Par Mireille Biret
Publié le 1er octobre 2010
Dès l’annexion de fait au Reich en juillet 1940, l’Alsace subit tout le poids du système totalitaire nazi. En août 1942, avec l’incorporation de force des Alsaciens, la chape nazie s’alourdit.
La remise en marche de l’économie est une priorité. Elle doit être dirigée et contrôlée par l’État et intégrée entièrement dans l’économie de guerre nazie. Banques, sociétés d’assurances, grandes entreprises commerciales et industrielles passent sous le contrôle allemand.
Avec la défaite de Stalingrad, le 2 février 1943, l’Allemagne s’engage dans une guerre totale conduisant à la mobilisation de toutes les forces au profit de la machine de guerre nazie.
Ausstellung Deutsche Wirtschaftskraft
Affiche K. Wieshala, 1941
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 737329)
Puissance de l’économie allemande – son édification dans le Rhin supérieur. L’affiche ci-contre met en scène le travailleur aryen prenant appui sur une énorme pièce d’engrenage et défiant la cathédrale avec détermination. L’industrie, comme œuvre moderne, rejette à l’arrière plan l’œuvre déjà pâle des bâtisseurs de cathédrales.
L’exposition de 1941 ne peut cependant pas cacher les signes d’essoufflement liés aux pénuries.
L'économie est mise à mal depuis 1933 par la politique du glacis. Le Gauleiter Wagner a en effet pour priorité d’intégrer rapidement l’économie alsacienne à l’ensemble économique allemand dans le but de la germaniser et d’orienter la production en fonction des besoins militaires.
Toutes les entreprises dont les capitaux ne sont pas strictement d’origine locale et leurs détenteurs racialement purs sont séquestrées et leurs dirigeants expulsés. Ainsi les plus grandes entreprises sont spoliées et le matériel évacué en France est rapatrié, souvent avec l’aide de Vichy.
Les entreprises séquestrées sont dirigées par des administrateurs-commissaires, la plupart allemands, n’ayant pas toujours les compétences requises.
Sont considérés comme ennemis :
- les Alsaciens auxquels le séjour en Alsace a été refusé
- Les Alsaciens partis pour la France après le 19 juin 1940
- Les Alsaciens auxquels le retour en Alsace a été interdit Des administrateurs-commissaires peuvent être désignés par le CdZ pour les entreprises appartenant à des personnes ennemies ou absentes ou celles dont la direction n’offre pas les garanties suffisantes à l’égard des intérêts économiques généraux ; ils peuvent être révoqués à tout instant.
La conversion du franc en Reichsmark à un taux surévalué (1 Reichsmark pour 20 francs) vise à appauvrir les industriels alsaciens pour qu’ils fassent appel aux banques et tombent sous leur contrôle financier.
Les entreprises de commerce de gros et les magasins de vente au détail sont réunis dans la Elsässische Handelaktiengesellschaft, gérée par d’anciens soldats allemands.
Par suite de l’évacuation de la population, 127 000 ha de terres sont à l’abandon. La remise en culture de ces terres est l’un des principaux objectifs de Wagner dans les six premiers mois. Semence, matériel et parfois cheptel sont fournis par les Allemands.
Dans une grande salle décorée pour la fête des moissons se sont réunis dimanche, les responsables locaux pour la politique agricole avec le Kreisbauernführer (le chef des paysans de l’arrondissement) pour un échange de vue sur le passé et l’avenir agricole.
Dans un discours d’une heure et demie le Landesbauernführer Engher rappela l’évolution sociale et agricole de l’Allemagne depuis 1918.
Les désirs de gains individuels plus élevés ne peuvent donc être satisfaits pour l’instant. La loi sur la situation du ravitaillement du Reich et la loi sur les exploitations héréditaires (Erbhöfe) qui surprennent encore les paysans alsaciens, ne sont pas des camisoles de force, mais la suite logique de la paysannerie libre du XVIIIe et XIXe s. Le temps où l’usurier juif pouvait s’enrichir avec les lettres de reconnaissance de dettes est bien révolu. La terre appartient à celui qui la travaille et contribue ainsi par ses récoltes à assurer au peuple allemand son pain quotidien. Mais il faut aussi que les produits suivent la filière prévue par la loi : celui qui retient ses surplus agricoles ou les vend par des voies détournées au-dessus des prix maxima fixés par la loi, est un saboteur.
Les garants de la victoire contre la juiverie internationale, la franc-maçonnerie et le bolchevisme sont le soldat allemand, l’ouvrier allemand et le paysan allemand. Les paysans d’Alsace doivent aussi s’engager dans cette guerre totale… en pensant et en agissant sainement grâce à l’adhésion profonde au national-socialisme et au Führer Adolf Hitler…
SNN, 18 octobre 1941
L’affirmation de la propriété de la terre par celui qui la cultive conduit à l’introduction de grands domaines héréditaires (Erbhöfe).
Les agriculteurs doivent participer à la bataille allemande de la production agricole par des incitations et des conseils et un encadrement serré. De son côté, l’artisanat est glorifié.
[…] Pensez au fier passé de l’artisanat, à ses institutions politiques, à son importance pour le Volkstum… Chaque peuple a l’artisanat qu’il mérite ! Car l’artisanat fondé sur l’action conjuguée de la force de création intellectuelle, artistique et technique, reste toujours étroitement lié au peuple dont il est issu.
D’un noir, on pourra faire un ouvrier d’usine, mais, certainement pas un artisan au sens européen. Ce qui est hérité est chez l’artisan plus important que ce qui est appris. […]
L’artisanat alsacien regarde avec confiance l’avenir, qui, la paix revenue, lui donnera des tâches immenses comme la construction de logements sociaux, l’épanouissement de nos villes…
SNN, 22 août 1941
Dès l’été 1940 sont établis des offices du travail qui enregistrent les sans-emplois et les expédient en Allemagne pour remplacer les mobilisés. L’intégration complète de l’économie alsacienne à l’effort de guerre permet au chômage de disparaître.
En septembre 1940, le Front du Travail badois commence à s’implanter en Alsace dans le souci d’intégrer et de surveiller la main d’œuvre. Le 1er juillet 1942, l’appartenance au Front du Travail est obligatoire pour tous les salariés et chefs d’entreprises.
Dans chaque entreprise de plus de vingt personnes, un agent de liaison doit adresser au responsable local un bref rapport mensuel d’activité.
Une ordonnance récente introduit en Alsace les principes de l’organisation sociale NS, le concept de communauté d’entreprise basé sur la confiance mutuelle des membres remplace le vieux concept de lutte des classes et de méfiance entre employeur et employé, dans l’intérêt du travail et à l’avantage du peuple et de l’Etat… Tout membre d’une entreprise, quel qu’il soit, doit agir constamment dans l’intérêt de l’entreprise et du peuple.
Le chef d’entreprise est responsable de ses actes envers le peuple et envers la communauté de l’entreprise. Non seulement, il doit assurer à ses employés un salaire convenable, mais participer aux soucis et besoins de son personnel. En compensation, comme il est naturel dans une communauté, le personnel lui doit fidélité : ce qui exclut catégoriquement toute grève et tout lock-out.
Le chef d’entreprise rédige le règlement d’entreprise, obligatoire pour toute entreprise de plus de 20 personnes., après avis du responsable du Front du Travail, de l’entreprise… Il respecte les lois sur le salaire minimum et les conditions générales de travail… Ce règlement est la charte sociale de l’entreprise… Il contient les horaires de travail, les modes de paiement des salaires, les congés, pauses, les mesures de sécurité du travail ; il peut inclure les mesures sociales telles que cantines, crèches…
SNN, 26 août 1941
Pour pallier le manque de main d’œuvre, la durée du travail est progressivement rallongée. Dès le 5 novembre 1941, la semaine de travail passe de 48 heures à 60 heures pour tous les salariés de plus de 18 ans. En 1944, elle passe à 72 heures.
L’organisation Kraft durch Freude prend en main les loisirs des travailleurs en organisant surtout des manifestations culturelles de propagande.
Les représentations et manifestations ont été au nombre de 50 000 et ont touché 2,5 millions de personnes dans le Gau Bade-Alsace : veillées pour les soldats, concerts, variétés, théâtre.
918 communautés sportives d’entreprise…. Seule la section Voyages, Congés a connu un recul de ses activités par suite de la guerre.
SNN, 25 novembre 1941