Par Vincent Cuvilliers
Publié le 1er octobre 2010
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Les idiomes germaniques sont les plus usités, notamment dans les villes. Dans une lettre adressée au recteur Montbrison en date du 28 mai 1813, Brackenhoffer précise que tant que les maîtres des écoles primaires ne sauront pas le français et ne le sauront à un degré de perfection à pouvoir s'exprimer aussi librement dans cette langue que dans l'autre leur instruction restera toute allemande (Lettre de Brackenhoffer, 28 mai 1813, ADBR, T, écoles secondaires, an XI à 1861).
Louis de Bernard de Montbrison
Portrait Ernest Lehr, 1870
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 644550)
Le conseil général du Bas-Rhin défend le bilinguisme. Pour cela, il invoque les habitudes. Mais les conseillers généraux mettent aussi en avant l'utilité de perpétuer sur les frontières des idiomes dont la pratique est nécessaire dans les armées et qui peut concourir à étendre l'influence que la France exerce sur les contrées voisines. Pour ce faire, il propose de faire pénétrer le français dans les écoles élémentaires mais en commençant par les communes les plus populeuses et les plus aisées. Quant aux écoles secondaires, elles devraient donner les éléments des connaissances simultanément dans les deux langues.
Les représentants de l'administration centrale sont des partisans de la diffusion du français. Le préfet de Lezay-Marnésia affirme que le français ne doit pas rester le monopole d'une minorité, tandis que le recteur Montbrison invoque l'intérêt de l'État et place son espoir dans le système d'enseignement primaire.
En 1817, le préfet du Haut-Rhin Biaudos de Castéja ordonne la réimpression de l'édition bilingue d'un Manuel pour les instituteurs, qu'il fait distribuer gratuitement aux maîtres primaires de son département. L'année suivante, le préfet du Bas-Rhin, le marquis de Bouthillier-Chavigny, fait traduire l'ouvrage d'Ignace Demeter sur les Principes d'enseignement primaire.
Le recteur Levrault participe à cette politique d'édition en 1819 avec la publication d'un plan d'enseignement élémentaire dans les deux langues pour les écoles primaires d'Alsace, dans lequel il préconise l'emploi de divers tableaux dont un tableau de lecture allemande ou des modèles d'écriture des deux langues. La même année, il publie le Guide pratique de l'instituteur primaire, qui sera réédité en 1833 à Strasbourg et préfacé par le recteur Cottard. Ce guide reçoit le soutien financier du conseil général du Bas-Rhin.
Le recteur Ordinaire maintient cette politique et insiste sur la nécessité de faire imprimer, à bas prix, des ouvrages élémentaires dans les deux langues. Les publications se multiplient au début des années 1830. Ainsi, le préfet du Bas-Rhin, Esmangart, propose une citolégie pour apprendre le français. De 1824 à 1831, le recteur Ordinaire insiste, lui aussi, sur la nécessité de faire imprimer à bas prix des ouvrages élémentaires dans les deux langues.
Afin de favoriser la diffusion du français et constatant que les familles ne consentent que rarement à faire l'acquisition de livres en français, le recteur L. M. Cottard en ordonne la distribution. Dans une circulaire datée du 12 juillet 1831 et adressée aux présidents et membres des comités d'instruction primaire, le recteur souligne que les communes rurales réclament de préférence ; car les ressources des parents et des municipalités y étant fort minimes, nous aurions peu d'espoir d'y voir répandre spontanément les bons livres et propager la langue française, si nos effeorts, à cet égard, se réduisaient encore à de simples exhortations.
Le relieur (Der Buchbinder)
Lith. Jean-Frédéric Wentzel, 1847
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 657547)
Une collection, bilingue, de Tableaux d'après nature pour l'instruction de la jeunesse a été réalisée par l'imprimerie d'Images d'Épinal Wenzel de Wissembourg, en 1847. Ces documents sont expressément destinés à être montrés, commentés et exploités en classe. La traduction allemande en précise l'usage en ces termes : Bilder zum Anschauungs Unterricht für die Jugend. Autour d'une scène centrale représentant l'atelier et les différentes opérations de fabrication, les outils spécifiques utilisés ainsi que les objets fabriqués sont présentés dans les marges. Ces images se prêtent à l'enrichissement du vocabulaire et à la connaissance de l'environnement social. La richesse et la précision du contenu iconographique contrastent avec l'absence de commentaire, laissé à la discrétion et à la compétence de l'enseignant. Il pouvait naturellement faire appel aux connaissances des enfants eux-mêmes. Ces métiers, dont certains paraissent bien exotiques aujourd'hui, faisaient alors partie du quotidien.
Se reporter à l' album présentant une trentaine de planches extraites des Tableaux d'après nature pour l'instruction de la jeunesse de Wenzel.
Recueil de chant de Delcasso
Recteur L.P.É. Delcasso, 1856
Coll. Médiathèques de Strasbourg (A 59 637 I)
Le recteur Laurent Pierre Étienne Delcasso comprend que le chant peut fixer les termes français dans la mémoire des enfants et les habituer à une meilleure prononciation. Secondé par un maître-adjoint de l'école normale de Strasbourg, Pierre Gross, il met sur les anciens airs populaires des paroles françaises faciles à comprendre des enfants et de haute élévation morale. Ils rédigent trois recueils qui deviennent très populaires et qui sont imprimés à près de 15 000 exemplaires entre 1855 et 1857.
Le recueil de morceaux de chants à l'usage des écoles de Delcasso, qui a été composé pour favoriser la propagation du français, connaît de nombreuses rééditions à partir de 1856. Un instituteur de Mulhouse a aussi rédigé un recueil de chants. Cette méthode innovante permet un apprentissage plus ludique du français.
Delcasso multiplie en outre les initiatives dans les communes rurales en veillant sur les écoles primaires et sur la création des bibliothèques rurales. Il organise aussi des cours d'adultes.
En 1820, un plan d'enseignement émanant des services de l'académie de Strasbourg est imprimé dans le journal d'éducation. Il s'agit d'une présentation de la situation de l'enseignement du français et de l'allemand dans les écoles primaires alsaciennes.
L'auteur de ce plan relève que l'enseignement des langues nécessite un personnel formé et compétent qui fait défaut en Alsace au début du XIXe siècle. En se référant à l'expérience des instituteurs allemands, il propose de multiplier les recours à divers tableaux qui doivent faciliter l'apprentissage.
La plus grande partie de la population alsacienne ne parle pas le français; la plupart des instituteurs n'en ont pas la moindre connaissance. Il est cependant d'une grande convenance nationale, il est dans l'intérêt même de la localité, que l'usage de cette langue se propage : les autorités publiques et les familles le désirent également. Mais où trouver assez de maîtres pour l'enseigner; comment suppléer à leur incapacité ?
Peut-être, cependant, n'est il pas impossible de réussir jusqu'à un certain point; et lorsque d'aussi puissants motifs nous invitent à agir, ne faut-il pas du moins essayer et faire le mieux possible ? Le pire ne serait-il pas de perpétuer l'état actuel en demeurant inactif ? En effet, une bonne méthode peut tenir lieu chez le maître de plus de savoir. Qui ne sait combien l'emploi des tableaux a amélioré l'enseignement primaire partout où ce mode a été introduit ? Qui ne sait qu'ils rendent l'étude plus régulière, et qu'en allégeant la tâche du maître ils le conduisent en quelque sorte par la main sur la ligne qu'il doit suivre ? (...)
Les tableaux, dont l'on propose dans cette vue l'adoption parmi nous, présentent les séries suivantes :
1. Tableaux de lecture allemande
2. Tableaux de prononciation française
3. Tableaux de nomenclature allemande et française
4. Tableaux de lecture française
5. Tableaux de grammaire élémentaire pour les deux langues
6. Tableaux d'écritures allemande et française (...)
Voir le texte intégral (bilinguisme.pdf - 1 page - 50 ko).
Imprimé à Strasbourg, chez M. Levrault, Journal d'éducation, n°VII, avril 1820, Ve année