© Archives de Strasbourg (505 FI 1025)

Pour Strasbourg, le délai d’évacuation a été plus long.

Néanmoins, les tramways sont mis en branle pour conduire les habitants hors de la ville et, en moins de quarante-huit heures, la ville est entièrement vidée de ses 190 000 habitants.

Plan d'évacuation

Plan d'évacuation
Carte Préfecture du Bas-Rhin, 1939
© Archives de Strasbourg (505 FI 11)

Pour une vue d'ensemble de l'évacuation de la capitale alsacienne, se reporter au dossier sur Strasbourg évacuée élaboré par les Archives de Strasbourg dans le cadre d'une exposition réalisée pour le soixante-dixième anniversaire de l’évacuation de la ville vers Périgueux.

Strasbourg vidée de ses habitants

Strasbourg vidée de ses habitants
Photo H. Carabin, 1939
© Archives de Strasbourg (1 FI 8/43)

Le maire Charles Frey reste sur place avec six autres élus, 267 ouvriers municipaux et quatorze notables, dont un huissier.

Le personnel municipal est surtout chargé d’assurer le service public et de renforcer les travaux de protection ou de défense passive des monuments et édifices publics.

Du fait de l’état de siège, les pouvoirs civils passent sous l’autorité militaire.

La vie dans les départements d'accueilRevenir au début du texte

L'arrivée dans le sud-ouest

Après 3 jours de voyage, nous arrivons à Eymet, puis nous sommes acheminés vers Saint-Aubin. Un repas copieux et chaud nous est servi dans un restaurant à côté de la gare. Quel réconfort ! Nous passons la première nuit, tous les six chez le garde-barrière, heureux de ne pas être séparés.

Le lendemain, nous rejoignons les autres familles alsaciennes dans le bourg. Là, des paysans viennent avec des charrettes pour nous emmener chez eux, à Saint-Aubain, puis à Rouquette ; une autre vie commence ici pour nous.

Fernand Klethi, Mon enfance en Alsace annexée, fiches pédagogiques de l’AMAM

Évacuations d'Alsace vers le sud-ouest

Évacuations d'Alsace vers le sud-ouest
Carte Stéphane Hibou, 2010
Document CRDP d'Alsace

Les familles arrachées à leur milieu habituel doivent s’adapter à un nouvel environnement et sont confrontées à des conditions de vie souvent précaires (logements de fortune, campement dans des granges et des écuries…) et à un milieu culturel différent.

L’usage du dialecte éveille la méfiance des populations locales et les Alsaciens sont pris dans un premier temps pour des boches.

La vie dans le Sud-Ouest

L’adaptation à notre nouvel environnement se fait assez vite pour nous, gens de la campagne, malgré des différences que nous notons çà et là : les grandes fermes sont disséminées dans la campagne, alors que nous sommes habitués aux villages groupés en Alsace ; les animaux paissent tranquillement à l’extérieur, alors que nos bêtes vivent surtout à l’étable ; différences aussi en ce qui concerne la manière de cuisiner (nous avons découvert la soupe de potirons et nos hôtes apprennent qu’on fait de la tarte à l’oignon), enfin des différences en ce qui concerne le parler, puisque nous nous exprimons surtout en alsacien, d’où le surnom qu’on nous donne : les yaya.

Mais il y a aussi les moments de tristesse ou d’inquiétude. Cette année là, Noël, pourtant célébré à l’Eglise d’Eymet, et malgré le petit avion à remonter que j’ai reçu, n’est pas un jour de joie. Un souvenir positif me reste cependant : le pasteur nous raconte la légende du sapin de Noël qui trouve son origine en Alsace.

Fernand Klethi, Mon enfance en Alsace annexée, fiches pédagogiques de l’AMAM

Isolés, déboussolés, inquiets pour leurs biens restés au loin, les réfugiés ont du mal à se faire à leur nouveau mode de vie. Les zones évacuées n’échappent pas aux pillages et à la déprédation malgré les mesures prises. Beaucoup attendent la fin de la guerre pour rentrer chez eux.

Les maintenus à Strasbourg ou la sauvegarde dans les villagesRevenir au début du texte

Le soldat laboureur

Le soldat laboureur
Grav. Imagerie de l'armée d'Alsace, 1939
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 672233)

Maintenus à Strasbourg ou la sauvegarde dans les villages sont les noms donnés à ces hommes et ces femmes, militaires, pompiers ou civils restés dans les régions évacuées pour protéger les biens des réfugiés et assurer le service public minimal.

Ils n’évitent cependant pas les pillages et les déprédations des soldats français. Les militaires aident à la culture des champs et au démontage des usines.

Environ 3 500 civils sont restés à Strasbourg ainsi que des détachements militaires.