Par Nicolas Schreck
Publié le à définir
Les écoles normales sont repliées dans le sud-ouest. Les autorités allemandes ouvrirent de nouvelles écoles, recrutant après un examen, formant par un enseignement intégralement en allemand et orienté au service du parti.
Les témoignages ci-après proviennent des élèves de l’école de formation de Sélestat.
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Nous nous connaissions depuis 3, 4 ou 5 ans, étions originaires de Mulhouse et des environs, et sortions presque toute de la même classe de la Mittelschule.
L’École normale s’appelait en allemand Lehrerinnenbildungsanstalt (LBA). On pouvait y entrer soit à 13-14 ans et y passer 5 ans, soit à 15-16 ans et y rester 3 ans seulement. Dans ce dernier cas, on entrait tout de suite en classe de 3e année, qui correspondait, je pense, à une classe de première du lycée. La 4e année correspondait à la classe de philo et la 5e était une année de formation professionnelle. Mais on commençait déjà en 4e des études pédagogiques.
Notre groupe avait passé au mois de juillet 1943 un examen d’entrée et nous étions admises en 3e année. […]
Notre séjour à la LBA doit être considéré deux plans bien différents : le plan scolaire et le plan politique. Au point de vue scolaire, notre vie n’était pas très différent de celle de tous les élèves internes dans un établissement analogue. Nous avions nos programmes, nos emplois du temps, nos compositions, des devoirs à faire et des leçons à apprendre. Nous attendions avec impatience l’heure du courrier, des départs en vacances ou en grande sortie.
Nous avions nos petites corvées ménagères à l’intérieur de l’école. […] Dans nos programmes figuraient la géographie, l’histoire, les mathématiques, la physique et la chimie. Nous n’avions évidemment pas de leçon de français, mais nous apprenions l’anglais et à partir de janvier 1944, le latin à la place de l’anglais. La littérature expliquée se faisait sur des textes d’auteurs allemands, Lessing, Goethe, Herder. Avant les auteurs des 17e et 18e siècles, nous avions aussi étudié la littérature allemande du Moyen Âge et de la Renaissance. Les Minnesänger ainsi que l’importance de Luther au point de vue linguistique.
La gymnastique ainsi que le chant et la musique occupaient également une très grande place dans notre emploi du temps.
[…] Il est clair qu’une école dirigée par un directeur et des professeurs allemands, dans une Alsace annexée, avait pour objectif de faire de nous de parfaites institutrices allemandes. Certaines matières scolaires, comme l’histoire et la littérature, se prêtaient fort bien à la réalisation de ce projet. L’endoctrinement systématique a existé. Il se faisait ouvertement dans des stages politiques et sournoisement par un dénigrement de la France, de ses habitants, de l’Eglise, de la religion. On ne nous défendait pas d’aller à l’église le dimanche, mais un ou deux fois par mois, nous devions assister –le dimanche matin – à une séance de cinéma ou à un concert.
Je crois cependant pouvoir dire que la plus grande majorité d’entre nous, cet endoctrinement était voué à l’échec. Les années passées dans les écoles françaises, 6 à 7 ans avant la guerre, l’éducation reçue dans nos familles ainsi que l’amitié qui nous liait les unes aux autres, faisaient le contrepoids nécessaire. […]
Nous devions aller aider à la récolte des pommes de terre chez les maraîchers des environs de Sélestat. Quand il faisait beau, cela était encore assez amusant, mais par temps de pluie, nous n’avions guère le cœur à l’ouvrage. Quelques-unes durent même accompagner, en qualité de cuisinière des compagnies de civils qui creusaient des fossés antichars dans les Vosges et aux bords du Rhin. ? Deux usines situées à l’entrée de Sélestat, fabriquaient du matériel de guerre. Les élèves de 3e et 4e années durent y travailler une semaine à tour de rôle, pendant les derniers mois. C’est dans une de ces usines, située sur la route de Marckolsheim, que nous apprîmes par les ouvriers l’entrée des Français à Mulhouse, le 21 novembre 1944.
DEMANDE DE DROIT EN COURS !
Témoignage d’Irène Metz, promotion 1944-1948.
Cité dans COLLECTIF. L’École normale de Sélestat, une histoire centenaire. Sélestat : Librairie Lire et Chiner, 1972, p. 150-153.
Doc. 2. Emplois du temps d’une élève de la Lehrerinnenbildungsanstalt
Photo Nicolas Schreck, 1943
Coll. Archives municipales de Mulhouse (143 TT)
Les cours se répartissaient en 6 séances de trois-quarts d’heure, entre 8 et 13 heures. Le repas était pris à 13 heures. Suivaient une heure de sieste obligatoire, l’étude dès 15 heures. À 18 h 30, les programmes de propagande de la radio nazie sous la forme de bulletins de l’armée allemande étaient écoutés pendant une demi-heure. La journée finissait par une séance d’études, jusqu’à 21 heures.
À l’évidence, l’esprit français, sous administration allemande, y régnait. Les élèves allemandes n’y furent que très peu nombreuses, la majorité des élèves provenant des trois départements.
En tant que futures éducatrices, nous étions chargées des réunions de groupes de jeunes (Jeunesse hitlérienne et Ligue des jeunes filles allemandes) dans les villages environnants. Ainsi, nous partions une fois par semaine, l’après-midi, par le train, à deux, la plupart se sentant gênées dans l’uniforme à croix gammée, quelques rares élèves le portant fièrement. Selon la saison, nous faisions avec les enfants des sorties, parfois pour ramasser des plantes médicinales ou des doryphores qu’il fallait exterminer ; un bien en salle, nous organisions des jeux, nous leur apprenions un chant ou nous leur lisions un conte.
En raison de nos études, nous étions dispensées du service du travail d’un an. Mais à tour de rôle, nous avions à faire du service en usine.
DEMANDE DE DROIT EN COURS !
Témoignage de J. Meyer.
Cité dans COLLECTIF. L’École normale de Sélestat, une histoire centenaire. Sélestat : Librairie Lire et Chiner, 1972, p. 148.
La lecture des deux témoignages (documents 1 et 3) propose un premier aperçu de l’école sous l’occupation. Nous savons combien un témoignage peut être fragile : il subit d’abord une déformation liée à la durée, entre les événements vécus et le temps actuel ; en second, le témoignage est toujours sélectif, imposant parfois l’oubli, la modification du passé en souvenirs, une volonté parfois manifeste de témoigner pour ceux qui ne sont plus... En fait, comme les autres traces, c’est l’analyse historique qui seule peut valoriser un témoignage.
Les deux témoignages dépeignent l’irruption d’une politique nazie à l’école : le refus de la moindre expression en français, une germanisation et une nazification qui apparaissent comme un dressage, utilisant l’endoctrinement et la brutalité verbale.
Mais aussi, d’autres indications sont à remarquer : la difficulté des élèves à apprendre en allemand, qui est une indication de la maîtrise du français que possédait la jeunesse en 1940 mais également l’importance accordée à la religion qui apparaît sauvegarde une morale collective, ou encore les disciplines appréciées par les élèves, travaux manuels et autres ramassages, qui restaient éloignés de l’endoctrinement politique.
L’école contribue également à l’effort de guerre par des collectes, mais aussi soulage le quotidien, permettant aux élèves de retrouver des activités agricoles et pastorales.
Enfin, l’école vit au rythme de la guerre, subissant sa violence, les bombardements, ses peurs.
Doc. 4a. Cahier d’une élève de la Lehrerinnenbildungsanstalt
Photo Nicolas Schreck, 1943
Coll. Archives municipales de Mulhouse (143 TT)
L’école donnait une importance à certaines disciplines qui pouvaient aider à la formation politique du maître : la gymnastique (avec des séances de natation en particulier), l’histoire et la géographie.
Doc. 4b. Cahier d’une élève de la Lehrerinnenbildungsanstalt
Photo Nicolas Schreck, 1943
Coll. Archives municipales de Mulhouse (143 TT)
Le cahier proposé collecte les dates d’histoire à connaître : si l’idéologie ne transparaît que peu, puisque le cahier s’arrête à la mort de Louis XIV (d’ailleurs inexacte, 1715 et non 1717), on retiendra que le choix des dates s'emploie à faire une histoire de l’opposition de la France à l’Allemagne, une histoire en fait de la suprématie de l’Allemagne au sein d’une Europe en construction.
24 novembre 1944 : Notre terrible Rex (le directeur de l’École normale de Sélestat), nos professeurs, nos compagnes de classe allemandes et, il faut bien le dire, quelques Alsaciens, fuient l’école, emportant valises et sacs à dos. Ils pensent pouvoir passer le Rhin à Marckolsheim, grâce à un bac qui y circule régulièrement.
[…] Notre première tâche consiste à débarrasser l’école de tous les portraits du Führer et autres tableaux que nous avions en horreur. Tout est jeté à la chaufferie et s’y accumule en plusieurs tas respectables. Je vois encore notre amie Betty Mast soulever de son piédestal un immense buste de Hitler et le jeter sur le sol de la salle à manger, où il se fracasse en mille morceaux.
Sélestat est bombardé par les Américains et l’Ecole normale durement touchée. Dans les caves où nous logions presque en permanence, avaient également trouvé refuge des voisins dont les caves sont inondées, les vieilles personnes de l’Asile des vieillards, les malades de l’hôpital civil, etc… Des combats ont lieu sur place : les dernières troupes allemandes – un régiment disciplinaire – retranchées à l’École normale, se défendent contre les Américains. Le 6 décembre, les troupes américaines libèrent la ville.
DEMANDE DE DROIT EN COURS !
Témoignage de A. Bersauter, promotion 1944-1948.
Cité dans COLLECTIF. L’École normale de Sélestat, une histoire centenaire. Sélestat : Librairie Lire et Chiner, 1972, p. 154-155.
Je ne louerai jamais assez le courage de ces jeunes filles, ayant pour la plupart interrompu leurs études depuis 1940 et qui avec une soif d’apprendre et une ardeur au travail inégalées mirent les bouchées doubles et triples pour passer avec succès l’examen encyclopédique qui couronnait leurs études. Et puis, en juin 1945, ce fut le joyeux retour au pays et pour nous les professeurs, la fin de l’expérience agenaise. […] Il restait encore à liquider la situation matérielle, à rendre au Lot et Garonne des locaux en état – bien délabrés et bien vides ! – à reconduire en Alsace le matériel évacué en 1939, y compris celui qui se trouvait encore dans les établissements scolaires de Bergerac.
DEMANDE DE DROIT EN COURS !
Témoignage de la directrice J. Peltot.
Cité dans COLLECTIF. L’École normale de Sélestat, une histoire centenaire. Sélestat : Librairie Lire et Chiner, 1972, p. 145.