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Les écoles aux XVIIe et XVIIIe s.

Par Vincent Cuvilliers

Publié le 15 octobre 2012

Le contexte politique et religieux du XVIIe siècle influe sans conteste sur l’éducation et la situation des écoles d'Alsace durant cette période.

Une situation déplorable au XVIIe siècle ?Revenir au début du texte

Un contexte particulier

Si la première moitié du siècle est marquée par la guerre de Trente Ans (1618-1648), dont de nombreux combats se déroulent en Alsace, la seconde voit la politique menée par la monarchie française pour asseoir son autorité.

Ce siècle est aussi marqué par l’application des décisions du concile de Trente (1545-1563), qui réaffirme le dogme catholique et la préoccupation de la Contre-réforme pour l’éducation : l’école est perçue comme un moyen de prévention permettant d’apprendre aux enfants les normes d’une civilité élaborée par les élites bourgeoises et nobles ainsi que les rudiments d’un savoir sollicité par les activités économiques.

En 1698, dans une déclaration royale, Louis XIV demande à ce que l’on établisse des écoles dans toutes les paroisses afin d’y instruire les enfants, notamment ceux de la religion prétendue réformée, du catéchisme et des prières. Cependant, l’école reste à l’initiative des congrégations et des laïcs, ce qui amène François Furet et Jacques Ozouf à parler d’une école en miettes.

Dans les campagnes et dans de nombreuses villes, les écoles paroissiales et secondaires cessent de fonctionner jusque dans les années 1650 en raison des incertitudes liées à la guerre de Trente Ans (1618-1648).

Le maintien difficiles des gymnases et des collèges jésuites

Les Gymnases de Strasbourg et de Colmar

Le gymnase protestant de Colmar

Le gymnase protestant de Colmar
Colmar F.X. Sailé, 1892
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 626268)

Le gymnase de Strasbourg voit ses effectifs diminuer de près de 20 % à partir de 1621. Il connaît même deux réformes durant cette période :

À Colmar, le gymnase assure la formation de nombreux notables locaux, sous la direction de Christophe Kirchner (1604-1627) et de Joachim Klein (1642-1662).

L'exemple de Bouxwiller

Depuis 1545, Bouxwiller dispose d’une école. L’élève y apprend la lecture, le catéchisme, l’écriture et le calcul. L’enseignant est aussi, comme souvent la plupart du temps, organiste à l’église. En 1559, un assistant vient le seconder en raison d’une augmentation des effectifs.

L'ancien collège de Bouxwiller

L'ancien collège de Bouxwiller
Photo Rh-67, 2010

Cette école est réorganisée en 1612 par le comte Johann Reinhard Ier, qui installe l’école dans un local beaucoup plus vaste, comprenant trois salles de cours. L’enseignement s’y diversifie et l’on peut y apprendre le latin et le grec. L’école, devenue une école latine, prend le nom de gymnase en 1658, prenant celui de Strasbourg comme modèle, et devient une véritable pépinière de pasteurs pour l’Alsace protestante, ne fermant qu’en 1793.

Le bâtiment actuellement visible dans la ville date du milieu du XVIIIe siècle. Le précédent, trop vétuste et trop petit, avait en effet été démoli sous le règne de Louis VIII de Hesse-Darmstadt (1739-1768).

Enseignants et enseignements

Après 1648, la scolarisation ne reprend que lentement et l’on assiste à la création d’un nombre important d’écoles, qu’elles soient catholiques ou protestantes.

Dans les localités rurales, les maîtres d’école assurent l’enseignement dans une pièce de leur logement et exercent souvent d’autres fonctions, comme celle de sacristain, de chantre, de secrétaire, de greffier du bailli ou de receveur local. Certains sont parfois des artisans, comme à Guémar en 1665 ou Nussdorf, où c’est un tisserand qui ouvre une école. L’apprentissage y est modeste et se limite à enseigner les prémices de la lecture, de l’écriture et du calcul. Cependant, la dimension religieuse reste forte avec le catéchisme et la récitation de cantiques.

Les parents ne portent qu’un intérêt très limité à la scolarisation, surtout dans les campagnes. Il s’agit d’un enseignement essentiellement en allemand (deutsche Schulen), l’enseignement en français étant très localisé à quelques bourgades et villes de garnison comme Cernay, Bischwiller, Sélestat et Obernai.

L'école paroissialeRevenir au début du texte

Au XVIIIe siècle, l’école paroissiale, véritable succursale de la sacristie, bénéficie d’un véritable essor mais elle garde un très fort caractère confessionnel et n’est que peu fréquentée, surtout durant la période estivale où la présence des enfants pour les travaux des champs est importante. En raison de l’existence du droit d’écolage, l’école s’avère onéreuse pour les familles les plus humbles et donc réservée à des privilégiés.

Dans son Escole Paroissiale ou la manière de bien instruire les enfants dans les petites escoles, parue en 1654, l'abbé Jacques de Batencour s'appuie sur la petite école de la compagnie Saint-Nicolas-du-Chardonnet, paroisse de Paris Paris, à laquelle il appartient. Décrivant ses années d'enseignement, l'abbé s'attache à servir l'école paroissiale gratuite, témoin de charité pour les enfants pauvres, et à défendre la langue latine.

L'Escole Paroissiale de Jacques de Batencour

S'il serait justice que cet obscur prêtre parisien oissédât sa statue dans tous les centres de formation de France [...], c'est parce qu'il est l'auteur de l'un des premiers, et des plus remarquables, manuels de pédagogie pratique mis à disposition des maîtres d'école. [...] [Il] a voulu faire partager ses réflexions et son expérience à tous ceux qui entendent alors communiquer aux enfants les premiers rudiments du savoir religieux et profane. [...] [Le] premier, [il] a doté les petites écoles d'une authentique organisation pédagogique. [...] La communale de Jules Ferry étant directement issue des petites écoles dont J. de Batencour a contribué à fixer le fonctionnement pédagogique, comment ne pas voir dans ce modesre prêtre parisien l'un des pères de l'école moderne ?

GIOLITTO Pierre. Histoire de l'école. Maîtres et écoliers de Charlemagne à Jules Ferry. Paris : Imago, 2003, p. 10-11.

Maîtres et enseignements

Il existe tout de même un maître d’école dans presque chaque village alsacien. Il est choisi par le corps des échevins ou par la communauté d’habitants toujours avec l’avis du pasteur ou du prêtre qui privilégie des critères tels que la qualité de la calligraphie, la connaissance du catéchisme, la piété et l’austérité, puisque le but de cette école paroissiale est de moraliser et d’instruire les enfants dans les préceptes religieux. La consultation des bibliothèques scolaires confirme cela, puisque l’on y trouve la Bible, des psautiers, des catéchismes et des manuels de spiritualité avant tout.

Le maître d’école peut être un théologien en attente d’une cure, un ancien étudiant, un artisan, un ouvrier sans travail…

En plus d’un droit d’écolage, le maître bénéficie d’avantages qui dépendent entièrement des communautés. Il peut ainsi être logé, recevoir quelques terres ou être exemptés de corvées, mais sa situation financière reste toujours précaire.

Les élèves sont répartis, en général, en trois niveaux : ceux qui apprennent l’alphabet, ceux qui apprennent à lire et ceux qui s’initient à l’écriture.

L’exemple d’une école au XVIIIe siècle

À Waldersbach et à Bellefosse, il y a beaucoup de jeunesse. Comme en hiver les classes sont mieux fréquentées qu'en été, nous avons l'habitude de louer une grande pièce et d'y faire la classe. Il est vrai, à Waldersbach, il existe une petite cabane couverte de chaume qu'on appelle école, mais on peut à peine y bouger. Mais dans les autres villages il n'y en a même pas, et la classe a lieu chaque semaine dans une autre maison. Chaque fois qu'à Bellefosse le tour normal concerne une maison dont la pièce principale est trop petite (et c'est le cas de la plupart), et en plus encombrée de lits, de métiers à tisser, etc …, on loue une autre pièce. Jusque-là, les enfants s'asseyaient derrière le poêle et à ses pieds, dans les métiers à tisser et encore ailleurs. Ils s'entassaient à étouffer, et il était impossible d'espérer obtenir cet ordre pourtant indispensable à l'application de la bienfaisante méthode introduite récemment et d'autres dispositions que nous avons adoptées.

Lettre du pasteur Jean-Georges Stouber à Jean Schweighauser, le 17 février 1764

Des dynasties de maîtres

L’exemple d’une dynastie de maître d’école, les Vonflie

L’exemple d’une dynastie de maître d’école, les Vonflie
Réal. Vincent Cuvilliers, 2011

Durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, les communautés prennent de plus en plus contrôle des écoles, au détriment de l’autorité ecclésiastique.

L’intendant, représentant de l’autorité royale, manifeste un intérêt croissant pour le domaine scolaire qui doit permettre la diffusion du français. Si l’on prend l’exemple de Thann, un maître d’école français est engagé en 1740. Il touche le même salaire que son collègue de l’école allemande, qui lui a en plus la charge l’instruction religieuse.

Un effort matériel est réalisé avec une vague de construction d’école dans les années 1760. On voit dès lors apparaître de véritables dynasties de maîtres d’école dans certains villages.

L'exemple de Johann-Friedrich Oberlin
(31 août 1740 – 1e juin 1826)

Alphabet méthodique pour faciliter l’art d’épeler et de lire en français

Alphabet méthodique pour faciliter l’art d’épeler et de lire en français
Ouvrage Jean-Georges Stuber , 1762

Fils d’un professeur au gymnase de Strasbourg, il y étudie puis s’engage dans des études de théologie. En 1766, il devient pasteur de Waldersbach, dans le comté du Ban-de-la-Roche. Depuis le XVIIe siècle, plusieurs pasteurs ont pris soin de veiller sur l’école, comme Jean Georges Stuber qui, grâce à son Alphabet méthodique pour faciliter l’art d’épeler et de lire en français, a contribué à lutter contre l’illétrisme.

Les enfants fréquentent l’école dès l’âge de trois ans et s’y livrent à diverses activités avant d’apprendre la lecture et le calcul dès cinq ans. Oberlin s’appuie sur le goût des enfants pour le jeu et pour la nature. Il est l’un des premiers pédagogues à organiser une école maternelle. Il est aidé par Louise Scheppler, qui devient conductrice de l’enfance, c’est-à-dire en charge de la direction d’un asile de petits enfants. Elle obtient, en 1829, le grand prix de vertu de la fondation Montyon.

Il s’engage aussi dans la formation pour adulte.

À partir de 1789, une nouvelle école apparaît. Désormais, le souci est de former des citoyens.

La stabilité de l'enseignement secondaireRevenir au début du texte

Les gymnases protestants

Gymnase de Strasbourg

Gymnase de Strasbourg
Ill. Émile Schweitzer , 17--
Photo et coll. BNU Strasbourg (ref. 627773)

Au sein des établissements secondaires protestants, le gymnase de Strasbourg reste prédominant malgré une certaine sclérose des programmes et des méthodes.

En 1738, Jean-Jacques Schatz stigmatise, dans son rapport, l’abus de la mémorisation et préconise l’apprentissage de l’orthographe allemande et latine. En 1751, une réforme permet le développement des mathématiques, des sciences de la nature et de la géographie au détriment des langues anciennes.

Le gymnase de Strasbourg devient le vivier dans lequel la ville et l’Alsace protestantes recrutent leurs cadres intellectuels.

Le gymnase de Bouxwiller prend comme modèle celui de Strasbourg et devient une pépinières de médecins et de théologiens. Ce gymnase est financé par l’hôpital de Bouxwiller, par les fabriques des églises du comté de Hanau-Lichtenberg et par des subsides de la régence. Vers 1780, l’enseignement semble se dégrader.

En 1781, on assiste à l’introduction de nouvelles disciplines comme les sciences naturelles, l’histoire, la géographie, l’initiation à la lecture de journaux politiques et à la rédaction de lettres. L’allemand devient une matière d’enseignement distincte. Cette réforme permet au niveau de se relever lentement et permet au gymnase de devenir un véritable vivier pour le comté de Hanau-Lichtenberg.

Le gymnase de Colmar est, quant à lui, réputé pour son enseignement des langues anciennes. À partir de 1765, le français y est enseigné, ce qui permet d’attirer les cadres protestants de Colmar face au collège royal.

L’école latine de Mulhouse se développe et, en 1709, son succès permet d’y ouvrir une quatrième classe. Cette école est réformée sous l’influence des milieux cultivés mulhousiens qui souhaitent reprendre le modèle développé par Pestalozzi.

Les établissements catholiques

Les établissements secondaires catholiques sont plus nombreux mais moins florissants. Ces établissements sont dirigés par les jésuites, les bénédictins et les franciscains. Dans ces établissements, l’enseignement est axé sur l’éducation religieuse et sur le latin.

En 1698, l’installation du conseil souverain d’Alsace à Colmar s’accompagne de la création d’un collège destiné aux fils des magistrats de cette cour. Le collège de Strasbourg devient, pour les jésuites, une citadelle de l’orthodoxie romaine contre les protestants, les jansénistes et les libres penseurs. À partir de 1730, le recrutement devient plus régional. Le 20 décembre 1764, en vertu d’un arrêté du conseil souverain d’Alsace, les jésuites doivent se soumettre à la volonté de Louis XV qui expulse l’ordre. Cette décision a des répercussions importantes en Alsace puisque de nombreux collèges étaient tenus par l’ordre des jésuites.

En 1765, le nombre de collèges royaux est ramené à trois en Alsace, celui de Sélestat est repris de 1769 à 1791 par les Récollets, celui de Colmar devient le centre de la culture française dans la province tandis que celui de Strasbourg modernise ses programmes en incluant les autres modernes.

Les premières tentatives d’écoles professionnellesRevenir au début du texte

Les premiers essais d’écoles professionnelles ont lieu à Mulhouse et à Colmar.

En 1781, est fondée à Mulhouse une académie préparatoire au commerce, qui s’inscrit dans un mouvement européen dont le but est de former une élite commerciale protestante. La formation, organisée sur trois années, comprend des cours théoriques (allemand, français, mathématiques, calligraphie, géographie économique) et des cours pratiques (tenue de comptes, conversions des monnaies et d’unités de mesures).

En 1773, Théophile Conrad Pfeffel ouvre à Colmar une académie militaire pour former les jeunes nobles protestants, qui ne peuvent en raison de leur religion être admis à l’école militaire de Brienne. Les principes pédagogiques sont influencés par Basedow et Johann Heinrich Pestalozzi. On y enseigne l’allemand, le français, l’histoire, la géographie appliquée à l’art de la guerre, les mathématiques et les principes du droit des gens. En 1792, Pfeffel ferme son académie militaire.