Par Mireille Biret et Monique Klipfel
Publié le 13 juillet 2011
Avant même la signature du traité de Francfort, un plan de défense de l’Empire est arrêté. Pour Bismarck, le nouveau Reichsland doit constituer un véritable glacis pour protéger l’Empire. Si le Rhin n’est plus une frontière, il reste une porte d’entrée vers le reste de l’Allemagne.
Ce n’est pas pour l’Alsace-Lorraine que nos guerriers ont répandu leur sang, mais pour l’Empire allemand, pour son unité, pour la protection de ses frontières. Nous avons pris ces pays afin que les Français, dans la prochaine guerre, ne puissent commencer leurs incursions à la pointe de Wissembourg, mais pour avoir un glacis où nous puissions nous défendre avant qu’ils atteignent le Rhin.
Otto von Bismarck, Discours du glacis, novembre 1874.
Cité dans Fernand L’Huillier, Histoire de l’Alsace. Paris : Que sais je ? p. 96
La décision de mettre en place un système défensif autour de Strasbourg est prise dès décembre 1871. Les fortifications de Vauban et de Specklin sont détruites, remplacées par une enceinte de 11 km de longueur et percée de 12 portes (la seule qui subsiste aujourd’hui est la porte de la Guerre, Kriegstor).
La ville est par ailleurs entourée d’une ceinture de forts dits détachés (douze en Alsace et trois sur la rive droite du Rhin). Ils sont distants en moyenne de 5 km des fortifications de la ville, la mettant ainsi à l’abri des tirs directs de l’artillerie.
…Si la France est attaquée par L’Allemagne, ou par l’Italie soutenue par l’Allemagne, la Russie emploiera toutes ses forces disponibles ( sept à huit cent mille hommes) pour attaquer l’Allemagne. Si la Russie est attaquée par l’Allemagne, la France emploiera toutes se forces disponibles ( treize cent mille hommes) pour combattre l’Allemagne…Dans le cas où les forces de la Triple Alliance, ou d’une des puissances qui en font partie, viendraient à se mobiliser, la France et la Russie, à la première annonce de l’événement, et sans qu’il soit besoin d’un concert préalable, mobiliseront immédiatement et simultanément la totalité de leurs forces et les porteront le plus près possible de la frontière
HAUSER Henri (dir.) Histoire diplomatique de l'Europe de 1871 à 1914.. Paris : PUF, 1929
La démission de Bismarck, le 20 mars 1890, a des conséquences sur la manière de concevoir la défense de l’Empire. Sa politique d’isolement de la France prend fin d’autant plus que cette dernière se rapproche de la Russie dès 1890 et signe avec elle une convention militaire en décembre 1893.
L’Allemagne, dans l’obligation de prévoir l’attaque sur deux fronts, change de stratégie et adopte le plan von Schlieffen. Ce plan consiste en un mouvement rapide des troupes allemandes par la Belgique afin d’arriver le plus vite à Paris pour ensuite se retourner vers les troupes russes.
Pour bloquer les troupes françaises en Lorraine et au sud de l’Alsace, le renforcement des défenses devient une priorité. Des fortifications nouvelles, plus éloignées, sont érigées dans le cadre de l’Oberrheinbefestigungen. L’objectif est de barrer la plaine d’Alsace aux troupes françaises venant de Belfort pour empêcher toute progression vers Metz. Ces troupes seraient ainsi sous le feu croisé des canons strasbourgeois et ceux de la ligne plus éloignée dont le fort de Mutzig.
Le sud de l’Alsace est temporairement sacrifié aux impératifs de ce plan Schlieffen. Des petits ouvrages sont néanmoins construits à Neuf-Brisach et Chalampé et une Feste (fort masse) est construite à Istein pour assurer le contrôle du fleuve entre Hombourg et Bâle.
Pièce maîtresse dans le dispositif de défense, la décision de la construction de la Feste Kaiser Wilhelm II (fort masse empereur Guillaume II) à Mutzig est prise personnellement par l’empereur en 1893. Les travaux durent jusqu’en 1916.
Le fort est construit pour s’adapter à la fois à un nouvel explosif, la mélinite, et aux innovations techniques des années 1880. Le béton remplace la pierre et la brique, les pièces sont protégées sous des cuirassements en fonte puis en acier.
Première fortification bétonnée, cuirassée et électrifiée, le fort de Mutzig a été la plus grande fortification allemande (250 hectares et abritant 6000 hommes).
Année | Basse-Alsace | Haute-Alsace | Alsace |
---|---|---|---|
1871 | civils : 588 947 militaires : 11 459 |
civils : 454 231 militaires : 4 642 |
civils : 1 043 178 militaires : 16 101 |
1875 | civils : 585 573 militaires : 12 607 |
civils : 448 549 militaires : 4 825 |
civils : 1 034 122 militaires : 17 432 |
1880 | civils : 598 541 militaires : 13 474 |
civils : 457 672 militaires : 4 270 |
civils : 1 056 213 militaires : 17 744 |
1885 | civils : 596 939 militaires : 15 138 |
civils : 458 269 militaires : 4 280 |
civils : 1 055 208 militaires : 19 418 |
1890 | civils : 600 334 militaires : 21 171 |
civils : 463 393 militaires : 8 216 |
civils : 1 063 727 militaires : 29 387 |
1895 | civils : 612 742 militaires : 25 882 |
civils : 468 351 militaires : 9 126 |
civils : 1 081 093 militaires : 35 008 |
1900 | civils : 633 721 militaires : 25 711 |
civils : 486 553 militaires : 8 656 |
civils : 1 120 274 militaires : 34 367 |
1905 | civils : 660 641 militaires : 26 054 |
civils : 502 818 militaires : 9 261 |
civils : 1 163 459 militaires : 35 315 |
1910 | civils : 675 112 militaires : 25 826 |
civils : 507 117 militaires : 10 743 |
civils : 1 182 229 militaires : 36 574 |
CRDP d'Alsace. L'Alsace de 1871 à 1918. Dossier maître n°10, 1982-1983.
Cérémonie militaire
Photo auteur anonyme, 1918 ?
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 672687)
Le contraste entre Basse-Alsace et Haute-Alsace s’explique par l’importance de Strasbourg qui devient le siège de l’état-major du 15e corps d’armée avec tous les services y afférents : intendance, services d’approvisionnement, de santé, de train. Mais le rapport population civile, population militaire change peu avec la création du Reichsland : les militaires constituaient en 1866 10% de la population totale, 9% en 1910 en raison de la croissance de la population.
L’augmentation des chiffres à partir de 1890 s’explique par l’évolution des stratégies militaires. Les fortifications sont devenues vulnérables à l’artillerie qui connaît des progrès énormes. Elles ont un coût élevé et elles nécessitent que l’on gèle les terrains à proximité des villes qui sont en pleine expansion. De plus, elles sont connues de l’adversaire qui les espionnent. L’infanterie reprend ses droits.
Pour loger les militaires, des casernes sont bâties dans de nombreuses villes. La plus grande et la plus moderne pour l’époque est la caserne Manteuffel de Strasbourg (qui deviendra la caserne Stirn au lendemain de la guerre). L’armée a contribué à la germanisation de l’Alsace. La circulation des convois militaires et des soldats, les parades, comme celle présentée sur la photographie ci-contre, sur la place Kléber de Strasbourg, témoignent de l’omniprésence des militaires allemands.