Par Nicolas Schreck
Publié le à définir
Lors d’une conférence pédagogique, le Kreisdirektor Rospatt de Molsheim, le 6 juillet 1871, faisait une comparaison entre le sort de l’Alsace et celui de la Pologne : Messieurs ! N’ayez crainte de cela ! Vous enseignez dans votre langue ; écoutez, il y a déjà 100 ans que les Polonais sont Prussiens, et ils enseignent encore dans leur langue. Eh bien ! Vous serez comme les Polonais.
La place de la langue allemande est confirmée après 1870 : d’une part, elle est la langue parlée par les 4/5e de la population d’Alsace, d’autre part, la finalité de l’école primaire, éduquer à et par la langue maternelle ne permet pas l’ouverture linguistique à d’autres langues.
1878 | 1900 | 1910 | |
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Locuteurs de l'allemand | Bas-Rhin : 955 Haut-Rhin : 787 Lorraine : 532 |
Bas-Rhin : 957 Haut-Rhin : 933 Lorraine : 708 |
Bas-Rhin : 958 Haut-Rhin : 930 Lorraine : 735 |
Locuteurs du français | Bas-Rhin : 41 Haut-Rhin : 37 Lorraine : 304 |
Bas-Rhin : 37 Haut-Rhin : 57 Lorraine : 258 |
Bas-Rhin : 38 Haut-Rhin : 61 Lorraine : 223 |
Langues mêlées | Bas-Rhin : 4 Haut-Rhin : 176 Lorraine : 164 |
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Recensements successifs portant sur la langue maternelle, 1878, 1900, 1905 et 1910 dans Das Elsass vom 1870-1932. Tome IV, Band IV : Karten, Graphiken, Tabellen, Dokumente, Sach- und Namenregister. 1938, p. 198.
Les deux situations :
Dates | Étapes |
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1871 | 14 avril : décret du Commissaire civil remplaçant le français par l’allemand comme langue de l’école primaire. |
1874 | 4 février : Régulativ für die Elementarschulen, vom 4. Januar 1874. 5 août : arrêté prévoyant l’usage de l’allemand comme langue d’enseignement dans les Écoles spéciales de filles. |
1885 | Diverses expériences sont menées, avec un démarrage de la scolarité en une seule langue, l’apport de la seconde se faisant plus tardivement. |
1888 | 4 janvier : arrêté rappelant que l’allemand est la langue d’enseignement. |
1890 | 10 juin : circulaire autorisant dans l’enseignement secondaire à utiliser l’alsacien pour diffuser l’usage de l’allemand. |
1896 | Mise à la retraite de maîtres pour défaut de maîtrise de l’allemand. |
Les difficultés étaient liées à l’utilisation de l’allemand comme langue d’école, en particulier pour les élèves les plus avancés, ceux ayant achevé les classes du primaire.
Les bastions du français furent donc les Écoles primaires supérieures, les Écoles techniques, le secondaire. Les autorités ont consenti à d’importants efforts pour faciliter le basculement linguistique : une longue période de transition, des autorisations en tout genre pour des adaptations de l’enseignement de l’allemand (traduction du grec au français puis à l’allemand…), la baisse des attentes institutionnelles en allemand (reconnues par le règlement du 10 juillet 1873)… Malgré ces aménagements, l’autorité publique ne perdit pas de vue l’objectif de conversion à la culture allemande des élites.
Le tournant se situe au cours des années 1890, l’usage de l’alsacien étant autorisé au sein des cours d’allemand afin d’accompagner les débuts de l’élève en allemand. Le français reste enseigné comme langue étrangère (circulaire du 12 décembre 1873 et du 9 mars 1891).
Les instituteurs, en grande partie, conservaient une faveur pour le français, certains jeunes maîtres ne parlant qu’imparfaitement l’allemand ou même, comme ce maître de Bretten, refusant de faire des efforts pour l’apprendre.
Même si l’administration semble avoir été conciliante, diverses mises à la retraite de maîtres pour défaut de maîtrise de la langue furent prononcées, les premières, très tardivement, qu’en 1896. Dans d’autres degrés, comme par exemple dans les Écoles primaires supérieures, les programmes ne sont pas appliqués, l’enseignement de la langue allemande servant d’heures de traduction du français en allemand, divers manuels français ayant même remplacés les ouvrages allemands acquis…
La formation des enseignants fut modifiée progressivement, afin de permettre à ceux qui avaient débuté leur cursus dans une langue de l’achever. La première modification, le 4 janvier 1874, autorise encore le candidat à choisir la langue de passage de l’examen, français ou allemand, mais impose une leçon pratique dans les deux langues. Les autorités culturelles militèrent d’ailleurs pour le maintien d’une partie de l’enseignement en français au sein des Écoles normales.
La langue possède d'ailleurs une dimension religieuse, tant pour les catholiques que pour les protestants (document 2).
Or, la langue religieuse, en Alsace et dans nos campagnes surtout, est, et restera encore pour un temps assez long, la langue allemande, dont la pleine connaissance importe beaucoup par conséquent aux besoins de notre culte. Nous estimons donc que la culture religieuse et morale des jeunes générations doit l’emporter sur des considérations toutes politiques, et nous proposons de revendiquer pour nos écoles primaires de l’Alsace un niveau d’enseignement de la langue allemande qui permette de la parler, de la lire et de l’écrire couramment.
Coll. Das Elsass von 1870 bis 1932. Alsatia, Band IV : Karten, Graphiken, Tabellen, Dokumente, Sach- und Namenregister. 1938, p. 513.
Le décret du commissaire civil sur l’utilisation de la langue allemande datait du 14 avril 1871. L’importance de la langue est rappelée en de multiples reprises : le 20 juillet 1873, le 4 janvier 1874, le 22 juin 1874... L’autorité se montre de plus en plus attentive à la langue, avec l’obligation pour les directeurs de posséder l’allemand (ordonnance du 16 novembre 1887), avec l’extension de l’allemand dans l’enseignement des filles (arrêté du 4 janvier 1888 qui prévoit que l’allemand sera aussi la langue d’enseignement des écoles supérieures de jeunes filles) et avec l’encadrement des heures de leçons particulières des instituteurs publics en langue française (circulaire du 13 février 1888)… À l’évidence, loin d’une recherche d’un bilinguisme, on assiste au renforcement de l’allemand comme langue exclusive.
Les autorités sont conscientes de l’existence d’un particularisme linguistique dans 5 cantons (Schirmeck, Saales, Sainte-Marie-aux-Mines et Lapoutroie, voir document 4), ainsi que le territoire de Belfort sont exclusivement de langue française. Ces territoires bénéficient de conditions particulières.
Le but poursuivi a été d’obtenir non seulement que les enfants parlent français, mais aussi qu’ils pensent autant que possible en français. On a voulu éviter qu’entre les choses et le langage français dont l’enfant se servirait pour les exprimer s’interposât la langue allemande.
Ainsi, la préoccupation constante a-t-elle été de réduire l’emploi de l’allemand comme moyen d’enseignement.
L’application de la méthode directe l’a exclu presque complètement de l’enseignement du français, dès le début. Il n’a été toléré, Que pour abréger certaines explications et pour vérifier rapidement si les élèves avaient compris. Employé au début pour les enseignements accessoires l’allemand ne l’a toutefois jamais été pour l’enseignement de l’histoire et de la géographie qui n’ont été introduite dans les programmes qu’autant qu’il devenait possible de les enseigner en français.
Dès l’année scolaire 1915-1916 l’allemand a cessé complètement non seulement de servir à l’enseignement des matières accessoires, mais même d’être employé comme moyen rapide d’explication et de contrôle.
Si, comme il vient d’être dit, l’allemand ne doit pas servir à l’enseignement, il est légitime de lui réserver une certaine place dans le plan d’études. Dès à présent, il est enseigné dans la division supérieure des écoles ; on pourra y consacrer plus de temps lorsque les progrès faits dans l’étude de la langue le permettront.
Tiré de République française. Administration Militaire de l’Alsace. Rapport sur l’organisation des Territoires, 1914-1916. Thann : Imprimerie Lefrancs, 1917. Cité dans Das Elsass vom 1870-1932. Tome IV, Band IV : Karten, Graphiken, Tabellen, Dokumente, Sach- und Namenregister. 1938, p. 368.
Cercles | Cantons | Nombre de communes (1892) | ||
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Basse-Alsace | Molsheim | Molsheim | Lützelhouse (autorisation disparue en 1878) | 0 |
Saales | Bourg-Bruche, Colroy-la-Roche, Plaine, Ranrupt, Saales, Saint-Blaise, Saulxures | 7 | ||
Schirmeck | Bellefosse, Belmont, Blancherupt, Fouday, Grand-fontaine, Neuwiller, Russ, Solbach, Waldersbach, Wildersbach, Wischen, Barenbach (1892), Rothau (1892), Schirmeck (1892), La Broque (1892) | 11 | ||
Sélestat | Villé | Fouchy, Steige, Orbey, Breitenau (1892) | 4 | |
Haute-Alsace | Altkirch | Dannemarie | Lutran, Montreux-Vieux (1890), Bretten (1890), Valdieu (1890), Montreux-Jeune (1890), Bellemagny (1892), Magny (1892), Saint-Cosme (1892), Chavannes-sur-l’Etang (1892), Eteimbes (1892), Romagny (1892) | 1 |
Ferrette | Ferrette | Lucelle (1890) | 0 | |
Ribeauvillé | Sainte-Marie-aux-Mines | L’Allemand-Rombach, Sainte-Marie-aux-Mines (1878), Sainte-Croix-aux-Mines (1878), Aubure (1890), Lièpvre (1890) | 1 | |
La Poutroye | Zell, Le Bonhomme (1892), La Poutroye (1892), Fréland (1892), Orbey (1892) | 1 |
District de Lorraine : 16 communes en 1916.
MINISTÈRE DE LA GUERRE. Organisation politique et administrative et législation de l’Alsace-Lorraine. Première partie. Paris : imprimerie nationale, 1915, p. 52-53.
Pourtant, diverses voix se font entendre en faveur du bilinguisme. La proposition du député Kübler le 10 mars 1910 vise à rendre le français obligatoire dans les écoles primaires et les écoles normales.
Dominique Huck, dans l’une de ses synthèses, conclut que la langue essentielle de l’écrit reste l’allemand standard, le demi-siècle passé dans le cadre politique de l’Empire allemand ayant consolidé, notamment à l’école, la connaissance et l’utilisation de l’allemand écrit, qui commençait à faiblir au profit du français entre 1850 et 1870.