Par Mireille Biret et Monique Klipfel
Publié le 13 juillet 2011
Le 19 juillet 1870, la France déclare la guerre à la Prusse. Dès le début des hostilités, les échecs sont retentissants : anéantissement de la division du général Douay à Wissembourg le 4 août, défaite de Mac Mahon à la bataille de Froeschwiller le 6. Strasbourg est assiégée et bombardée du 13 août au 28 septembre 1870. Le bilan humain et matériel est désastreux. Entre temps, le 2 septembre 1870, Napoléon III est défait à Sedan et fait prisonnier. Deux jours plus tard, le 4 septembre, est proclamée la IIIe République et mis en place un gouvernement provisoire de Défense nationale dirigé par Adolphe Thiers, qui veut arrêter la guerre.
Malgré l’opposition du courant gambettiste, la paix est signée à Francfort le 10 mai 1871, entérinant l’annexion de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine qui avaient été définies comme but de guerre par l’Allemagne, qui achève ainsi son unité. Dès lors, l’Alsace-Lorraine devient un Reichsland, une terre d’Empire.
Cette caricature, tirée du journal satirique français Le Charivari de juillet 1870, dénonce le rôle de Bismarck dans le conflit entre la Prusse et la France. Le chancelier allemand est représenté sous les traits d’un faiseur de passe-passe. Devant lui sont posés des gobelets sur lesquels sont inscrits, de gauche à droite, Allemagne, Italie, Suisse et Espagne. En soulevant le gobelet Espagne, Bismarck dévoile un casque à pointe prussien.
Cette caricature montre que Bismarck cherche à provoquer la France en mettant consciemment en jeu la Prusse dans le différend autour du trône d’Espagne.
En juin 1870, le prince allemand Léopold de Hohenzollern-Sigmaringen, lointain cousin du roi de Prusse Guillaume Ier, présente sa candidature au trône d’Espagne vacant. Napoléon III craint pour la sécurité de la France et considère l’accession au trône d’Espagne d’un prince allemand comme un encerclement diplomatique dangereux. Le 9 juillet, le comte Benedetti, ambassadeur de France auprès du roi de Prusse, rencontre Guillaume Ier à Bad-Ems. Il obtient le retrait de la candidature Hohenzollern au trône d’Espagne.
L’ambassadeur veut néanmoins un acte de renoncement officiel, qu’il obtient le 13 juillet. Le roi envoie à Bismarck une dépêche dans laquelle il relate son entrevue avec Benedetti. Bismarck condense la dépêche de manière à la rendre insultante pour les Français et la transmet à la presse. De plus, la traduction française par l’agence Havas aggrave le ton de cette dépêche d'Ems.
Le corps législatif français vote, le 15 juillet, les crédits de guerre et, le 19 juillet, comme l’espère Bismarck qui cherche un ennemi commun pour rallier les états du sud de l’Allemagne, la France déclare la guerre à la Prusse. Les états allemands du sud prennent parti pour la Prusse agressée, alors que la France se retrouve sans allié à ses côtés.
Les Français, peu préparés à la guerre et semblant montrer un relatif désintérêt pour la stratégie, vont devoir faire face à une armée allemande disciplinée et bien préparée. Dans la marche à la guerre, deux conceptions semblent s'opposer...
Du côté français
Combien d’officiers, et des plus haut placés, ne nourrissent-ils pas, ostensible ou non, le mépris, pour toutes les cartes, qu’affichera un certain général D… rencontré par Maxime Du Camp, dans la nuit du 29 au 30 juillet sur le quai de la gare de Dijon ? Il allait prendre le commandement d’une division de cavalerie déjà rendue par étapes aux environs de la frontière. La confiance du général était imperturbable ; une bataille, puis une promenade militaire jusqu’à Berlin ; en se hâtant un peu, on arriverait pour célébrer le 15 août, qui est la fête de l’empereur.
Tout en bavardant, je lui dis : le dépôt du ministère de la Guerre vous a-t-il expédié vos cartes ?… Il se mit à ricaner et, goguenardant, il me répondit : Ah ! vous voilà bien, messieurs les savantasses ! Les cartes, la géographie, la topographie, c’est un tas de f… qui ne servent qu’à embarbouiller la cervelle des honnêtes gens. La topographie en campagne, voulez-vous que je vous dise ce que c’est ? Eh bien, c’est un paysan que l’on place entre deux cavaliers ; on lui dit : Mon garçon tu vas nous conduire à tel endroit et l’on te donnera un petit verre de ratafia avec une belle pièce de cent sous ; si tu te trompes de route, voilà deux particuliers qui te casseront la tête à coups de pistolet…
Cité par A. Dupuy, dans La guerre, la Commune et la presse. Paris : Armand Colin, 1959 (Coll. Kiosque)
Du côté allemand
L’invasion allemande de 1870 était autrement réglée et mathématiquement exécutée que l’invasion européenne de 1814. Les uhlans connaissant un hameau à une grange près, une route en quelque sorte arbre après arbre, sont devenus légendaires (…). Ces soldats marchaient en quelque sorte une carte à la main, semi-espions et semi-géographes. C’est encore une science toute allemande, et qui fut jadis une science française, c’est la géographie qui nous a perdus.
J. Claretie, Histoire de la Révolution de 1870-1871. Paris : Bureau de L’Éclipse, 1872-1875
Les officiers supérieurs français ne possèdent pas de carte, alors que chaque officier subalterne allemand en détient une au 1/80 000e de la région d’intervention.
L’armée française entre de plus en campagne avec une infériorité numérique : 800 000 soldats allemands contre 265 000 du côté français. L’encadrement intermédiaire n’est pas préparé à un affrontement de front, en rase campagne. Par ailleurs, l’artillerie devient la première arme et les Allemands disposent des canons rayés Krupp, en acier, qui se chargent par la culasse et tirent deux à trois coups par minute. Leur réglage est rapide (une à deux minutes) et leur portée atteint 1 800 à 2 500 mètres. Ils tirent des obus explosifs percutants.
On sait quelles espérances [les mitrailleuses] avaient fait naître et quelles désillusions s’ensuivirent. La chimère de leur puissance s’évanouit dès les premiers engagements. Fabriquées à Meudon dans un impénétrable mystère révélé seulement à quelques initiés, elles devaient, au dire des gardiens de leur secret, produire des effets terribles et exercer des ravages sanglants. On avait beau objecter que les mettre au moment d’une guerre entre les mains des servants qui ne les connaissaient pas pouvait constituer un danger et amener des déboires : les tables de tirs suppléeront à tout, était-il répondu. Il se trouva au total que le canon à balles (c’est ainsi que l’on appelait la mitrailleuse) avait une portée très restreinte (1800 m), que le réglage de son tir était fort délicat, et que si, employé contre de l’infanterie à bonne portée, il produisait des effets meurtriers, il restait en revanche tout à fait impuissant contre l’artillerie…
Lieutenant-colonel Rousset, La guerre franco-allemande (1870-1871). Radiovision du 21 mars 1966
Les Français, de leur côté, utilisent des canons rayés, en bronze, se chargeant par la bouche avec une portée de 1 200 à 1 800 mètres. Ils ne tirent que deux coups par minute, au grand maximum. Leur précision est inférieure à ceux des Allemands et ils tirent des obus explosifs fusants. Les Français disposent aussi de mitrailleuses, qui tirent vingt-cinq coups, mais les incidents de tir sont fréquents et les servants savent à peine s’en servir.
Strasbourg, quartier général du 1er corps d’armée dite du Rhin :
Il est évident qu’on n’admettait pas (en haut lieu) que les Allemands pussent venir nous attaquer chez nous. Un plan n’avait-il pas été combiné ? Ne devait-on pas passer le Rhin le 8 août, séparer les forces de la Confédération en deux parties et les battre l’une après l’autre ?
Général Uhrich, Documents relatifs au siège de Strasbourg. Paris, 1872
Par une incurie inconcevable, on avait négligé de couper les arbres qui masquaient le terrain à l’entour des fortifications. Je suis persuadé que plus d’une position favorable des assiégeants a été formée, en toute sécurité, grâce à ce complaisant écran.
Charles Bastian, Jours vécus. Strasbourg : Imprimerie alsacienne, 1927
(Charles Bastian est un soldat qui a été prisonnier de guerre)
En Alsace, les unités de l’armée du Rhin se concentrent à Strasbourg pour préparer l’invasion de l’Allemagne. Dans la capitale alsacienne, l’intendance ne parvient pas à assurer la subsistance de toutes les troupes qui affluent, à tel point que certains hommes doivent mendier dans les rues pour se payer à manger.
Malgré les avertissements du général Jean-Jacques Alexis Uhrich, arrivé à Strasbourg le 21 juillet 1870, quant à l’état désastreux des fortifications de la ville, il n’obtient pas l’autorisation du ministre de la Guerre pour réaliser les travaux nécessaires à leur modernisation. La France est alors persuadée que ses armées envahiront le territoire allemand.