Par Mireille Biret
Publié le 1er octobre 2010
Les deux départements alsaciens sont intégrés au pays de Bade et l’ensemble forme le Gau Oberrhein, dirigé par le Gauleiter Robert Wagner, installé à Strasbourg. Ses pouvoirs sont considérables et ne relèvent que du Führer en personne.
Wir fahren nach der Heimat
Photo anonyme, 1940
© Archives de Strasbourg (1 FI 132/14)
Les Allemands favorisent le retour des évacués (qui deviennent des réfugiés), en organisant une subtile opération de séduction. En parallèle, les indésirables sont expulsés.
En Alsace, les Allemands créent l’Elsässische Hilfsdienst, un service de secours chargé du rapatriement des évacués, des prisonniers de guerre et des militaires démobilisés.
Des pressions sont exercées par les Allemands sur ceux qui ne veulent pas revenir (menace de représailles sur leurs parents, confiscation de leurs biens…).
Pressés de revoir le pays, de travailler, de retrouver leurs biens, mais aussi par méconnaissance de la réalité du nazisme, environ deux-tiers des évacués reviennent.
Retour des évacués en gare de Strasbourg
Photo anonyme, 1940
© Archives de Strasbourg (1 FI 132/40)
Les réfugiés sont accueillis en grande pompe en gare de Strasbourg, où flottent les drapeaux à croix gammée et où se font entendre le Deutschland über alles et le Horstwessel lied.
Le discours de Bickler, au premier plan de la photographie, est terminé par le Sieg Heil ! en l'honneur du Führer. Enfin, sont prévus le transport de bagages et le transfert au domicile des rapatriés.
Dans la gare décorée de drapeaux et de guirlandes, des rafraîchissements attendent les réfugiés après un long trajet en train surchauffé. A l’arrivée en gare à 14h, la mélodie familière du chant O Strasbourg, O Strasbourg retentit jouée par un ensemble de la police allemande, les réfugiés saluent joyeusement du bras ; les hommes du Service du Travail les aident à porter leurs bagages.
Le chef du Service d’Aide (Hilfsdienst) le Dr Ernst les salue en alsacien nous savons ce que représente ce retour pour vous, nous nous en réjouissons avec vous… nous savons ce que vous avez subi ; le Service d’Aide alsacien vous aidera à travailler hardiment pour un avenir meilleur. Si votre pays est préservé des destructions de la guerre, vous le devez avant tout à l’homme qui l’a protégé, le Führer Adolf Hitler. Les présents accueillent avec enthousiasme le nom du Führer.
Les réfugiés débordant de joie d’être de nouveau dans leur pays, aidés par les soldats, les hommes du RAD, les infirmières du NSV gagnent les voitures qui les conduisent à leurs villages d’origine. Tout se passe dans l’ordre le plus parfait, sans accrocs.
Ils nous racontent leurs impressions sur cet accueil. Un peu surpris d’abord par les musiques, les drapeaux à croix gammée flottant au vent, les chants, ils ont vite compris ce que signifie une véritable communauté où chacun vient au secours de l’autre. Quel saisissant contraste avec le départ le 3 septembre 1939 (il fallut aller à pied de Gambsheim et de la Wantzenau jusqu’à Marlenheim, où il fallut abandonner le bétail, puis le voyage vers le Sud-Ouest de la France dura 2 à 5 jours…
SNN, 7 juillet 1940
Certificat de rapatriement de réfugié
Photo anonyme, 1940 (Extr. L’Alsace et la IIe guerre mondiale, dossier Maître n°13, 1985-1986)
L’article 16 de la convention d’armistice stipule que le gouvernement français exécutera de concert avec les autorités allemandes le rapatriement de la population civile dans les territoires occupés.
Les évacués doivent remplir un questionnaire portant notamment sur leur ascendance et leur religion.
Pour mes parents, il est évident que nous rentrons, malgré les bruits qui courent (les Allemands vont-ils nous envoyer dans un autre pays, la Pologne, qu’ils ont envahie l’année précédente ?) et même si nous ne sommes pas sûrs que notre maison soit entière.
Le retour se fait à la mi-août. Trois jours dans le train, dans l’autre sens, mais pas dans les mêmes conditions : cette fois-ci, pas de Croix Rouge pas de Cimade pour s’occuper de nous lors des arrêts. Un climat de peur s’installe qui grandit à mesure que les kilomètres défilent.
Lorsque nous franchissons en pleine nuit la ligne de démarcation qui sépare désormais la France en deux, des soldats allemands ouvrent avec fracas les portes du train et hurlent sind Juden dabei ? (Y a-t-il des Juifs parmi Vous ?)
A mesure que nous nous approchons de chez nous, les signes de changements sont de plus en plus évidents : dans toutes les gares, nous voyons des soldats en uniforme, des symboles nazis –des croix gammées- sont visibles partout. A Mulhouse, un repas chaud nous est servi par des infirmières en uniforme qui chantent en choeur, au moment de notre départ, des chants de guerre. Estomacs noués, gorges qui se serrent...
Durant les derniers kilomètres, la tension augmente : nous sommes partagés entre la joie de nous retrouver chez nous et la crainte de ce que nos allons découvrir. Le voyage se termine en autocar, enfin nous voilà à Boofzheim. Le bruit des cloches de l’église nous accueille et nous rappelle notre départ un an plus tôt. Emotion, sanglots.
Fernand Klethi, Mon enfance en Alsace annexée, fiches pédagogiques de l’AMAM
Les expulsions débutent dès les premiers jours de l’occupation et se poursuivent jusqu’en 1943. Les indésirables sont les juifs, les Nord-Africains, les tsiganes, les hauts-fonctionnaires, les Français installés après 1918, les francophiles.
Le tract ci-contre, diffusé en langue allemande, en témoigne :
Avis aux Französlinge. L'Allemagne aux Allemands ! [...] Ce pays est allemand depuis ses origines. Tu es un étranger dans ce pays. En 1918, les Allemands sont partis de l'Alsace allemande. En 1940, les étrangers et les ennemis de l'Allemagne quittent l'Alsace allemande. (Trad. Bernard et Gérard Le Marec, L’Alsace dans la guerre 1939–1945, Alsatia, 2000).
Par ces expulsions, il s’agit d’éliminer les élites locales, d’accélérer la main mise nazie sur la population, d’éliminer tout ce qui est français ou francophile.
Les personnes expulsées ont un délai de moins d’une heure pour se préparer à quitter les lieux. Ils ont droit à 50 kilos de bagages et 2 000 francs d’argent liquide. Ils doivent signer une déclaration dans laquelle ils s’engagent à ne pas retourner en Alsace. Leurs biens sont théoriquement mis sous scellés mais, en réalité, ils sont saisis. Environ 45 000 personnes ont été expulsées.
Les expulsions sont officiellement terminées depuis hier. Ces mesures étaient nécessaires pour assurer sans perturbation la reconstruction politique de l’Alsace et éliminer tout doute au sujet de l’appartenance définitive de l’Alsace à l’Allemagne.
Ainsi sont créées les conditions nécessaires pour permettre à tous les Alsaciens de bonne volonté de participer la conscience libre et en égalité avec les autres Allemands à la grande œuvre du Führer, dans le cadre de la communauté du peuple allemand.
SNN, 20 décembre 1940