Par Mireille Biret et Monique Klipfel
Publié le 13 juillet 2011
Le 9 juin 1871 est votée une loi d’Union de l’Alsace-Lorraine par le Reichstag. Juridiquement, l’Alsace-Lorraine devient une terre d’empire et non un membre à part entière de la fédération allemande.
Retour à Alsace 1870-1914
L'Alsace-Lorraine aux Alsaciens-Lorrains
Ill. Henri Zislin, 1908
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 689374)
Le Reichsland a ainsi un statut particulier. Les autres États de l’Empire disposent d’un souverain et d’une constitution propres alors que le Reichsland est gouverné sous l’étroite tutelle du Kaiser et de son chancelier. Même si, en 1874, elle obtient une Délégation régionale (Landesausschuss) et en 1911 une Constitution, la forte présence militaire et la mise en place en 1914 d’une dictature militaire montrent que les Alsaciens-Lorrains restent des Allemands suspects. Par ailleurs, tout au long des 47 années de l’annexion, l’Alsace-Lorraine, ne cessera de revendiquer son autonomie au nom du mot d’ordre : l’Alsace-Lorraine aux Alsaciens-Lorrains.
De chef-lieu d’un département, Strasbourg est promue capitale du Reichsland avec l’objectif d’en faire une vitrine de la culture germanique.
Le caricaturiste Henri Zislin (1875-1958) est connu pour son opposition ouverte à l'occupant allemand, ce qu'illustre la carte postale ci-contre. Sous le dessin, un texte précise : Reproduction d'un dessin exécuté par Henri Zislin la veille même de son arrestation. On sait que le caricaturiste alsacien a été condamné à huit mois de prison, le 25 avril 1908.
Une loi d’Union de l’Alsace-Lorraine à l’Empire, qui confie le pouvoir à l’Empereur associé au chancelier sous le contrôle du Bundesrat (Conseil fédéral), est votée par le Reichstag le 9 juin 1871. Fin août le gouverneur général, Bismarck-Bohlen, est remplacé par Eduard von Moeller, nommé Oberpräsident (président supérieur) par l’Empereur, qui lui délègue ses pouvoirs pour l’Alsace-Lorraine. Il restera à ce poste jusqu’en 1879.
L’Alsace-Lorraine est divisée en trois districts (Bezirk) : la Haute-Alsace avec comme chef-lieu Colmar, la Basse-Alsace avec comme chef-lieu Strasbourg et la Lorraine avec comme chef-lieu Metz.
À la tête de chaque district est nommé un président (Bezirkspräsident).
Le drapeau rouge et blanc (couleurs de l'Alsace) et figurant une croix de Lorraine jaune a été adopté par les députés d’Alsace-Lorraine en 1911 pour marquer le nouveau statut du territoire.
L’affaire de Saverne de novembre 1913 puis la première guerre mondiale ont néanmoins empêché sa reconnaissance et son officialisation par l’empereur.
En cas de danger pour la sécurité publique, le président supérieur est autorisé à prendre immédiatement toutes les mesures qu’il jugera nécessaires pour écarter ce danger. Il est en particulier autorisé à exercer à l’intérieur des districts menacés par ce danger les pouvoirs que par le par. 9 de la loi française du 9 août 1849 (Bulletin des lois n° 1 511) donne à l’autorité militaire pour les cas d’état de siège.
Le chancelier de l’Empire est à informer aussitôt des ordonnances qui ont été rendues. Le président supérieur est autorisé à requérir les forces militaires en garnison en Alsace-Lorraine pour des mesures de police et en particulier pour l’exécution de celles précitées.
Philippe Dollinger. Documents de l’Histoire d’Alsace. Toulouse : Privat, 1972, p. 429
Le 30 décembre 1871, le Diktaturparagraph (paragraphe de la dictature) confie au gouvernement le pouvoir de suspendre toutes les libertés publiques, de réunion, d’association, de presse et de prendre toute mesure d’exception en cas de danger pour la sécurité publique. Ce texte est aboli le 18 juin 1902 sur proposition de l’empereur Guillaume II voulant ainsi témoigner de sa confiance à l’égard du Reichsland. Par ailleurs, tout fonctionnaire est tenu de prêter serment au Reich.
Délégation provinciale Alsace-Lorraine
Photo J. Quirin, 1876
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 701204 )
Jusqu’en 1874, l’Alsace-Lorraine est exclue des institutions du Reich. Elle n’a pas de représentation au Reichstag, ni au Bundesrat. Le 1er janvier 1874, l’introduction de la Constitution du Reich permet l’élection de députés alsaciens-lorrains au Reichstag, mais le Reichsland n’est toujours pas représenté au Bundesrat.
Un rescrit impérial du 29 octobre 1874 accorde une délégation provinciale (Landesausschuss) de 30 membres élus par les trois conseils généraux. Le rôle de cette délégation est cependant seulement consultatif. La loi du 2 mai 1877 octroie à la délégation le pouvoir de concourir à la formation des lois locales avec l’assentiment du Bundesrat.
La loi du 4 juillet 1879 supprime la présidence supérieure et la section de la chancellerie à Berlin qui gère les affaires d’Alsace-Lorraine. Trois organes nouveaux sont créés : la fonction de Statthalter (remplaçant celle de président supérieur), le ministère d’Alsace-Lorraine (dont les pouvoirs sont concentrés en la personne du secrétaire d’État assisté de 4 sous-secrétaires d’État à la tête de 4 sections (intérieur – justice et cultes – finances – agriculture, commerce et domaines) et un Staatsrat de 12 membres (chargé de délibérer au préalable sur les projets de lois). La délégation provinciale passe à 58 membres élus au suffrage universel indirect (34 par les conseillers généraux et 20 par les délégués des conseils municipaux des cercles ruraux).
Eröffnung des Landtags fur Elsass-Loth.
Photo J. Dentel, 1911
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 701212)
Par la loi du 31 mai 1911, l’Alsace-Lorraine demeure un Reichsland et l’empereur continue à exercer la puissance étatique, mais elle devient en principe un 26e État confédéré avec trois délégués au Bundesrat nommés par le Statthalter.
Par ailleurs, les lois locales sont votées par un Landtag (une assemblée territoriale) formé de deux chambres : une chambre haute composée de 41 membres (pour moitié nommés par l’empereur ou siégeant de droit) et une chambre basse de 60 membres, dont 40 Alsaciens élus au suffrage universel par un scrutin de liste à deux tours uninominal. L’empereur reste représenté par le Statthalter et la chambre haute peut annuler les décisions de la chambre basse. Le Reichsland reste donc sous le contrôle étroit du Kaiser (l’empereur).
Le 31 juillet 1914, face à l’imminence de la guerre, l’Allemagne décrète l’état de danger de guerre (Kriegsgefahrzustand) qui suspend l’application de la Constitution de l’Alsace-Lorraine et instaure l’état de siège, supprimant de nombreuses libertés publiques.
Une dictature militaire est mise en place (un tel régime n'est installé nulle part ailleurs en Allemagne), le Reichsland devient une zone d’opération militaire et un glacis militaire. La mobilisation générale commence le 1er août en Allemagne et le 2 en France. Le 3 débute la guerre : 220 000 Alsaciens-Lorrains doivent endosser l’uniforme allemand. D’autres Alsaciens-Lorrains, qui vivent en France ou ont préféré quitter le Reichsland endossent l’uniforme français.