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Les Malgré-Nous

Par Mireille Biret

Publié le 1er octobre 2010

La campagne appelant à des engagements volontaires dans l'armée allemande fut un échec, ce qui encouragea le Gauleiter à décréter l’incorporation de force.

La propagande allemandeRevenir au début du texte

Appel du Gauleiter à la population

L’Alsace a aussi des responsabilités vis-à-vis d’elle même. Rien ne lui sera donné en cadeau, comme personne ne peut vivre de cadeaux en ce monde de luttes. Elle devra combattre pour sa place future dans la nouvelle Europe. Seule une participation active au combat pourra lui assurer un avenir heureux.

Ce qui rend nécessaire l’introduction du service militaire obligatoire. A côté des milliers d’Alsaciens volontaires, les jeunes Alsaciens vont servir dans l’armée allemande ; je ne doute pas qu’ils combattront pour l’honneur, les idéaux et les intérêts de l’Alsace et du Reich, comme l’ont fait avec courage leurs pères pendant la première guerre mondiale.

SNN, 25 Août 1942

Appel aux engagements volontaires

Appel aux engagements volontaires
Affiche R. Schlegel, 1941
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 739047)

Dans un premier temps, l’OKW (Oberkommando der Wehrmacht), jugeant les Alsaciens suspects et peu fiables, s’était opposé à cette incorporation.

Mais, pour pallier les pertes subies par la Wehrmacht notamment sur le front de l’est, elle lève son interdiction dès décembre 1942.

En effet, au cours de l’année 1941, la guerre s’étend. Au printemps, les Allemands envahissent la Yougoslavie et la Grèce et l’Afrika Korps intervient en Libye.

En juin, Hitler se lance à l’assaut de l’URSS et, pour la première fois, la Wehrmacht est obligée de reculer devant Moscou. Enfin, avec l’entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941, le rapport de force change.

L’OKW, doutant de la loyauté des Alsaciens envers le Reich, la proportion des recrues alsaciennes ne dépasse pas 5% des effectifs d’une même unité et il est interdit de les affecter dans des services sensibles (renseignement, reconnaissance, aviation…). Environ 90% sont envoyés sur le front de l’est.

L'affiche ci-contre en appele par exemple à des engagements volontaires dans l’armée allemande : Jetzt treten auch wir Elsässer mit an zum europäischen Freiheitskampf gegen Plutokratie und Bolochewismus. Melde Dich als freinwilliger beim nächsten Wehrbezirkskommando.

Ordonnance sur le franchissement illégal de la frontière (19 juin 1942)

Est puni d’amende ou de prison dans les cas les plus graves :

- celui qui franchit une frontière illégalement, particulièrement sans passeport ou autre autorisation
- celui qui franchit une frontière en dehors des passages autorisés ou des horaires autorisés, ou en se soustrayant au contrôle d’identité

Est puni d’une amende jusqu’à 150 Mark ou de prison : celui qui ne signale pas aussitôt, soit par négligence, soit à dessein, la perte d’un passeport à la police

Est puni d’une peine de prison jusqu’à 6 mois : celui qui falsifie un document d’identité pour le franchissement de la frontière, ou s’en procure et en fait usage, ou se procure illégalement les instruments (tampons, papiers, etc.) nécessaires à la falsification.

Les réfractaires sont arrêtés et leurs familles encourent le risque d’être transplantées à l’intérieur du Reich. Ceux qui tentent de fuir sont abattus, internés au camp de Schirmeck ou incorporés dans la Waffen-SS. Malgré les risques, environ un quart des effectifs concernés s’est soustrait à cette incorporation forcée, notamment en désertant sur le front est.

Vingt-et-une classes d’âge ont été concernées (de 1908 à 1928), soit environ 100 000 Alsaciens. 35 000 ont été tués ou portés disparus (13 000 sur le front de l’est). Plus de 30 000 ont été blessés, dont 10 000 grièvement.

1er octobre 1943 : mesures à prendre contre les réfractaires à l’armée allemande

Le Chef de l’Administration civile en Alsace peut prononcer contre les réfractaires au service militaire ou au Service du Travail, l’interdiction de séjour en Alsace, suivie du transfert à l’intérieur du Reich, par les services du Commissaire du Reich.

Des sanctions semblables sont prises à l’encontre de ses parents, ascendants et descendants ou alliés, beaux-frères, belles-sœurs, qui partagent habituellement son toit, sauf s’ils peuvent prouver qu’ils se sont efforcés sérieusement de détourner le réfractaire de son intention.

Tout celui qui, connaissant les intentions d’un réfractaire ou connaissant son lieu de séjour, n’en informe pas aussitôt la police, sera traduit devant le tribunal spécial de Strasbourg et puni de prison.

Opposition et durcissementRevenir au début du texte

Appel à la résistance

Appel à la résistance
Tract anonyme, 30 août 1942
Coll. Trad. Charles Béné, dans L'Alsace dans les griffes nazies, Tome 4, p. 287-288

Ce tract a été distribué clandestinement par les membres du Front de la jeunesse alsacienne.

Rédigé en allemand, il a été tiré à quelques milliers d'exemplaires. Il fait écho à l'appel lancé par Alphonse Adam, qui exhortait les jeunes Alsaciens à résister à l'embrigadement dans l'armée allemande.

Six membres du Front de la jeunesse alsacienne ont été arrêtés, condamnés à mort et exécutés : Alphonse Adam, Robert Kieffer, Robert Meyer, Joseph Seger, Charles Schneider et Pierre Tschaen.

Propogande nazie

Propogande nazie
Affiche anonyme, v. 1941
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 738974)

À la suite d’un accord avec Himmler fin 1943, la moitié de la classe 1926 est incorporée d’office dans la Waffen SS en février 1944. Sur cette affiche de propagande, il est dit que Deutsche Maenner SS aus dem Elsass und aus Lothringen können ihren Einsatz für das Grossdeutsche Reich beweisen, c'est-à-dire que les Alsaciens et Mosellans incorporés dans l'armée allemande peuvent y prouver leur valeur.

La proportion est encore plus importante pour les classes 1908 à 1910 et la classe 1927. La discipline y est plus stricte et les possibilités de déserter restreintes.

Les SS ont néanmoins été considérés tous comme des volontaires fanatiques et ont été qualifiés collectivement de criminels de guerre par le tribunal international de Nuremberg.

Le sort des Malgré-Nous déserteursRevenir au début du texte

Français dans les camps soviétiques

Français dans les camps soviétiques
Carte Stéphane Hibou, 2010
Document CRDP d'Alsace

De nombreux Malgré-Nous désertent sur le front de l’est et se rendent aux soldats soviétiques. Mais la singularité de leur situation n’est pas comprise et, comme les autres prisonniers, ils se retrouvent confrontés à la dure réalité des camps soviétiques.

Au début, ils sont envoyés dans une centaine de camps, puis ils sont majoritairement regroupés dans le camp n°188 de Tambov, à 350 kilomètres au sud-est de Moscou.

Les établissements du GOUPVI (direction en charge des prisonniers de guerre) accueillirent de nombreux prisonniers de guerre français. Tambov a été le camp le plus important. Ainsi, en septembre 1945, il comptait officiellement quelques 11 000 prisonniers français.

Description du camp de Tambov

Le camp se trouve à 15 km au nord-est de la ville de Tambov entre Moscou et Stalingrad dans une région insalubre, où les cas de malaria sont fréquents. Il se trouve être sous la dépendance du camp militaire de Tambov. […] Le camp occupe une surface d’environ 400X800 mètres, entourée de quatre rangs de fil de fer barbelé et il est gardé par des postes russes munis de chiens de garde. Il est composé d’un camp principal avec commendature et de trois camps de quarantaine.

Le camp principal est composé de 22 baraquements d’habitation et de 25 autre baraquements. Les camps de quarantaine avaient au total 42 baraquements pour le logement et pour l’hospitalisation. Les baraquements sont construits de façon très primitive, n’ayant qu’une seule pièce, creusée de 1,50m dans la terre. Seul le toit est construit au dessus du niveau du sol. Il est couvert de sable et ne protège pas du tout de la pluie, la ventilation est très mauvaise, l’air ne peut rentrer que par la porte et, dans les grands baraquements, par quelques ouvertures dans le toit faites pour les poêles. La lumière pénètre seulement par quelques petites lucarnes, d’une dimension de 40X80 cm avec des vitres ou des planches. Ces lucarnes ne s’ouvrent pas…

Extrait de l'ouvrage coordonné par C. K. Goussef, Retours d’URSS. Les prisonniers de guerre et les internés français dans les archives soviétiques, CNRS éditions, p. 165. Document n°1692, daté du 12 octobre 1945 et ayant été transmis par courrier diplomatique.

Les conditions de survie dans le camp de concentration sont épouvantables (travaux exténuants, conditions sanitaires effroyables, nourriture insuffisante, baraques surpeuplées…).

Dès la fin de l’année 1943, les prisonniers deviennent des pions dans le jeu d’une diplomatie qui prépare déjà l’après-guerre. Le débarquement du 6 juin 1944 permet certes à 1 500 hommes de quitter le camp le 7 juillet 1944 pour rejoindre l’Afrique du nord, mais c’est le seul convoi avant la capitulation allemande.

Les prisonniers peuvent servir de moyen de pression pour Staline et les autorités françaises, soucieuses de ne pas compromettre leurs relations avec Moscou, ne font pas du sort des Malgré-Nous une priorité.

À la fin de la guerre, le rapatriement s’opère lentement (7 convois en 1945, d’autres suivent en 1946 et en 1947, le dernier prisonnier, J.-J. Remetter ne rentre qu’en 1955).

Document INA

Document INA : Prisonniers alsaciens en URSS

Date de diffusion : 01/03/1951 - Durée : 49s -  Voir page correspondante sur le site INA

Le récit du retour d'un prisonnier alsacien en URSS.

 

Le départ et le retour des 1500

Un soir, dans le baraquement du kolkhoze, on nous demande de préparer nos affaires pour retourner au camp principal. On s’est rendu en plein champ à proximité de la ligne de chemin de fer. Il n’y avait rien, pas de gare.

Au bout d’un moment, on a vu arriver une locomotive brillante, ornée à l’avant d’une étoile rouge et sur les côtés de deux drapeaux, rouges aussi. Pour le décorum, les Russes étaient formidables. Il y avait des gens partout même sur le toit. On s’est embarqué et on est arrivé au camp de Tambov, persuadés de rentrer chez nous. Mais ce n’était pas encor ça. Un militaire est arrivé et a demandé l’effectif de chaque baraque. En suite de quoi, nous avons reçu des habits russes tout neufs en échange d’uniformes allemands. Bien habillés, le 6 juin 1944, nous avons été passés en revue par une délégation d’officiers français et russes dont les généraux Petit et Petrov.

Comment 1500 prisonniers ont-ils été sélectionnés pour rentrer en France ? Mystère. Il était prévu que progressivement, tout le monde devait rentrer.

Malheureusement, après notre départ, les portes se sont refermées, et Staline n’a plus laissé repartir personne avant longtemps. [...]

Le 7 juillet, nous avons donc quitté Tambov pour Téhéran. Nous sommes arrivés à Téhéran le 18 juillet 1944 à 14h. Accueil cordial des Français et des Anglais […] nous avons reçu des uniformes anglais pour changer ! J’avais déjà porté un uniforme allemand, puis russe, maintenant c’était le troisième et ce n’était pas fini. Plus tard, en août 1944, je porterai l’uniforme canadien, avec un casque plat. Nous étions à Alger et toutes les troupes devaient défiler. Mais il n’y avait aucun Canadien. Ils nous ont demandé de nous déguiser en Canadiens, et c’est ainsi que j’ai porté un uniforme de plus […]. Le 29 juillet 1944, nous sommes partis par groupes de trois, quatre convois […]. Le sirocco a soufflé toute la nuit, et nous sommes repartis à 4 heures du matin, parce qu’il faisait encore frais, direction la France. Direction la France.

On ne savait pas exactement où on allait, on voulait rejoindre les troupes françaises avant de rentrer directement au pays.

Témoignage de Paul Lotz, recueilli par Damaris Muhlbach et publié dans 1939-1945 à Obernai, Obernai, 2005, p. 47–48

Document INA

Document INA : Témoignage d'un Malgré-Nous sur son incorporation

Date de diffusion : 19/09/1990 - Durée : 02min10s -  Voir page correspondante sur le site INA

Témoignage d'un ancien Malgré-Nous alsacien. Il raconte une anecdote à propos de son incorporation dans l'armée allemande en 1942.