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La langue à l'école en Alsace

Par Nicolas Schreck

Publié le à définir

Il s’agit en fait d’une double histoire, celle du retour à un enseignement de l’allemand, celle de la reconnaissance d’une place scolaire à l’alsacien.

Une courte histoire depuis 1945Revenir au début du texte

Doc. 1. Chronologie indicative d’une politique au service de la langue
Périodes Dates Principales évolutions
Le temps de l’ignorance de la situation régionale 1950, novembre Souhait des deux conseils généraux d’un retour à un enseignement de l’allemand.
Décret du 18 décembre 1952 Décret relatif à l’enseignement de la langue allemande dans les classes terminales des écoles primaires des communes dont la langue usuelle est le dialecte alsacien.
Circulaire du 20 octobre 1953 Un corps d’instituteurs itinérants pour enseigner l’allemand, surnommés péjorativement les Véloschwowe.
29 novembre 1958 Demande de l’Association générale des parents d’élèves de l’enseignement public en Alsace (APEPA) d’un enseignement de l’allemand généralisé, pratique, de vie courante et intégré au cycle complet des études.
1959 L’allemand est discipline d’enseignement non obligatoire pour les élèves de 11 à 14 ans.
1961 Extension de l’enseignement de l’allemand aux trois dernières années de l’école primaire.
1969 - Rénovation de l’enseignement de l’allemand au collège sous la conduite de l’inspecteur général Holderith.
- Expérimentation de la méthode à partir de 1972 dans une trentaine de classe de cycle 3. Le dispositif est confirmé par la circulaire du 30 mars 1976 (circulaire Denieul).
Années 1970 Série de publication du Centre Régional de Documentation Pédagogique (CRDP) appelée Vivre en Alsace.
Une reconnaissance par étapes 9 juin 1982 Circulaire du recteur Pierre Deyon.
1982, 21 juin Publication par le ministre de l’éducation nationale Alain Savary d’une circulaire intitulée l’enseignement des cultures et langues régionales dans le service public d’éducation nationale.
Ouverture d’une unité de formation obligatoire de langue et culture régionale à l’École normale, unique en France. Cette unité constituera le Centre de Formation aux Enseignements Bilingues (CFEB) de Guebwiller.
18 décembre 1990 Les parlementaires alsaciens et mosellans présentent au premier ministre un plan éducatif pour le retour du bilinguisme en Alsace-Moselle.
1991 Circulaire rectorale.
1994 - Proposition d’un cursus 3, 6, 13 heures.
Nouvelle circulaire de 1994 sur le bilinguisme.
Première promotion de professeurs d’allemand titulaires du CAPES avec option alsacien.
1995 - Circulaire ministérielle sur l’Enseignement des langues régionales (BOEN, 20 avril 1996).
- Circulaire rectorale du 20 mai 1995 consacrée à l’option LCR.
Le temps de la convention entre l’Etat et les collectivités territoriales

Doc. 2. Deux recteurs définissent la langue régionale

[Le recteur Pierre Deyon, en 1985 :]
Il n’existe en effet qu’une seule définition scientifiquement correcte de la langue régionale en Alsace, ce sont les dialectes alsaciens dont l’expression écrite est l’allemand. L’allemand est donc une des langues régionales de France.

[Le recteur Jean-Paul de Gaudemar en 1991 :]
L’allemand présente, du point de vue éducatif, la triple vertu d’être à la fois l’expression écrite de la langue de référence des dialectes régionaux, la langue des pays les plus voisins et une grande langue de diffusion européenne. Enseigner l’allemand à l’école primaire en Alsace participe ainsi d’une triple entreprise : soutien de la langue et de la culture régionales, enseignement précoce des langues vivantes et initiation à une culture européenne et internationale.

DEYON Pierre. Le programme Langue et cultures régionales en Alsace. Bilan et perspectives. Juin 1982-juin 1985 S.l. : 1985, p. 9-10. (Droits réservés).
DE GAUDEMAR Jean-Paul. Programme à moyen terme de l’allemand à l’école. Circulaire rectorale du 20 septembre 1991. In Le programme Langue et culture régionales en Alsace. Textes de référence 1991-1996, p. 45. (Droits réservés).

Doc. 3. Arrêté du 19 décembre 1952 devant rendre applicable le décret du 18 décembre 1952

Art. 1. L'enseignement de la langue allemande dans les classes terminales des écoles primaires des communes de dialecte alsacien, institué par le décret du 18 décembre 1952, a pour but de donner aux enfants qui le suivent une connaissance pratique et rapidement utilisable de la langue allemande. Cet enseignement devra être adapté, dans ses méthodes, aux conditions et difficultés locales.

Art. 2. Seront admis à suivre ces cours d'allemand les élèves dont le père ou le tuteur légal aura donné son accord écrit lors de la consultation qui devra être faite sur ce point par MM. les inspecteurs d'académie intéressés.

Art. 3. Les cours seront assurés dans les écoles primaires publiques par les instituteurs qui, consultés par MM. les Inspecteurs d'Académie, se seront déclarés aptes à enseigner la langue allemande et disposés à assumer la charge de cet enseignement.

Art. 4. Les 2 heures hebdomadaires consacrées aux cours de langue allemande devront être comprises dans l'horaire normal obligatoire à raison de: une heure prise sur le temps consacré aux activités diverses et une heure prise sur le temps consacrée à l'éducation physique.

Bulletin officiel de la République française, 19 décembre 1952, p. 11 673.

Palette de la politiqueRevenir au début du texte

Doc. 4. Palette d’actions en fonction des cycles
Quelques exemples de dispositifs
Primaire - Enseignement extensif de l’allemand dans le premier degré, au sein des classes de cycle 3.
- Dispositif bilingue paritaire.
- Tandem.
Secondaire - Dispositif bilingue, qui permet en 6e et 5e un enseignement simultané de l’allemand et de l’anglais.
- Dispositif bilingue, sans que la parité ne soit atteinte.
- Sections Abi-bac.
Dans l’enseignement professionnel - Dans l’enseignement professionnel mention régionale enseignement de l’allemand dans une discipline professionnelle.
- Certificat Euregio, qui valide en particulier une réussite au diplôme et un stage de 4 semaines minimum dans l’espace du Rhin supérieur.

Document Nicolas Schreck.

Doc. 5. Avis sur l’enseignement paritaire par l’Inspection

Au plan qualitatif, les outils pédagogiques restent lacunaires, notamment dans les disciplines enseignées en allemand, mais en dépit de cette difficulté, ajoutée à l’imprécision des objectifs, il s’agit sans conteste d’un enseignement de réussite : 97% de réussite au brevet des collèges (contre 76% pour les élèves des filières monolingues), avec des résultats supérieurs dans toutes les disciplines par rapport aux filières monolingues  ; 99,10% de réussite à l’Abibac contre 86,5% pour les autres candidats de l’académie.

Comme pour l’enseignement extensif de l’allemand, un nombre important d’élèves quitte cependant le dispositif à des moments clés du parcours : entre la grande section de maternelle et le CP (environ 15%) et entre le CM2 et la 6e (environ 17%). La raison essentielle en est la crainte d’une surcharge de travail pour les élèves les moins bien disposés, mais on ne peut écarter non plus une saturation progressive de l’allemand chez des élèves ayant subi un choix parental.

À l’entrée au lycée, tous les élèves n’ont pas la possibilité d’intégrer une section Abi-bac (1,5% des effectifs se retrouvent dans l’une des neuf sections Abi-bac de l’académie). Si les élèves font généralement la preuve de bonnes compétences en allemand, certains appréhendent cependant le renforcement horaire imposé par les enseignements spécifiques à cette section. Tous n’ayant pas vocation à la rejoindre, il conviendrait de leur proposer une solution alternative.

IGAENR - IGEN. Georges Septours, Roger-François Gauthier.
Évaluation de l’enseignement dans l’Académie de Strasbourg, octobre 2006, p. 107-108.
Voir l'intégralité du rapport sur le site du ministère de l'Éducation nationale.

Doc. 6. En Alsace, une politique académique ambitieuse

Déjà saluée dans le précédent rapport, la politique linguistique menée par l'académie de Strasbourg est exemplaire pour la promotion du plurilinguisme. Elle prend appui sur l'atout dialectal local pour revitaliser l'apprentissage de l'allemand, à la fois langue de référence des langues régionales et langue du voisin, ainsi que sur des partenariats actifs avec les acteurs et élus locaux.

De nouvelles étapes ont été franchies pour renforcer l'enseignement des langues, depuis la création, en 1992, des premiers sites bilingues à parité horaire (dit enseignement 13/13), dès l'école maternelle :

  • en 2000, a été signée une convention entre l'État, le conseil régional et les conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin sur l'enseignement des langues vivantes, mise en annexe au Plan Etat-Région, qui contractualise les objectifs poursuivis et les moyens engagés pour aboutir à la généralisation de l'enseignement extensif de l'allemand d'ici 2006 de la grande section de maternelle au CM2 (3 heures par semaine au lieu de 2) et la possibilité de mener le cursus bilingue jusqu'au baccalauréat (délivrance simultanée du baccalauréat et de l'Abitur).
    Cette convention illustre une collaboration entre les acteurs : l'État s'est engagé à recruter et former des enseignants ; quant aux collectivités locales, elles se sont engagées à prendre en charge les surcoûts engendrés par cette évolution, principalement la rémunération des contractuels jusqu'à ce que l'éducation nationale soit en mesure de fournir les enseignants formés ;
  • tous les collèges offrent la possibilité aux élèves qui le souhaitent de continuer l'apprentissage de l'allemand et commencer l'apprentissage de l'anglais ou d'une autre langue dès la 6ème, au sein des sections trilingues (qui concernent plus de 18 600 élèves du 2nd degré de l'académie en 2002) ;
  • dans les lycées professionnels, les élèves peuvent préparer dans le cadre des BEP et des Bac Pro une mention régionale connaissance de l'allemand en formation professionnelle et se sont vus les premiers proposer des sections européennes en anglais et en allemand ;
  • enfin, l'académie veille à constituer un vivier suffisant d'enseignants compétents, alors que leur faible nombre est l'obstacle principal au développement du dispositif : le 12 novembre 2001, le Centre de formation aux enseignants bilingues de l'IUFM d'Alsace, situé à Guebwiller, est inauguré. Il prépare la première génération du concours spécifique de recrutement des professeurs des écoles bilingues, et assure la formation initiale et continue pour les professeurs de disciplines non linguistiques des sections européennes ou bilingues du second degré.

Ce sont autant d'avancées novatrices susceptibles de servir de modèle dans d'autres académies, et pour d'autres langues que l'allemand.

LEGENDRE Jacques. Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires culturelles sur l’enseignement des langues étrangères. Rapport du sénat, n°63, annexe au PV de la séance du 12 novembre 2003.
Voir l'intégralité du rapport sur le site du Sénat.

Ainsi, la politique en faveur de la langue témoigne bien de préoccupations longtemps antagonistes : à une politique menée par les autorités françaises qui suspendit l’enseignement de l’allemand à l’école primaire à la Libération, répondit un affaiblissement progressif de l’usage de l’allemand sur plusieurs décennies et la réitération permanente du souhait des parents d’un enseignement de langue régionale. Restée longtemps langue de l’écrit, de la communication verbale, bien qu’elle ne soit plus la langue de l’école, l’Alsace se découvrait en fait bilingue.

Le français est devenu la langue de l’école. Aussi, l’apprentissage de l’allemand au sein des classes devint l’objet de vives tensions, ses défenseurs en faisant une question de principe, l’expression d’une culture, d’un attachement confessionnel, la manifestation du maintien de la relation entre la génération de l’après-guerre et les illustres ancêtres… La cristallisation des positions a nui à la langue devenue otage d’une politique et de revendications.

Force est de constater le maintien d’une revendication permanente des parents quant à cet enseignement : elle se cristallise lors d’affrontements lors de l’installation facultative de l’allemand à l’école élémentaire (1952), mais aussi en tentant de proposer l’allemand aux élèves non dialectophones, lors de la diffusion des premiers outils pédagogiques…

Le retour de l’allemand se fit pourtant par étapes. Au cours des années 1970, l’allemand retrouva place dans les écoles, tout en restant prisonnier de politiques. Il témoignait alors d’un retour à l’entente franco-allemande, valorisait la langue du voisin et une grande langue commerciale et culturelle. Cette époque connut en particulier deux mises en œuvre, l’emploi des méthodes de l’Inspecteur général Georges Holderith (1972) et l’ouverture de section de Langues et culture régionale (1982).

Cette reconnaissance devait encore se renforcer (1982, 1991, 1995…), dans un contexte pourtant d’effacement des pratiques dialectales. Dès lors, malgré d’évidentes réussites en terme de politiques scolaires, avec l’enseignement à parité, l’allemand devint une langue parmi tant d’autres, tant pour les élèves, les parents, que les acteurs éducatifs.