Par Mireille Biret et Monique Klipfel
Publié le 26 mars 2012
La perte de l’Alsace-Lorraine est présentée comme une amputation de la France.
Retour à Alsace 1870-1914
Cette caricature est parue dans l’hebdomadaire La caricature politique après l’acceptation par les députés de l’annexion des deux provinces par l’Allemagne. Adolphe Thiers, le chef du pouvoir exécutif de la République française, apparaît comme un boucher mutilant l’allégorie de la France, étendue et cachant de son bras gauche son visage et son désespoir. Avec l’aide de Jules Favre, ministre des affaires étrangères, il scie le bras droit de la France. Sur ce bras sont tatoués les noms des provinces perdues, entourés d’un cœur. Le sang coule dans un casque prussien planté dans le sol. Au premier plan, à gauche, se trouvent des sacs d’or qui représentent la dette de guerre de cinq milliards de francs-or réclamée par les Allemands. À l’arrière plan, le soleil de la République sociale se lève néanmoins et, avec lui, l’espoir de sauver la France de ce massacre. Sept jours plus tard, en effet, s’ouvre la période insurrectionnelle de la Commune.
Les républicains, qui cherchent à s’imposer et à pérenniser leur régime, transformeront les provinces perdues en mythe.
Comme la famille de Louise Weiss, Jean Schlumberger, l'un des fondateurs, en 1908, de la Nouvelle Revue Française, ou Rodolphe Reuss, les Alsaciens-Lorrains sont nombreux à Paris et reconstituent une communauté.
[…] L’école alsacienne, je tiens à le proclamer bien haut dans cette circonstance solennelle, est une entreprise essentiellement désintéressée. Les savants éminents, les grands industriels, tous les hommes de progrès qui l’ont créée n’ont jamais songé qu’au bien public. Les Alsaciens et les Lorrains en particulier, qui comptent en grand nombre parmi nos fondateurs, avaient trop souffert de nos désastres, résultat de l’abaissement des caractères et des intelligences, pour ne pas être prêts à tous les sacrifices que pouvait exiger le relèvement de la patrie par l’instruction et l’éducation. […]
Les leçons de choses, l’enseignement élémentaire des sciences, l’usage familier du calcul, la pratique de l’allemand, la connaissance de l’histoire nationale jusqu’à l’époque contemporaine, la géographie apprise par la vue et la reproduction de cartes, l’étude approfondie de la langue maternelle, telles sont les matières qui se sont imposées comme d’elles-mêmes dans les petites classes. […]
Nous espérons ainsi donner à la société de jeunes hommes chez lesquels l’esprit d’observation et de science aura été éveillé de bonne heure, qui auront appris à diriger par eux-mêmes leur travail et leur conduite, qui seront prêts, par conséquent, pour toutes les carrières, pour toutes les luttes de la vie.
Georges Hacquard, directeur honoraire de l’École alsacienne
Avec l'aimable autorisation de l'Association des Anciens Élèves de l'École alsacienne (AAEEA)
L’institution alsacienne est fondée dès 1871 et effectue sa première rentrée en 1873, avec Frédéric Braeunig comme directeur. En 1874, l’institution prend le nom d’École Alsacienne et est dirigée, pendant dix-sept ans, par Frédéric Rieder.
Lors de l’inauguration des nouveaux locaux, rue d’Assas, celui-ci précise les objectifs de l’établissement. L’école privée et laïque met au cœur du système éducatif l’épanouissement de l’enfant. Le sport, les arts plastiques, la musique, les lettres modernes, l’enseignement des langues… font de cette école un établissement d’avant-garde qui adoptera, dès 1908, la mixité garçons-filles.
Au lendemain de nos désastres, vous avez voulu rejoindre les deux parties de cette France séparées par une opération sanglante. Vous avez voulu recueillir les enfants qu’avait chassés l’orage, offrir un nid à ceux qui chantaient jadis sur le rameau brisé. Aux triomphateurs, qui croient qu’il suffit de tracer sur la carte, d’une main victorieuse, une ligne jalonnée de sentinelles et de forteresses pour changer les cœurs et faire oublier la patrie, vous avez répondu en créant cet asile où des exilés volontaires entretiennent et attisent un feu sacré, et d’où vos regards, lorsqu’ils quittent le livre, se tournent tout d’abord du côté de l’Orient. Et il est arrivé, chose merveilleuse ! qu’en faisant oeuvre de patriotes, vous avez fait oeuvre de pédagogues. Car cette École alsacienne, dont l’exemple a été de tant de poids pour déterminer la réforme de notre enseignement, elle a pris précisément pour modèle votre vieux Gymnase libre de Strasbourg. Si bien que notre chère Alsace, ne pouvant plus nous donner son sang ni sa richesse, nous donne encore sa pensée et son exemple.
Georges Hacquard, directeur honoraire de l’École alsacienne
Avec l'aimable autorisation de l'Association des Anciens Élèves de l'École alsacienne (AAEEA)
Monument du Geisberg
Photo A. Wioland, 1909
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 658659)
Député radical de l’Yonne en 1881, Paul Bert est aussi un collaborateur de Jules Ferry. Il est d’ailleurs en charge du portefeuille de l’Instruction Publique dans le ministère Gambetta. Les méthodes pédagogiques de l’école alsacienne ont, par ailleurs, suscité leur intérêt et influencé les réformes scolaires de 1881-1882.
Les Alsaciens-Lorrains sont également très présents et très actifs dans la vie associative. En 1901, la Fédération des Sociétés Alsaciennes et Lorraines de France et des Colonies (FSALFC) regroupe 31 sociétés.
En 1887, Xavier Niessen, un professeur alsacien, crée Le Souvenir Français, une association dont le but est d’entretenir les tombes et d’élever des monuments à la mémoire des soldats morts. En 1906, l’association est présente dans 81 départements. En 1907, Jean-Pierre Jean crée le premier comité du Souvenir Français en Moselle. En Alsace, Auguste Spinner lance une souscription pour ériger un monument à la mémoire des soldats morts en 1705, 1793 et 1870. Il est inauguré le 17 octobre 1909, à Wissembourg, sur le Geisberg.
…Et si l’on me demandait en somme ce qui adoucit en lui cette ténacité qui finirait par devenir grincheuse et fatigante, je répondrais qu’il est, malgré tout, avant tout , un homme, un homme de cœur, et j’ajouterais même, avec complaisance, qu’il est sentimental : il l’est comme il se peut autoriser à l’être. Il est sentimental dans ses lectures, dans sa vie familiale, dans son indulgence pour les péchés des enfants, le Roman d’un jeune homme pauvre a pour lui des délicatesses et des charmes très significatifs. Il a horreur de la brutalité et de la laideur morale, il pleure comme un amoureux aux infortunes d’un héros malheureux. Amoureux, il l’est de la vie, de cette vie qu’il s’est créée, un peu à la manière d’un orfèvre qui cisèle un bijou très fragile, que le temps ne doit pas abîmer. Et sa devise est dans sa simplicité l’épigraphie de son existence : tout au sérieux, rien au tragique.
Charles Oulmont, Journal d’Alsace-Lorraine, 4 avril 1907
Page du Journal d'Alsace-Lorraine
Ill. H. Zislin, 1906
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 700990)
Cette communauté a également ses journaux comme Le Messager d’Alsace-Lorraine, fondé en 1903 par Henri Albert, ou encore L’Alsacien-Lorrain, de Paris, datant de 1911. Cette presse parisienne entretient des relations étroites avec la presse locale alsacienne et véhicule, à l’exemple du portrait de cet Alsacien de 83 ans, une image de l’ Alsace et des Alsaciens idyllique.
Le journal d’Alsace-Lorraine (anciennement Courrier du Bas-Rhin, mais intégralement en français) adopte dans ses articles un ton très nationaliste. L’anniversaire de la bataille d’Eylau, la revue du 14 juillet à Paris, les promotions des officiers alsaciens dans l’armée française y sont relatés avec orgueil et fierté.
… [Entre Schlestadt et Strasbourg : ] Depuis quelques minutes nous croisions sur la route nombre de charrettes où s’entassaient des groupes de paysans et de paysannes endimanchés.
La salle spacieuse de l’auberge en était bondée. Altérés comme nous, ils laissaient leurs voitures à la porte et entraient boire un coup.
J’avais demandé en français, deux verres de bière faute de pouvoir le faire en allemand. Cela me valut le plaisir d’une conversation avec l’aubergiste, mère déjà âgée des jeunes filles empressées au service. C’était une femme mi-bourgeoise, mi-commerçante d’abord simple et aimable. Les occasions lui manquent de parler la langue nationale de son ancien pays, car il n’y a plus, j’en suis sûr, 2 % d’Alsaciens qui en usent. Elle y mit donc une certaine coquetterie…
Journal d’Alsace-Lorraine, 1er septembre 1907
L’Alsace suscite la curiosité. Les récits de voyage sont abondants dans la presse et la littérature. Entre 1871 et 1914, le voyage en Alsace est une pratique fréquente dans la bourgeoisie surtout parisienne. Mais ces voyageurs français tendent toutefois à limiter leurs enquêtes aux milieux francophones généralement bourgeois et citadins.
Avant que Maurice Barrès n’écrive Colette Baudoche en 1909, un auteur anonyme raconte une histoire similaire dès les années 1870.
Claire Ollmann aime avec passion son fiancé et elle ne s’en cache pas. Sa prochaine union avec lui réalise tous ses rêves de bonheur. Quand la guerre éclate, c’est un vrai coup de foudre pour ce cœur tendre et aimant. Toutefois, elle partage ses illusions, et elle les nourrit longtemps avec tout l’emportement d’un amour intéressé à les prolonger. Elle défend l’Allemagne vis à vis de ceux qui la condamnent sans la connaître ; elle déteste la guerre, mais elle espère que du moins elle nous délivrera de l’empire et du joug honteux qu’il a fait peser sur la France. Pour le moment elle n’a pas d’autre appréhension ; si elle craint, c’est pour la personne d’Albert, exposée aux hasards meurtriers de la lutte. Elle ne redoute rien pour le bonheur futur. Nous assistons graduellement, par une suite de déceptions habilement racontées, à la ruine de toutes ses illusions, et c’est le cœur navré qu’on entrevoit l’issue probable de ce drame. Quel cri déchirant s’échappe de la poitrine de Claire après l’entrevue de Ferrières ! C’est à la France qu’on en veut, et c’est l’Alsace qui sera l’enjeu de la guerre cruellement prolongée. Pourtant jusqu’à la fin Claire conserve l’espoir que l’iniquité, trop prévue maintenant, ne s’accomplira pas. Quand tout est consommé, elle s’arrête accablée et comme prise de vertige devant son bonheur en ruines. Pourrait-elle songer encore, face au deuil de sa chère province et des devoirs nouveaux que lui crée l’annexion, pourrait-elle songer à aller s’asseoir au foyer du vainqueur, à donner l’exemple d’un rapprochement, d’une fusion qui est dans ses calculs, alors que la seule protestation qui reste aux Alsaciens, le seul moyen de conserver leur dignité, c’est la réserve froide vis à vis de l’étranger et l’inébranlable fidélité envers la vraie patrie ? Ah ! Ce n’est pas sans luttes que Claire se résout à embrasser cette douloureuse extrémité. La vue du désespoir de son fiancé est sur le point d’ébranler sa résolution. Mais ils restent dignes l’un et l’autre jusqu’au bout, ils se séparent sans amertume, décidés à se garder une fraternelle amitié…ad vitam aeternam, à moins que l’Alsace, redevenue française, n’écarte le seul obstacle qui s’oppose à leur union.
[Commentaire du journaliste : Que l’auteur anonyme dans lequel nous saluons l’esprit élevé et délicat et un talent plein de promesses, reçoive ici le tribut de notre sincère admiration et notre profonde reconnaissance comme Alsaciens, comme Français et comme chrétiens.]
Compte-rendu de F. Lichtenberger du livre intitulé Amour et Patrie, Souvenirs d’Alsace 1870-1871. Paris : Sandoz et Fischbacher éditeurs, 1872 (auteur anonyme). In Revue Chrétienne, Paris, 187...
Claire Ollmann préfère renoncer à son amour plutôt que de trahir sa vraie patrie, la France. L’Alsace devient l’élément central du nationalisme français, récupéré et exploité par tous les courants de la vie politique. En devenant un motif patriotique consensuel et fédérateur, la perte de l’Alsace-Lorraine a aidé à l’achèvement de l’État-nation en France.
Hugo, Renan, Barrès, Daudet (La dernière classe, 1872) et René Bazin prennent fait et cause pour une Alsace éternelle, tricolore et souriante. Mais, comme le précise Charles Spindler, les romans alsaciens de Bazin et de Barrès décrivent des milieux bourgeois, ignorant l’allemand, ces auteurs n’ont pas eu de rapports directs avec le peuple et ont dû, pour leur documentation, s’en rapporter à un tiers.
Le roman Les Oberlé de René Bazin relate de manière très manichéenne la vie d’une famille alsacienne déchirée par l’histoire de l’Alsace. Le père et la fille se sont rapprochés de l’Allemagne alors que la mère et le fils restent de farouches protestataires. Le ton particulièrement patriotique souligne le côté irréductible de certains Alsaciens.
Jean, le fils, déserte l’armée allemande pour rejoindre, blessé, la France qu’il veut servir. Après de brillantes études en Allemagne, il annonce à son oncle (un véritable Alsacien !) qu’il veut revenir dans son village de Alsheim.
Comment n'es-tu pas devenu allemand ?
Monsieur Ulrich ne pleurait pas, mais il était obligé de sécher, du bout du doigt, ses paupières mouillées…
- Ca sera de la joie, en tout cas mon petit ; oh ! de vraie et grande joie !… Te voir fidèle à ce que j’aimais le plus au monde… Te garder près de nous…te voir décidé à ne pas accepter de charges et d’honneurs de ceux qui ont violenté ta patrie… Oui, c’est le rêve que je n’osais plus faire… Seulement , bien franchement, je ne me l’explique pas…Je suis surpris… Pourquoi ne ressembles-tu pas à ton père, à Lucienne, qui sont si ouvertement…ralliés ? Tu as fait tes études de droit à Munich, à Bonn, à Heidelberg, à Berlin ; tu viens de séjourner quatre années en Allemagne, sans parler des années de collège. Comment n’es-tu pas devenu allemand ?
- Je le suis moins que vous.
- Ce n’est guère.
- Moins que vous, parce que je les connais mieux. Je les ai jugés par comparaison.
- Eh bien ?
- Ils nous sont inférieurs.
- Sapristi, tu me fais plaisir ! On n’entend jamais répéter que le contraire. En France surtout, ils ne tarissent pas d’éloges sur leurs vainqueurs de 1870 !
Le jeune homme, que l’émotion de monsieur Ulrich avait gagné, cesse de s’appuyer au dossier du canapé et penché en avant, le visage illuminé par la lampe qui rendait plus ardents ses yeux verts :
- Ne vous méprenez pas, oncle Ulrich : je ne déteste pas les Allemands, et en cela je diffère de vous. Je les admire même, car ils ont des côtés admirables. J’ai parmi eux des camarades pour lesquels j’ai beaucoup d’estime. J’en aurai d’autres. Je suis d’une génération qui n’a pas vu ce que vous avez vu et qui a vécu autrement. Je n’ai pas été vaincu, moi !…
- Heureux va !
- Seulement, plus je les ai connus, plus je me suis senti autre, d’une autre race, d’une catégorie d’idées où ils n’entraient pas, et que je trouve supérieure, et que, sans trop savoir pourquoi, j’appelle France.
À la suite d’une visite en forêt
Cependant, ceux-là même avaient tous de la France dans les veines. Ils ne s’entendaient pas avec l’Allemand. Un geste, une allusion, un regard montraient le dédain secret des paysans alsaciens pour son vainqueur. L’idée du joug était partout, et partout une antipathie contre le maître qui ne savait d’autre moyen de gouvernement que la crainte.
Jean à la frontière...
Patrie que je crois douce ! Patrie qui est la mienne ! Tous ceux qui parlent d’elle ont des mots de tendresse. Et moi même, pourquoi suis-je venu ? Pourquoi suis-je ému comme si elle était vivante devant moi.
BAZIN René. Les Oberlé. Paris : Calmann-Lévy, 1901, p. 17, 88 et 99.
L'œuvre de René Bazin (1853-1932) est aujourd'hui dans le domaine public (plus de 70 ans après la mort de l'auteur).
Entre octobre et novembre 1901, 18 000 exemplaires de la première édition ont été vendus. En 1905, le roman est porté au théâtre et il est encore réédité en 1947.
Se présentant comme les défenseurs de l’intégrité du territoire national, les républicains ont utilisé le thème des provinces perdues pour asseoir leur légitimité. Ils abandonnent cependant l’idée de revanche dès les années 1880, qui est alors récupérée par la droite nationaliste.
Je vis les yeux fixés sur la frontière
Et, front baissé, comme un bœuf au labour,
Je vais rêvant à notre France entière
Des murs de Metz au clocher de Strasbourg
Depuis dix ans, j’ai commencé ce rêve,
Tout le traverse et rien ne l’interrompt,
Dieu veuille un jour qu’un grand Français l’achève
Je ne suis, moi, qu’un sonneur de clairon.
ROTH François. Histoire d'un pays perdu, de 1870 à nos jours. Nancy : Éditions Place Stanislas, 2010.
En 1881, Paul Déroulède (1846–1914), homme politique et écrivain, rédige le poème intitulé Le clairon. Il a participé à la guerre de 1870 durant laquelle il a été fait prisonnier. Il fait partie de ceux qui regardent la ligne bleue de Vosges et vers les provinces perdues. C’est un nationaliste intransigeant qui a fondé la Ligue des patriotes en 1882 et qui anime avec passion toutes les cérémonies du souvenir à Paris devant les statues de Strasbourg et de Jeanne d’Arc.
J’en sais qui croient que la haine s’apaise ;
Mais non ! L’oubli n’entre pas dans nos cœurs !
Trop de sol manque à la terre française,
Les conquérants ont été trop vainqueurs !
L’honneur, le sang, on a tout à reprendre…
Par quels moyens ? D’autres vous le diront.
Moi, c’est l’ardeur que je voudrais vous rendre,
Je ne suis, moi, qu’un sonneur de clairon.
Je vis les yeux baissés comme un bœuf au labour,
Je vais rêvant à notre France entière,
Des murs de Metz au clocher de Strasbourg,
Depuis dix ans j’ai commencé ce rêve,
Tout le traverse et rien ne l’interrompt,
Dieu veuille un jour qu’un grand Français l’achève !
Je ne suis, moi, qu’un sonneur de clairon.
Paul Deroulède
L'attente...
Ill. Henri Royer, 1906
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 701176)
L'Alsace et la Lorraine attachée de force à l'Allemagne
Ill. A. Willette, 19--
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 670816)
Prisonnières de guerre, captive fascinante, l’Alsacienne et la Lorraine, seules ou en couple, ont fait l’objet de nombreuses représentations populaires. Figure allégorique de l’attente de la revanche, avec en arrière plan la cathédrale de Strasbourg, cette Alsacienne, sereine et nostalgique, une main délicatement posée sur les couleurs de la France, est le symbole par excellence du patriotisme et de la francophilie.
Bien que détachée du territoire, l’Alsace est ainsi maintenue dans l’imaginaire français. Elle a nourri toute une culture populaire et imprégné les esprits.
Filant toute songeuse, au bord de la fenêtre
Marguerite rêvait à son bel amoureux
Qui n’ayant pas voulu de l’Allemand pour maître
Etait allé servir le drapeau des aïeux
C’est, en vain, que cherchant à faire sa conquête
Un officier prussien, passait en soupirant ;
Elle l’apercevant et détournant la tête,
Répondait, dédaigneuse, à ce bel Allemand
Refrain :
Suis ton chemin, fils d’Allemagne,
Va-t-en chercher une compagne
Au pays où Bismarck est roi
Toujours fidèle à l’espérance
Je ne veux qu’un soldat de France
Prussien, Prussien, mon cœur n’est pas pour toi [...]
Paroles : J. Villemer - Musique : F. Vargues (1874).
Voir toutes les paroles de la chanson sur le site Wikisource
Le mythe des provinces perdues est partout présent, dans les manuels scolaires, les réclames, les chansons et les plaques des rues, inscrivant ainsi l’Alsace-Lorraine dans le paysage urbain.
En 1912, Hansi (Jean-Jacques Waltz, dit) (1873-1951) publie un livre pamphlétaire, Le professeur Knatschké, dans lequel il dresse un portrait caustique de ses professeurs allemands. Ce livre connaît un véritable succès de librairie en France. Plusieurs éditions seront nécessaires pour satisfaire la demande (de 1912 à 1931, cinquante sept mille).
Parmi tous les savants qui ont traité, ces temps derniers, la question de la lutte culturale Germano-Française, le professeur Knatschké-Koenisberg occupe une place prépondérante. Ses études sur Paris, sur la question de la culture intellectuelle en Alsace, etc., approfondies avec tant de science, une clairvoyance si avertie et le mâle courage Germanique ont fait, à juste titre, sensation en Alsace. Les Alsaciens sont fiers du grand intérêt que prend en eux le célèbre Savant Allemand qui, comme il le dit lui-même : « était, depuis son enfance, suspendu au rêve du retour de l’Alsace par toutes les fibres de son cœur […].
"Hansi". In Professeur Knatschke. Œuvres choisies du grand Savant allemand et de sa fille Elsa. Paris : H. Floury, 1916, p. 19-20.
Comme pour Le professeur Knatschké, ses livres L’histoire de l’Alsace racontée aux petits enfants en 1912 et Mon village en 1913 sont publiés par un éditeur parisien (H. Floury) et confirment le succès de Hansi en France. Il a contribué à diffuser une image pittoresque, stéréotypée et figée de l’Alsace avec ses cigognes, ses coiffes et ses maisons à colombage occultant les transformations économiques et politiques de l’Alsace
Écrivain, dessinateur, caricaturiste féroce du monde germanique, il est également l’auteur de tracts nationalistes distribués à la fin de la guerre. Pour Barrès ou Déroulède, il est le symbole de la résistance alsacienne.
L’agressivité nationale et l’esprit de revanche faisaient de tous les enfants des vengeurs. Je devins un vengeur comme tout le monde : séduit par la gouaille, par le panache, ces insupportables défauts des vaincus, je raillais les truands avant de leur casser les reins. […] […] dans mon cœur sans haine, les forces collectives se transformèrent […] N’importe ; je suis marqué ; si j’ai commis, dans un siècle de fer, la folle bévue de prendre la vie pour une épopée, c’est que je suis un petit-fils de la défaite. Matérialiste convaincu, mon idéalisme épique compensera jusqu’à ma mort un affront que je n’ai pas subi, une honte dont je n’ai pas souffert, la perte de deux provinces qui nous sont revenues depuis longtemps.
SARTRE Jean-Paul. Les mots. Paris : Éditions Gallimard, 1964, p. 101.
Élevé par un grand-père alsacien, Jean-Paul Sartre (1905-1980) montre dans cet extrait à quel point l’enfant qu’il était n’a pas pu échapper à ces forces collectives et combien toute une génération a été imprégnée par l’esprit de revanche.
La tâche noire (Der schwarze Fleck)
Ill. Albert Bettanier , 1887
Coll. Deutsches Historisches Museum
Les cartes et les manuels scolaires ont joué un rôle essentiel dans la formation de l’imaginaire national. Sur ce tableau, Albert Bettanier met en scène un instituteur montrant avec sa règle sur une carte à un élève en uniforme les provinces perdues. La présence au fond de la classe d’un râtelier à fusils, le tambour derrière le bureau et l’élève vêtu de blanc et portant la croix de la légion d’honneur indiquent que les élèves appartiennent à un bataillon scolaire les préparant à des exercices physiques et militaires. Ces bataillons scolaires ont été créés par Paul Bert, ministre de l’Instruction publique, et généralisés à toute la France par un décret du 6 juillet 1882.
L’école conserve et transmet la mémoire de l’Alsace. Les cartes, en rattachant, même d’une couleur différente, les provinces perdues à la France ont véhiculé l’idée de la permanence de la nation malgré la défaite tout en suggérant aussi la vulnérabilité d’un territoire qu’il faut protéger.
Je suis revenu découragé de mon voyage sur les bords du Rhône, on ne nous comprend pas plus ici que là-bas. Trente-neuf années ont passé sans rien modifier aux appréciations qu’on porte sur l’Alsace-Lorraine de l’autre côté des Vosges et de l’autre côté du Rhin… J’ai essayé de faire saisir où en était notre évolution vers l’autonomie. On a souligné que les passages de mon exposé où je parlais de la fidélité à des souvenirs qui appartiennent à notre patrimoine national. C’était la contrepartie si parfaite de ce que nous en entendons tous les jours chez nous, que j’en étais quelque peu humilié !
Publié dans Le Nouvelliste de Wetterlé le 25 mai 1909, repris par Jean Igersheim dans L’Alsace des notables 1870-1914 : la bourgeoisie et le peuple alsacien, Strasbourg, 1981, p. 119
Anselme Laugel est un optant rentré en Alsace qui fait une conférence à Lyon sur la situation politique en Alsace-Lorraine . Encombrés par les clichés et les idées reçues, les réalités locales alsaciennes ne seront pas comprises par les autorités françaises ce qui conduira à des malentendus et des désillusions.