Par Mireille Biret
Publié le 13 juillet 2011
Le sort des juifs en France a été subordonné à deux politiques aux objectifs et aux modalités différents : la politique d’exclusion et de persécution conduite par Vichy et celle de déportation et d’extermination dans le cadre de la Solution finale.
Entre le printemps 1942 et l’été 1944, 76 000 juifs ont été déportés de France (23 000 Français), dont 11 000 enfants. Environ 3 500 étaient établis en Alsace au moment de l’éclatement de la guerre. Parmi les déportés, seuls 2 500 survécurent (3%) et, en Alsace, un juif sur quatre est mort en déportation.
Les trois quarts de la population juive ont cependant été sauvés. Ils le doivent à l’action des mouvements de la résistance, mais aussi au rôle des Justes, qui développèrent des actions de solidarité.
Retour à Alsace depuis 1945
Évacués en 1939, ou expulsés par les Nazis en 1940, les Juifs d’Alsace redevinrent des errants sans feu ni lieu sur les routes de France. Eux qui avaient progressivement apprivoisé le paysage alsacien, qui avaient fait de ce coin de France leur terre, redécouvrirent la précarité de l’existence juive. Redevenus étrangers dans leur propre pays, ils furent confrontés à l’ambiguïté de l’autre : le voisin chrétien pouvait brusquement rompre tout lien, ne plus saluer ces parias honnis, et s’empresser de piller leur maison ; il pouvait aussi s’efforcer de sauver un peu de leurs biens, manifester sa solidarité avec les exilés. Traqués, et parfois dénoncés, nombreux furent ceux qui furent tués par les troupes allemandes et la Gestapo, ou qui disparurent en déportation. (...)
Encyclopédie d’Alsace, 7, Strasbourg, 1984, p. 4377
En 1939, environ 30 000 juifs (dont 10 000 à Strasbourg) sont établis en Alsace. En septembre 1939, au moment de la mobilisation générale, plus des deux-tiers sont évacués. La majeure partie des juifs évacués se plie aux instructions gouvernementales et prend la direction des mêmes départements d’accueil que leurs compatriotes chrétiens.
À Ingwiller déjà, nous avions passé de vilains moments. En effet, lors d'un bombardement, nos écuries et nos granges, ainsi que deux bêtes, avaient été la proie des flammes. Le 14 juillet un employé de la maison vint dire à papa de passer au bureau. Il rentra avec la triste nouvelle : au bout de trois quarts d'heure il faut être prêt à partir avec une valise et 5000 francs. Ce 14 juillet pas comme les autres, nous avions célébré en famille le dix-huitième anniversaire de ma cousine Margot : la tarte aux myrtilles, déjà découpée en tranches, resta intacte sur la table du festin... Place de la Mairie on fouilla nos bagages. Puis, les formalités terminées, on nous promena par toute la ville en camions. La musique militaire hitlérienne était installée sur la place du marché et, au son des tambours et des clairons, fêtait notre départ. Vers huit heures du soir, enfin, les camions démarrèrent. En plein orage, nous arrivâmes à Schirmeck. Là on nous fouilla plus minutieusement encore, et gare à celui qui se faisait attraper. Nous passâmes la nuit dans des baraques. Tout le temps de nouveaux convois de malheureux affluaient. Le surlendemain de notre arrivée, on nous a mis sur des camions, et le voyage commença. Nous roulions à une vitesse infernale. Le soir, à six heures et demie on nous déposa à la ligne de démarcation, qui se trouvait en pleine forêt. Pendant plusieurs nuits, nous avons dormi sur la paille et dans un train de marchandises, vingt-cinq personnes par wagon. Enfin, à Lons-le-Saulnier, on nous hébergea dans un centre d'accueil. Nous étions une soixantaine de personnes dans un dortoir, femmes et hommes, jeunes et vieux, tous ensemble. Après quelques jours d'arrêt, nous sommes repartis pour le lieu de notre hébergement. Maman a perdu en route sa valise, et la voilà sans linge et sans vêtements. Ici tout est très rare. Il n'y a pas moyen de trouver du travail dans la région. La grand-tante Caroline est dans les Vosges, nous ne savons pas son adresse. Ses deux fils sont prisonniers. De cousine Séraphine nous ne savons rien du tout. Maman pleure souvent en pensant à la pauvre tante Caroline, qui est si seule maintenant. Je me demande quelquefois ce que nous avons fait pour être punis de la sorte ! (19 novembre 1940).
[Transcription d’une lettre d’Irène B. qui, depuis Blond en Corrèze, relate la manière dont sa famille a été chassée du village après la Débâcle]. In Claude Vigée, La lune d'hiver, Flammarion, 1970
Le 13 juillet 1940, le Gauleiter Robert Wagner décide d’expulser les juifs restés en Alsace. Plus de 3 000 d'entre eux sont ainsi expulsés vers la zone non-occupée. L’ordre d’expulsion prononcé, les juifs disposent d’une heure pour préparer huit kilogrammes de bagages et réunir la somme qu’ils sont autorisés à emporter, soit 5 000 francs.
Les conditions d’expulsion sont épouvantables. Humiliés, spoliés de leurs biens, fouillés, dépouillés d’une partie de leur argent et de leurs bijoux, déracinés, les juifs d’Alsace espèrent néanmoins trouver un refuge en zone non occupée, ne sachant pas encore qu’à deux reprises, le 3 octobre 1940 et le 2 juin 1941, le régime de Vichy définira légalement le statut des juifs pour mettre à son tour en œuvre sa politique d’exclusion.
En seulement trois jours, les nazis ont fait de l’Alsace une région judenrein. Le 14 juillet, les Alsaciens (mais pas les juifs) sont autorisés à rentrer chez eux. Le 16, les derniers juifs sont expulsés d’Alsace.
Les inscriptions françaises ont déjà disparu de Haguenau et sont bien oubliées par la population… Le restaurant Kronprinz est sans nom, car son propriétaire était Juif…
Seules les entreprises appartenant à des Juifs n’ont pas encore reçu de noms nouveaux, car on a procédé ici à un nettoyage en règle, mais l’activité de ces entreprises continue sous la direction des mandataires…
Les commerçants de la ville avaient beaucoup souffert de la concurrence juive qui dominait la ville et fixait les prix.
La mise sous séquestre des biens des Juifs permet de mieux rendre compte de l’emprise énorme qu’ils avaient réussi à atteindre, non seulement sur le commerce et la propriété, mais aussi sur l’administration de la ville , dirigeant la politique municipale.
Ces temps sont définitivement révolus…
SNN, 4 novembre 1940
Propagande nazie
Affiche NSDAP, v. 1941
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 738763)
L’ordonnance du 13 juillet permet également de confisquer tous les biens, intérêts et droits des juifs au profit du Reich. Les magasins et les logements abandonnés sont souvent pillés par des voisins, persuadés que le départ des juifs est définitif. Une partie des meubles laissés par les juifs est attribuée aux rapatriés des zones évacuées et le reste est vendu aux enchères.
La propagande nazie se charge de justifier ces spoliations et de dédouaner l’attitude de la population en véhiculant le discours antisémite du juif accapareur sans scrupules et dangereux, cherchant à dominer le monde.
L'affiche ci-contre annonce : Oeffentliche Versammlung ueber das Thema : Weltkampf gegen die Judenherrschaft (Réunion publique sur le thème : lutte mondiale contre la domination des juifs). .
Le 3 septembre 1940 le général Huntziger remettait à la commission d’armistice à Wiesbaden une protestation du Gouvernement français qui portait sur douze points différents. L’un d’eux concernait l’introduction en Alsace Lorraine de la législation raciale allemande, l’expulsion des Juifs de ces deux provinces ainsi que celle de nationaux que l’autorité allemande tient pour des intrus, autrement dit de ceux qui s’y étaient installés depuis 1918. Le gouvernement français considérait qu’il y avait eu là une violation des conditions de l’armistice qui avait été signé entre l’Allemagne et la France dans ses frontières de 1939. Celle-ci restait en principe chargée de l’administration de ses territoires occupés ou non. Le gouvernement avait décidé de ne pas publier sa protestation. La radio et la presse n’en firent donc pas état.
Voir l'article dans son intégralité sur le site du judaïsme d'Alsace et de Lorraine.
Simon Schwarzfuchs, Le 15 juillet 1940 : la dernière expulsion des Juifs d’Alsace
Le 3 septembre 1940, le général Huntziger remet à la commission d’armistice de Wiesbaden, dirigée par le général Von Stülpnagel, une note du gouvernement français s’opposant à l’introduction de la législation raciale allemande, à l’expulsion des juifs et à la confiscation de leur patrimoine. Les Allemands n’ont pas répondu à ces protestations et Vichy ne les a pas portées sur la place publique.
La synagogue de Mulhouse dévastée
Photo Paul Lichtenstein, 1940
Coll. Site du judaïsme d'Alsace et de Lorraine
Les nazis ne se sont pas contentés d’expulser les juifs. Ils ont également voulu effacer toute trace de leur présence.
Le 12 septembre 1940, un commando de la Hitlerjugend, composé en partie d’Alsaciens, met le feu au grand temple consistorial du quai Kléber à Strasbourg. Les synagogues de Grussenheim, Hattstatt, Biesheim et Wissembourg sont complètement détruites et d’autres gravement endommagées.
La synagogue de Mulhouse est endommagée par les nazis, mais sauvée de la destruction par sa transformation en annexe du théâtre. Les cimetières, à l’image de celui de Colmar, sont saccagés. Les tombes arrachées servent au pavage des rues ou à la construction de barrages antichars.
Près de Guebwiller a été enlevé le monument du Juif David Bloch, qui a été fusillé pour espionnage au profit de la France. Les Juifs d’Alsace avaient fait ériger ce monument représentant D. Bloch attaché à un arbre dans une pose théâtrale, avec l’inscription : fusillé par les Allemands et qui était célébré comme un martyr. Depuis longtemps ce monument était considéré par les Allemands comme une marque d’infamie.
SNN, 20 octobre 1940
David Bloch est né à Guebwiller en 1895. En 1914, il veut se battre contre les Allemands, mais sa santé fragile ne lui permet pas d’être incorporé dans l’armée. Son travail dans une usine de guerre ne le satisfaisant pas et il propose alors à l’armée française de se rendre derrière les lignes allemandes pour recueillir des renseignements.
Il est arrêté par les Allemands et traduit devant le conseil de guerre de Mulhouse. Il semble qu'il aurait pu échapper à la peine de mort s’il avait consenti à divulguer des renseignements sur l’armée française. Le monument, inauguré à Guebwiller le 27 août 1922, à la gloire et à l’ héroïsme de ce jeune juif, est ressenti par les Allemands comme une marque d’infamie : il leur rappelle l’humiliation de l’armistice de 1918 et les conforte dans l’idée que les juifs sont les principaux responsables du coup de poignard dans le dos.
La France des camps durant la seconde guerre mondiale
Carte Jo Saville, 2004
Coll. Mémorial de la Shoah
Entre l’été 1940 et le printemps 1942, la politique anti-juive d’origine française prédomine et s’inscrit dans une guerre contre les étrangers de l’intérieur. L’administration génère une législation qui cerne peu à peu tous les aspects de la vie quotidienne. Vichy crée des Groupes de Travailleurs étrangers, des centres pour des assignations à résidence et décide en matière d’internement.
Celui-ci, administratif, vise des personnes non pour ce qu’elles ont fait, mais pour le danger potentiel qu’elles représentent aux yeux du pouvoir.
En 1940, 320 000 juifs se trouvent en France dont 150 000 étrangers et apatrides. En mai 1940, sur 40 000 civils internés dans le sud de la France, 70% sont juifs.
Au printemps 1942, les camps français d’internement, tous sous administration française à l’exception de Compiègne et, à partir de juillet 1943, Drancy, prennent leur place dans la mise en œuvre de la Solution finale en France décidée par les Allemands. Les camps français servent alors d’antichambre de la mort pour les juifs de France.
La carte ci-jointe de la France des camps, réalisée par le Mémorial de la Shoah, peut être téléchargée.
Recensement des juifs
Circulaire du préfet de la Dordogne, Maurice Labarthe, 25 juin 1941
Coll. Site du judaïsme d'Alsace et de Lorraine
Dès l’automne 1940, l’État français adopte une politique d’exclusion contre les juifs. Le 3 octobre, il promulgue la loi portant sur le Statut des Juifs. Le 4 octobre, est adoptée la loi sur les ressortissants étrangers de race juive. Ils sont 40 000 à être internés dans des camps spéciaux (Gurs, Rivesaltes, etc.). En mars 1941, à la demande des Allemands, est créé le Commissariat général aux questions juives (CGQJ).
Le 2 juin 1941, l’État français ordonne un recensement sur tout le territoire et promulgue un deuxième statut des Juifs. Les fichiers constitués serviront aux arrestations.
Le 25 juin 1941 Maurice Labarthe, préfet de la Dordogne, adresse une circulaire aux sous-préfets de Bergerac, Montron et Sarlat, aux maires du département de la Dordogne (zone libre) et aux maires des cantons de Pujols et Ste-Foy-la-Grande (Gironde non occupée). Le document porte la mention Secret et très confidentiel. On peut notamment y lire :
(...) [J'ai] l'honneur de vous prier de vouloir bien, en conformité des instructions ministérielles que je viens de recevoir, dresser la liste nominativ de tous les juifs connus ou réputés juifs de votre commune. Cette liste sera établie en double exemplaire par vos seuls soins et secrètement, avant déclaration des intéressés, à l'aide de tous moyens d'investigation en votre pouvoir. Ce document qui, je ne saurais trop insister sur ce point, ne doit sous aucun prétexte dépasser le cadre du Maire ou du Secrétaire de Mairie, vous permettra un premier contrôle des déclarations ultérieures. (...) La liste que je vous demande sera nominative et comportera les noms, prénoms, âge approximatif, profession du Chef de famille, et les mêmes renseignements en ce qui concerne le conjoint, chacun des enfants le cas échéant, ainsi que les autres membres de la famille (...).
Les juifs alsaciens de nationalité française sont soumis au statut des juifs du 3 octobre 1940.
Carte d'identité juive
Papiers Anny-Yolande Horowitz, 1940
Coll. Klarsfeld
Anny-Yolande Horowitz est née à Strasbourg le 2 juin 1933. Cette carte délivrée à Tours le 4 décembre 1940 porte le tampon juive et montre qu’elle est sous surveillance policière comme étrangère (Étranger surveillé) bien que Strasbourg, son lieu de naissance, fût en territoire français au moment de sa naissance.
Elle a été internée au camp de Lalande, puis transférée à Drancy, d’où elle est déportée, le 11 septembre 1942, à Auschwitz avec sa mère Frieda et sa petite sœur de sept ans Paulette, dans le convoi n°31. Aucune des 1000 personnes, dont 171 enfants, n’a survécu.
Avant d’avoir été le matricule 176397, et avant de devenir Pikolo, j’avais été Jean Samuel, étudiant en pharmacie à Toulouse.
Depuis l’été 1943, j’avais rejoint ma famille qui d’Alsace, s’était réfugiée à Dausse, un petit village du Sud-Ouest, près de Villeneuve-sur-Lot. Mes oncles y avaient acheté une propriété, la villa Marie, et s’étaient reconvertis dans l’agriculture, la plupart des métiers étant interdits aux Juifs par les lois de Vichy, et leurs entreprises confisquées.
Cet hiver 1944, la situation était devenue de plus en plus difficile, pour nous comme pour tous les Juifs. Nous savions les risques que nous courions même si ce n’était pas suffisant pour nous convaincre de nous disperser.[…]
Nous étions tous réunis, ce jeudi après-midi, le 2 mars 1944, lorsque la Gestapo est arrivée. […]
Les Allemands sont venus avec une ou deux voitures et un camion. La villa Marie a été encerclée comme pour une opération de commando. Le chef de la Gestapo d’Agen avait fait le déplacement en personne, accompagné de deux adjoints. Je ne sais pas encore aujourd’hui pourquoi nous avons été arrêtés, nous, particulièrement, et pourquoi les Allemands n’ont pas emmené tous les dix-huit Juifs qui étaient dans la maison. Une autre famille juive habitait en bas de la côte. Elle n’a pas été arrêtée. Peut-être avons-nous été dénoncés par quelqu’un du village ? Peut-être notre réussite agricole avait-elle fait des jaloux ? J’ai pensé un temps que l’un de mes oncles ou plusieurs, était entré dans la Résistance, ou avait des liens avec un réseau – les maquis commençaient à s’implanter sérieusement dans la région. Je n’ai jamais su. […]
Nous sommes restés quelques jours à Agen. Nous avons été interrogés plusieurs fois avant d’être emmenés à la prison militaire de Toulouse. […]
Après dix jours de ce régime, le 17 mars, nous avons été emmenés à la gare. […]
L’étape suivante était Drancy. […]
Nous sommes restés dix jours à Drancy. On nous douchait de paroles rassurantes, de promesses : nous allions être envoyés dans une colonie où les familles resteraient groupées, nous aurions un petit jardin dont les femmes s’occuperaient pendant que les hommes iraient travailler dans les usines. On tentait de nous endormir. […]
Ce convoi du 27 mars 1944 était le soixante-dixième à quitter Drancy. Il emportait 1 025 prisonniers – 609 hommes et 416 femmes dont 45 Juifs arrêtés dans la région de Toulouse (*). Un an plus tard, il y aurait 152 survivants, dont 73 femmes. Des hommes de ma famille, je serais le seul à revenir.
(*) KLARSFELD Serge, Le calendrier de la persécution des Juifs en France (1940-1944). Paris : FFDJF - Beate Klarsfeld Foundation, 1993, p. 977
DREYFUS Jean-Marc et SAMUEL Jean. Il m’appelait Pikolo, un compagnon de Primo Levi raconte. Paris : Robert Laffont, Paris, 2007. Avec l'aimable autorisation de M. Dreyfus et de Mme Claude Samuel, veuve de M. Jean Samuel.
Au printemps 1942, la politique d’exclusion et de persécution conduite par Vichy est relayée par la politique de déportation et d’extermination dans le cadre de la Solution finale. Avec l’occupation par les Allemands de la zone libre, le 11 novembre 1942, l’autorité du général Oberg (commandant supérieur des SS et de la police de France) s’étend dans toute la zone Sud, sauf la zone italienne jusqu’en septembre 1943. Le 10 décembre 1942, Hitler ordonne l’arrestation et la déportation de tous les juifs et autres ennemis du Reich en France. Depuis 1943, la police allemande installée en zone Sud procède à des arrestations et des rafles. En 1944, la Gestapo et la Milice accentuent la persécution des juifs.
Sur environ 320 000 juifs présents en France, 76 000 sont déportés. Ils sont environ 10 000 à avoir été livrés par les autorités de Vichy entre août et novembre 1942, soit avant l’occupation de la zone sud par les Allemands.
En complément, se reporter au site du Judaïsme d'Alsace et de Lorraine, qui donne accès à de nombreux témoignages et donne notamment la parole à Jean Samuel, déporté avec Primo Levi. Dans le documentaire intitulé Pikolo-Jean Samuel, témoin en mouvement produit par Boulevard des Productions - France 3 Alsace et diffusé en 2006 à la télévision, il explique les raisons de son mutisme et ce qui a motivé son retour à la parole. Voir également, sur le même site, le récit de sa déportation et son témoignage au Parlement européen de Strasbourg, le 27 janvier 2005.
Journaux résistants
Photo SHD, s.d.
Coll. Service historique de la Défense
Image interactive (voir aide)
Parmi les membres des premiers mouvements de résistance et souvent parmi les équipes dirigeantes de ces mouvements, la proportion des juifs est importante. L’un des exemples les plus marquants est celui de Jean-Pierre Lévy de Strasbourg.
Après l’armistice, il se fixe à Lyon où il rejoint en janvier 1941 le groupe France Liberté. À partir de décembre 1941, l’équipe qu’il anime publie un journal clandestin, Le Franc -Tireur. Le mouvement de résistance dont il devient le chef national prend aussi le nom de Franc-Tireur. Sous l’égide de Jean Moulin, le mouvement fusionne le 27 janvier 1943 avec Libération et Combat pour former les MUR (Mouvements Unis de la Résistance), suivi par la création du CNR (Conseil National de la Résistance), le 27 mai 1943.
Sur environ 320 000 juifs présents en France, 76 000 sont déportés. Ils sont environ 10 000 à avoir été livrés par les autorités de Vichy entre août et novembre 1942, soit avant l’occupation de la zone sud par les Allemands.
Le 6 juin 1944, une centaine d'E.I. vient rejoindre le groupe EIF, déjà existant depuis de longs mois dans la montagne au-dessus de Castres (Tarn). Castor vient lui-même prendre le commandement de cette compagnie qui va s'intégrer au secteur Vabre. Le mois de juin est consacré à la préparation militaire intensive, mais les armes sont peu nombreuses. Ce n'est qu'en juillet que la compagnie reçoit ses premiers parachutages, qui vont lui permettre de passer à l'action.
Le 8 août, les Allemands viennent en nombre attaquer le maquis EI, et brûlent et détruisent ses deux cantonnements. Sept hommes trouvent la mort, dont Gilbert Bloch et Roger Gotschaux.
Quinze jours à peine après l'attaque allemande, c'est le tour de la compagnie Marc-Haguenau - ainsi fut-elle baptisée en souvenir du secrétaire général des EI, assassiné à Grenoble en mars 44 - de prendre l'offensive. Un train ennemi est capturé, et le lendemain c'est la libération de Castres et du Tarn.
La plus grande partie de la Compagnie est partie pour le front des Vosges et elle a pris part à la libération de l'Alsace.
Temps Présent, hebdomadaire catholique de Paris, du 8 octobre 1944. Droits réservés.
Une résistance plus spécifiquement juive s’est constituée en parallèle à travers onze réseaux principaux composés de plus de 600 membres : l’Armée Juive (AJ), à laquelle adhéra Claude Vigée jusqu’à son départ pour les États-Unis en 1942 ; le Mouvement des Jeunesse Sioniste (MJS) ; l’Œuvre de Secours aux Enfants (OSE), qui compta parmi ses dirigeants deux Alsaciens, le Dr Joseph Weill et Andrée Salomon ; la sixième-Éclaireurs israélites de France ; le Comité Amelot…
En décembre 1942, la direction de l’OSE chargea Georges Garel de placer des enfants dans des institutions et des familles d’accueil. Le réseau Garel a agi sur trente départements, a pris contact pour cacher les enfants avec une douzaine d’organisations catholiques, protestantes ou laïques. À l’automne 1943, l’AJ et la sixième-EIF (la compagnie Marc Haguenau) ont constitué des maquis dans le Tarn.
Voici un itinéraire individuel qui offre des points de repère concrets aux élèves, car il restitue le cheminement d'un garçon juif alsacien d'Haguenau pendant la seconde guerre mondiale.
Fils de Szypa Israeliwicz et Mathilde Ptaschek, juifs de Haguenau fuyant la Débâcle et réfugiés à Mauriac (Cantal), il nous a conté ses souvenirs d'enfance : l'arrivée dans une ville inconnue, le quotidien d'une famille juive dans la zone libre puis occupée et, surtout, le soutien de la population locale. Un élu contribua à leur survie en leur fournissant de faux, mais authentiques, papiers d'identité.
Des noms nouveaux à consonnance polonaise, ce qui expliquait un léger accent étranger, la mention Fr[ançais] par nat[uralisation] sur la carte du père... ont permis à la famille de passer entre les mailles du filet nazi...
Cartes d'identité : à G. l'originale (1940), à D. la fausse mais officielle (1943)
Reproduction CRDP d'Alsace, s.d.
Nous nous sommes réfugiés en Auvergne, dans le Cantal, par hasard car nous n'avions plus d'essence pour continuer. Finalement nous y sommes restés toute la guerre. C'est le hasard.
Les fausses cartes d'identité ont été faites par le maire de Saint-Christophe[-les-Gorges], près de Mauriac. Il a dit à mes parents : [Avec vos papiers actuels], tamponés JUIFS, vous allez avoir des ennuis, on va vous faire d'autres papiers. Un autre exemple qui m'est resté : malade, mes parents, m'ont amené à un médecin ; au moment de vouloir payer, il a dit : tant que vous serez ici, vous ne payerez pas. Tous les gens savaient qui nous étions, personne ne nous a dénoncé.
Cartes d'identité : à G. l'originale (1940), à D. la fausse mais officielle (1943)
Reproduction CRDP d'Alsace, s.d.
Mon père a travaillé chez un paysan. Mes parents étaient des gens honnêtes et travailleurs, respectueux des lois, craintifs même.
Mon père, d'origine polonaise, a eu la chance d'être naturalisé en 1939, grâce au soutien du sous-préfet de Haguenau. C'était, je me souviens, un grand jour dans sa vie, et la première fois que je l'ai vu pleurer de joie !
Je ne me souviens pas d'avoir été sujet à des remarques, sauf une fois, mais c'était au sujet d'une compétition pour une jeune fille. On s'est bien conduit. Mon arrivée au collège de Mauriac a été étonnante. Ils n'avaient jamais vu un juif de leur vie, ils pensaient que j'avais peut-être des cornes ? Cela a duré une matinée et après nous furent les meilleurs copains du monde et, aujourd'hui encore, je garde un souvenir ému de cette époque. On n'a jamais été dénoncé. On a eu de la chance.
La situation s'est dégradée lors de l'occupation de la zone libre. L'association juive OSE qui s'occupait de sauver les enfants nous a pris en charge. Nous devions aller en Suisse. Nous étions une cinquantaine, j'avais à l'époque 16 ans. Cachés près d'Annemasse, les responsables nous avaient indiqué qu'il fallait courir dans la forêt et nous serions au-delà de la frontière suisse. Cela devait se faire le 5 juin 1944, hélas la veille du débarquement, et les Suisses ont fermé la frontière. Nous sommes retournés à Clermont-Ferrand, cachés dans un couvent, d'où je me suis sauvé avec mon cousin pour rejoindre nos parents.
La Libération a eu lieu peu de temps après grâce aux FTP. Ce n'est que bien plus tard que mes parents sont rentrés en Alsace.
Association intitulée Aide Sociale Israélite
Lettre d'Isaïe Schwartz, grand rabbin de France, 18 janvier 1940
Coll. Site du judaïsme d'Alsace et de Lorraine
Dans cette lettre datant du 18 janvier 1940, le grand rabbin de France Isaïe Schwartz annonce au secrétaire général de la préfecture de la Dordogne la création de l’association Aide sociale israélite. En relation avec l’OSE et des EIF, cette association a aidé, surtout à partir de 1942, au placement clandestin des enfants juifs.
Ces organisation existaient avant la guerre et venaient en aide aux juifs étrangers réfugiés en France.
Elles sont dissoutes par le gouvernement de Vichy et intégrée dans l’UGIF (Union Générale des Israélites de France) créée en novembre 1941 et contrôlée par le Commissariat général aux questions juives. L’UGIF a mis en place des cantines, des dispensaires, des maisons d’enfants qui sont devenus de véritables pièges au moment des arrestations massives de juifs.
Face à ce risque, des organisations juives, comme l’OSE et les EIF ont œuvré clandestinement pour disperser les enfants, les placer dans des institutions religieuses ou des familles d’accueil et ont mis sur pied des filières d’évasion vers la Suisse et l’Espagne. Georges Loinger, dans le cadre du réseau Garel, est chargé d'établir une filière de passages d'enfants en Suisse. Avec le soutien actif du maire d’Annemasse, Jean Deffaugt, de cheminots et du JOINT (organisation américaine juive de secours), il évacue plusieurs centaines d’enfants.
1945...
La guerre était terminée. Les juifs, comme la plupart des strasbourgeois qui avaient été obligés de quitter leur ville en 1939, pouvaient enfin y revenir. Pendant l'occupation ils s'étaient exilés ; certains d'entre eux s'étaient regroupés dans des villes d'accueil, Limoges, Périgueux, en Dordogne ou ailleurs et s'estimaient heureux d'avoir échappé à l'emprisonnement, aux tortures, à la déportation ou à la mort. Leur cœur était gros de chagrin, leur tête rempli de souvenir de ces longues années d'exode, d'errance et de souffrances.
Mais voilà, bénissant D. ils étaient vivants et à Strasbourg, leur ville, avec leur famille ou ce qui en restait, leur communauté à rassembler et à reconstruire.
Leur belle et fière synagogue construite sur les rives de l'Ill, au quai Kléber n'était plus. Les nazis l'avaient profanée, démolie, incendiée, réduite en cendres, ses biens pillés, éparpillés, à jamais perdus.
Beaucoup d'entre eux s'étaient retrouvés sans logement, dépossédés de tous leurs biens. Il leur fallait reconstruire leur foyer, rassembler autant qu'ils le pouvaient ce qu'ils pouvaient glaner de ci de là pour se refaire un foyer. A la recherche de leurs biens perdus, ils avaient recours, quand ils le pouvaient aux listes que les occupants avaient scrupuleusement dressé.
Voir l'article dans son intégralité sur le site du judaïsme d'Alsace et de Lorraine.
Jean Kahn
Les juifs d’Alsace ont payé un lourd tribut. La guerre a fait disparaître plus du quart d’entre eux.
Tous ne retournent pas en Alsace. Certains restent dans leur lieu de refuge, d’autres font le choix de s’installer à Israël. Environ 10 000 juifs vivaient à Strasbourg avant la guerre, et 8 000 y reviendront (1 000 ont péri en déportation et 1 000 se sont installés ailleurs).
Le retour en Alsace est souvent difficile et les juifs doutent de leur avenir dans cette région. Le judaïsme rural, déjà en perte de vitesse, poursuit son déclin au profit des grandes villes, notamment Strasbourg.
Guy L., lui non plus ne veut pas faire d’histoires, parce qu’il ne veut plus raviver les haines du passé. Il est juif et avait un an quand, en 1940, il quitte l’Alsace avec ses parents pour rejoindre la région de Toulouse. Lorsque nous sommes revenus, notre maison, qui avait été occupée par des officiers allemands, était dans un état pitoyable et notre boucherie était occupée par un de nos employés. Il a fallu un procès pour la récupérer. Guy L. se souvient de ce retour. Dans la cour de l’école, certains enfants me traitaient ouvertement de sale juif. L’instituteur me tirait les cheveux et les oreilles dès qu’il en avait l’occasion. Personne de pensait que nous reviendrions. De nombreuses familles juives alsaciennes racontent des histoires similaires.[…]
[…] Peur d’ennuyer ou de dire ce que les Alsaciens n’aiment pas entendre de leur passé ?
Anne Herriot, « Les blessures de la mémoire ne cicatrisent pas », Les Saisons d’Alsace, n° 27, juin 2005
Ce retour est par ailleurs recouvert d’une chape de silence. La population ne les attendait pas. Au lendemain de la guerre, la priorité est de retrouver les enfants cachés, de réunir les familles, de reconstruire un foyer, de retrouver une vie. Même si des témoignages sont publiés, la transmission demeure souvent cantonnée à l’intérieur des organisations juives ou des familles. Certains cherchent à se réintégrer en essayant d’occulter leur passé juif.
Malgré ces soucis domestiques, il fallait reconstruire la Communauté et la synagogue, lieu de prière et surtout, en ces temps d'épreuves, lieu de rencontre, de retrouvailles. Des personnes s'y sont attelées et on n'aura jamais assez rendu hommage à cette équipe d'hommes et de femmes qui, dépassant leurs soucis, se mirent au service de la collectivité juive pour lui redonner espoir et vie.[…]
La construction de la Synagogue de la Paix s'est achevée en 1958. Le 5 juillet 1957 du Président de la République d'alors, Monsieur René COTY était venu visiter la synagogue encore en construction. L'inauguration de la nouvelle synagogue et du Centre Communautaire fut célébrée solennellement le 23 mars 1958 en présence d'une foule immense, et des dignitaires de la communauté, de la ville et de la région. Un peu plus tard, la Synagogue reconstruite eut l'honneur de recevoir la visite du Général de Gaulle.
Voir l'article dans son intégralité sur le site du judaïsme d'Alsace et de Lorraine.
Jean Kahn
Visite du général de Gaulle à la synagogue de Strasbourg
Revue alsacienne illustrée, 1964
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 688765)
La pose de la première pierre de la grande synagogue de Strasbourg le 3 septembre 1954 témoigne du désir de la communauté juive de montrer sa présence, de sa volonté de redonner le sens de l’identité à la communauté. La synagogue, centre communautaire de la paix, construite au parc des Contades sur les plans de l’architecte Claude Meyer-Lévy, est inaugurée le 23 mars 1958.
Deuxième plus grande synagogue d’Europe après celle de Budapest, cette construction traduit aussi le renouveau du judaïsme en Alsace.
Le changement intervenu dans la communauté, et de manière plus générale dans la vie juive à Strasbourg est, à mon avis, le développement des études juives, tout particulièrement des sources de la tradition juive. Ce développement s'inscrit dans l'épanouissement d'une tendance qui avait surgi dans les mouvements de jeunesse juifs et leurs structures clandestines sous l'Occupation. Le fait que les principaux dirigeants de la Communauté, grand rabbin en tête , étaient alors d'anciens résistants a évidemment favorisé ce changement. Celui-ci s'est manifesté dans la création et le développement d'institutions à vocation permanente et d'initiatives diverses, parfois inédites et restées spécifiquement strasbourgeoises.
Voir l'article dans son intégralité sur le site du judaïsme d'Alsace et de Lorraine.
Lucien Lazare
Par la valorisation des études religieuses et la pratique des rites, le judaïsme en Alsace évolue d’un judaïsme de condition, subi, à un judaïsme de conviction. Parmi la jeunesse juive, le judaïsme traditionnel connaît un regain d’intérêt.
L’arrivée de nombreux juifs d’Afrique du nord dans les années 1960 favorise ce renouveau et renforce le judaïsme en Alsace, l’imprégnant de nouvelles valeurs se traduisant par une plus grande religiosité et une conception du judaïsme englobant toutes les instances de la vie sociale.