Par Mireille Biret
Publié le 1er octobre 2010
Refus d’obéissance, mauvaise volonté à se plier aux règles nazies... l’opposition s’est traduite par de multiples formes dans la vie quotidienne. En parallèle, des groupes plus ou moins structurés ont tenté de s’opposer à la dictature nazie. Des réseaux de renseignement ont cherché à s’organiser. La quasi totalité de ces groupes et réseaux a été démantelée dès la fin de l’année 1942. Seule la 7e colonne (le réseau Martial) est parvenue à survivre.
Retour à Alsace 1940-1944
Le 13 juillet 1941, après l’office du soir, plusieurs jeunes gens se rassemblèrent dans un café pour jouer de la musique de jazz. Pendant ce temps d’autres jeunes gens s’efforçaient de réunir un certain nombre de flambeaux pour l’organisation du défilé. Vers 23h30, un cortège de 150 à 200 personnes, en rang par quatre, se mit effectivement en route à partir du café en chantant des refrains français et allemands. La population ouvrait les fenêtres et leur témoignait sa sympathie par des applaudissements. Arrivés au monument aux morts, une personne non identifiée, fit un discours mettant l’accent sur le fait que les morts de la commune avaient donné leur vie pour la France et non pour l’Allemagne. Après un ordre donné en français, le cortège se disloqua.
Des personnes âgées se rendaient ensuite au monument aux morts pour se rendre compte de ce qui venait de se passer. Vers 1h du matin, une banderole tricolore et une gerbe de fleurs ornaient le monument, au bas duquel on avait inscrit : à nos soldats morts.
Lors de l’enquête du SD (Sicherheitsdienst), la population de Hochfelden se rassembla dans la rue et manifesta son hostilité aux enquêteurs, n’hésitant pas, malgré l’opposition de la police à distribuer du beurre, lard, pain, œufs, vins aux personnes arrêtées. Au départ des prisonniers, cette population leur témoigna des signes d’amitié.
Malgré les représailles graves, des milliers d’individus font acte de résistance. Ils écoutent les radios étrangères interdites, entonnent des chants patriotiques français, font circuler des caricatures ou continuent à parler en français… L’opposition se traduit par un refus d’adhérer au système.
Elle se manifeste également dans les administrations, les hôpitaux, les chemins de fer… en freinant la machine de guerre, en donnant des faux certificats… Le camp de Schirmeck a ainsi accueilli près de 15 000 Alsaciens hostiles au régime.
Bien qu’il ait été rappelé récemment que la langue française est interdite en Alsace, le coiffeur E. B. de la Robertsau croyait pouvoir se dispenser de respecter la loi avec ses clients. Arrêté, il a passé 6 semaines au camp de rééducation de Vorbrück.
Étant donné que c’est le deuxième cas constaté en peu de temps, les autorités ont reçu l’ordre d’agir avec beaucoup de vigilance contre ces éléments incorrigibles.
SNN, 28 mars 1943
À travers les Vosges et le long de la frontière des départements annexés, des dizaines de filières conduisent hors du Reich des réfractaires au RAD ou à l’incorporation de force, des prisonniers de guerre et des fugitifs.
Après une année 1941 fertile en nombreux passages de frontières aussi bien avec des prisonniers évadés de nationalité française ou polonaise, qu'avec de jeunes alsaciens réfractaires au service militaire allemand, l'équipe des Pur-Sang pensait continuer son action dans la résistance de la même façon en 1942.
Mais au mois de janvier 42 la neige s'est mise à tomber en abondance, et le trajet habituel prévu pour le 31 janvier a failli tourner au drame. La violente tempête de neige et son épaisseur déjà importante rendaient la marche difficile et fatigante pour des gens peu entraînés et mal équipés.
Nous avons mis plus de huit heures à atteindre une ferme enfouie dans la neige, où nous avons pu passer la nuit. Le lendemain un magnifique soleil a permis au groupe de passer la frontière et de clore ainsi cette odyssée qui avait si mal débuté. Bien des années plus tard nous avons appris que nous avions fait passer la frontière ce fameux 31janvier à Marcel Rudloff, devenu après la guerre sénateur-maire de Strasbourg. Il en a toujours gardé un souvenir pénible.
Il n'était donc plus question de passer par la montagne. Notre responsable de l'équipe, Lucienne Welschinger, ayant fait la connaissance d'Antoine Kromenaker, instituteur à Landange, c'est donc par la Moselle et en direction de Cirey que se fera désormais le passage de la frontière.
Voulant expérimenter la façon dont ce nouveau trajet arrivait jusqu'à Lyon, mais de plus chargée par la Résistance d'un pli important à transmettre à Vichy, Lucienne accompagnée d'un membre du groupe, décida de tenter le voyage. Malheureusement au retour les choses se sont mal passées. Lucienne a pu rentrer sans encombre, mais son amie prit, par erreur, un train qui ne s'arrêtait qu'après la frontière, et de ce fait elle fut arrêtée par la Gestapo. C'était le 26 février 1942. Une perquisition à son domicile permit de trouver les adresses des membres de l'organisation dont la plupart furent arrêtés.
Les Guides de France furent internées à la prison de Kehl en Allemagne d'où, après environ 6 semaines d'interrogatoires permanents, la Gestapo transféra les Guides et leurs co-inculpés au camp d'internement de Schirmeck-Labroque.
Témoignage d'Alice Daul-Gillig, dans Les Pur-Sang, 1942, Schirmeck.
Archives Scouts et Guides de France, 2002
Isolés ou organisés en réseaux (comme celui des Pur Sang), les passeurs ont permis à des réfractaires, des prisonniers de guerre et des fugitifs, de quitter la zone annexée. Des dizaines de filières d’évasion ont ainsi permis de faire sortir du Reich environ 20 000 personnes.
Mon père connaissait à fond cette montagne ; il lui était donc relativement facile d’aider les prisonniers de guerre évadés… Ceux-ci venaient à la ferme vers 7 heures du matin, après une nuit passée dans la forêt… Ils restaient le plus souvent 2 à 3 jours à la ferme paternelle, pour soigner leurs pieds malmenés par de longues marches.
Mon père les passait de préférence par mauvais temps par un endroit appelé les 3 Bornes à la frontière des 3 départements des Vosges, du Bas- et du Haut-Rhin. Ayant parfaitement étudié l’horaire des patrouilles allemandes, il savait que toutes les 2 heures, il possédait une marge de sécurité d’une bonne demi-heure, avant qu’elles ne reviennent vers les 3 Bornes.
Par mesure de précaution supplémentaire, nous donnions toujours une rondelle de saucisson et une poignée de poivre aux évadés pour qu’ils puissent dépister les chiens, si, par malheur, ils étaient poursuivis par une patrouille allemande…
Extrait de Ch. Béné, L’Alsace dans les griffes nazies, tome III, 1975
Bien que l’évasion et la désertion signifiaient une mort certaine et des représailles sur les familles, plus de 15% des incorporés se sont évadés.
Certains ont d’ailleurs repris les armes contre l’Allemagne nazie.
Le Tribunal spécial de Strasbourg a jugé en une séance extraordinaire et publique, mardi après-midi, quatorze accusés de BALLERSDORF de l’arrondissement d’ALTKIRCH pour groupement armé et tentative de franchissement illégal de la frontière… Tous les accusés ont été condamnés à mort et à la perte de leurs droits civiques pour avoir voulu se soustraire par la fuite à l’étranger au service militaire…
Les quatorze personnes ayant comparu devant le Tribunal spécial – un autre est encore en fuite – avaient décidé avec les trois qui ont été tuées dans le combat, de franchir la frontière suisse en petits groupes dans la nuit de samedi. Ils avaient cette intention déjà depuis un certain temps pour se soustraire à leur incorporation dans le Service du Travail et dans l’Armée allemande…
Le jugement devant le Tribunal spécial apporta la preuve indubitable de la culpabilité des accusés. L’exécution rapide prouve clairement que la patience longtemps manifestée par le gouvernement allemand est maintenant épuisée. Celui-ci est conscient de sa responsabilité non seulement envers le peuple allemand, mais aussi envers l’immense majorité à l’opinion bien orientée du peuple alsacien… Aussi pour ce délit touchant à la sécurité de l’Etat, il fallait la peine la plus dure. Le Reich se trouve actuellement dans le combat le plus dur pour son destin et son avenir, celui du peuple allemand, et donc aussi du peuple alsacien. Il y va de l’existence de l’Europe toute entière. Le gouvernement du Reich…ne peut pas tolérer qu’une petite clique d’Alsaciens fasse sa propre politique et défende ses intérêts égoïstes sans se préoccuper des exigences impitoyables de la guerre et sans collaborer par son engagement personnel à la lutte du Deutschtum contre le bolchevisme.
SNN, 17 février 1943
L’Alsace, journal libre
Premier numéro , 11 novembre 1940
Coll.
Photo et coll. BNU Strasbourg
Le mensuel L’Alsace, journal libre fut rédigé par Camille Schneider de 1940 à 1944. Il l’adressa par la poste à ses amis, mais également aux responsables nazis. Il signait les éditoriaux de R. W., les initiales du Gauleiter.
Les deux premiers numéros furent rédigés en français. Le premier paru le 11 novembre 1940, date anniversaire de la défaite des Allemands en 1918.
À partir de 1941, Die Elsass Freie Zeitung fut rédigé en allemand. La Gestapo n’en découvrit jamais l’auteur.
Dès 1940, des groupes et des réseaux de résistance tentent de s’organiser comme La Main noire ou Le Front de la jeunesse Alsacienne. Ils sont isolés et disposent de peu de moyens.
La Main noire est un réseau organisé par un jeune Alsacien de 16 ans, implanté à Strasbourg dès le mois de septembre 1940. Il a mené des opérations variées et parfois extrêmement efficaces dans leur simplicité, comme la destruction systématique des vitrines où figurait un buste de Hitler, ce qui incita les commerçants à refuser d’en placer.
Leur action la plus célèbre est sans doute la destruction à la grenade de la voiture du Gauleiter Wagner, le 8 mai 1941. Marcel Weinum, le fondateur de La Main noire, a été exécuté le 14 avril 1942.
Le Tribunal spécial a jugé fin mars une bande de 10 jeunes Alsaciens rassemblés pour des sabotages par le dessinateur Marcel WEINUM.
Les accusés se sont rendus coupables d’acquisition d’explosifs, de lancement de grenades, de préparation d’une série d’attentats, manifestations d’hostilité diverses, comme inscriptions sur les rues et les édifices publics, distribution de tracts, destruction de drapeaux à croix gammée, attentats contre des véhicules de l’Armée allemande, de la police, contre des installations téléphoniques et ferroviaires…
Le chef de la bande avait également tenté d’entrer en contact avec des agents d’une puissance ennemie ; arrêté près de la frontière suisse, il a blessé un douanier à la tête d’un coup de revolver… Personnalité dangereuse, sans scrupules préparant ses coups clairement et froidement, reconnu par les experts médicaux d’une intelligence nettement supérieure à la moyenne et donc considéré comme entièrement responsable de ses actes.
Weinum a été condamné à mort et à 10 ans de prison. La peine de mort a été exécutée. Les droits civiques lui ont été retirés à vie.
Les délibérations ont laissé une image effrayante de ce jeune de 18 ans élevé dans une École moyenne catholique, qui a consacré depuis son retour en automne 1940, toute son activité aux actes criminels cités plus haut, entraînant à la complicité toute une bande de jeunes gens. C’est pourquoi il est nécessaire d’éliminer impitoyablement ces individus nuisibles par les moyens du droit de guerre…
SNN, 15 avril 1942
Le Front de la jeunesse alsacienne est un important mouvement par le nombre de ses membres, généralement issus des milieux de la jeunesse catholique.
Dirigé par Adolphe Adam et Robert Kiefer, ce réseau a eu parmi ses principaux objectifs, après le décret d’incorporation de force, d’inciter les jeunes Alsaciens à être réfractaires. Ses dirigeants ont été exécutés le 15 juillet 1943.
Mais nos dirigeants ne plaisantent pas ! A quelque milieu qu’appartiennent les individus qui s’efforcent de désagréger le Reich, quels que puissent être les mobiles qui les incitent à agir, un fait est certain : vous avez l’audace de vouloir saper les bases mêmes de l’Allemagne nationale-socialiste, alors qu’elle lutte pour son existence. Nous allons vous exterminer !
Ont été condamnés à mort : Alphonse ADAM, Robert KIBLER, Joseph SEGER, Peter TSCHAEN, Carl SCHNEIDER, Robert MEYER, Renatus MENGUS, Georges WERLE, Robert HUSSER, Albert DENU.
Ont été condamnés de 3 à 10 ans de travaux forcés : Emile HINCKER, J. DEISS, R. DEISS, Georges FASTINGER, René GISTEL, Paul WEBER, Alfred WOLF, Frédéric SCHLEWER, René GROSS, Eugène BISCHHOFF, Jean METZGER.
Les condamnés ADAM, KIEFFER, SEGER, TSCHAEN, SCHNEIDER, MEYER ont déjà été exécutés.
SNN, 16 juillet 1943
Des hommes plus âgés, de droite comme de gauche, tentent également de créer des réseaux.
Surpris par la débâcle de juin 1940 dans le Massif central, il (Paul Dungler) remonte, le 25 août 1940, en Alsace et y crée, le 1er septembre 1940, la 7e colonne d’Alsace. […]
Dès le début de septembre, il rallie à la 7e colonne d’Alsace deux hommes d’élite qui joueront un rôle éminent dans l’histoire de la Résistance alsacienne, Marcel Kibler de Saint-Amarin, le futur commandant Marceau et Paul Winter, de Mulhouse-Bourtzwiller, le futur commandant Daniel.
Extrait de Eugène Mey, Le drame de l’Alsace, éditions Berger-Levrault, 1949, p. 67
Le réseau Bareiss a joué un rôle important dans le renseignement.
La première organisation de résistance dans le Bas-Rhin date de janvier 1941. Elle est l’œuvre du Dr Bareiss. […]
Resté en contact avec son colonel qui reçoit lui-même les consignes de Londres ; et avec le capitaine d’Ornant, du même régiment auquel incombe également une tâche importante dans la Résistance, Bareiss rentre sur les ordres donnés, dans son pays d’origine pour organiser la résistance en Alsace, en Lorraine et au Luxembourg.
Extrait de Eugène Mey, Le drame de l’Alsace, éditions Berger-Levrault, 1949, p. 70-71
Georges Wodli organise la résistance communiste avec les cheminots et les mineurs de potasse du Haut-Rhin. Ils mettent en place un réseau de distribution de L’Humanité clandestine, ils aident les prisonniers de guerre évadés, et commettent des actes de sabotage