Par Vincent Cuvilliers
Publié le 1er octobre 2010
La méthode de l'enseignement mutuel, introduite en France en 1815, fait de rapides progrès dans la région.
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Durant tout le XIXe siècle, les méthodes et les tableaux de lecture se multiplient et se diversifient. Les concepteurs de ces nouvelles méthodes sont souvent des instituteurs qui s'interrogent sur les procédés en usage et essaient de faire profiter leurs collègues de leur expérience. Les autorités administratives et les autorités scolaires sont donc souvent interpellées par le créateur d'une nouvelle méthode et qui veut obtenir leur appui.
Le 18 novembre 1807, M. Ortlieb, professeur de l'école secondaire à Ribeauvillé, transmet au préfet du Haut-Rhin un exemplaire de l'ouvrage en deux langues qui doit répondre au besoin et à l'utilité du public et lui annonce sa volonté de lui en faire la dédicace, malgré son départ imminent du département.
L'auteur sollicite de l'autorité préfectorale sa protection et n'hésite pas à recourir à la flagornerie, certifiant, par exemple, que son départ et déplacement prochain [est] certainement plus avantageux pour [lui] que pour [ses] administrés dont [il emportera] de justes regrets d'estime et de reconnaissance (Lettre de M. Ortlieb au préfet du Haut-Rhin, 8 novembre 1807, ADHR 1 TI 84).
Cette méthode d'enseignement, qui consiste en l'instruction par les enfants les plus doués de leurs camarades, est appliquée dans trente-sept écoles du département du Haut-Rhin en 1819. Elle connaît un essor durant les années 1820 mais un net recul à partir de 1835. L'enseignement mutuel d'influence protestante et maçonnique vient d'Angleterre.
En 1815, La Rochefoucault-Liancourt traduit le Manuel de Joseph Lancaster et crée, le 15 juin de la même année, la Société pour l'instruction élémentaire qui compte notamment parmi ses membres Alexandre de La Borde, le comte Charles de Lasteyrie, le baron de Gerando, Jomard, Carnot. Dès le mois d'août, la méthode mutuelle est expérimentée à Paris et provoque l'enthousiasme.
Le 27 juin 1816, une instruction du ministère de l'Instruction publique autorise l'enseignement mutuel dans les écoles primaires. En 1817, Ferdinand Curie est nommé régent de mathématiques au collège de Colmar. Il devient le propagandiste et l'organisateur de l'enseignement mutuel dans le Haut-Rhin, bénéficiant du soutien du préfet du Bas-Rhin, Sers, ainsi que l'appui des manufacturiers du Haut-Rhin.
Le 3 mai 1818, une école modèle est ouverte à Colmar grâce aux fonds octroyés par le conseil général du Haut-Rhin mais elle suscite immédiatement l'hostilité des prêtres et des pasteurs du département. Une circulaire du préfet du Haut-Rhin, Castéja, en date du 22 mai 1818, insiste au contraire sur les avantages de la méthode de l'enseignement mutuel, notamment l'économie d'argent.
À partir de 1819, les créations d'écoles se multiplient dans les départements alsaciens. Ce mouvement est l'œuvre de la Société pour l'amélioration de l'enseignement élémentaire dans le Haut-Rhin, qui est créée en août 1819. Parmi les membres de cette société, il faut noter la présence de Metzger, représentant du directoire des luthériens de Colmar, et de Golbéry, catholique libéral.
En 1821, on dénombre un peu plus de cinquante écoles. Les instituteurs sont, pour la majorité, formés à Colmar. Ce succès de l'enseignement mutuel n'est pas sans provoquer des incidents, comme à Neuf-Brisach où l'école est pillée et brûlée en 1819.
À partir de 1822, plusieurs écoles d'enseignement mutuel sont fermées. Celle de Guebwiller est même transformée en école des Frères des écoles chrétiennes. Ces derniers, suivant la méthode dite simultanée et édictée par Jean-Baptiste de la Salle en 1684, organisent le travail de la classe en fonction de niveaux et d'une discipline stricte.
Le travail est répétitif et simultané. Cependant, ces écoles exigent un personnel important et des locaux adaptés. Il ne faut pas concevoir l'échec de l'enseignement mutuel comme complet puisqu'il a contribué à transformer la pédagogie.
Proposition d'un emploi du temps
Tableau anonyme, 1851
Coll. Archives départementales du Bas-Rhin (A TP PRI 239/8)
Le document présenté ci-contre est une proposition d'emploi du temps et d'organisation de la classe dans une école d'enseignement mutuel.
Lors de l'appel et de la prière, à 8 heures, le maître s'adresse à l'ensemble de la classe. Ensuite, pour le cours de langue française, les élèves se répartissent en trois groupes. Un groupe est pris en charge par l'instituteur, les deux autres par des élèves ayant acquis un niveau de connaissance et enseignant au niveau inférieur.
Ainsi, les élèves se réunissent en fonction de leur niveau. Les élèves moniteurs ne sont que provisoirement les premiers. Cette organisation permet à un instituteur, du haut de son pupitre, de diriger un grand nombre d'élèves. Néanmoins, la contrepartie est que cette organisation nouvelle nécessite des locaux adaptés.
La méthode introduit de nouveaux outils pédagogiques, tels que l'ardoise et les tableaux muraux, autour desquels les groupes travaillent au moment prescrit.
Le 16 novembre 1859, le conseil académique de Strasbourg délibère afin d’établir un règlement de l’emploi du temps dans les écoles primaires publiques de l’académie. Cette décision est approuvée par le ministre de l’instruction publique et des cultes, Rouland, conformément à l’avis du conseil impérial de l’instruction publique.
Emploi du temps dans les écoles primaires
Règlement académique, 1859
Coll. Archives départementales du Bas-Rhin (1 TP PRI 239)
Ce texte, composé de onze articles, aborde la question des horaires, des enseignements mais aussi des obligations faites aux instituteurs.
L’instituteur doit obligatoirement tenir un journal de classe (art. 1), dans lequel il doit inscrire les devoirs devant être réalisés pour le lendemain (art. 2). Le texte formalise aussi la tenue des cahiers des élèves et des copies (art. 3).
Les horaires doivent être les mêmes dans toutes les écoles de l’académie. Après deux heures de leçons, les élèves doivent avoir droit à un repos de dix minutes (art. 4). Le conseil académique prend en considération la différence entre les écoles urbaines et les écoles rurales, pour lesquelles un emploi du temps estival peut être décidé afin de permettre aux enfants de participer aux travaux des champs (art. 8).
Sans entrer véritablement dans le détail, le conseil académique consacre plusieurs articles aux différents enseignements qui doivent être dispensés. L’article 7 est entièrement consacré au chant, qui ne doit pas être l’objet d’un enseignement théorique. Dans les écoles de filles, les élèves doivent apprendre les travaux d’aiguille (art. 10).
L'école industrielle de Strasbourg est ouverte en 1833 par le conseil municipal. Le personnel de l'école, rémunéré par la municipalité, comprend un directeur, six professeurs, un préparateur de chimie et de physique, un maître de forge, un maître tourner, un maître menuisier et un ouvrier imprimeur.
Diplôme dédié aux élèves
École industrielle de Strasbourg, 1844
Coll. Archives départementales du Bas-Rhin (1 Fi 58)
Les jeunes gens qui veulent se vouer à la carrière de l'industrie y reçoivent une instruction destinée à les initier aux sciences et aux arts mécaniques. L'école est accessible aux élèves venant de terminer l'enseignement primaire, et la scolarité dure trois années.
En plus de l'enseignement théorique, les élèves peuvent y apprendre, par la pratique, l'usage des outils et des matériaux utilisés dans l'industrie grâce aux ateliers. L'enseignement théorique concerne les sciences mathématiques, le dessin, la physique, la chimie, l'économie industrielle, le français, le droit commercial et le droit administratif. Les travaux pratiques concernent la géométrie, les travaux de forge, de menuiserie, de lithographie et les manipulations dans les laboratoires de chimie et de physique.
Le document ci-contre, daté de 1844, est dédié, par le directeur Munch, aux élèves de l'école industrielle municipale de Strasbourg. Il comporte de nombreuses maximes, illustrant parfaitement la morale et la philosophie du directeur Munch :
L'oisiveté ressemble à la rouille, elle use le travail,
Sciences Industrie Beaux-Arts,
Ne dissipez pas le temps car la vie est en faite,
Si vous voulez être riche, apprenez à gagner et à ménager,
Intelligence Activité Persévérance,
Le travail et l'économie ont besoin des bénédictions du ciel pour amener la prospérité,
Probité,
Économie.