Par Clément Keller
Publié le 1er octobre 2010
L’émergence d’une architecture spécifiquement scolaire est tardive dans l’histoire de l’architecture, contrairement aux architectures militaire, religieuse ou de l’habitat. En effet, jusqu’au XIXe siècle, il n’y quasiment pas de construction spécifiquement scolaire en France, mis à part l’édification de quelques grands collèges ou lycées.
Il est à noter, par ailleurs, que jusqu’à cette époque, les modèles des bâtiments, principalement inspirés des formes des châteaux ou des hôtels particuliers, étaient utilisés de façon interchangeable, quelle qu’en soit la fonction : lycée, hôpital ou caserne. Enfin, le caractère représentatif et monumental des bâtiments publics l’emportait, dans la conception des bâtiments, sur les considérations fonctionnelles de chaque bâtiment.
À Strasbourg, jusqu’au milieu du XIXe siècle, les écoles étaient confessionnelles. Elles fonctionnaient dans des locaux divers, foyers paroissiaux, immeubles d’habitation…, plus ou moins adaptés à l’accueil des élèves. Suite à la loi de 1833 imposant aux communes de France d’ouvrir des écoles primaires, la municipalité,qui avait déjà délibéré en 1830 sur la nécessité d’acquérir des « bâtiments convenables pour les écoles primaires »,décide de financer elle-même la construction de « maisons d’école ».
La construction de ces écoles peut être classée en plusieurs périodes. Ces périodes s’inscrivent à la fois dans le mouvement général de l’évolution de l’architecture jusqu’à nos jours et dans le contexte politique d’une ville française rattaché entre 1870 et 1918à l’Empire allemand.
Constructions de 1830 à 1870
L’école publique strasbourgeoise la plus ancienne encore en service à ce jour est l’école Sainte Aurélie. Elle est édifiée en 1846 sur un terrain mis à disposition par la paroisse protestante, soit une dizaine d’année après la construction par l’architecte de la ville Nicolas-Jean Villot d’une petite école protestante à la Roberstau, réaffectée depuis à d’autres fonctions.
L’école Sainte Aurélie (abritant actuellement uniquement l’école élémentaire), dessinée par l’architecte municipal Félix Fries, est composée d’un bâtiment de deux étages et un grenier et de deux préaux et deux cours permettant de séparer les filles et les garçons. L’école accueille une salle d’asile (ancêtre de la maternelle), une salle pour les filles et deux salles pour les garçons. Les classes sont accessibles directement depuis les cages d’escalier, sans communication entre elles et sans couloir. Les allèges des fenêtres des classes sont hautes afin de ne pas détourner l’attention des élèves et de pouvoir accrocher sur les murs latéraux des gravures et des cartes selon la méthode de l’enseignement mutuel. Des logements pour les instituteurs sont aménagés au 2ème étage. Les façades du bâtiment sont austères ; seuls les encadrements des fenêtres sont en pierre de taille. De par son aspect, le bâtiment ne témoigne pas spécifiquement de sa fonction. L’école sera reconstruite et agrandie à deux reprises ; les préaux ont été surbâtis suite aux dommages subis par le bâtiment lors du siège de la ville en 1870 et le deuxième étage a été modifié en 1890 pour disposer de salles de classe supplémentaires.
Friesa aussi construit deux autres écoles aujourd’hui détruites : l’école de catholique Saint Jean en 1845 (sur le site de l’actuelle médiathèque municipale de la rue Kuhn) et l’école catholique Saint Pierre le Vieux en 1850 (à l’intersection de la rue du Fossé des Tanneurs et de la grande Percée).
À partir de 1860, le nouvel architecte municipal Jean-Geoffroy Conrath entreprend de construire différentes écoles dans les faubourgs et le centre de la ville. Ses écoles de faubourg, telles les écoles de Neuhof sont de facture classique avec des compositions en plan symétriques. Il implante ainsi, Route d’Altenheim, de part et d’autre de l’église protestante l’école (1861, actuelle maternelle Neuhof B) et le presbytère et il répartit, Rue Welsch, les classes en 3 bâtiments alignés parallèlement à l’église catholique (1867, actuelle maternelle Neuhof A).
En centre-ville, Conrath construit l’école Saint Guillaume en 1866 (bâtiment actuellement occupé par l’association des Bateliers) et l’école protestante Saint Pierre le Vieux en 1870 (démolie lors de la grande Percée).
Il achève en 1869 l’école Sainte Madeleine (actuelle école élémentaire). La conception du bâtiment se distingue des écoles des faubourgs, non par son organisation en plan mais par son traitement des façades. Celles-ci, de style classique, sont pourvues de larges baies en plein cintre sur trois niveaux. Chaque classe dispose ainsi d’un excellent éclairage naturel sur ses 2 côtés adjacents.Les appareillages en grès habillent le soubassement, les angles du bâtiment, en alternance avec des enduits et la travée centrale des escaliers et marquent par des lignes horizontales les planchers, les allèges et les corniches.
À partir de 1870, Strasbourg devient capitale du « Reichsland ». L’administration allemande rend obligatoire en 1871 la scolarité des garçons et des filles et le conseil municipal de Strasbourg s’engage en1872 sur un important programme d’éducation et de construction d’écoles primaires, selon le principe d’une répartition des élèves par secteurs scolaires. Les écoles qui seront construites dans cette période le seront dans des styles successifs différents : classique d’inspiration française, éclectique et régionaliste.
Constructions de 1870 à 1914
L’architecte Conrath, maintenu dans ses fonctions d’architecte de la Ville, se voit confier la réalisation de l’école Schoepflin (1876) à ériger le long du Fossé du Faux Rempart. L’école devait accueillir 22 classes pour 1200 élèves. L’architecte, implante son bâtiment en forme de « L » ouvert vers le quartier de la « Neustadt ». Ce bâtiment entretient ainsi un dialogue avec le Tribunal et l’église Saint Pierre le Vieux en mettant en scène des perspectives monumentales, selon des principes analogues au plan d’agrandissement de Strasbourg dont il sera l’auteur en 1880. Les façades sont composées de surfaces traitées en pierre de taille, le rez-de-chaussée et les cages d’escalier, et de remplissages en briques rouges apparentes dans les étages. Les toitures sont à la Mansard, couvertes d’ardoises et munies de hautes lucarnes. Le système constructif fait encore appel à des poutres et des planchers en bois mais emploie des colonnes en fonte, implantés au centre des salles, qui permettent d’augmenter les portées et ainsi de disposer de surfaces libres très importantes.
Conrath construit une autre importante école dans le faubourg de Neudorf, l’école de la Ziegelau, mais en employant des matériaux moins nobles puisque les façades sont essentiellement revêtues de crépis. L’école se compose de 3 bâtiments, 2 bâtiments parallèles, l’un pour les garçons (achevé en 1876), l’autre pour les filles (achevé en 1878) et un bâtiment central (détruit lors d’un bombardement en 1943) pour les élèves de maternelle. Les nombreux logements pour les instituteurs situés dans les étages seront progressivement transformés en salles de classe.
D’autres écoles sont construites dans les nouveaux faubourgs selon le même modèle, les salles donnant directement sur les cages d’escalier, à Koenigshoffen (actuelle école des Romains) et à Cronenbourg (Rue Neuve).
Sous la direction de l’ingénieur-architecte allemand Johann Karl Ott, l’équipe d’architectes municipaux, réalise à partir de 1886 une nouvelle série d’écoles afin de répondre au fort accroissement de la population scolaire. Le style éclectique de ces écoles s’inscrit dans l’esprit du temps et répond, à l’instar des nouveaux bâtiments officiels néo-renaissances ou néo-gothiques de la nouvelle capitale du « Reichland », aux ambitions de la municipalité. Ainsi, la première école de la Musau, située rue de la Ménagerie, (1897) et l’école du Schluthfeld (1899) sont des bâtiments très ornementés, dotées de pignons à créneaux, de clochetons et de cheminées ouvragées, de sculptures diverses et de vitraux ornant les cages d’escaliers. La maison du concierge de l’école du Schluthfeld est à ce titre particulièrement pittoresque. Ces écoles présentent une évolution dans leur organisation spatiale, puisque sont créés de larges couloirs pour desservir les classes. Par ailleurs, il est fait appel à de nouvelles techniques de planchers à poutres en acier et dalles voûtées en béton.
Sont érigés à la même époque l’actuel Collège Foch (1890), l’actuelle annexe du Lycée Cassin située quai Charles Frey (1893), dans un style néo-renaissance, le collège de la Robertsau (1902), orné de tours et pignons médiévaux, l’actuel Lycée international des Pontonniers (1903) inscrit à l’inventaire des Monuments Historiques en 2005, l’annexe de l’école élémentaire Camille Hirtz (1905) dotée d’un remarquable oriel et l’actuelle école maternelle Camille Claus (1906) présentant un superbe portail sculpté.
Dans son projet de l’école Saint Thomas (1905), située le long de l’Ill, Beblo inscrit le bâtiment dans son environnement historique en dessinant la façade donnant sur l’eau comme celle d’un palais et en présentant de nombreuses similitudes avec le Palais Rohan. Il emprunte les formes de l’architecture de la Renaissance alsacienne pour les pignons à volutes et les tourelles placées aux extrémités de la façade. Les volumétries du gymnase et de la conciergerie, qui réemploie un ancien oriel de la Renaissance, sont traitées de façon à assurer une transition harmonieuse avec les maisons environnantes.
Cette préoccupation d’intégration urbaine est aussi présente dans la construction de l’actuel Lycée Jean Geiler de Kaysersberg (1910), la transformation pour l’école maternelle Sainte Madeleine de l’ancienne Maison des Orphelins (1911) et l’extension du Lycée des Pontonniers (1913).
L’école du Neufeld (1908) et l’actuel Lycée Pasteur (travaux interrompus en 1914 et achevés en 1924) sont réalisés dans un même esprit, mêlant des éléments d’architecture régionale et un style personnel très présent dans le dessin de détail des arcs surbaissés, des linteaux de portes, des fenêtres et des oculus des portes, ainsi que des divers éléments de décoration utilisant des formes courbes et des ovales.