Par Nicolas Schreck
Publié le à définir
La situation des langues en Alsace à la veille de 1870 est souvent décrite d’une manière caricaturale. Trois langues sont utilisées. L’alsacien, langue maternelle et très majoritaire, est confronté aux progrès de l’allemand, langue de l’écrit, langue de l’enseignement religieux et de la Réforme luthérienne. Le français connaît des progrès importants, malgré toutes sortes de difficultés, comme en témoigne les excuses scolaires apportées aux maîtres par les parents mulhousiens.
Cercles et districts | Population totale | Parlant allemand | Parlant français et allemand | Parlant français | Parlant d’autres langues |
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Strasbourg-ville | 178 891 | 172 027 | 825 | 4 872 | 1 167 |
Strasbg.-campagne | 97 795 | 97 233 | 34 | 426 | 102 |
Haguenau | 80 292 | 79 539 | 11 | 430 | 312 |
Sélestat | 67 581 | 63 691 | 63 | 3 698 | 129 |
Colmar | 97 736 | 94 231 | 417 | 2 628 | 460 |
Mulhouse | 188 988 | 181 155 | 492 | 5 454 | 1887 (1) |
Alsace | 1 218 803 | 1 152 800 | 2 348 | 58 165 | 5 490 |
Basse-Alsace | 700 938 | 671 425 | 1 077 | 26 394 | 2 042 |
Haute-Alsace | 517 865 | 481 375 | 1 271 | 31 771 | 3 448 |
(1) : En particulier 1 491 locuteurs de l’italien.
MINISTÈRE DE LA GUERRE. Organisation politique et administrative et législation de l’Alsace-Lorraine. Première partie. Paris : Imprimerie nationale, 1915, p. 50-51.
Le document 1 est symptomatique d’une certaine hiérarchie des langues (et d’une certaine manière de collecter l’information) en démontrant la primauté absolue de l’allemand (94.5 % des locuteurs), en oubliant l’alsacien, en présentant une étroite minorité de locuteurs du français (4.8 %), souvent appartenant à une minorité industrielle francophile.
Il convient d’apprécier une réalité sans doute différente, au travers des billets d’excuses, présentés par les parents d’élèves aux maîtres de Mulhouse, dans les décennies qui précèdent 1870. Objet à la jonction de trois mondes, l’élève, le maître et le directeur, enfin les parents, ces billets témoignent de la maîtrise d’une langue, le français, langue alors majoritaire de l’école.
Voici une sélection de billets d’excuses rédigés par des parents mulhousiens et adressés aux maîtres des écoles communales (Archives de Mulhouse, 1TT191, livre jaune de directeur avec une collection de billets d’absences).
Doc. 2. Billet d'excuse
S. n., s.d.
Coll. Archives municipales de Mulhouse (1 TT 191)
Transcription :
Monsieur Chirmayer,
Je vous prie d’avoir la bonté de faire peur a Eugen, de lui dire que quand on n’est malade ils faut reste à la maison je suis été chez le medecin et ils ma dit quil falait un repos et puis fructionne trois fois par jour le medecin ma dit quil faut du repos sans ca ils a pas de guerison.
Monsieur Chirmayer
Je vous écris ces quelque mot cest pour vous dire
Eugene ne veut pas reste a la maison cest pour que vous luit faissez reste ils dit que sa le retarderait de ses clace je suis votre tres unble soumis jenbaptiste.
Doc. 3. Billet d'excuse
S. n., s.d.
Coll. Archives municipales de Mulhouse (1 TT 191)
Transcription :
Je L’honneur de vous
Écrire pour Catharine Marck
Qui à manqé à le cole se
Qui à fait se confesse et ils
ne sepas quel keçon qui
doit à prendre
Doc. 4. Billet d'excuse
S. n., s.d.
Coll. Archives municipales de Mulhouse (1 TT 191)
Transcription :
Mademoiselle
Veuilliez je vous prie excuser Emma de se qu’elle
À manguer en clases elle a manquer de gasé la
Champe sur nôtre trotoire qui est témoli elle a eut bien mal à la champe
Recevez mes Sincêres Salutation
Doc. 5. Billet d'excuse
S. n., 1858
Coll. Archives municipales de Mulhouse (1 TT 191)
Transcription :
Marie ne vien bas
À l’ecole lontan quelque jour
Je me absénte bour barie
Il faut quel rest avec son betis fraire je vous salue
Doc. 6. Billet d'excuse
S. n., 1898
Coll. Archives municipales de Mulhouse (1 TT 191)
Transcription :
Monsieur Je Vous prie de punir Caroline car elle n’ose pas
Venir se pleindre à la Maison, Je ne souffre auqu’une Mensonge
Elle est une sansuci et causeusse à la Maison comme à l’école
J’ai bien de la peine avec elle rien veux lui entré dans sa tête
Ainsi Monsieur Je Vous engage de la surveiller comme il faut
Et à la punir chaque fois qu’elle le mérite
J’ai bien l’honneur de vous saluer
Femme Benner
Mulhouse le 29 Mai 1838
L’utilisation de la langue est l’objet d’un débat, entre les autorités religieuses, catholiques et protestantes, acquises à l’usage de l’allemand et les autorités publiques, attachées à la diffusion du français. Le débat d’ailleurs dépassait la sphère de l’école, s’interrogeant sur l’appartenance par la langue à telle ou telle nationalité ou à telle ou telle civilisation. On reprochait en effet à la Ligue de l’Enseignement et à Jean Macé de ne diffuser au sein des bibliothèques populaires que des livres de langue française. On notera les efforts menés par les inspecteurs du primaire pour un enseignement accru du français, dans toutes les écoles, rurales, y compris lors des cours de catéchisme.
Notons enfin que le français est la langue de la majorité de la population dans cinq cantons, à savoir Schirmeck, Saales, Villé, Sainte-Marie-aux-Mines et Lapoutroie. Un second territoire est majoritairement francophone, les cantons de Ferrette et de Dannemarie.