Par Nicolas Schreck
Publié le à définir
Alors que débute en France un temps d’attente de près d’une décennie, l’école en Alsace est rapidement bouleversée. L’historien étudie le temps qu’il perçoit souvent dans ses continuités, dans ses ruptures, dans ses durées plurielles. On oppose souvent en France deux durées, celle d’une série de mesures rapidement prises (les années 1880), l’opportunisme aidant, celle plus longue des grandes transitions (finissant avec la Séparation de 1905). Il en va de-même en Alsace, avec trois périodes :
- Celle des premières mesures, qui marquent le transfert de l’Alsace au Reich ;
- Celle-ci est suivie par une période de lois structurant à partir des années 1873 le système scolaire ;
- Enfin une dernière période, qui voit, sans remise en cause des lois votées, une volonté de l’État de se concilier des partenaires éducatifs (après 1880).
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Les premières mesures sont rapidement prises. Le contexte mérite d’être rappelé. Cédé par le traité de Francfort du 10 mai 1871, le territoire impérial d’Alsace-Lorraine est placé directement sous la dépendance de l’Empereur, représenté par son Reichsstatthalter.
Au cours des années 1870/1871, diverses décisions modifiant considérablement les cursus scolaires sont prises : le remplacement du français par l’allemand comme langue obligatoire de l’école (par le décret du 14 avril 1871), la proclamation de l’obligation scolaire pour les garçons entre 6 et 14 ans et pour les filles entre 6 et 13 ans (par l’ordonnance du 28 avril 1871), qui toutes les deux précèdent en fait le traité de Francfort, montre une précipitation à façonner différemment l’identité scolaire de l’Alsace.
La période culmine, le 21 septembre 1870 avec la prise du contrôle des écoles par l’État.
D’autres mesures touchent également les maîtres, que l’État tentera de mobiliser : les Écoles normales sont restructurées avec l’ouverture d’une école d’instituteurs catholique à Strasbourg, d’une école normale protestante à Colmar, ces écoles devenant mixtes à partir du 15 avril 1871.
Article 1. Tout ce qui concerne l’enseignement primaire et secondaire est placé sous la surveillance et la direction des autorités de l’État. […]
L’autorité de l’État est nécessaire :
- Pour donner l’enseignement à titre professionnel ou dans un but lucratif ;
- Pour ouvrir une école ;
- Pour engager un maître dans une école.
Toute école peut être fermée par les autorités administratives lorsqu’elle ne se conforme pas aux prescriptions officielles en ce qui concerne l’organisation et le programme.
Article 2. Quiconque, sans l’autorisation prévue à l’article 1er, donne l’enseignement à titre professionnel ou dans un but lucratif, ouvre une école, engage un maître dans une école tenue ou dirigée par lui, et aussi quiconque continue à donner ou à faire donner l’enseignement dans une école fermée par non-observation des règlements officiels, sera condamné à une amende de 300 marks au maximum.
Article 3. Ceux qui, en vertu du brevet de capacité prévu à l’article 25 de la loi du 15 mars 1850 sur l’enseignement, ont déjà commencé à donner l’enseignement à titre professionnel ou dans un but lucratif et ceux qui […] ont ouvert une école, n’ont pas besoin de l’autorisation officielle pour continuer à exercer.
Les maîtres des écoles actuellement existantes qui ne possèdent pas le brevet de capacité prévu par l’article 25 sont tenus de demander l’autorisation mentionnée à l’article 1er, dans un délai qui sera fixé par le président supérieur (jusqu’au 1er août 1874).
Article 4. Le chancelier de l’Empire est autorisé à édicter des règlements sur les examens à subir et les conditions à remplir par les maîtres, sur l’organisation et le programme des écoles, notamment la langue de l’enseignement et les matières obligatoires d’enseignement pour chaque école, enfin sur les examens des élèves, et à assurer par des inspections l’exécution de ces règlements. […] Il peut déléguer ces attributions au président supérieur d’Alsace-Lorraine.
MINISTÈRE DE LA GUERRE. Organisation politique et administrative et législation de l’Alsace-Lorraine. Première partie. Paris : Imprimerie nationale, 1915, p. 242-243.
Article 1. Appartiennent à l’enseignement secondaire et sont placés sous la surveillance et la direction du Conseil supérieur des écoles, les écoles suivantes, ainsi que les classes préparatoires et techniques qui s’y rattachent :
- Les gymnases, progymnases, écoles de latin ;
- Les écoles réales.
Article 2. Appartiennent à l’enseignement primaire :
- Les écoles normales pour maîtres et maîtresses des écoles élémentaires ;
- Les écoles normales préparatoires ;
- Les écoles supérieures (pensionnats) de jeunes filles ;
- Les écoles moyennes ;
- Les écoles de perfectionnement ;
- Les écoles élémentaires ;
- Les écoles de sourds-muets ;
- Les écoles maternelles. […]
Article 4. quiconque veut ouvrir une école doit être âgé de vingt-cinq ans, être de bonne vie et mœurs, être de nationalité allemande, posséder la langue allemande et justifier, aux termes des dispositifs en vigueur, il est capable de diriger une école de la catégorie dont il s’agit. […]
Article 6. La nomination du chef d’établissement est soumise à l’agrément de l’autorité publique sous la surveillance et la direction de laquelle est placée l’école. […]
Article 10a. (ajouté le 16 novembre 1887). Dans toutes les écoles, l’enseignement et l’éducation doivent tendre à développer la religion, la moralité et le respect des pouvoirs établis et des lois […]
Article 13. Tout Allemand auquel une autorité d’Alsace-Lorraine aura reconnu la capacité d’être nommé maître sera considéré comme ayant par la même l’agrément de l’État pour donner, à titre professionnel ou lucratif, des leçons particulières sur les mêmes matières. Les Allemands auxquels cette capacité n’aura pas été reconnue et les étrangers doivent obtenir du président de district l’autorisation de donner l’enseignement privé […]. Le président de district peut subordonner l’autorisation demandée à un interrogatoire dont il lui appartient de fixer les modalités. Le diplôme de bachelier n’équivaut pas à la reconnaissance de la capacité. […]
Article 16. Il appartient au président supérieur de régler les vacances et la durée des classes, le choix des livres et fournitures scolaires, les examens des élèves, les inspections.
MINISTÈRE DE LA GUERRE. Organisation politique et administrative et législation de l’Alsace-Lorraine. Première partie. Paris : Imprimerie nationale, 1915, p. 242-246.
Article 1. L’Université qui vient d’être instituée à Strasbourg par édit souverain en date de ce jour jouira de tous les droits d’un établissement public, notamment de la personnalité juridique.
Article 2. Les cinq facultés existant à Strasbourg :
- La faculté de théologie, ainsi que le séminaire protestant en tant qu’il constitue un établissement d’enseignement ;
- La faculté de droit ;
- La faculté de médecine et l’école supérieure de pharmacie ;
- La faculté des lettres ;
- La faculté des sciences,
sont supprimées. L’Université leur est substituée dans leurs droits et obligation.
Le président supérieur fixera la date à laquelle ces facultés cesseront leur enseignement.
Article 3. L’Université est placée sous la haute direction et la surveillance du Chancelier. Pour l’exercice direct de cette surveillance, pour l’exercice des droits de l’Université, notamment aussi en ce qui concerne la gestion économique et financière, il sera institué un curateur qui exercera ses fonctions d’après les instructions du Chancelier.
MINISTÈRE DE LA GUERRE. Organisation politique et administrative et législation de l’Alsace-Lorraine. Première partie. Paris : Imprimerie nationale, 1915, p. 251-252.
L’Université impériale est inaugurée le 1er mai 1872. Elle se compose de six facultés : théologie protestante, théologie catholique, droit et sciences politiques, médecine, philosophie, mathématiques et sciences naturelles. L’université est définie comme un établissement public, placé sous la surveillance du Statthalter et administrée par le Recteur et deux assemblées. Elle est logée au sein du Palais universitaire et possède une Bibliothèque. La bibliothèque a été fondée par décret le 19 juin 1872, sous la forme d’une bibliothèque nationale, avec un directeur directement nommé par l’Empereur. Son budget est de près de 200 000 marks (1914). Son fonds dépasse le million de livre à la fin de 1912.
L’Université se compose en 1914 de 177 professeurs, pour 2 285 étudiants. Près de la moitié des étudiants sont alsaciens.
En complément, voir le dossier de la BNPA sur la Kaiser-Wilhelms-Universität ou l’Université impériale de Strasbourg.
Le premier degré se compose des écoles maternelles, des écoles élémentaires, des écoles moyennes, de perfectionnement, les écoles supérieures de filles. Sont également inscrites comme étant du premier degré, les écoles préparatoires aux écoles normales, les écoles normales pour maîtres et maîtresses.
Le second degré se compose des gymnases, des progymnases, des écoles réales.
L’Université constitue le degré ultime, celui qui offre la collation des grades.
Le 28 avril 1871, l’ordonnance du gouverneur-général rend l’éducation obligatoire jusqu’à 14 ans pour les garçons, jusqu’à 13 ans pour les filles. Si la loi rappelle que l’État respecte le choix scolaire des parents, entre l’école publique et l’école privée, l’État entend démontrer qu’il impose bien une éducation d’État.
La loi scolaire du 12 février 1873 confirme la puissance de l’État :
Article 4. Quiconque veut ouvrir une école doit être âgé de vingt-cinq ans, être de bonne vie et mœurs, être de nationalité allemande, posséder la langue allemande et justifier qu’il est capable de diriger une école de la catégorie. […]
Article 7. L’autorisation d’ouvrir une école doit être demandée à l’autorité sous la surveillance et la direction de laquelle sera placée l’école. Lorsque l’autorisation est demandée par une autorité publique, une corporation ou une fondation, le nom du chef d’établissement devra être indiqué dans la demande même.
Devront être jointes à la demande :
1°. Les pièces justificatives constatant l’âge, les bonnes vies et mœurs et la nationalité allemande du propriétaire ou du chef d’établissement ainsi que leurs diplômes et tous autres certificats de capacité ;
2° la désignation de la catégorie de l’école à fonder et du programme des études ;
3° La description détaillée des locaux de l’école avec plan à l’appui.
Texte conforme à la modification par ordonnance du 16 novembre 1887. […]
Article 9. L’autorisation d’engager un maître dans une école doit être demandée par le propriétaire ou le chef d’établissement à l’autorité sous la surveillance et la direction de laquelle est placée cette école. […]
Article 10a. (ajouté le 16 novembre 1887). Dans toutes les écoles, l’enseignement et l’éducation doivent tendre à développer la religion, la moralité et le respect des pouvoirs établis et des lois. […]
Article 12. […] Si l’enseignement ou l’éducation donnée dans une école contreviennent aux prescriptions générales de l’article 10a, ou si les autres règlements de l’autorité en ce qui concerne l’organisation et le programme des études sont systématiquement méconnus, l’école pourra être fermée sans avertissement préalable. […]
Article 16. Il appartient au président supérieur de régler les vacances et la durée des classes, le choix des livres et fournitures scolaires, les examens des classes, les inspections.
MINISTÈRE DE LA GUERRE. Organisation politique et administrative et législation de l’Alsace-Lorraine. Première partie. Paris : Imprimerie nationale, 1915, p. 244-246.
L’obligation scolaire est définie strictement, entre 6 ans et 13/14 ans en fonction du sexe. On rappelle, à l’identique de ce qui se construira en France, qu’il s’agit bien d’une obligation d’instruction et non pas d’une obligation de fréquentation scolaire. Les parents peuvent éduquer leurs enfants ou déléguer cette instruction scolaire à une école publique ou une école privée. Dans ce cas, la fréquentation scolaire devient obligatoire.
Le souhait semble être de confirmer le père de famille dans son rôle d’éducateur.
Pourtant, l’État lui oppose deux limites : d’une part, il est rappelé l’interdiction de faire travailler l’enfant à l’usine, d’autre part que les instituteurs doivent établir une liste des absents, avec en fonction de l’attitude des parents une échelle de sanctions. Cette politique d’ailleurs s’inscrit dans la continuité de celles initiées avant 1870 (comme en témoigne l’existence de formulaires d’absences).
Article 1. Tout représentant légal d’un enfant est tenu, lorsque l’enfant a atteint l’âge de six ans, des veiller à ce qu’il fréquente régulièrement une école publique, ou une école libre dont le personnel enseignant soit pourvu des diplômes officiels et dont le programme corresponde à celui des écoles publiques, à moins qu’un enseignement régulier équivalent ne soit assuré dans la famille.
L’autorité scolaire est autorisée, dans des cas particuliers et pour des motifs sérieux, à permettre que l’époque de l’entrée à l’école soit différée ou que la fréquentation soit interrompue.
Article 2. l’enfant devra continuer à fréquenter l’école jusqu’au jour où l’autorité scolaire l’aura jugé apte à pouvoir en sortir. Cette aptitude sera reconnue à la suite d’un examen qui aura lieu à la fin de chaque semestre scolaire.
Les garçons ne seront admis à cet examen qu’après l’âge de 14 ans révolus et les filles à l’âge de 103 ans révolus. […]
Article 3. les enfants soumis à l’obligation scolaire ne pourront être occupés régulièrement dans une fabrique ou dans un rapport de travail analogue qu’avec l’agrément de l’autorité scolaire, les détails seront réglés par la loi.
Article 4. Tout représentant légal qui ne veille pas à la fréquentation de l’école […] par l’enfant dont il a la charge sera puni d’un avertissement officiel, d’une amende […] et en cas de manquement continu à son devoir, d’un emprisonnement d’une semaine au plus. […]
Article 6. chaque mois, le maître dressera la liste des absences et la présentera avec son avis et les pièces justificatives au maire.
Article 16. Il appartient au président supérieur de régler les vacances et la durée des classes, le choix des livres et fournitures scolaires, les examens des classes, les inspections.
MINISTÈRE DE LA GUERRE. Organisation politique et administrative et législation de l’Alsace-Lorraine. Première partie. Paris : Imprimerie nationale, 1915, p. 237-239.
La première préoccupation porte sur la langue d’enseignement.
C’est par l’école que ce pays doit être germanisé, et j’estime qu’une introduction décidée et complète du système scolaire prussien peut nous procurer des amis ardents dans la plus grande et la meilleure partie de la population et des partisans fidèles du nouveau pouvoir.
Lettre de Kühlwetter à Mühler, 13.10.1870 (ADBR AL 105 2078). Cité par IGERSHEIM François, La politique scolaire allemande en Alsace-Lorraine (1870-1871) : de la confessionnnalisation à la loi Falloux. Recherches germaniques, 1975, tiré à part.
Avec l'accord gracieux de l'auteur.
Le décret du commissaire civil remplace le français par l’allemand comme langue obligatoire de l’école primaire le 14 avril 1871.
Une extension de la politique de l’allemand est faite :
Tous ces règlements démontrent d’une part le souci d’étendre une politique de germanisation, mais aussi peut témoigner, par des rappels, d’une opposition d’une partie des maîtres à la germanisation.
L’éducation mixte ne fait pas l’objet de textes réglementaires spécifiques. Elle apparaît comme une disposition locale, respectant généralement la loi Falloux (1850) qui préconise des écoles séparées pour les confessions professées publiquement dans la commune.
Pour le primaire, les conseils municipaux ont qualité pour décider si une rétribution scolaire sera perçue et en fixer le montant annuel (loi du 29 mars 1889, art. 4), dans la limite de 4 ou 6 marks par élève.
La commission scolaire qui administre les établissements du secondaire définit le montant de la rétribution scolaire et le prix de la pension d’internat. Les sommes arrêtées doivent respecter les tarifs de l’ordonnance impériale.
Dans le secondaire par exemple, l’État prend en charge le traitement des directeurs et des enseignants, ainsi que toutes les pensions. Il y ajoute le paiement de divers frais, du secours. Les autres charges sont à payer par les communes. Les communes sont consultées en cas de changement du nombre de classes, de l’ouverture d’un internat, les ateliers, l’engagement des personnels de service, l’appréciation des bourses, le passage des contrats avec les fournisseurs… Ces charges sont déclarées dépenses obligatoires.
Les établissements ont une personnalité juridique, sont administrés par une commission scolaire, bien que les communes demeurent propriétaires. Un budget prévisionnel est établi chaque année, présenté au conseil municipal, qui évalue, modifie et vote la proposition, inscrite comme une composante du budget communal. Toutes les décisions engageant d’importants fonds, comme la rénovation d’une école, l’extension ou la construction d’une nouvelle école sont présentées au président supérieur.
La première forme d’opposition est liée à l’option d’un certain nombre de maîtres pour la France.
Doc. 7. Lettre patriotique d’un maître d’école de Mulhouse
Lettre d’un maître-adjoint, 2 déc. 1870
Coll. Archives municipales de Mulhouse (RI C a 10)
Transcription :
Mulhouse le 2 Décembre 1870
À Monsieur le Président de la commission municipale de Mulhouse
Monsieur le Président,
Au point suprême de la lutte que la France soutient contre un ennemi puissant et enflé de ses victoires, elle a besoin de l'appui de tous ses enfants. Je lui offre le mien : quelque humble qu'il soit, je crois que dans cette occasion il pourra être d'une certaine utilité.
Comme ancien sous-officier instructeur de l'armée, je me mets à disposition de l'autorité militaire. À cet effet j'ai l'honneur de vous demander, Monsieur le Président, votre autorisation de quitter mon poste de maître-adjoint à l'école, pour le reprendre à mon retour. Je compte me rendre à Lyon, rejoindre les enfants de Mulhouse. Ma démarche étant faite avec l'assentiment de Monsieur le Directeur de l'école j'espère, Monsieur le Président, recevoir une prompte et favorable réponse.
Recevez Monsieur le Président
l'assurance de mon complet dévouement […]
L’Église est touchée dans son action, d’abord par la disparition de fait des dispositions de la Loi Falloux qui lui était favorable. Ensuite, elle voit ses lettres d’obédiences et ses congrégations être contestées. Le 20 mai 1874, le règlement scolaire impose à tous les membres des congrégations une nomination par l’État, avec un avis de l’inspecteur. Bien plus, l’ouverture d’une école normale de jeunes filles catholiques à Sélestat, en 1873, suivie de l’ouverture d’écoles supérieures pour jeunes filles se destinant au métier d’institutrice concurrence directement la formation donnée dans l’école de formation des Sœurs de Ribeauvillé. De fait, ces dispositions sécularisent les personnels.
Au sein du secondaire, les autorités ont été expéditives : fermeture du Collège libre de Colmar, le 21 août 1873, du pensionnat du Sacré-Cœur à Kientzheim, de celui de Montigny… L’État adopte d’ailleurs une politique hostile à la Compagnie de Jésus et vise également les Petits Séminaires, fermant celui de Fénétrange, alignant les autres qui deviennent des Gymnases. Hostile à ces pressions, refusant de reconnaître l’autorité de l’État et son droit à l’inspection, le petit séminaire de Strasbourg ferme le 24 juin 1874, celui de Zillisheim, le 17 juillet.
Enfin, l’Église refuse la mixité scolaire (loi du 4 janvier 1874).
Article 1. L’ordre de la Société de Jésus et les ordres des congrégations analogues qui s’y rattachent sont exclus du territoire de l’Empire allemand.
La création d’établissements leur est interdite. Les établissements actuellement existants seront dissous dans un délai qui sera déterminé par la Conseil fédéral, mais qui ne pourra dépasser six mois.
MINISTÈRE DE LA GUERRE. Organisation politique et administrative et législation de l’Alsace-Lorraine. Première partie. Paris : Imprimerie nationale, 1915, p. 227-228.
L’université de Strasbourg fut inaugurée avec une solennité bruyante et pleine d’ostentation, le 1er mai 1872. Les discours nationaux et la bière coulèrent à flots en l’honneur de la science allemande. Hélas ! les étudiants allemands qui étaient accourus en foule, ne recommandèrent nullement par leur tenue l’éducation universitaire d’outre-Rhin ; ils allèrent jusqu’à provoquer une rixe sanglante dans une brasserie. Un professeur de droit entendant un coup de sifflet de détresse d’un autre professeur malade, crut à une insulte à l’adresse de l’inviolable Germania, s’emporta outre mesure, et dans sa patriote fureur roua tellement de coups le professeur malade que celui-ci en mourut trois jours après. Le 2 mai, les étudiants, les professeurs et les maîtres allemands que l’inauguration de l’Université avait amenés, montrèrent au mont Sainte-Odile, le berceau glorieux de l’Alsace historique. Les populations des villages voisins, qui avaient coutume de voir jusque-là des pèlerins se diriger vers la sainte montagne munis d’un chapelet, furent étonnés de voir les pèlerins de la science allemand armés de bouteilles et d’énormes saucissons qu’ils portaient à la main. Après de copieuses libations des nombreux convives, le juif Auerbach glorifia à l’ombre d’un tilleur la Germania moderne.
L’École dans l’Alsace-Lorraine sous l’administration allemande par un Alsacien.
Fribourg : Imprimerie Catholique Suisse, 1874, p. 7.
(Droits réservés).
Nos maîtres voyaient avec un dépit qu’ils n’ont jamais pu dissimuler, que dans l’Alsace-Lorraine l’éducation des jeunes filles était presque exclusivement confiée aux congrégations religieuses, mais ils n’avaient pas de quoi remplacer plus de quinze cents religieuses préposées aux écoles ; ils étaient forcés de patienter, tout en préparant l’exclusion successive de cet élément trop jésuitique. Dès l’année 1872, on s’était sérieusement préoccupé de cette question vitale, et l’administration allemande avait fondé à Sélestat une première école normale de jeunes filles catholiques destinées à remplacer les sœurs. De grands efforts furent faits dans le même sens en 1873 : des écoles normales déguisées sous le nom d’écoles supérieures des filles furent ouvertes ou subventionnées à Guebwiller, à Mulhouse, à Sainte-Marie-aux-Mines, à Strasbourg, à Haguenau, et partout où l’on croyait trouver un terrain favorable et une municipalité docile. Les résultats furent minimes, et les sacrifices imposés dictorialement au budget de l’Alsace et des communes.
L’École dans l’Alsace-Lorraine sous l’administration allemande par un Alsacien.
Fribourg : Imprimerie Catholique Suisse, 1874, p. 12.
(Droits réservés).
Pourquoi se hâte-on à ce point de décréter sans restriction l’école obligatoire ? Pourquoi forcera-t-on l’enfant de fréquenter l’école de l’État ou l’école approuvé par l’État ? C’est qu’on veut imposer promptement à cet enfant l’éducation nationale, l’éducation allemande ou plutôt prussienne. L’école qu’on va organiser sera le moule dans lequel le régime prussien coulera sans pitié toute la nouvelle génération des provinces conquises.
L’école de l’Alsace-Lorraine perdra le caractère qui lui était propre, pour devenir allemande. On s’empressera d’en bannir la langue française, qui ne sera plus tolérée que dans les villes les plus importantes. […]
On écartera de l’école avec soin spécial toute influence ultramontaine ou cléricale.
L’École dans l’Alsace-Lorraine sous l’administration allemande par un Alsacien.
Fribourg : Imprimerie Catholique Suisse, 1874, p. 14.
(Droits réservés).
Le 14 novembre 1874, l’établissement tenu par les Frères de Guebwiller est fermée, dans un contexte d’évidente tension. Le conseil municipal proteste, les parents d’élèves adressent ses regrets aux frères.
Les parents qui vous ont confié l’éducation de leurs enfants, frappés dans leurs plus chers intérêts, ne peuvent se résoudre à vous voir partir. […] Votre œuvre a cessé au milieu de nous. Dans quelques jours, vous serez loin des enfants qui vous aiment et qui vous pleurent. A nous de la continuer et de l’achever ! Les germes de vertu que vous avez déposés dans l’âme de nos enfants, à nous de les conserver, de les développer, de leur faire porter des fruits ! Nous prenons le solennel engagement de ne pas faillir à notre devoir. Ce sera là du moins pour vous une consolation que de pouvoir penser que le fruit de votre patience et de vos labeurs ne sera pas perdu de si tôt.
D’après Cetty, cité dans SCHELKER Nicolas. La Société de Marie (marianistes) en Alsace entre 1824 et 1870. Une congrégation enseignante masculine dans l’Alsace française du XIXe siècle. Mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine, sous la direction de Catherine Maurer. Strasbourg : Université Marc Bloch, 2003, p. 190-191.
Avec l'aimable autorisation de l'auteur.
L’ouverture progressive aux autorités qui traditionnellement intervenaient au sein de l’éducation, l’Église et les notables locaux, est réalisée tardivement, à partir des années 1878 : on fixe alors les prérogatives des communes, avant de créer des Conseils de district, après 1880, qui associent les élites religieuses et politiques à la gestion de l’école.
Article 1. Il est créé dans chaque district un conseil d’instruction publique composé des membres suivants :
Le président du district, président ;
Le conseiller scolaire et de gouvernement près la présidence de district ;
Un inspecteur scolaire de cercle ;
L’évêque ou son délégué ;
Un ecclésiastique nommé par l’évêque ;
Un ecclésiastique d’une des deux confessions protestantes ;
Un membre du consistoire israélite ;
Dans le Bas-Rhin et en Lorraine, les procureurs près les tribunaux régionaux de Strasbourg et de Metz ; dans le Haut-Rhin, le procureur général près le tribunal régional supérieur de Colmar ;
Dans la Basse-Alsace et en Lorraine, un membre des tribunaux régionaux de Strasbourg et de Metz ; dans la Haute-Alsace, un membre du tribunal régional supérieur de Colmar ;
Quatre habitants du district, dont deux au moins doivent appartenir à l’assemblée de district. […]
Article 2. Le conseil d’instruction publique de district est appelé à donner son avis :
Sur l’état et l’aménagement des écoles de l’enseignement primaire du district,
Sur les réformes à introduire en ce qui concerne l’enseignement, la discipline et l’administration dans ces écoles,
Sur leurs budgets et comptes,
Sur les subventions à leur accorder,
Sur le nombre des écoles élémentaires de garçons et de filles à créer dans chaque commune,
Sur la faculté pour les communes d’avoir des écoles élémentaires mixtes au point de vue confessionnel,
Sur la réunion des garçons et des filles dans les écoles élémentaires communales,
Sur le montant de la rétribution scolaire à payer dans chaque commune pour la fréquentation des écoles élémentaires,
Enfin sur toutes les autres questions touchant l’enseignement primaire qui lui sont renvoyées.
MINISTÈRE DE LA GUERRE. Organisation politique et administrative et législation de l’Alsace-Lorraine. Première partie. Paris : Imprimerie nationale, 1915, p. 289-291.
Ce modèle de comité, généralement présenté comme prussien, caractérise un grand nombre de textes, souvent anciens, dont les premiers remontent au second XVIIIe siècle et qui, outre ses diversités provinciales, confie à l’État le rôle de décideur principal dans l’éducation. L’État contrôle l’ouverture d’écoles privées (ouverture soumise à autorisation, inspections, diplômes d’enseignement identiques aux établissements publics), impose l’obligation scolaire de élèves de 5 à 14 ans, organise l’enseignement selon les principes confessionnels. Les Instituts de formation sont eux aussi confessionnels. L’encadrement des enseignants se fait sous une tutelle assumée à l’échelle locale par les représentants en fait de l’Église, influence confirmée part la loi de 1869 qui confirme l’importance de la religion dans l’enseignement, comme discipline spécifique mais aussi comme inspiratrice des contenus des autres disciplines.
Cette introduction en Alsace du système prussien se fait via les conseillers scolaires (Schulrathe), catholiques et protestants et par l’introduction de l’allemand comme langue d’enseignement dans le Primaire.