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Histoire de la scolarisation
en France

Par Nicolas Schreck

Publié le à définir

À partir de quand la France a-t-elle proposée une scolarité de masse, permettant aux garçons et aux filles de bénéficier d’une instruction primaire ? Généralement, la réponse fait coïncider les lois scolaires de Jules Ferry, des années 1880, à l’école primaire pour tous. En oubliant les progrès constants de la scolarisation tout au long du XIXème siècle, en réduisant l’œuvre de Jules Ferry à une conquête numérique, alors qu’elle se proposait par l’école de républicaniser la France.

Le dossier montre l’ancienneté d’une scolarisation de masse dans le Primaire.

Avant 1870, une scolarisation presque acquise ?Revenir au début du texte

Doc.1. La scolarisation en France, de 1815 à 1870
Périodes historiques Principales caractéristiques de la scolarisation
Les régimes de Restauration (1815-1830) Cette période est le temps de l’administration de la France par les notables locaux, dans un paysage scolaire délaissé, affaibli par une histoire mouvementée (entre la disparition des institutions d’Ancien Régime, les projets non-aboutis de la Révolution française, enfin l’indifférence de l’Empire au sort d’une éducation populaire).
L’État affirme des droits à légiférer sur l’éducation, sans être capable pour autant de financer sa politique ou de l’imposer aux collectivités : le 26 février 1816, une ordonnance impose aux communes de donner une instruction publique, même aux enfants pauvres ; cette obligation est élargie aux filles par la circulaire du 3 juin 1819.
La monarchie de Juillet de Louis-Philippe Ier (1830-1848) 1831 : demande des industriels de Mulhouse d’une instruction obligatoire.
1833, 28 juin : lois Guizot. Cette réforme impose aux communes de fonder une école communale, lui assurant en particulier un financement et un traitement équitable. La loi distingue les écoles publiques et les écoles privées.
1833 : Guizot utilise un corps de 490 inspecteurs pour établir, pour une première fois, l’autorité de l’État sur les écoles des communes (et de réduire d’autant le poids des notables locaux) mais également fait dresser un bilan précis du réseau des écoles (locaux, matériel pédagogique, instituteurs…). Nomination par l’État (1835, 26 février) d’un inspecteur spécial par département, assisté de sous-inspecteurs.
Les dispositions de la loi Guizot sont partiellement étendues aux filles par l’ordonnance du 23 juin 1836.
La Seconde République (1848-1852) 1848, 30 juin : projet d’une école primaire obligatoire et gratuite par Hippolyte Carnot.
1850, 15 mars : la Loi Falloux est généralement décrite comme conservatrice : elle fait en effet surveiller l’enseignement primaire par un conseil départemental. Les carrières des instituteurs passent de la tutelle des maires à celle des comités. L’inspection est renforcée, montrant la puissance de l’État.
La loi Falloux fait bénéficier aux filles de dispositions pourtant favorables : obligation pour les communes d’entretenir une école pour les filles, ouverture d’une école normale par département, obligation d’une École spéciale pour les filles (dans les communes de plus de 800 habitants, de 500 habitants après la loi du 10 avril 1867).
1852, décret : la nomination des maîtres est faite par les recteurs, non plus par les comités locaux. La formation des institutrices est laissée en grande partie aux congrégations, dont près de mille sont autorisées entre 1852 et 1859.
Le Second Empire (1852-1870) L’Empire pensa pouvoir établir une éducation conservatrice, en en laissant la direction à l’Église : surveillance des instituteurs (après la rapide vague de révocation de 4000 instituteurs, loi du 11 janvier 1850), essor de l’enseignement libre, généralisation des institutrices issues des congrégations dans les écoles communales, remplacement d’instituteurs par des frères…
La seconde période voit l’État souhaiter réduire l’influence grandissante de l’Église : refus de voir des remplacements d’instituteurs laïcs par des frères, soumission des écoles libres à l’inspection publique… Le mouvement est favorisé par le débat public, par la constitution de la Ligue de l’enseignement, par l’essor de la laïcité (dont le mot apparaît en 1871 dans le Littré), par diverses tentatives de laïcisation d’écoles, comme dans le 11e arrondissement de Paris…

Comment expliquer l’essor de la scolarisation ?

Ces fondations d'écoles sont particulièrement nombreuses entre les années 1830 et 1870. Ces ouvertures souvent dues à l’initiative locale réduisent considérablement le nombre de communes sans école. Ces fondations sont municipales ou patronales.

Doc.2. Augmentation des effectifs scolaires au cours du XIXe siècle (élèves en milliers)

Doc.2. Augmentation des effectifs scolaires au cours du XIXe siècle (élèves en milliers)
Graph. Nicolas Schreck, 2012

Elles démontrent que l’idée d’une scolarisation des enfants, d’abord combattue par les industriels attentifs à accaparer le travail des enfants et celui des populations rurales et urbaines est devenue une préoccupation commune, démontrant une évolution des mentalités et un consensus quant à l’école perçue maintenant par tous comme utile.

Héritée de l’Ancien Régime, mis en place par l’Église, les écoles recevaient gratuitement les élèves pauvres. Près d’un tiers des élèves bénéficiait de la mesure de gratuité, tous les régimes du premier XIXe siècle ayant confirmé la disposition (décret de Brumaire an IV, ordonnance de 1816, loi Guizot de 1833).
L’État encadre de plus en plus la liste des élèves qui bénéficient de la disposition, évitant les dérives et les abus : près de 60 % des élèves sont accueillis gratuitement à la veille de l’installation de la Troisième République. La loi du 16 juin 1881, en établissant la gratuité de l’enseignement primaire, confirme donc une pratique de plus en plus étendue.

Doc. 3. Les publics scolaires : garçons et filles

Doc. 3. Les publics scolaires : garçons et filles
Graph. Nicolas Schreck, 2012

Celles-ci frappent d’abord les filles, pour qui on privilégia longtemps une éducation domestique, auprès des femmes de la maison.

Le législateur en recherchant la scolarisation des filles entendait faire disparaître la mixité des écoles, justifiant sa position sous le rapport moral et par la nécessité également de leur apprendre des savoirs spécifiques. La scolarisation des filles rattrape progressivement celle des garçons, tout en lui restant inférieure.

L’Église, les communes et enfin l’État se substituent en effet à l’autorité paternelle sur les enfants.

L’étude de la scolarisation scolaire ne doit pas laisser en retrait la question de l’efficacité de l’école :

Doc. 4. Description du travail d’enfants de 6 à 8 ans par Villermé, en 1837

Mais pour tous, la fatigue résulte d’une station beaucoup trop prolongée. Seize à dix-huit heures debout chaque jour, dont treize au moins dans une pièce fermée, sans presque changer de place, ni d’attitude. Ce n’est plus là un travail, une tâche, c’est une torture ; et on l’inflige à des enfants de six à huit ans, mal nourris, mal vêtus, obligés de parcourir, dès cinq heures du matin, la longue distance qui les sépare de leurs ateliers, et qu’achève d’épuiser le soir le retour de ces mêmes ateliers. Comment ces infortunés, qui peuvent à peine goûter quelques instants de sommeil, résisteraient-ils à tant de misère et de fatigue ? C’est, n’en doutons pas, ce long supplice de tous les jours qui ruine principalement leur santé dans les filatures de coton, et plus encore à Mulhouse et à Thann. […]

Le remède au dépérissement des enfants dans les manufactures, à l’abus homicide qu’on en fait, ne saurait donc se trouver que dans une loi ou bien un règlement qui fixerait, d’après l’âge de ces ouvriers, un maximum à la durée journalière du travail. […]

Il s’agit ici d’une loi d’humanité. Elle est nécessaire, indispensable. […] Cette loi, qu’il me soit permis de le dire en terminant, doit concilier des intérêts tout opposés, celui des fabricants, celui des ouvriers, et ne pas trop accorder à l’un, de peur de nuire à l’autre. Il serait encore à désirer que l’on pût y faire entrer quelque article favorable à l’instruction primaire des enfants.

Discours sur la durée trop longue du travail des enfants dans beaucoup de manufactures par Villermé. Académie de l’Institut de France, 2 mai 1837, p. 7-13.

Louis René Villermé (1782-1863) était un médecin français, auteur prolifique qui décrivit les méfaits de l’industrialisation. Ce texte, mais également son ouvrage, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, paru en 1840 (Tableaux de l'état physique et moral des salariés en France. Les Éditions La Découverte, Paris, 1986), amena au vote de deux lois, la première en 1841 qui interdit le travail des enfants de moins de 8 ans tout en l’encadrant pour les 8-12 ans, une seconde, sur les logements insalubres.

En complément, voir le rapport du docteur Villermé et l'album sur l'état de santé de la population ouvrière, le point de vue des médecins cantonaux. Les documents de cet album sont extraits d’impressionnants rapports annuels conservés aux Archives départementales du Haut-Rhin : une vingtaine de médecins est chargée de renseigner un long questionnaire par des chiffres et par des commentaires.

L’absence d’un tournant scolaire au cours des années 1870Revenir au début du texte

La légende veut que ce soit l’instituteur prussien qui ait gagné la guerre de 1870. La France connaît alors un débat quant à la forme à donner à l’école primaire pour tous, sur fond de Commune de Paris, d’instabilité politique et d’occupation militaire…

Le temps des promesses

Jules Ferry (1832-1893), alors député de Paris, fixe lors de cette conférence populaire le 10 avril 1870 l’objectif aux Républicains, de fonder une société démocratique par l’égalité d’éducation. Sa vision historique de l’école pour tous, place l’égalité comme principe essentiel de l’histoire, accepte la filiation de la Grande Révolution, enfin place la lutte contre les inégalités sociales comme première mission d’une éducation populaire.

L’arrivée par étapes des Républicains aux affaires

Cette arrivée se fait dans une période trouble :

La période de 1870 à 1879 est celle de la fin d’un monde qui n’avait pas voulu disparaître en une défaite :