Par Mireille Biret
Publié le 1er octobre 2010
Les Malgré-Nous ont encombré une mémoire nationale qui éprouvait des difficultés à cerner sa réalité tant le passé alsacien paraissait ambigu. Longtemps, la réalité de leur sort est restée -et reste encore aujourd'hui, outre Vosges, ignorée ou réduite à la figure des treize Malgré-Nous jugés à Bordeaux en 1953.
Le présent du passé c'est la mémoire, Saint-Augustin.
La mémoire de la deuxième guerre mondiale est un enjeu dans la vie politique française depuis 1945. Les victimes de la guerre se battent pour obtenir réparation et faire connaître leurs souffrances, tandis que les partis et acteurs politiques se divisent sur l'interprétation du conflit, cherchant souvent à utiliser le passé à leur profit. À leur retour, déportés, prisonniers et requis du travail obligatoire éprouvent des difficultés à se réintégrer dans la société française. Leurs différentes associations construisent des mémoires différentes…
En Alsace-Moselle, terres annexées de fait, les problèmes de mémoire se posent avec encore plus d'acuité vu l'inextricable complexité d'une histoire souvent méconnue. Aujourd'hui tout un chacun commence – en partie grâce au Mémorial – à connaître la différence de situation qu'il y avait entre les régions annexées de fait et le reste de l'hexagone occupé par les Allemands. L'oppression y était infiniment plus forte se traduisant en particulier par l'incorporation de force. Mais, à travers le dédale de la concurrence des victimes (J.M Chaumont, La Découverte, 2002), comment accéder à cette mémoire équitable dont Paul Ricoeur souhaite l'avènement ?
Le premier devoir de mémoire n'est-il pas de reconnaître avec objectivité les faits qui se sont déroulés dans notre région ? Donc enregistrer toutes les souffrances, celles du déporté et celles des Malgré-nous, celles de l'expatrié et celles du résistant, celles de tous ces déshumanisés placés sous le joug de la guerre ; tous ne sont-ils pas victimes d'une même barbarie ? Ces considérations nous permettent d'aller au-delà de l'éternelle confrontation entre mémoire et histoire, au-delà de la confusion récurrente des incriminations, pour faire notre double devoir d'intelligence critique et de vigilance civique. Telles furent les conclusions de notre colloque Les embarras de la mémoire que Jean-Pierre Rioux a conclu en ces termes : il faut apprendre à assumer le passé pour le réparer peut-être, mais l'expier certainement pas.
Marcel Spisser, 19 septembre 2008. Bulletin de Liaison des Amis du Mémorial de l’Alsace-Moselle, n° 12, octobre 2008
Le 10 juin 1944, le village d’Oradour-sur-Glane est pillé et incendié et ses habitants sont massacrés (642 victimes dont 245 femmes et 207 enfants) par la 2e division blindée Waffen-SS Das Reich, sous le commandement du Gruppenführer Heinz Lammerding.
Le 10 juin 1944, le village d’Oradour-sur-Glane est investi par la 3e compagnie du 1er bataillon du 4e régiment Der Führer de la division Waffen SS Das Reich. À la fin de la journée, le bourg était entièrement détruit et ses habitants (hommes, femmes, enfants), dont 60 réfugiés Alsaciens-Lorrains, avaient péri dans d’atroces conditions. […]
[…] il y avait dans cette compagnie 28 Alsaciens dont 15 étaient déjà morts avant le drame. Elle comptait 120 hommes dont 65 survivants purent être identifiés, mais 44 d’entre eux restèrent introuvables, les 21 autres seront traduits en justice à savoir 7 Allemands – dont un adjudant – et 14 Alsaciens dont 13 incorporés de force et un volontaire, sergent. Les officiers supérieurs ne figureront pas parmi les accusés. […]
Au moment des faits, 9 Alsaciens avaient 18 ans, les 4 plus âgés en avaient 31 et 32 et avaient déjà été incorporés dans l’Armée française dans les années trente et mobilisés en 1938 et 1939/40. […] Le volontaire avait 23 ans. Sur les 13 incorporés de force, 8 purent déserter après le drame […]. Deux se rallièrent aux FFI. L’un d’eux put rejoindre Londres où il mit les autorités au courant du drame d’Oradour, rejoignit la Brigade Alsace-Lorraine, participa à la libération de l’Alsace, à la campagne d’Allemagne et à la guerre d’Indochine.
André Kieffer, L’ami hebdo, Hiver 2005, p. 48-49
Le 4 mars 1945, Charles De Gaulle, alors chef du Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF), fait une visite solennelle à Oradour-sur-Glane qui consacre les efforts locaux afin de maintenir le bourg dans son état de ruines. Au cours de cette visite, il proclame :
Oradour-sur-Glane est le symbole des malheurs de la patrie. Il convient d’en conserver le souvenir, car il ne faut plus jamais qu’un pareil malheur se reproduise.
Le site du village martyr devient la propriété de l’État en avril 1945.
Date de diffusion : 09/03/1945 - Durée : 01min13s - Voir page correspondante sur le site INA
Reportage sur le voyage du général De Gaulle en Limousin au cours du mois de mai 1945.
Il est nécessaire de laisser aux générations futures le témoignage de la barbarie allemande et des souffrances du peuple français au cours des quatre années d’Occupation.
Les ruines d’Oradour-sur-Glane sont un de ces témoignages. Ainsi les pèlerins français et étrangers auront, à côté de l’image de la France meurtrie, celle de la France renaissante.
Journal officiel de la République française, Documents de l’assemblée nationale constituante, annexe n°855
Le 10 mai 1946, une loi classe le site comme monument historique et autorise la construction d’un nouveau bourg. Les associations locales, comme l’ANFM (Association Nationale des Familles des Martyrs), et les hommes politiques se rejoignent : la souffrance d’Oradour est devenue le symbole de l’expérience nationale -du moins jusqu’en 1953 et le procès de Bordeaux.