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L'épuration

Par Mireille Biret

Publié le 1er octobre 2010

Selon Jean-Laurent Vonau, spécialiste de l’épuration, celle-ci, globalement, ne fut pas injuste, mais des dérives et des maladresses y furent néanmoins commises (notamment la réouverture des camps de Schirmeck et du Struthof).

Le contexteRevenir au début du texte

Dehors le fatras boche

Dehors le fatras boche
Affiche Sainturat P., 1945
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 737285)

1945–1946 : le contexte est celui du Procès de Nuremberg et de la dénazification.

Le retour des Alsaciens restés en France en 1940, des évadés ou des déportés provoque des tensions et des divisions à l’intérieur des communautés et même des familles.

Le Gauleiter Wagner est jugé à Strasbourg puis fusillé en août 1946 ainsi que trois autres dignitaires nazis (Hermann Roehn, Adolf Schüppel et Walter Gaedecke).

Sept responsables autonomistes en fuite, dont six anciens Kreisleiter, sont pour leur part condamnés à mort par contumace.

Seul le Kreisleiter de Mulhouse, Jean-Pierre Mourer, est fusillé. Robert Ernst est condamné pour sa part à la réclusion criminelle à perpétuité.

Hier DEVANT LE TRIBUNAL MILITAIRE de Strasbourg a commencé LE PROCES DU GAULEITER WAGNER, BOURREAU DE L’ALSACE et de plusieurs de ses comparses

Je reviendrai, avait lancé Robert Wagner devant le micro de Stuttgart. Et il est revenu.

Il a plutôt bonne mine, d’ailleurs. Avec et sans jeu de mots. L’ordinaire de la citadelle militaire ne doit pas être trop mauvais. Quant au moral, il semble excellent, du moins à en croire le sourire que Wagner ne cesse d’afficher.

L’ex-Gauleiter, cependant, n’a pas eu la vedette hier. Car, après avoir démarré lentement, le procès, qui a failli capoter à trois reprises, dans le maquis de la procédure, semblait vouloir prendre dans la soirée, la bonne voie. Celle de la justice, du peuple français. Ce sont surtout Gruner, Lueger et Schuppel qui ont été sur la sellette. Avec un ensemble qui n’a rien de remarquable, ils se retranchent derrière des cadavres.

Wagner, lui, parle de fatales erreurs et de directives de Berlin, Lueger fait un cours sur la justice orientée. Quant à Schuppel, il n’a rien fait, rien vu, rien dit, rien entendu, - bref, il est complètement aboulique. Et tout ce joli monde en appelle à tout bout de champ au témoignage des cadavres.

La salle n’est pas dupe. Et elle le montre d’une façon parfois bruyante. Le commissaire du gouvernement non plus, bien-sûr, et, de temps à autre, il exhibe des papiers qui rafraîchissent les mémoires défaillantes, mais à la manière d’une douche. Aucune escarmouche encore dans la défense. Des deux côtés, on s’observe. Et les défenseurs allemands des accusés observent bien. C’est, d’ailleurs en français qu’ils interviennent, avec parfois, de savoureux lapsus, tel celui qui a échappé à l’avocat de Gruner qui a parlé de la Zivilverwältung, ici en Allemagne.

Toute la durée de l’audience, des centaines de Strasbourgeois attendent devant le tribunal de revoir leur Gauleiter. Ce n’est pas, bien-sûr, pour l’acclamer. C’est pourquoi, on a pris des mesures extrêmement sévères pour protéger la précieuse personne de Robert Wagner, accusé numéro un au Nuremberg français.

J.-T. Henchès, Les Dernières Nouvelles d’Alsace, mercredi 24 avril 1946

Document INA

Document INA : Procès de Robert Wagner, ancien Gauleiter d'Alsace

Date de diffusion : 02/05/1946 - Durée : 57s. -  Voir page correspondante sur le site INA

Au palais de justice de Strasbourg, devant une cour de militaires français, s'ouvre le procès de Robert Wagner, ancien Gauleiter d'Alsace sous la Seconde Guerre mondiale. Lui sont reprochés les 24 000 morts du Struthof et l'enrôlement de force des Alsaciens sous le drapeau allemand. Il sera condamné à mort pour ces faits.

 

Les différents visages de l'épurationRevenir au début du texte

Scène d’épuration dans le Haut-Rhin

Scène d’épuration dans le Haut-Rhin
Extr. J.-L. Vonau, L'épuration en Alsace, Éd. La Nuée Bleue, Strasbourg , mai 1945
Coll. La Nuée Bleue

Cette épuration eut plusieurs visages : le jugement des responsables nazis et de leurs acolytes, des exécutions sommaires (une cinquantaine), des internements administratifs (entre 6 000 et 7 500 personnes), des actions judiciaires avec les cours de justice et les chambres civiques.

12 273 dossiers furent examinés. En cours de justice, 3 081 aboutirent à des condamnations et en chambres civiques 6 953.

Ci-contre, un rallié au nazisme est promené en cortège avec des cornes et un casque allemand parce que pendant l’annexion, il affirmait :
Que les cornes me poussent si la France revient en Alsace…

Parallèlement, l’épuration professionnelle a touché 5 à 6 000 personnes, dont la moitié dans le secteur public. Comme ailleurs, l’épuration économique fut moins sévère.

Par ailleurs, des commissaires de la république sont chargés du rétablissement de la légalité républicaine lors de la Libération de la France.

Ils doivent restaurer les lois démocratiques, limiter les violences spontanées de l’épuration sauvage et assurer l’épuration légale des administrations, des magistrats et des particuliers compromis avec les Allemands.

Josef Kramer après son arrestation

Josef Kramer après son arrestation
Couverture Point de Vue, 4 mai 1945
Coll. Musée du Struthof

Le gouvernement nomme comme commissaires de la République Charles Blondel (1944-1945) et Émile Bollaert (1945-1946). Ils sont secondés par les préfets Gaston Haelling (1944-1945) et Bernard Cornut Gentille (1945-1947) pour le Bas-Rhin ; Jacques Fonlupt-Espéraber (1944-1945) et René Paira (1945-1947) pour le Haut-Rhin. Ils ont de solides attaches avec l’Alsace et font preuve d’habileté en évitant les excès et en renouant avec l’administration française traditionnelle. Les préfets ont notamment restauré les municipalités de janvier à mai 1945 en attendant les élections municipales de septembre 1945.

Josef Kramer, ancien commandant du Struthof, est pendu le 12 décembre 1945. Sur le document ci-contre, il est montré à la une de Point de Vue, le 4 mai 1945, à Bergen-Belsen, après son arrestation par l'armée britannique.

Contrairement à lui, l’Obersturmführer SS Karl Buck, commandant le camp de Schirmeck, bien que condamné à mort à trois reprises, est remis en liberté en 1955.

Le bilan de l'épurationRevenir au début du texte

Hormis les Allemands, environ 8 000 personnes sont arrêtées et internées. 12 273 affaires sont jugées par les cours de justice et les chambres civiques (plus de 10 000 aboutissent à des condamnations majoritairement à l’indignité nationale avec exclusion des listes électorales). Dans l’administration et les entreprises, plus de 5 000 agents et salariés sont sanctionnés, soit à la rétrogradation, soit au licenciement. En revanche, l’épuration économique est quasiment inexistante.

Pour l’Alsace, c’est une période douloureuse et malsaine, car il est difficile de distinguer clairement ceux qui ont collaboré de manière forcée et ceux qui l’ont fait volontairement.

Par souci d’apaisement, comme dans le reste de la France, la plupart des peines seront amnistiées par les lois de 1951 et 1953.

Extraits des débats du conseil général du Bas-Rhin.
Séance du 3 novembre 1945 : intervention de Henri Meck

[…] Tout d’abord, je me plais à constater que, contrairement à nos craintes, il n’y a pas eu de règlements de compte spontanés et sanglants. […]

[…] Vouloir agir contre ceux de nos compatriotes, qui plus ou moins forcés par les circonstances, se sont affiliés à des organisations, est pratiquement impossible. Personne aujourd’hui n’avouera avoir signé de libre volonté. Il sera pratiquement impossible de tracer une ligne de démarcation entre ceux qui l’auront fait forcément et ceux qui auraient agi volontairement. Frapper certains d’entre eux et ne pas punir d’autres susciterait des comparaisons entre des cas d’espèces qui finiraient d’envenimer l’atmosphère publique. […]

[…] Ayez pitié des enfants des suspects !

Ce n’est pas dans les Oberlé de Bazin, mais dans la vie réelle que je trouve ce cas typique.

J’ai connu un compatriote qui, s’il n’était pas mort il y a quelques mois, se trouverait aujourd’hui probablement parmi les arrêtés. Son fils, malgré tous les avis contraires, est parti par monts et par vaux, et après avoir passé huit mois dans un camp de concentration espagnol, s’est sauvé en Afrique du Nord, s’est battu avec la Division Leclerc en Normandie, est entré un des premiers à Paris et à Strasbourg – pendant que son frère est tombé en Russie. […]

Archives Départementales du Bas-Rhin, 544 D 237

La vie politique renaît avec la création, en mars 1945, d’un parti républicain populaire qui, sous l’action de Henri Meck, décide d’adhérer au MRP (Mouvement républicain populaire), qui connaît une nette victoire aux élections cantonales de septembre 1945. Dans ces extraits, il appelle au calme et insiste sur toute la difficulté à distinguer clairement ceux qui ont collaboré par choix et ceux qui ont collaboré par obligation.