Par Mireille Biret et Monique Klipfel
Publié le 13 juillet 2011
Le 18 janvier 1871, Bismarck proclame dans la Galerie des glaces de Versailles l’unité allemande dans le cadre du IIe Reich, dont Guillaume Ier, roi de Prusse, devient empereur allemand. Ce titre a été méticuleusement choisi par Bismarck pour surmonter les réticences de Guillaume Ier qui voulait devenir empereur d’Allemagne et rassurer les représentants des États sur la nature fédérale de l’empire.
Proclamation de l'empire allemand
Peint. Anton von Werner, 1885
Coll. Bismarck-Museum, Friedrichsruh
Le peintre Anton von Werner a participé à la guerre de 1870. En janvier 1871, il est déjà retourné à Karlsruhe quand le prince héritier de Prusse l’invite à assister au sacre du Kaiser et à immortaliser la scène. Sa composition est remise en mars 1877 par les princes allemands à l’empereur Guillaume Ier pour son quatre-vingtième anniversaire. Cette version a été détruite pendant la seconde guerre mondiale. Il ne reste que celle que Guillaume Ier avait offerte en 1885 à Bismarck, à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire.
Le tableau met en scène l’instant où le grand duc Frédéric Ier de Bade lève le bras pour saluer l’avènement du nouvel empereur Guillaume Ier. À la droite de l’empereur se tient son fils, le prince héritier Frédéric, qui montera sur le trône en 1888 mais qui meurt 99 jours plus tard d’un cancer de la gorge. Derrière Frédéric, l’empereur et le grand duc, se tiennent les princes allemands. Otto von Bismarck est représenté en uniforme blanc alors qu’en réalité, il portait un uniforme bleu. La blancheur de son uniforme est destinée à attirer les regards sur le véritable artisan de l’empire.
Bien qu’absent le jour du sacre, Werner a également représenté le ministre de la Guerre, Albrecht von Roon. Il porte l’écharpe orange de l’ordre de l’Aigle noir, qui est la plus haute distinction prussienne. En représentant en arrière plan les grandes glaces de la galerie de Versailles, la toile devient aussi l’expression de la victoire sur la France.
Le 28 janvier 1871, Paris capitule et signe l’armistice. Bien qu’occupée par les Allemands, l’Alsace est encore juridiquement française. Aussi les Alsaciens sont-ils amenés à voter aux élections législatives du 8 février 1871 pour désigner les députés qui siègeront à l’Assemblée nationale de Bordeaux. Les Alsaciens votent majoritairement pour les listes qui refusent l’annexion. Cependant, Adolphe Thiers, désigné chef du gouvernement exécutif de la République française, est déterminé à signer la paix. En pleine négociation de paix, le 17 février, les députés alsaciens et lorrains par la voix de Keller protestent contre la volonté du gouvernement de sacrifier l’Alsace-Lorraine.
Le 26 février 1871, à Versailles, Adolphe Thiers et Jules Favre signent les préliminaires de paix. Le 1er mars, Thiers monte à la tribune, demandant à l’Assemblée de ratifier cette décision. Le président de l’Assemblée nationale, Jules Grévy, proclame les résultats (546 en faveur du traité, contre 107 et 23 abstentions). L’acceptation par l’Assemblée de la ratification du traité fait de l’annexion de l’Alsace-Lorraine une annexion de droit. Jules Grosjean donne alors lecture de la démission collective des députés des départements alsaciens et lorrains. La place forte de Belfort étant conservée à la France, le député Keller restera la seule voix des provinces perdues au Parlement français.
L'Alsace et la Lorraine perdues
Déclaration des députés d'Alsace Lorraine, 1er mars 1871
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 701186)
Image interactive (voir aide)
La déclaration des députés d'Alsace-Lorraine lue à l'Assemblée Nationale de Bordeaux le 1er mars 1871, par M. Jules Grosjean, député et maire de Belfort, est formulée en ces termes :
Livrés, au mépris de toute justice et par un abus de la force, à la domination de l'étranger, nous avons un dernier devoir à remplir. Nous déclarons encore une fois nul et non avenu un pacte qui dispose de nous sans notre consentement.
La revendication de nos droits reste à jamais ouverte à tous et à chacun dans la forme et dans la mesure que notre conscience nous dictera.
Au moment de quitter cette enceinte où notre dignité ne nous permet plus de siéger, et malgré l'amertume de notre douleur, la pensée suprême que nous trouvons au fond de nos cœurs est une pensée de reconnaissance pour ceux qui, pendant six mois, n'ont pas cessé de nous défendre, et l'inaltérable attachement à la Patrie dont nous sommes violemment arrachés.
Nous vous suivrons de nos vœux et nous attendrons, avec une confiance entière dans l'avenir, que la France régénérée reprenne le cours de sa grande destinée.
Vos frères d'Alsace et de Lorraine, séparés en ce moment de la famille commune, conserveront à la France, absente de leur foyer, une affection filiale jusqu'au jour où elle viendra y reprendre sa place.
Ont signé :
Albrecht, Ed Bamberger, Bardon, Bœll, Bœrsch, L. Chauffour, Deschange, Dornès, Léon Gambetta, Jules Grosjean, Frédéric Hartmann, Humbert, Kablé, E. Keller, Alfred Koechlin, Kuss, Melsheim, Th. Noblot, Docteur André Ostermann, V. Rehm, Rencker, Alph. Saglio, Scheureur-Kestner, Schneegans, A. Tachard, E. Teutsch, Titot.
Sur cette image, l’empereur Guillaume Ier, Bismarck et un état-major menaçant font face à une femme représentant la République. Cette dernière est abattue et signe, contrainte et forcée, le document soumis par les Allemands. Sur la droite de l’image, des soldats enlèvent avec brutalité deux de ses enfants, effrayés et en pleurs. Les deux autres enfants morts à ses pieds personnifient les provinces perdues. Au premier plan, à gauche de l’image, se trouvent des soldats qui remplissent des caisses d’objets précieux volés, illustrant les saccages et les pillages commis par les Prussiens.
Cette image montre combien la défaite française et ses conséquences constituent un choc, un traumatisme, vécus par la nation comme une humiliation et entretenant un esprit de revanche.
Le nouvel empire allemand annexe les quatre départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin (moins Belfort et son Territoire), de la Moselle, du tiers de la Meurthe (Château-Salins et Sarrebourg) et de deux cantons des Vosges (Saales et Schirmeck), soit un total de 1694 communes.
Le 10 mai 1871, Jules Favre et Adolphe Thiers concluent au nom de la France un traité de paix avec l'Allemagne à l'hôtel du Cygne, à Francfort-sur-le-Main. Ce traité met fin à la guerre franco-prussienne.
Définie comme un but de guerre et devant parachever l’unité allemande au nom du pangermanisme, la cession des deux départements alsaciens est incontournable.
La revendication territoriale de Metz et de la Lorraine du Nord a été voulue par Guillaume Ier et son état-major comme compensation pour les sacrifices de guerre. La place forte de Belfort, qui a résisté au-delà de l’armistice, est conservée à la France en échange du droit pour les Allemands de défiler à Paris à partir du 1er mars 1871 et jusqu’à la ratification du traité par les élus français, qui intervient dès le 2 mars.
La France perd 1 694 communes et 20% de son potentiel minier et sidérurgique. Elle est tenue par ailleurs de verser une indemnité de guerre de 5 milliards de francs-or. En gage de ce paiement, les Allemands occupent six départements du nord et Belfort jusqu’au paiement complet. Les 5 milliards sont rapidement réunis et le dernier soldat allemand quitte Verdun le 16 septembre 1873.