Par Mireille Biret
Publié le 1er octobre 2010
Les Allemands veulent supprimer toute trace de l’influence française. Dès juillet 1940, l’allemand est la seule langue autorisée. Le droit allemand est appliqué. Tout ce qui rappelle la France est interdit ou détruit. Pour nazifier les Alsaciens, les nazis multiplient les organisations qui visent à embrigader les différentes couches sociales et professionnelles, en particulier la jeunesse.
Retour à Alsace 1940-1944
Hinaus mit dem welschen Plunder
Affiche Alfred Spaety, 1941
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 737310)
Dès juin 1940, une politique de germanisation est appliquée. La langue allemande devient obligatoire et le français est interdit.
Dans un premier temps, les Allemands s’efforcent d’épurer le dialecte de nombreux mots français, puis il est également interdit, ressenti comme une forme de résistance.
Pour accélérer l’apprentissage de la langue allemande l’Œuvre de culture populaire allemande développe son enseignement par des cours pour adultes.
Depuis quelques jours, ces affiches symbolisent efficacement sur nos murs l’exigence politique de notre temps : que le bric-à-brac français disparaisse de l’Alsace allemande!
Le coq gaulois a fini ses cocoricos en Alsace. Comment, nous Alsaciens avons pu considérer cet animal comme notre symbole, les Français, pourtant jamais à court d’explications, ne nous l’ont pas expliqué !
Les livres des agitateurs comme Hansi, Oberlé et autres n’ont jamais été très appréciés ici et étaient entrés entièrement dans l’oubli peu avant la guerre. Aucune personne sensé ne suppose que nous le tolérions justement maintenant en Alsace. Personne ne regrette ni la presse provocatrice d’autrefois, ni les mensonges de Radio-Strasbourg français. Le buste de Marianne est remisé au grenier, même en France. Le clairon, le képi, le casque et le béret basque ne sont plus que des symboles d’un passé militaire délavé et d’une clique de chauvins intolérants, qui nous ont rendu la vie difficile en Alsace.
Balayons donc ces pièces de musée hors de notre patrie et de nos cœurs ! Quelques vigoureux coups de balai, à l’extérieur et à l’intérieur !
Que les plumes du coq gaulois et les débris du fatras tricolore s’envolent ! Nous voulons que notre chambre soit propre, après qu’elle ait été souillée pendant 22 ans par les juifs et autres racailles, tandis que les Alsaciens, en dehors d’une petite couche vénale, s’appauvrissaient et étaient persécutés jusqu’au sang au point de vue politique. Que celui qui n’aurait pas encore compris tout cela, tienne compagnie à Marianne et au coq de Hansi ! Les temps sont révolus, où une couche arrogante, soi-disant meilleure que les autres, trompait d’abord le peuple alsacien, avant de l’abandonner. Les temps sont révolus où quelques empoisonneurs publics et empêcheurs de tourner en rond, irresponsables pouvaient falsifier le visage de l’Alsace et tromper l’opinion publique.
Aujourd’hui, ce sont les Alsaciens eux-mêmes, la masse du peuple, qui décide enfin sa voie. Les milliers de participants à la manifestation massive du dernier dimanche dans les rues de Strasbourg ont désormais la parole. Ils sont les témoins de la cathédrale de Strasbourg qui se dresse comme un puissant stylet de pierre historique dans le ciel sur l’affiche…
SNN, 15 mai 1941
Toutes les inscriptions françaises sont détruites (affiches, enveloppes, boîte à lettres, pierres tombales…), les noms sont germanisés (les patronymes, les prénoms, les rues, les villes…) et les symboles français sont proscrits -même le béret basque, considéré comme une Gehirnverdunkelungskappe ([i]obscurcissement du cerveau).
Les livres français, mais aussi les ouvrages d’écrivains allemands anti-nazis, marxistes ou juifs sont collectés et détruits.
On devrait tirer les leçons du passé au cours des vingt dernières années. Une de ces leçons est qu’il ne faut parler que l’allemand. Avant de mettre un enfant en contact avec une langue étrangère, il doit à tout prix posséder la langue nationale, celle de son pays, celle de nos pères, le bon allemand.
La population alsacienne ne semble pas se rendre compte de ces vérités premières, et elle continue à parler son dialecte, qui l’oppose au vrai allemand venu d’outre-Rhin. Cet emploi du dialecte peut être une protestation muette des Alsaciens contre le régime allemand. En parlant le bon allemand, les Alsaciens éviteront cette fausse impression, qui, dans les circonstances actuelles pourrait être une cause de graves ennuis.
SNN, 5 février 1941
Organigramme du parti nazi
Extr. Bernard Reumaux et Alfred Wahl (dir.), L'Alsace, la grande encyclopédie des années de guerre, Strasbourg, La Nuée Bleue/Saisons d’Alsace, p. 419, 2009
L’Alsace est divisée en douze arrondissements (Kreis) regroupant 693 groupes locaux (Ortsgruppe), 2 461 cellules (Zellen) et 10 665 blocs (Block). Cette organisation territoriale est plus dense que dans le pays de Bade pour mieux contrôler et encadrer la population.
Le NSDAP, organisation verticale avec à sa tête le Führer, a une emprise sur tous les aspects de la vie des Alsaciens. À tous les moments de celle-ci, il y a une organisation du parti pour les prendre en charge. Les organisations associées au parti embrassent tous les aspects de la vie professionnelle et sociale.
[…] [Dans] les rangs de l’Opferring, certains ont encore une fausse conception : il faut qu’ils comprennent que l’on attend d’eux non une adhésion occasionnelle du bout des lèvres, mais un combat et une activité sans limites, une adhésion du coeur tout entier. Il ne s’agit pas d’une société secrète, cachant ses buts, ni d’un refuge pour les inactifs et les opportunistes qui cachent leur carte de membre dans un tiroir secret pour pouvoir ensuite en tirer profit plus tard.
Les principes seront appliqués avec une rigueur croissante et les hésitants douteux seront éliminés…
Les 20M. de cotisation que paie un entrepreneur à l’Opferring ne sont rien à côté des 2M. que paie un petit artisan ou paysan : le sacrifice (Opfer) ne signifie pas payer, mais participer au combat politique pour les idées de la Révolution allemande, secouer les tièdes, faire consciencieusement ce petit travail de tous les jours des chefs de cellule et de bloc, assister aux réunions et manifestations : en bref, sacrifier au service de la communauté mainte heure de loisir consacrée jusqu’à présent à soi-même ou à sa famille seulement. On ne peut acheter avec une cotisation si élevée soit-elle, une dispense de cet engagement personnel….
12 000 personnes ont tenu leur engagement de façon telle qu’ils ont pu être admis dans le Parti ; des responsabilités encore plus lourdes les y attendent : de leur persévérance face aux difficultés du travail politique quotidien, de leur faculté d’enthousiasme à entraîner les autres, de leur force de caractère dépendra leur sélection.
Ils appartiennent à toutes les classes sociales : ce ne sont plus les noms, renoms, ambitions, relations, mais uniquement la sévère autodiscipline, la fidélité, le dévouement, le travail, qui ouvrent la voie aux postes dirigeants en politique…
SNN, 23 juin 1942
Le 1er octobre 1940, Robert Wagner crée l’Opferring (cercle du sacrifice), étape préparatoire et probatoire avant l’entrée des Alsaciens dans le parti.
Un Alsacien sur deux a été obligé d’appartenir à une ou plusieurs organisations nazies, ce qui n’implique pas forcément une adhésion à l’idéologie nazie, mais permet d’éviter des désagréments.
Entre 12 000 et 20 000 Alsaciens (soit entre 1 et 2% de la population) sont devenus membres du parti par choix.
Manifestation nazie Place Kléber
Photo anonyme, 13 octobre 1941
© Archives de Strasbourg (1 FI 139/1)
Une place de choix est accordée aux manifestations de masse (notamment les Kreistage, dont l’objectif est de témoigner du succès de l’action nazie), moments privilégiés pour faire passer les mots d’ordre et faire assimiler la doctrine nazie.
La manifestation de propagande est à la fois une fête (d’où les soins accordés au cadre), un témoignage de masse (d’où le souci d’attirer le plus de monde possible), un témoignage de discipline (d’où le caractère militaire) et un témoignage d’engagement politique (d’où les serments et les discours).
Pour imposer l’idéologie nazie, les Allemands s’intéressent prioritairement à la jeunesse. Introduite dès le 8 septembre 1940, l’adhésion à la Hitler Jugend devient obligatoire le 2 janvier 1941.
Ci-contre, lors du salut solennel au drapeau, les élèves se réunissent pour recevoir des instructions importantes sur leur travail.
Les garçons sont orientés vers des exercices prémilitaires et les filles sont occupées à des activités sportives et ménagères. L’essentiel, pour le parti, est que la jeunesse soit soustraite à l’influence familiale pour pouvoir mieux être endoctrinée.
Dès l’automne 1940, tout ce qui est français disparaît des écoles. Le système allemand est introduit sans transition. Le salut hitlérien au début et à la fin de chaque cours est obligatoire. Les activités scolaires sont imprégnées par la doctrine nazie (notamment les sciences et l’histoire) et les enseignants sont choisis en fonction de leur capacité à transmettre la doctrine officielle.
Pour la première fois comme tous ont pu le voir sur les nombreuses affiches placées dans la ville, tous les jeunes, garçons et filles d’une année, 1932, entrent obligatoirement dans la Jeunesse Hitlérienne, confiés par leurs mères aux chefs qui les introduisent dans les responsabilités nationales-socialistes.
Ce jour est pour les jeunes soldats du Führer, le premier grand jour de leur vie ; leur éducation politique est prise désormais en charge par la HJ responsable de l’éducation de toute la jeunesse allemande.
Pour ces jeunes commence le service de la communauté : ils ont à développer leur corps, à éduquer leur esprit dans un sens politique national-socialiste.
SNN, 15 avril 1942
La culture est mise à contribution pour véhiculer l’idéologie nazie. L’émetteur de radio local est rapidement remis en service. Le théâtre et la musique connaissent un essor. Un soin particulier est apporté aux expositions.
Radio-Strasbourg, de sinistre mémoire, s’est tu, les Français ayant fait sauter l’émetteur de Brumath. En attendant une reconstruction des installations, Radio-Stuttgart intervint. L’établissement d’un nouvel émetteur fut accéléré par l’action du Ministère für Volksaufklärung und Propaganda. Les studios furent installés dans l’ancien siège de la loge de la Franc-maçonnerie de Strasbourg.
De grandes tâches attendent cet émetteur pour insérer l’Alsace avec la totalité et la diversité de sa culture et de ses paysages dans l’ensemble de radio du Reich.
Tous les soirs pendant une demi-heure, des Alsaciens parleront aux Alsaciens ; d’autres émissions culturelles sont prévues : lecture de poésies alsaciennes, musique, concert d’orgues ; une fois par mois, une émission de musique populaire retransmise par tous les émetteurs allemands.
Tous les ensembles musicaux locaux seront mis à contribution, toutes les forces créatrices de la région participeront….
Programme des jours prochains :
28 oct. : extraits de la grande manifestation du Parti de Mulhouse
29 oct. : visite dans une exploitation viticole
30 oct. : entretien avec un pasteur alsacien déporté en France
1er nov. : souvenir d’un Alsacien déporté politique à la prison de Clairvaux.
SNN, 27 octobre 1940
Dès novembre 1940, la Reichsuniversität de Strasbourg est ouverte.
Elle accueille quelques 900 étudiants alsaciens admis après avis favorable du Kreisleiter. Les soixante-quatre professeurs qui y enseignent sont presque exclusivement allemands.
Le Recteur de l’Université, Professeur Dr Karl SCMIDT a annoncé qu’après la fin des importants travaux de rénovation des bâtiments universitaires, l’Université commencerait son enseignement normal en novembre dans toutes les disciplines, sauf en mathématiques où une certaine pénurie de professeurs empêche un enseignement complet. Il a fallu en très peu de temps combler le retard considérable dans l’entretien pris par les autorités françaises depuis 1919.
En tant que nation cultivée, l’Allemagne est consciente de son devoir envers l’Alsace dans ce domaine. Après la rénovation totale, l’Université de Strasbourg sera une des mieux équipées de toute l’Allemagne !
SNN, 21 septembre 1941