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Naissance d’un enseignement primaire républicain en France

Par Nicolas Schreck

Publié le à définir

L’histoire des lois scolaires en France est en fait une histoire sociale et politique, une histoire de la républicanisation de la nation.

Le tournant des grandes lois Ferry, les années 1880Revenir au début du texte

Les grandes lois républicaines de l’École

Doc. 1. Loi du 16 juin 1881 établissant la gratuité absolue de l’enseignement primaire dans les écoles publiques

Article 1er. Il ne sera plus perçu de rétribution scolaire dans les écoles primaires publiques, ni dans les salles d'asile publiques. Le prix de pension dans les écoles normales est supprimé.

Article 3. Les prélèvements à effectuer en faveur de l'instruction primaire sur les revenus ordinaires des communes, en vertu de l'article 40 de la loi du 15 mars 1850, porteront exclusivement sur les ressources ci-après énumérées :
1° Les revenus en argent des biens communaux ;
2° La part revenant à la commune sur l'imposition des chevaux et voitures et sur les permis de chasse ;
3° La taxe sur les chiens ;
4° Le produit net des taxes ordinaires d'octroi ;
5° Les droits de voirie et les droits de location aux halles, foires et marchés.
Ces revenus sont affectés jusqu'à concurrence d'un cinquième aux dépenses ordinaires et obligatoires afférentes à la commune pour le service de ses écoles primaires publiques.
Sont désormais exemptées de tout prélèvement sur leurs revenus ordinaires les communes dans lesquelles la valeur du centime additionnel au principal des quatre contributions directes n'atteint pas vingt francs (20 fr.).

Voir le texte intégral de la loi (fac-similé du Journal Officiel du 17 juin 1881 sur le site www.senat.fr).

Doc. 2. Loi du 28 mars 1882 portant sur l’enseignement primaire obligatoire

Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

Article 1er. L'enseignement primaire comprend :
L'instruction morale et civique ;
La lecture et l'écriture ;
La langue et les éléments de la littérature française ;
La géographie, particulièrement celle de la France ;
L'histoire, particulièrement celle de la France jusqu'à nos jours ;
Quelques notions usuelles de droit et d'économie politique ;
Les éléments des sciences naturelles physiques et mathématiques ; leurs applications à l'agriculture, à l'hygiène, aux arts industriels, travaux manuels et usage des outils des principaux métiers ;
Les éléments du dessin, du modelage et de la musique ;
La gymnastique ;
Pour les garçons, les exercices militaires ;
Pour les filles, les travaux à l'aiguille.

Article 2. Les écoles primaires publiques vaqueront un jour par semaine, en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s'ils le désirent, à leurs enfants, l'instruction religieuse, en dehors des édifices scolaires.
L'enseignement religieux est facultatif dans les écoles privées.

Article 3. Sont abrogées les dispositions des articles 18 et 44 de la loi du 14 mars 1850, en ce qu'elles donnent aux ministres des cultes un droit d'inspection, de surveillance et de direction dans les écoles primaires publiques et privées et dans les salles d'asile, ainsi que le paragraphe 2 de l'article 31 de la même loi qui donne aux consistoires le droit de présentation pour les instituteurs appartenant aux cultes non catholiques.

Article 12. Lorsqu'un enfant se sera absenté de l'école quatre fois dans le mois, pendant au moins une demi-journée, sans justification admise par la commission municipale scolaire, le père, le tuteur ou la personne responsable sera invité, trois jours au moins à l'avance, à comparaître dans la salle des actes de la mairie, devant ladite commission, qui lui rappellera le texte de la loi et lui expliquera son devoir.
En cas de non-comparution, sans justification admise, la commission appliquera la peine énoncée dans l'article suivant.

Fait à Paris, le 28 mars 1882. JULES GREVY.
Par le Président de la République :
Le ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, JULES FERRY.

Voir le texte intégral de la loi (fac-similé du Journal Officiel du 29 mars 1882 sur le site www.senat.fr).

Doc. 3. Décret du 2 août 1881 portant sur les écoles maternelles

Article 1er. Aucune école maternelle publique ne devra recevoir plus de 150 enfants, à moins d'une autorisation spéciale de l'autorité académique.

Article 2. Dans toutes les écoles maternelles publiques, les enfants, quel que soit leur nombre, sont divisés en deux sections, conformément aux prescriptions du décret du 2 août 1881 (art. 12) ; chaque section, si le nombre des élèves l'exige, peut être subdivisée en groupes dont chacun est confié à une des maîtresses attachées à l'école.

Article 3. Le classement des enfants sera fait chaque année par la directrice à l'époque de la rentrée des écoles primaires, sous le contrôle de l'inspectrice ou, à son défaut, de l'inspecteur primaire.

Article 4. Les divers cours de l'école maternelle, tels qu'ils sont définis par l'article 2 du décret du 2 août 1881, ont pour objet de commencer l'éducation physique, l'éducation intellectuelle et l'éducation morale des jeunes enfants. Les exercices qu'ils comprennent seront répartis d'après les indications des programmes ci-annexés.

Article 5. Le détail de la répartition des heures par semaine est arrêté pour chaque école maternelle par la directrice, après approbation de l'inspectrice ou, à son défaut, de l'inspecteur primaire.

Article 6. Il sera rédigé, par les soins de la Commission des bâtiments scolaires, une instruction relative aux conditions d'installation matérielle des écoles maternelles publiques. Cette instruction tiendra lieu du règlement spécial prévu par l'article 26 du décret du 2 août 1881.

Fait à Paris, le 28 juillet 1882.
Jules Ferry

Doc. 4. Extrait de l'arrêté du 28 juillet 1882 réglant l'organisation pédagogique des écoles maternelles publiques

L'école maternelle a pour but de donner aux enfants au-dessous de l'âge scolaire les soins que réclame leur développement physique, intellectuel et moral (décret du 2 août 1881), et de les préparer ainsi à recevoir avec fruit l'instruction primaire.
L'école maternelle n'est pas une école au sens ordinaire du mot : elle forme le passage de la famille à l'école.[...]
En conséquence, les directrices devront se préoccuper beaucoup moins de livrer à l'école primaire des enfants déjà fort avancés dans leur instruction, que des enfants bien préparés à s'instruire. Tous les exercices de l'école maternelle seront réglés d'après ce principe général : ils doivent aider au développement des diverses facultés de l'enfant sans fatigue, sans contrainte, sans excès d'application ; ils sont destinés à lui faire aimer l'école et à lui donner de bonne heure le goût du travail, en ne lui imposant jamais un genre de travail incompatible avec la faiblesse et la mobilité du premier âge.
Le but à atteindre, en tenant compte des diversités de tempérament, de la précocité des uns, de la lenteur des autres, ce n'est pas de les faire tous parvenir à tel ou tel degré de savoir en lecture, en écriture, en calcul, c'est qu'ils sachent bien le peu qu'ils sauront, c'est qu'ils aiment leurs tâches, leurs jeux, leurs leçons de toute sorte, c'est surtout qu'ils n'aient pas pris en dégoût ces premiers exercices scolaires qui seraient si vite rebutants, si la patience, l'enjouement, l'affection ingénieuse de la maîtresse ne trouvaient le moyen de les varier, de les égayer, d'en tirer ou d'y attacher quelque plaisir pour l'enfant. [...]

Cet extrait de l’arrêté du 28 juillet 1882 réglant l’organisation pédagogique des écoles maternelles publique est rappelée comme constituant l’engagement initial dans le Rapport d’information réalisé par le groupe de travail sur la scolarisation des jeunes enfants, sous la direction de Monique Papon et Pierre Martin, annexe du PV de la séance du 22 octobre 2008 au sénat.

Extr. de PAPON Monique et MARTIN Pierre. Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires culturelles par le groupe de travail sur la scolarisation des jeunes enfants. Annexe au PV de la séance du 22 octobre 2008, n°47, p. 12.
Voir l'intégralité du texte sur le site www.senat.fr

Doc. 5. Loi du 30 octobre 1886 sur l’organisation de l’enseignement primaire

Article 1er. L’enseignement primaire est donné : 1° Dans les écoles maternelles et les classes enfantines ; 2° Dans les écoles primaires élémentaires ; 3° Dans les écoles primaires supérieures et dans les classes d’enseignement primaire supérieur annexées aux écoles élémentaires et dites cours complémentaires ; 4° Dans les écoles manuelles d’apprentissage, telles que les définit la loi du 11 décembre 1880.

Article 2. Les établissements d’enseignement primaire de tout ordre peuvent être publics, c’est-à-dire fondés et entretenus par l’État, les départements ou les communes, ou privés, c’est-à-dire fondés et entretenus par des particuliers ou des associations.

Article 6. L’enseignement est donné par des instituteurs dans les écoles de garçons, par des institutrices dans les écoles de filles, dans les écoles maternelles, dans les écoles ou classes enfantines et dans les écoles mixtes.

Un règlement ministériel déterminera les conditions d’établissement de ces classes et les conditions auxquelles ces cours publics et gratuits d’adultes ou d’apprentis pourront recevoir une subvention de l’État.

Voir le texte intégral de la loi sur le site www.senat.fr.

Repères chronologiques
Date Primaire Secondaire Supérieur Technique, industriel et commercial Autre
1863 Naissance de l'enseignement secondaire spécial
1871 Ouverture des écoles supérieures de commerce de Rouen et du Havre, suivie de celles de Lyon et de Marseille (1872). Pétition de la Ligue de l’Enseignement en faveur d’un enseignement obligatoire et gratuit.
1873 6 juillet : ouverture de la 1ère école professionnelle de Paris.
1875 12 juillet : loi sur la liberté de l’enseignement supérieur.
1879 9 août : loi Paul Bert. Naissance du musée Pédagogique.
1880 16 juin : loi abolissant la reconnaissance de la lettre d’obédience pour les congrégations de femmes. Réforme des programmes.
20 décembre : loi instaurant l’enseignement secondaire public et prévoyant l’ouverture d’externats pour les jeunes filles.
18 mars : loi sur les universités 11 décembre : création des écoles manuelles d’apprentissage (publiques). 27 février : laïcisation du Conseil supérieur de l’Instruction publique.
13 juillet : création de l’École normale supérieure de jeunes filles de Fontenay.
1881 16 juin : gratuité scolaire.
2 août : décret transformant les salles d’asile/les classes enfantines en écoles maternelles.
4 novembre : création de HEC. Création de l’École normale supérieure de jeunes filles de Sèvres.
1882 28 mars : obligation scolaire et laïcisation.
27 novembre : lettre-circulaire de Jules Ferry aux Instituteurs.
1886 30 octobre : loi René Goblet.
1891 4 juin : l’enseignement secondaire spécial devient moderne.
1896 10 juillet : loi Liard.
1900 13 avril : les écoles d’industrie et de commerce sont rattachées au ministère du Commerce et de l’Industrie.
1902 Réforme de l’enseignement secondaire.
1904 5 juillet : interdiction d’enseignement pour toutes les congrégations.
1905 13 juillet : projet de loi (non voté) Dufié. 9 décembre : loi de séparation des Églises et de l’État.
1911 24 octobre : création du CAP.

Principales conséquences

L'obligation scolaire

L’obligation scolaire amena vers l’école près de 600 000 nouveaux élèves, sans améliorer pour autant l’assiduité. On perçoit d’ailleurs partiellement dans la loi de 1882 (article 12) les pressions exercées par l’État à l’encontre des chefs de famille, afin de contraindre à une scolarisation accrue.

Cette disposition, certes répressive, achevant de faire perdre aux pères l’autorité absolue sur les enfants, ne fut pas suivie d’effets significatifs. Il fallut attendre les années 1932 pour voir l’arsenal se renforcer dans la lutte contre l’absentéisme, par la privation des droits aux allocations familiales, débat d’ailleurs resté permanent au sein de la nation.

L'école laïque

La seconde mesure permet de dessaisir l’Église des derniers signes de sa puissance institutionnelle au sein de l’école.

Le premier combat est mené pour la révocation des membres de l’Église du Conseil supérieur de l’Instruction publique. Bien plus, on saisit une lutte acharnée contre certaines congrégations (dont les Jésuites, à nouveau interdit en 1880, interdiction réaffirmée en 1902), plus latente contre les autres congrégations, dès lors qu’elles offraient des personnels pour les écoles publiques. L’enseignement privé est quant à lui respecté dans ses singularités, preuve d’ailleurs que l’État ne fut pas tenté par la quête d’un monopole éducatif.

Cette politique voit disparaître définitivement le droit d’inspection qui était autorisé pour les ministres du culte. On retiendra enfin l’apparition d’une administration départementale, organisée et hiérarchisée, efficace.

La constitution d'un vaste service public d’enseignement

Afin de permettre cette concurrence vis-à-vis de l’Église, l’État se dote d’une série d’Écoles normales supérieures.

Une scolarisation qui est effectivement étendue, généralisant la fréquentation scolaire de 6 à 13 ans, la rendant régulière, luttant contre l’absentéisme.

Ces réformes cachent en définitive un plan d’ensemble, constituer au service de la République un vaste service public d’enseignement.

Alors que personne ne conteste l’idée généreuse d’étendre la scolarisation, les lois votées entrent en concurrence avec certaines traditions : d’une part, l’emploi massif de sœurs des congrégations, la gratuité qui concurrence les écoles libres (dont une partie conséquente des enfants bénéficiaient aussi d’une gratuité) et réduirait les devoirs des pères à l’égard de leur enfants… En fait, d’un côté les Républicains font de l’École un droit, de l’autre l’Église en fait un devoir, une assistance, une œuvre de charité.

L'obligation d'instruction ?

La quatrième mesure vise à réaliser l’obligation d’instruction (article 4, loi du 28 mars 1882).

Les hommes et les femmes des lois scolaires

Jules Ferry est à trois reprises ministre de l’Instruction publique (du 4 février 1879 au 14 novembre 1881, du 30 janvier 1882 au 7 août 1882, du 21 février 1883 au 20 novembre 1883). Cet ancien maire de Paris, qui échouera à la présidence de la République, incarne la gauche républicaine, dénoncé à la fois par sa gauche qui lui reproche son anti-jacobinisme, son opposition à la Commune, son colonialisme et par la droite qui le voit comme l’homme des lois scélérates, un athée. Ce républicain natif de Saint-Dié, dans les Vosges, marié à la petite fille de Charles Kestner, l’industriel alsacien dreyfusard laisse au-delà de l’œuvre scolaire, 4 grandes lois :

Il est secondé, dans la réalisation de son œuvre, par des spécialistes de l’Instruction publique, en particulier des recteurs (Octave Gréard), des directeurs de l’Instruction publique (avec Ferdinand Buisson, pour le Primaire de 1879 à 1896), des politiques (Paul Bert, Victor Duruy) et bien entendu Pauline Kergomard, l’inspectrice au service de la scolarité des touts petits.

Les Républicains ont fondé la République par l’écoleRevenir au début du texte

La réussite des Républicains ne tient donc pas tant à l’essor de la scolarisation, ni d’ailleurs, malgré leurs affirmations à l’émergence du diplômé, le détenteur du certificat d’études primaires (20 % de reçus en 1880, 34 % en 1905).

Mais les réussites sont multiples :

La République investit dans l’espace scolaire

L’École devient un espace de démonstration, un temple du savoir (avec sur son fronton la devise républicaine), les constructions effectuées par les municipalités étant encadrées (pour les maternelles par les instructions de 1882 et 1887, pour le primaire 1878)… Le souci du confort, de l’hygiène, de la propreté s’y conjugue avec la volonté d’adapter le mobilier (pupitre monoplace ou biplace), d’offrir des espaces de vie (cuisine, vestibule…). On reconnaît l’école non plus comme l’édifice pauvre mais comme celui qui porte les signes de la modernité : l’horloge scolaire, la cloche… L’intérieur des classes voit apparaître le chauffage, le tableau noir, les bibliothèques scolaires, les meubles à cartes, même les premiers appareils à projection, les planches didactiques qui ornent les murs.

L’école porte ses rites

L’écolier porte son uniforme (le sarrau ou blouse, ses galoches, son cartable), acquiert un comportement de citoyen, subissant les punitions ou étant valorisé par les distinctions scolaires : toute une graduation de sanctions existe à l’école du mauvais point à l’exclusion temporaire de trois jours), toute une panoplie de distinctions (des bons points à la croix d’honneur voire encore aux prix ou au bon de caisse d’épargne).

L’école véhicule le personnage du maître, représentant de la République au village

Titulaire d’un brevet de capacité (depuis 1881), passé entre 16 et 18 ans, ce normalien possède une solide formation. Charles Péguy devait en faire une description remarquable.

Les contenus scolaires sont fixés

Les contenus scolaires sont définitivement modifiés (document 2) : la place de la religion est définitivement réglée au sein de l’école ; elle n’est pas un enseignement de l’État et se fait en-dehors du temps scolaire, utilisant la journée chômée de la semaine, le jeudi (cf. Règlement scolaire pour les écoles primaire publiques, de janvier 1881).

La lecture fait l’objet d’un apprentissage simultané, avec l’écriture et l’orthographe, la documentation pédagogique progressant par la généralisation des manuels et des méthodes, des panneaux d’apprentissage avec les sons… Les Écoles se peuplent de livres de lecture courante, à l’identique du Tour de France de deux enfants. L’écriture fait l’objet de vastes études : place de la copie dans l’apprentissage, utilisation de la plume métallique, de l’ardoise, des feuilles et des cahiers… Bien entendu, l’exercice de la dictée devient l’épreuve reine ou le supplice quotidien de bon nombre d’enfants.

De mêmes, des évolutions accompagnent les mathématiques (avec le calcul mental), la leçon de chose…

L’école façonne le futur citoyen

Par ses cours d’histoire, de géographie ou d’instruction civique, mais aussi par les rites des bataillons scolaires qui exalte la figure de l’élève-citoyen-soldat. Paul Bert ira jusqu’à affirmer : nous voulons pour l’école des fusils… oui, le fusil, le petit fusil que l’enfant apprendra à manière dès l’école. Ernest Lavisse surenchère avec son livre Tu seras soldat alors que des exercices militaires s’invitent dans les écoles : des uniformes, des fusils factices, des défilé, le 13 juillet, des jeux de rôle…

Doc. 6. Description du maître d’école par Charles Péguy (1873-1914)

J’essaierai de rendre un jour si je le puis ce que c’était alors que le personnel de l’enseignement primaire. C’était le civisme même, le dévouement sans mesure à l’intérêt commun ; notre jeune École normale était le foyer de la vie laïque de l’invention laïque dans tout le département, et même j’ai comme une idée qu’elle était un modèle et en cela et en tout pour les autres départements, au moins pour les départements limitrophes. Sous la direction de notre directeur particulier, le directeur de l’école annexe, de jeunes maîtres de l’École normale venaient chaque semaine nous faire l’école. Parlons bien : ils venaient nous faire la classe. Ils étaient comme les jeunes Bara de la République. Ils étaient toujours prêts à crier Vive la République ! – Vive la nation, on sentait qu’ils l’eussent crié jusque sous le sabre prussien. Car l’ennemi, pour nous, confusément tout l’ennemi, l’esprit du mal, c’était les Prussiens. Ce n’était déjà pas si bête. Ni si éloigné de la vérité. C’était en 1880. C’est en 1913. Trente-trois ans. Et nous y sommes revenus.

Voir le texte intégral sur le site du Centre National de Documentation Pédagogique.

Extrait de L’argent, 6e Cahier de la Quinzaine de la 14e série, 16 février 1913, publié par le CNDP.

Doc. 7. Première page du Tour de France de deux enfants

La connaissance de la patrie est le fondement de toute véritable instruction civique. On se plaint continuellement que nos enfants ne connaissent pas assez leur pays : s'ils le connaissaient mieux, dit-on avec raison, ils l'aimeraient encore davantage et pourraient encore mieux le servir. Mais nos maîtres savent combien il est difficile de donner à l'enfant l'idée nette de la patrie, ou même simplement de son territoire et de ses ressources. La patrie ne représente pour l'écolier qu'une chose abstraite à laquelle, plus souvent qu'on ne croit, il peut rester étranger pendant une assez longue période de la vie. Pour frapper son esprit, il faut lui rendre la patrie visible et vivante. Dans ce but, nous avons essayé de mettre à profit l'intérêt que les enfants portent aux récits de voyages. En leur racontant le voyage courageux de deux jeunes Lorrains à travers la France entière, nous avons voulu la leur faire pour ainsi dire voir et toucher ; nous avons voulu leur montrer comment chacun des fils de la mère commune arrive à tirer profit des richesses de sa contrée et comment il sait, aux endroits même où le sol est pauvre, le forcer par son industrie à produire le plus possible. En même temps, ce récit place sous les yeux de l'enfant tous les devoirs en exemples, car les jeunes héros que nous y avons mis en scène ne parcourent pas la France en simples promeneurs désintéressés : ils ont des devoirs sérieux à remplir et des risques à courir. En les suivant le long de leur chemin, les écoliers sont initiés peu à peu à la vie pratique et à l'instruction civique en même temps qu'à la morale. Ils acquièrent des notions usuelles sur l’économie industrielle et commerciale, sur l'agriculture, sur les principales sciences et leurs applications. Ils apprennent aussi, à propos des diverses provinces, les vies les plus intéressantes des grands hommes qu'elles ont vus naître : chaque invention faite par les hommes illustres, chaque progrès accompli grâce à eux devient pour l'enfant un exemple, une sorte de morale en action d'un nouveau genre, qui prend plus d'intérêt en se mêlant à la description des lieux mêmes où les grands hommes sont nés.

En groupant ainsi toutes les connaissances morales et civiques autour de l'idée de la France, nous avons voulu présenter aux enfants la patrie sous ses traits les plus nobles, et la leur montrer grande par l'honneur, par le travail, par le respect profond du devoir et de la Justice.

BRUNO G. Le Tour de la France par deux enfants. Devoir et Patrie. Livre de lecture courante,
avec plus de 200 gravures instructives pour les leçons de choses. Cours moyens.
Paris : Librairie classique Eugène Belin, 128e éd., 1884.
L'ouvrage est disponible dans son intégralité sur le site Gallica.

Une lente sécularisation de l’instruction publiqueRevenir au début du texte

L’école primaire est construite autour de la laïcité. Jusqu’alors, le catéchisme était une discipline scolaire. Les Républicains la remplacent par l’Instruction civique et morale, défendent le droit des instituteurs à ne pas enseigner des disciplines allant à l’encontre de leurs convictions…

Ces mesures sont accompagnées au sein des chambres, au sein de la presse par des débats, souvent virulents. L’Église dénonce des lois antireligieuses, la République lui oppose l’idée d’une séparation entre les deux mondes, ancrée dans la phrase particulièrement connue prononcé par Léon Gambetta, en 1877 : Le cléricalisme, voilà l’ennemi ! […] Ce qu’il faut, c’est signaler et dénoncer sous le masque transparent des querelles religieuses, l’action politique d’une fraction politique.

L’école témoigne alors du temps. En effet, la Troisième République adopte toute une série de dispositions qui laïcise au quotidien la vie publique : suppression du repos dominical (1880), des prières publiques, des serments religieux (1881), autorisation du divorce (1884)… tout en maintenant le Concordat.

Cette distance croissante entre les deux mondes peut être résumée par la chronologie ci-dessous :

Doc. 8. La lente séparation de l’État et de l’Église
Dates Étapes
1869 Léon Gambetta, dans le programme de Belleville, propose la réalisation d’une séparation des Églises et de l’État.
1879-1891 Divers projets de lois tentent d’abroger le Concordat, sans succès.
1901, 1er juillet Loi relative au contrat d’association. Ce texte durcit l’attitude à l’encontre des congrégations, amenant un grand nombre d’entre elles à quitter le territoire.
1902-1905 Politique de laïcisation menée par Émile Combes et seconde vague de propositions de lois visant à la séparation.
1904 Scandale du fichage des officiers de l’armée.
1905, 3 juillet La loi de séparation est votée.

Doc. 9. Loi de séparation promulguée le 9 décembre 1905

Article 1er. La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public.

Article 3. La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.
Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l'article 3.

Voir le texte intégral de la loi du 9 décembre 1905 sur le site de l'Assemblée nationale.

Les combats oubliés Revenir au début du texte

Ainsi, l’école primaire pour tous, réalisant la République à l’École tout en respectant le droit à un enseignement libre est réalisée. La France en généralisant l’enseignement primaire à tous, tout en maintenant les prestigieuses classes de lycées, son latin, ses versions, sa culture aux mains d’une élite d’enseignants (avec un peu plus de 1 % d’une classe d’âge au baccalauréat) découvre le dualisme scolaire.

Malgré diverses lois, les grands chantiers de la démocratisation du secondaire n’ont pas eu lieu : les Écoles primaires supérieures sont restées les seules établissements secondaires du peuple, malgré l’ouverture de ces écoles aux filles…

La scolarisation des filles progresse au lycée, depuis la loi de Camille See du 21 décembre 1880, avec des lycées pour jeunes filles et un programme adapté, sans latin, avec une part réduite de sciences… mais avec des disciplines ménagères.

Enfin, les lycées connaissent quelques évolutions : une modernisation des études (lois et décret de 1881, 1882, 1886), des modifications de filières (avec A, B, C, D, décret du 31 mai 1902), l’essor d’établissements professionnels.